Rapport du capitaine
commandant la gendarmerie du Var
à propos des événements du Luc, 7 janvier 1852.
La prise du pouvoir par les résistants républicains
se fait bien souvent aux dépends des forces de gendarmerie. Celles-ci,
trop peu nombreuses, sont impuissantes à lutter contre la population qui
prend le parti de l'opposition au coup d'État. Ces mouvements de foule
donnent parfois lieu à une farandole, une danse publique où est chantée
la Marseillaise et où l'on proclame son attachement au régime républicain.
Gendarmerie du Var
Draguignan,
le 7 Janvier 1852
Monsieur le Préfet,
J'ai 1'honneur de vous informer qu'il résulte des enquêtes
faites par le commandant de la lieutenance de Draguignan, dans les résidences
de Vidauban, Le Luc et la Garde-Freinet, que le quatre décembre dernier
le brigadier Godillot Jean et le gendarme de Rastignac Bienvenu Gabriel,
de la résidence de Vidauban, voulant interposer leur autorité pour empêcher
une farandole, furent saisi par une vingtaine de personne, qui les portèrent,
pour ainsi dire, jusqu'à la mairie, où ils furent désarmés ; les deux
autres gendarmes de cette résidence ayant voulu aller au secours de leurs
camarades éprouvèrent le même sort néanmoins deux d'entre eux
parvinrent plus tard à s'échapper et il ne resta de cette brigade entre
les mains des insurgés que le brigadier Godillot Jean et le gendarme Rein
François.
La brigade du Luc fut consignée le 4 dans sa caserne par
l'autorité révolutionnaire Ce ne fut que le 5 au matin qu'une bande de
quatre ou cinq cents individus armés vinrent sommer le Maréchal des
logis Guillon Pierre de se rendre avec ces hommes ; ce sous-officier
croyant toute résistance inutile fit ouvrir les porte, de la caser ne et
rendit ses armes et celles de ses hommes, les nommés Mayere Jean Louis,
Waldner Joseph, Audiffred Joseph, Dromard François, ils furent tous cinq
conduits à la prison du Luc, le gendarme Neveux Jean Marie, de cette
brigade qui le quatre avait été envoyé en ordonnance à Draguignan,
essuya deux coups de fusil en passant à Vidauban. mais n'en continua pas
moins sa route et arriva à sa destination sans autres accident.
Le même jour, quatre, vers les sept heures du soir, le
brigadier Marsioux Armand Auguste. de la résidence de La Garde-Freinet,
fut prié par le maire de cette commune de l'accompagner jusqu'à la
mairie où il avait quelques instructions à lui communiquer ; le
brigadier, sans méfiance, se rendit à cette invitation, dès leur arrivée,
il fut invité à faire venir les gendarme: sous prétexte d'organiser un
service de nuit mais à peine tous ces militaires furent-ils rendus, que
le Maire quitta son écharpe et dit au brigadier qu'il avait à s'entendre
avec le peuple souverain, dès ce moment Massioux et les huit gendarmes
sous ses ordres furent prisonniers ; mis en route le lendemain avec les
bandes des insurgés, ils furent réunis aux autres gendarmes prisonniers
et trainer à la suite de la colonne des insurgés jusqu'à Aups, où ils
furent toi, rendus à la liberté le dix.
Les brigadiers Godillot et Massioux furent pris à l'improviste
et ne purent faire résistance étant entouré loin de chez eux par une
foule trop nombreuse et armée ; quand au Maréchal des logis Guillon qui
était bien en force chez lui, il pouvait vendre chèrement sa vie et
celle de ses hommes et il fit preuve de peu de courage dans cette
circonstance, il aurait pu du reste, se conformer aux ordres donnés, se
replier sur Draguignan pendant la nuit du quatre au cinq, du moment qu'il
ne voyait que son autorité était méconnue, qu'il ne pouvait plus protéger
le passage des estafettes, et que la nouvelle autorité révolutionnaire
l'avait consigné depuis vingt quatre heures dans sa caserne.
