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                                                                                Dans le Var

 

Dans le Var.



Les colonnes républicaines. 



par Marc Nadaux

 






Des milliers d'habitants du Var s'insurgent à l'annonce du coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte. D'après les statistiques de la répression, 52 % d'entre-eux sont ouvriers de métier ou commerçants, 43 % paysans et 2 % enfin notables. L'insurrection recrute ainsi largement parmi les couches populaires, davantage que dans le reste de la France. Et à côté des deux grandes masses laborieuses, une appréciable minorité bourgeoise agit également. 

Délaissant les bourgades trop importantes et trop bien défendues, ces insurgés organisés en colonne marchent vers Brignolles puis Le Luc, Vidauban, Lorgnes, Salernes et enfin Aups où le mouvement se disperse. Le but pour ces résistants républicains est de se substituer aux institutions devenues illégales, de s'armer en réquisitionnant armes et vivres. Une épopée vaine que décrit Émile Zola dans La Fortune des Rougons.   








Rapport du capitaine commandant la gendarmerie du Var à propos des événements du Luc, 7 janvier 1852.
Rapport du commissaire de police de Brignoles, 16 décembre 1851.
L'arrivée des troupes militaires à Brignoles, 10 décembre 1851.
Le combat d'Aups, 10 décembre 1851.
La mort de Martin Bidouré, L'Écho du Peuple, n°7, 8 juin1852.



 





Rapport du capitaine
commandant la gendarmerie du Var
à propos des événements du Luc, 7 janvier 1852.



La prise du pouvoir par les résistants républicains se fait bien souvent aux dépends des forces de gendarmerie. Celles-ci, trop peu nombreuses, sont impuissantes à lutter contre la population qui prend le parti de l'opposition au coup d'État. Ces mouvements de foule donnent parfois lieu à une farandole, une danse publique où est chantée la Marseillaise et où l'on proclame son attachement au régime républicain.  



Gendarmerie du Var


Draguignan, le 7 Janvier 1852


Monsieur le Préfet,


J'ai 1'honneur de vous informer qu'il résulte des enquêtes faites par le commandant de la lieutenance de Draguignan, dans les résidences de Vidauban, Le Luc et la Garde-Freinet, que le quatre décembre dernier le brigadier Godillot Jean et le gendarme de Rastignac Bienvenu Gabriel, de la résidence de Vidauban, voulant interposer leur autorité pour empêcher une farandole, furent saisi par une vingtaine de personne, qui les portèrent, pour ainsi dire, jusqu'à la mairie, où ils furent désarmés ; les deux autres gendarmes de cette résidence ayant voulu aller au secours de leurs camarades éprouvèrent le même sort néanmoins deux d'entre eux parvinrent plus tard à s'échapper et il ne resta de cette brigade entre les mains des insurgés que le brigadier Godillot Jean et le gendarme Rein François.
   La brigade du Luc fut consignée le 4 dans sa caserne par l'autorité révolutionnaire Ce ne fut que le 5 au matin qu'une bande de quatre ou cinq cents individus armés vinrent sommer le Maréchal des logis Guillon Pierre de se rendre avec ces hommes ; ce sous-officier croyant toute résistance inutile fit ouvrir les porte, de la caser ne et rendit ses armes et celles de ses hommes, les nommés Mayere Jean Louis, Waldner Joseph, Audiffred Joseph, Dromard François, ils furent tous cinq conduits à la prison du Luc, le gendarme Neveux Jean Marie, de cette brigade qui le quatre avait été envoyé en ordonnance à Draguignan, essuya deux coups de fusil en passant à Vidauban. mais n'en continua pas moins sa route et arriva à sa destination sans autres accident.
   Le même jour, quatre, vers les sept heures du soir, le brigadier Marsioux Armand Auguste. de la résidence de La Garde-Freinet, fut prié par le maire de cette commune de l'accompagner jusqu'à la mairie où il avait quelques instructions à lui communiquer ; le brigadier, sans méfiance, se rendit à cette invitation, dès leur arrivée, il fut invité à faire venir les gendarme: sous prétexte d'organiser un service de nuit mais à peine tous ces militaires furent-ils rendus, que le Maire quitta son écharpe et dit au brigadier qu'il avait à s'entendre avec le peuple souverain, dès ce moment Massioux et les huit gendarmes sous ses ordres furent prisonniers ; mis en route le lendemain avec les bandes des insurgés, ils furent réunis aux autres gendarmes prisonniers et trainer à la suite de la colonne des insurgés jusqu'à Aups, où ils furent toi, rendus à la liberté le dix.
   Les brigadiers Godillot et Massioux furent pris à l'improviste et ne purent faire résistance étant entouré loin de chez eux par une foule trop nombreuse et armée ; quand au Maréchal des logis Guillon qui était bien en force chez lui, il pouvait vendre chèrement sa vie et celle de ses hommes et il fit preuve de peu de courage dans cette circonstance, il aurait pu du reste, se conformer aux ordres donnés, se replier sur Draguignan pendant la nuit du quatre au cinq, du moment qu'il ne voyait que son autorité était méconnue, qu'il ne pouvait plus protéger le passage des estafettes, et que la nouvelle autorité révolutionnaire l'avait consigné depuis vingt quatre heures dans sa caserne.
   Je suis avec un profond respect, Monsieur le Préfet, votre très humble et très obéissant serviteur.