Je suis avec un profond respect, Monsieur le Préfet, votre
très humble et très obéissant serviteur.
Le capitaine
commandant la gendarmerie du Var
Blondel
Rapport du commissaire de police de Brignoles,
16 décembre
1851.
Les républicains, venus des villes et des
campagnes, ont formé des colonnes et se sont regroupés à Vidauban. Après
avoir beaucoup hésité à marcher vers Draguignan, leur chef, Camille
Duteil, se décide à prendre la direction du Nord afin de rejoindre les
insurgés du département des Basses-Alpes. Ceux-ci viennent d'occuper
Digne. Se posent cependant d'importants problèmes d'intendance, de
coordination, d'armements. Duteil met à profit un séjour à Salernes
pour tenter de les résoudre.
Pendant ce temps, les colonnes républicaines sont toujours en marche.
L'une d'elles parvient à Brignoles le 5 décembre. Les représentants de
l'ordre sont alors immédiatement placés en détention, ce dont se plaint
amèrement le commissaire de police, impuissant à l'empêcher. Les insurgés
mettent la main sur les stocks de poudre et d'armes, pratiquant des réquisitions.
Cependant l'affaire tourne court avec l'arrivée des soldats le 10 décembre
suivant.
Département du Var
Arrondissement et commune de Brignoles
L'an mil
huit cent croquante et un et le cinq du mois de décembre
à sept heures et demie du matin
Nous, Didier Jean Jacques
commissaire de police de Brignoles et du Val auxiliaire de M le Procureur
de la République,
Rapportons qu'une colonne composée de 500 hommes environ,
armés de fusils chargés, réunis dans les cafés Blanc et Andros sur le
Cours sont partis de ce lieu et sont venus s'emparer de l'hôtel de ville.
Cette colonne d'insurgés commandée par les nommés Meyer
ex-adjudicataire de l'octroi, Héran Casimir n'exercant aucune profession,
Blanc cafetier et Bouchard huissier, avait à sa tête les nommée Giraud
ex agent voyer, Constans ex-sous préfet et Burles fabricant de formes à
Toulon.
M. le Maire Garnier accompagné de MM. Mouttet adjoint, De
Lestang avoué et du commissaire de police, a d'un ton très énergique
fait comprendre la responsabilité que les personnes dénommées
assumaient sur elles. Tout a été méconnu et cette foule impatiente
s'est précipitée dans la mairie notamment dans les bureaux où le nommé
Barbier Jean président de la société de la Cocarde ou autrement dite de
Ste Victoire a violemment entraîné le commissaire de police. Là, après
l'avoir fouillé et lui avoir enlevé deux pistolets et un rouleau de
papier contenant 35 pièces environ, telles que commissions, prestations
de serment, certificats et autres, les baïonnettes étaient tournées
vers lui avec l'intention d'en faire usage. Le sieur Constans déjà nommé
voyant les excès auxquels on allait se livrer ordonna à 4 hommes armés
de nous conduire dans notre domicile, d'autres voulaient aller à la
prison, enfin le dit Contans remporta et pendant 5 jours que nous avons été
gardés ainsi, des violences et des menace, ont été exercées en vers
notre famille qui est restée une journée sans nourriture. rien ne
pouvait entrer ni sortir. Lennommé Brun dit Platane rue Cavaillon un de
ceux qui étaient en faction à notre porte menaça même la femme Marbec
si elle tentait à nous apporter du lait
Le premier jour, c'est à-dire le 5 à 10 heure du matin un
coup de feu fut tiré et la balle vint frapper à 5 centimètres d'une
croisée où nous étions placé. Si ce coup n'est pas volontaire il y a
eu une coïncidence frappante, car nous n'étions là que depuis quelques
minutes.
Le 2ème jour nous fûmes cependant rassurés par la présence
de M le Procureur de la République, qui dés le matin promenait sur la
place Caramy occupée par les insurgés et le lendemain nous nous vîmes
entièrement sauvé, par la présence au même lieu du même magistrat qui
dit à mon fils, rassurez votre père, tout va bien.
Le 4 dans la soirée, les nommés Giraud, Constans, Bouchard
déjà nommé et les officiers démagogues de la garde nationale se présentèrent
à M .le Maire pour exiger de lui qu'un poste fut formé à la marie M
Garnier ne voyant parmi eux personne sur lequel il put compter pour le
maintien de l'ordre et le rétablir repoussa la demande qui lui était
faite.
C'est alors que la résolution qui déjà été prise de
s'emparer de la mairie par un moyen quelconque fut mise à exécution. Il
était facile de le prévoir par les mouvements qui eurent lieu toute la
nuit dans la ville et dans les cafés susdits. Les nommés Gaspard
boulanger, Héran Casimir, Berne Maurice, Penne tanneur qui ont pris une
part très active à l'insurrection ne se sont pas couchés, ils étaient
constamment à courir dans la ville. Constans et Marbec confiseur ont été
également rencontrés à 2 heures du matin.
Instruits du rassemblement armé qui se formait sur le cours,
nous nous empressâmes de prévenir M. le Maire qui se rendit aussitôt,
nous nous rendîmes ensuite auprès du lieutenant de gendarmerie M. Portal
pour le prier d'envoyer de suite ses gendarmes à la mairie, ce qui ne fut
pas fait.
Pendant cinq (jours) qu'a duré le pouvoir des insurgés tout
ce qui sortait de la ville et y entrait était minutieusement fouillé,
les femmes et les enfants n'étaient pas plus respectés. La poudrière a
été pillée, les membres de la commission dont la plupart des signatures
sont sur la feuille ci-jointe en avaient livré les clefs.
Un baril de poudre et environ 300 balles de gros calibre, fraîchement
fondues ont (été) trouvés dans la mairie où ils avaient été apportés
par les insurgés.
Le nombre des insurgés qui se sont emparés de la mairie était
de 500 environ, mais 200 environ formant avec ceux-ci un effectif de 700,
avaient été laissés de réserve sur le cours ou dans les cafés. Les
communes de Tourves, de Camps et du Val avaient fourni leur contingent. Le
nommé Dauphin tailleur au Val est celui qui pendant la nuit est allé
chercher les insurgés de sa commune pour se rendre à Brignoles.
De quoi nous avons dressé le présent auquel nous ajouterons
en supplément tous les faits qui parviendront à notre connaissance.
Brignoles le seize des mois et an susdits.
Didier
L'arrivée des troupes militaires à Brignoles,
10 décembre 1851.
Les forces militaires, parties à la poursuite
des républicains, réoccupent une à une les communes où les autorités
en place avait été remplacé par un Comité républicain. A Brignoles,
peu de résistants sont encore présents dans le village au moment où les
troupes arrivent et la reprise du pouvoir se fait sans résistance.
républicaine avant
de s'exiler en Italie.
Draguignan,
le 10 Décembre 1851
Monsieur le Préfet,
J'ai l'honneur de vous informer que Mr le Lieutenant de
Brignoles me donne les détails suivants :
"Une colonne expéditionnaire commandée par M. Sercey
colonel d'état major et forte de 450 hommes d'infanterie, un peloton de
hussards et 2 pièces d'artillerie vient d'arriver ici ( 2 heures 1/2)
Aussitôt arrivé, le chef de colonne s'est transporté à la mairie où
il a trouvé le conseil municipal organisé par les insurgés, il a immédiatement
donné l'ordre de faire appeler les anciennes autorités et a renvoyé
sans vouloir écouter leurs jérémiades tous ceux qui avaient partie des
insurgés. Le temps me manque pour vous donner des plus grands détails
Après avoir rétabli l'ordre ici, cette colonne se mettra en route pour
atteindre les bandes de démagogues.
Je suis avec respect, Monsieur le Préfet, votre très humble
et très obéissant serviteur".
Pour le
capitaine absent, le trésorier
Costedoat
Le combat d'Aups, 10 décembre 1851.