Le capitaine commandant la gendarmerie du Var

Blondel







Rapport du commissaire de police de Brignoles,
16 décembre 1851.



Les républicains, venus des villes et des campagnes, ont formé des colonnes et se sont regroupés à Vidauban. Après avoir beaucoup hésité à marcher vers Draguignan, leur chef, Camille Duteil, se décide à prendre la direction du Nord afin de rejoindre les insurgés du département des Basses-Alpes. Ceux-ci viennent d'occuper Digne. Se posent cependant d'importants problèmes d'intendance, de coordination, d'armements. Duteil met à profit un séjour à Salernes pour tenter de les résoudre.

Pendant ce temps, les colonnes républicaines sont toujours en marche. L'une d'elles parvient à Brignoles le 5 décembre. Les représentants de l'ordre sont alors immédiatement placés en détention, ce dont se plaint amèrement le commissaire de police, impuissant à l'empêcher. Les insurgés mettent la main sur les stocks de poudre et d'armes, pratiquant des réquisitions. Cependant l'affaire tourne court avec l'arrivée des soldats le 10 décembre suivant.  




               Département du Var
Arrondissement et commune de Brignoles


L'an mil huit cent croquante et un et le cinq du mois de décembre
 à sept heures et demie du matin                      


Nous, Didier Jean Jacques commissaire de police de Brignoles et du Val auxiliaire de M le Procureur de la République,

Rapportons qu'une colonne composée de 500 hommes environ, armés de fusils chargés, réunis dans les cafés Blanc et Andros sur le Cours sont partis de ce lieu et sont venus s'emparer de l'hôtel de ville. Cette colonne d'insurgés commandée par les nommés Meyer ex-adjudicataire de l'octroi, Héran Casimir n'exercant aucune profession, Blanc cafetier et Bouchard huissier, avait à sa tête les nommée Giraud ex agent voyer, Constans ex-sous préfet et Burles fabricant de formes à Toulon.
   M. le Maire Garnier accompagné de MM. Mouttet adjoint, De Lestang avoué et du commissaire de police, a d'un ton très énergique fait comprendre la responsabilité que les personnes dénommées assumaient sur elles. Tout a été méconnu et cette foule impatiente s'est précipitée dans la mairie notamment dans les bureaux où le nommé Barbier Jean président de la société de la Cocarde ou autrement dite de Ste Victoire a violemment entraîné le commissaire de police. Là, après l'avoir fouillé et lui avoir enlevé deux pistolets et un rouleau de papier contenant 35 pièces environ, telles que commissions, prestations de serment, certificats et autres, les baïonnettes étaient tournées vers lui avec l'intention d'en faire usage. Le sieur Constans déjà nommé voyant les excès auxquels on allait se livrer ordonna à 4 hommes armés de nous conduire dans notre domicile, d'autres voulaient aller à la prison, enfin le dit Contans remporta et pendant 5 jours que nous avons été gardés ainsi, des violences et des menace, ont été exercées en vers notre famille qui est restée une journée sans nourriture. rien ne pouvait entrer ni sortir. Lennommé Brun dit Platane rue Cavaillon un de ceux qui étaient en faction à notre porte menaça même la femme Marbec si elle tentait à nous apporter du lait