Rapport du juge de paix d'Aups
au Procureur de la République,
15 décembre 1851.
Le mardi 9 décembre, la colonne républicaine
arrive à Aups où l'a mené cette fuite en avant. La commune entre en la
possession des insurgés qui entendent contrôler ses abords et bientôt
lever un impôts, sorte de réquisition d'urgence qui touche les propriétaires.
Le lendemain, vers 11 heures du matin, les troupes militaires - 11
compagnies d'infanterie et 40 gendarmes à cheval venus de Draguignan -
arrivent à Aups. Après quelques minutes d'affrontement et quelques coups
de feu échangés de part et d'autre, les républicains sont mis en déroute.
Ils s'enfuient alors dans les campagnes environnantes et cherchent à
regagner leur village ou la ville afin de se cacher. La répression,
qu'accompagne une vaste chasse à l'hommes, commence.
A noter que ce témoignage, tout comme ceux qui concernent cet épisode
tragique, est sujet à caution. Selon d'autre sources par exemple, M. Féraud
aurait été exécuté par des gendarmes qui l'auraient pris pour un républicain
cherchant à regagner son foyer après les combats.
JUSTICE DE PAIX du canton
d'Aups
département
du VAR
Aups, le 15
Décembre 1851
Rapport
sur le combat livré à Aups
et sur la situation de ce canton pendant l'insurrection.
Monsieur le Procureur de la
République,
Le trouble bien naturel dans lequel nous avaient jeté les terribles événements
qui se sont accomplis dans ce pays et les dispositions multiples que nous
avons été obligés de prendre tant dans l'intérêt de la sécurité
publique que pour venir au secours des familles nécessiteuses dont les
ressources ont été épuisées par le séjour de 5 à 6.000 insurgés
pendant 48 heures m'ont empêché jusques à aujourd'hui de vous adresser
un rapport sur la situation de ce pays et du canton. Je ne pourrai le
faire encore que d'une manière rapide, faute de temps et de
renseignements circonstanciés.
Dès lundi 8 du courant sur les deux heures après-midi notre
ville a été envahie par les premières colonnes d'insurgés Leur premier
acte a été de s'emparer de la mairie, de déposer les autorités et de
les remplacer par leur commission municipale qui me signifia
personnellement .de conserver temporairement mes fonction.
Le lendemain mardi 9, le général en chef et l'état-major
de l'insurrection sont arrivés accompagnés d'une masse énorme d'insurgés
Dés ce moment, le quartier général a été établi à Aups et jusques
à 10 heures du soir le mouvement d'arrivée des colonnes dont se
composait la phalange ne s'est pas ralenti, au point que le mercredi matin
10, d'après le recensement fait par le général, le nombre d'insurgés
s'élevait à six mille.
Dès lundi soir le pays avait été rigoureusement cerné,
toutes les issues étaient gardées, de fortes patrouilles battaient la
campagne, les courriers étaient arrêtés, les lettres et dépêches
saisies par les insurgés, de sorte que nous étions complètement isolés,
sans nouvelles de nulle part et impossible d'en faire parvenir des notre
à l'autorité supérieure Toutes les tentatives faites à cet égard
avaient échouées.
Dans la nuit du 9 au 10, le conseil de guerre composé des
chefs de l'insurrection et siégeant à la mairie mettait en délibération
les projets les plus sinistres, pillage des caisses publiques,
contribution de quarante mille francs prélevées sur les notables dont
quelques'uns seront mandés à la mairie pour recevoir communication de
leur part contributive, s'emparer des principaux habitants pour les
emmener en otages, faire fusiller dans la journée tous les prisonniers.
Tous ces projets atroces n'ont manqué leur exécution que par l'arrivée
providentielle des troupes Déjà on s'était emparé des chevaux et des
voitures et l'ordre avait été donné à tous les habitants de se lever
et de partir sous peine d'être fusillés, sanction pénale qui
accompagnait toutes les publications faites au nom du peuple souverain. Un
piquet d'insurgés fut envoyé à la campagne de Mr Gaudemar pour se
saisir de sa personne et le faire fusiller, heureusement cet honorable
citoyen fut sauvé grâce à l'avis de son arrestation qui me fut transmis
par un membre de la commission et au dévouement de mon frère qui malade
et sans armes partit à minuit pour la campagne de Mr. Gaudemar pour le
faire évader, Nul doute que sans l'arrivée miraculeuse de la troupe
notre pays ne fut, dans la journée du 10, livré au pillage et à la dévastation,
et tous les sinistres projets ne sont pas des inventions suggérées au
greffier par la peur, car j'étais informé des progrès que faisait
l'audace de cette horde de sauvages par des membres de la commission
municipale qui se sont conduits admirablement pour préserver le pays des
ter, ribles malheurs dont il était menacé. Ces courageux citoyens qui
avaient à se reprocher et à se faire pardonner le tort très grand
d'avoir pactisé avec l'insurrection ont opposé à cette heure suprême
la résistance la plus énergique à l'exécution de toutes les atrocités
méditées contre nous, et dont ils savaient qu'ils seraient les premières
victimes par leur refus persistant de s'en rendre les complices. Quelque
terrible que soit la responsabilité qui pèse sur eux, c'est une justice
que tous les gens de bien leur rendent qu'ils ont fait, à l'heure du
danger, tout ce qu'ils pouvaient faire pour nous préserver et nous
sauver. Leur dévouement, bien qu'il fut devenu impuissant sans l'arrivée
des troupes, n'en est pas moins un titre qui leur donne des droits sacrés
à la clémence du gouvernement
II est resté sur le champ de bataille 18 cadavres Nous
n'avons à l'hospice que deux blessés. Le nombre doit en être sans doute
plus considérable, mais il est à présumer que tous ceux que la gravité
de leurs blessures n'a pas retenu ont pris la fuite.
La troupe n'a eu à déplorer que la mort d'un soldat et deux
ou trois blessés.
J'ai à vous signaler un trait de barbarie commis dans les scènes
de déportation qui ont suivi le combat livré dans nos murs. Le nommé Féraud
dit de Claire, propriétaire à Salernes, célibataire âgé de 38 ans a
été lâchement assassiné sur le territoire d'Aups, à quelques mètres
du grand puits qui se trouve sur la route d'Aups à Sillans. Cet honnête
citoyen connu pour la modération de ses opinions politiques s'était
refusé à suivre la colonne de Salernes et s'était dérobé par la fuite
à la menace d'être fusillé lancée contre tous ceux qui se refusaient
à partir Il était venu se cacher dans la commune de Moissac chez le
sieur Joseph Roux voiturier où il était arrivé le 9 vers 10 heures du
soir et d'ou il n'est reparti que dans la nuit du 10 au 11 après la
fusillade d'Aups, croyant pouvoir, à cette heure, regagner sa demeure
sans rien craindre. Il parait que, rencontré par des fuyards, il aurait
été lâchement assassiné sans doute pour le punir de s'être refusé à
suivre la colonne. Il a été frappé d'une balle à la figure qui
lui a été tirée à bride pourpoint, pendant qu'il prenait un morceau
car il avait la figure toute noircie par la poudre et il tenait encore
dans sa main le morceau de pain qu'il mangeait. Il était sans armes,
avait seulement un carnier dans lequel on a retrouvé 60 francs qui ont été
restitués à sa famille.
La colonne militaire n'est malheureusement restée que
quelques heures à Aups. Après son départ, tous les hommes d'ordre ont
été invités à se rendre à la mairie pour pourvoir à la défense de
la ville en cas de retour des insurgés. Mais l'organisation de la défense
était difficile, tous les habitants ayant été désarmés. Pendant que
l'on délibérait dans la confusion de mille avis contraires, un cri
d'alarme part de la ville : les insurgés retournent pour nous égorger,
s'écrie-t-on de toutes parts. Aussitôt la terreur s'empare de la
population. Les portes et les fenêtres se ferment avec fracas. Chacun
court sans se rendre compte du mouvement qui le pousse et de l'endroit où
il va. Une grande partie des habitants se sauvent dans les champs et dans
les bois où ils ont passé la nuit dans des angoisses terribles ; les
autres se barricadent dans les maisons, moins pour se défendre que pour
se serrer contre les siens et mourir ensemble.