   Le premier jour, c'est à-dire le 5 à 10 heure du matin un coup de feu fut tiré et la balle vint frapper à 5 centimètres d'une croisée où nous étions placé. Si ce coup n'est pas volontaire il y a eu une coïncidence frappante, car nous n'étions là que depuis quelques minutes.
   Le 2ème jour nous fûmes cependant rassurés par la présence de M le Procureur de la République, qui dés le matin promenait sur la place Caramy occupée par les insurgés et le lendemain nous nous vîmes entièrement sauvé, par la présence au même lieu du même magistrat qui dit à mon fils, rassurez votre père, tout va bien.
   Le 4 dans la soirée, les nommés Giraud, Constans, Bouchard déjà nommé et les officiers démagogues de la garde nationale se présentèrent à M .le Maire pour exiger de lui qu'un poste fut formé à la marie M Garnier ne voyant parmi eux personne sur lequel il put compter pour le maintien de l'ordre et le rétablir repoussa la demande qui lui était faite.
   C'est alors que la résolution qui déjà été prise de s'emparer de la mairie par un moyen quelconque fut mise à exécution. Il était facile de le prévoir par les mouvements qui eurent lieu toute la nuit dans la ville et dans les cafés susdits. Les nommés Gaspard boulanger, Héran Casimir, Berne Maurice, Penne tanneur qui ont pris une part très active à l'insurrection ne se sont pas couchés, ils étaient constamment à courir dans la ville. Constans et Marbec confiseur ont été également rencontrés à 2 heures du matin.
   Instruits du rassemblement armé qui se formait sur le cours, nous nous empressâmes de prévenir M. le Maire qui se rendit aussitôt, nous nous rendîmes ensuite auprès du lieutenant de gendarmerie M. Portal pour le prier d'envoyer de suite ses gendarmes à la mairie, ce qui ne fut pas fait.
   Pendant cinq (jours) qu'a duré le pouvoir des insurgés tout ce qui sortait de la ville et y entrait était minutieusement fouillé, les femmes et les enfants n'étaient pas plus respectés. La poudrière a été pillée, les membres de la commission dont la plupart des signatures sont sur la feuille ci-jointe en avaient livré les clefs.
   Un baril de poudre et environ 300 balles de gros calibre, fraîchement fondues ont (été) trouvés dans la mairie où ils avaient été apportés par les insurgés.
   Le nombre des insurgés qui se sont emparés de la mairie était de 500 environ, mais 200 environ formant avec ceux-ci un effectif de 700, avaient été laissés de réserve sur le cours ou dans les cafés. Les communes de Tourves, de Camps et du Val avaient fourni leur contingent. Le nommé Dauphin tailleur au Val est celui qui pendant la nuit est allé chercher les insurgés de sa commune pour se rendre à Brignoles.

   De quoi nous avons dressé le présent auquel nous ajouterons en supplément tous les faits qui parviendront à notre connaissance.

Brignoles le seize des mois et an susdits.


Didier







L'arrivée des troupes militaires à Brignoles,
10 décembre 1851.



Les forces militaires, parties à la poursuite des républicains, réoccupent une à une les communes où les autorités en place avait été remplacé par un Comité républicain. A Brignoles, peu de résistants sont encore présents dans le village au moment où les troupes arrivent et la reprise du pouvoir se fait sans résistance. 
républicaine avant de s'exiler en Italie.   




 Draguignan, le 10 Décembre 1851


Monsieur le Préfet,


J'ai l'honneur de vous informer que Mr le Lieutenant de Brignoles me donne les détails suivants :

   "Une colonne expéditionnaire commandée par M. Sercey colonel d'état major et forte de 450 hommes d'infanterie, un peloton de hussards et 2 pièces d'artillerie vient d'arriver ici ( 2 heures 1/2) Aussitôt arrivé, le chef de colonne s'est transporté à la mairie où il a trouvé le conseil municipal organisé par les insurgés, il a immédiatement donné l'ordre de faire appeler les anciennes autorités et a renvoyé sans vouloir écouter leurs jérémiades tous ceux qui avaient partie des insurgés. Le temps me manque pour vous donner des plus grands détails Après avoir rétabli l'ordre ici, cette colonne se mettra en route pour atteindre les bandes de démagogues.
   Je suis avec respect, Monsieur le Préfet, votre très humble et très obéissant serviteur".