Je ne saurai vous peindre cette scène de désespoir qui
s'est prolongée toute la nuit. Ce n'a été que le matin au jour que la
population a commencé à respirer et à secouer cette terreur qu'une
fausse alarme avait imprimée à tous les cœurs.
Dans l'après-midi, une compagnie du 50ëme détachée de la
colonne nous est revenue et s'est installée à la mairie La vue des
militaires a ranimé notre courage. La population les a accueillis avec
des transports de joie et leur a témoigné ses vives &sympathies en
leur apportant des vivres en abondance.
Depuis lors, le calme est revenu dans les esprits et la
tranquillité la plus parfaite règne dans la ville et dans le canton.
Mais il serait impolitique de retirer cette petite garnison avant les élections.
Il faut qu'elle reste jusqu'après le dépouillement du scrutin d'où dépend
le salut de la France.
Daignez agréer, Monsieur le Procureur de la République,
l'assurance de ma respectueuse considération.
Le juge de
paix du canton d'Aups
Girard
La mort de Martin Bidouré,
L'Écho du Peuple, n°7, 8 juin1852.
La répression qui touche le département
donne lieu à des événements tragiques. La mort de Martin Bidouré, un
jeune homme de 26 ans, en fait un saint républicain que s'est approprié
la mémoire collective.
Nous avons déjà
parlé de la mort du malheureux Martin de Barjols le jour de la surprise
d'Aups, mais nous en avions ajourné les détail jusqu'au moment où des
renseignements précis que nous refusait la réserve presque timorée des
réfugiés français nous seraient parvenus des localités mêmes où s'étaient
passés les tristes événements que nous avons à raconter à nos
lecteurs. Ces renseignements, nous les avons reçus et nous allons exposer
les faits lugubres qu'ils nous ont appris. Le brave et malheureux Martin
fut rencontré sur la route d Aups à Tourtour et près de la première de
ces localités, par l'avant-garde du corps de troupe dirigé contre les
insurgés surpris à un détour de la route, Martin qui était à cheval
cherche vainement à s'échapper et fut pris avant même d'avoir pu
tourner bride. Amené devant Mr le préfet Pastoureau qui était à
quelque distance de là avec le gros de la troupe, Martin fut interrogé
sur la route même par ce fonctionnaire sur les motifs qui le conduisaient
d'Aups à Tourtour. C'est pendant cet interrogatoire que Martin fut
interrompu par une balle qui ne l'atteignit pas à la poitrine comme nous
l'avions dit d'abord mais bien à la figure. Cette balle sortait d'un des
pistolets que Martin portait; que le préfet saisit et qu'il déchargea au
même instant à bout portant sur Martin dont la figure était labourée
et l'oreille emportée par le coup. Renversé de son cheval le pauvre
Martin fut aussitôt frappé de plusieurs coups de sabres par les
gendarmes et par un gentilhomme de la commune du Luc qui ne craignit pas
de teindre son épée du sang d'un adversaire couché par terre sans armes
et sans connaissance. Dépouillé des papiers qu'il pouvait avoir le corps
de la victime fut poussé du pied jusque dans le fossé de la route où il
fut abandonné comme à la voirie ; ainsi a devenir la pâture du premier
animal affamé qui passerait par là.
Mais la providence en avait décidé autrement elle voulut
que la victime elle même put protester contre l'assassinat dont elle
avait été l'objet Après avoir resté plusieurs heures dans la situation
où l'avaient laissé ses meurtriers, Martin reprit connaissance et trouva
dans son énergique nature la force nécessaire pour se traîner jusqu'à
une ferme voisine, où il fut accueilli et reçut les premiers soins que
son état réclamait. Aucune des blessures de la victime ne paraissait
mortelle et son état ne s'aggravait pas il put même écrire ou faire écrire
chez lui pour annoncer son prochain retour, mais le bruit s'étant répandu
que tout individu qui donnerait asile à un insurgé serait puni comme
l'insurgé lui même les fermiers qui avaient recueilli Martin craignant
de se compromettre se décidèrent à aller prendre conseil de Mr de la B.
propriétaire de la ferme qui leur dit qu'il se chargeait de le faire
conduire à l'hôpital.
En effet l'autorité d'Aups prévenue par Mr de la B.
s'empressa de faire arracher Martin à son lit de douleur le surlendemain
de son arrivée à la ferme et de le faire traîner à l'hôpital. Mais là
ne devait pas finir le drame si émouvant dont le brave Martin devait être
victime et dés le lendemain de son entrée à l'hôpital il se vit de
nouveau arraché de son lit et traîné à un nouveau supplice. On lui
avait déjà annoncé qu'il était condamné à être fusillé et un ecclésiastique
qu'il connaissait personnellement avait pu lui porter quelques paroles de
consolation. Pendant le trajet de l'hôpital au cimetière, où l'exécution
devait avoir lieu, Martin rencontra plusieurs personnes de sa connaissance
et à toutes il fit les adieux les plus affectueux et les plus touchants
en s'écriant avec l'accent de la satisfaction qu'il allait verser son
sang pour la démocratie mais que la république ne périrait pas
affirmant même que sa cause triompherait en France à l'heure même ou il
allait mourir pour elle. Chemin faisant il rencontra l'ecclésiastique qui
l'avait déjà visité et il l'invita à l'assister dans ses derniers
moments, ce qu'il s'empressa de faire.
Arrivé sur le lieu du supplice, Martin se prépare à mourir
en pardonnant à ses ennemis et se place avec une héroïque résignation
au poste qui lui est assigné pour y recevoir la mort qui semblait ne pas
vouloir de la victime et protester par sa lenteur à venir contre
l'acharnement si empressé de ses bourreaux. En effet Martin tombe bientôt
frappé de plusieurs balles mais il se releva aussitôt sur ses deux mains
et s'écria : "Vous ne pouvez donc pas en finir, je ne suis pas mort
; tuez-moi donc, malheureux." et à l'instant un canon de fusil
appliqué sur son oreille le délivre de tant de tortures mais il a encore
la force de s'écrier avant de mourir : "Oh ! cette fois je suis bien
mort, vous pouvez vous en aller !" et il tombe pour ne plus se
relever. Nous n'ajouterons rien à l'éloquence de tant de sauvagerie. Échappé
à un premier supplice le trop malheureux Martin devait en subir un second
qui devait assurer son silence sur le premier épisode de ce double et
horrible assassinat.
Mais le ciel a voulu que Martin put raconter lui même une
partie de cette épouvantable histoire et que l'indignation publique complétât
ce sombre et lugubre récit que l'atrocité des faits semble rendre
incroyable.
Les détails que nous venons de donner sur la mort de Martin
sont si monstrueux qu'ils paraissaient impossibles. Pourtant ils sont
attestés par des personnes de la localité très bien informées de tout
ce qui s'est passé. Néanmoins tout en reproduisant ces détails qui
courent les rues et qui sont dans toutes les bouches à Nice comme de
l'autre coté du Var, nous devons prévenir les personnes intéressées à
relever certains de ces faits qui ne leur paraîtraient pas d'une complète
exactitude que nous tenons nos colonnes à leur disposition. C'est avec
bonheur, nous le déclarons que nous insérerions les rectifications qui
tendraient à donner à cette horrible affaire une couleur moins sombre.
On a fait circuler dans le département du Var une
souscription dont le montant est destiné à offrir une épée d'honneur
à Mr. Pastoureau. Les souscripteurs se trompent c'est un pistolet qu'ils
doivent voter à l'ex-préfet du Var, aujourd'hui préfet du Lot en commémoration
expiatoire de l'assassinat de Martin.