Pour le capitaine absent, le trésorier

Costedoat







Le combat d'Aups, 10 décembre 1851.

Rapport du juge de paix d'Aups au Procureur de la République,
15 décembre 1851.



Le mardi 9 décembre, la colonne républicaine arrive à Aups où l'a mené cette fuite en avant. La commune entre en la possession des insurgés qui entendent contrôler ses abords et bientôt lever un impôts, sorte de réquisition d'urgence qui touche les propriétaires. Le lendemain, vers 11 heures du matin, les troupes militaires - 11 compagnies d'infanterie et 40 gendarmes à cheval venus de Draguignan - arrivent à Aups. Après quelques minutes d'affrontement et quelques coups de feu échangés de part et d'autre, les républicains sont mis en déroute. Ils s'enfuient alors dans les campagnes environnantes et cherchent à regagner leur village ou la ville afin de se cacher. La répression, qu'accompagne une vaste chasse à l'hommes, commence. 

A noter que ce témoignage, tout comme ceux qui concernent cet épisode tragique, est sujet à caution. Selon d'autre sources par exemple, M. Féraud aurait été exécuté par des gendarmes qui l'auraient pris pour un républicain cherchant à regagner son foyer après les combats.




JUSTICE DE PAIX du canton d'Aups
         département du VAR


Aups, le 15 Décembre 1851


Rapport sur le combat livré à Aups
et sur la situation de ce canton pendant l'insurrection.


Monsieur le Procureur de la République,

Le trouble bien naturel dans lequel nous avaient jeté les terribles événements qui se sont accomplis dans ce pays et les dispositions multiples que nous avons été obligés de prendre tant dans l'intérêt de la sécurité publique que pour venir au secours des familles nécessiteuses dont les ressources ont été épuisées par le séjour de 5 à 6.000 insurgés pendant 48 heures m'ont empêché jusques à aujourd'hui de vous adresser un rapport sur la situation de ce pays et du canton. Je ne pourrai le faire encore que d'une manière rapide, faute de temps et de renseignements circonstanciés.
   Dès lundi 8 du courant sur les deux heures après-midi notre ville a été envahie par les premières colonnes d'insurgés Leur premier acte a été de s'emparer de la mairie, de déposer les autorités et de les remplacer par leur commission municipale qui me signifia personnellement .de conserver temporairement mes fonction.
   Le lendemain mardi 9, le général en chef et l'état-major de l'insurrection sont arrivés accompagnés d'une masse énorme d'insurgés Dés ce moment, le quartier général a été établi à Aups et jusques à 10 heures du soir le mouvement d'arrivée des colonnes dont se composait la phalange ne s'est pas ralenti, au point que le mercredi matin 10, d'après le recensement fait par le général, le nombre d'insurgés s'élevait à six mille.
   Dès lundi soir le pays avait été rigoureusement cerné, toutes les issues étaient gardées, de fortes patrouilles battaient la campagne, les courriers étaient arrêtés, les lettres et dépêches saisies par les insurgés, de sorte que nous étions complètement isolés, sans nouvelles de nulle part et impossible d'en faire parvenir des notre à l'autorité supérieure Toutes les tentatives faites à cet égard avaient échouées.
   Dans la nuit du 9 au 10, le conseil de guerre composé des chefs de l'insurrection et siégeant à la mairie mettait en délibération les projets les plus sinistres, pillage des caisses publiques, contribution de quarante mille francs prélevées sur les notables dont quelques'uns seront mandés à la mairie pour recevoir communication de leur part contributive, s'emparer des principaux habitants pour les emmener en otages, faire fusiller dans la journée tous les prisonniers. Tous ces projets atroces n'ont manqué leur exécution que par l'arrivée providentielle des troupes Déjà on s'était emparé des chevaux et des voitures et l'ordre avait été donné à tous les habitants de se lever et de partir sous peine d'être fusillés, sanction pénale qui accompagnait toutes les publications faites au nom du peuple souverain. Un piquet d'insurgés fut envoyé à la campagne de Mr Gaudemar pour se saisir de sa personne et le faire fusiller, heureusement cet honorable citoyen fut sauvé grâce à l'avis de son arrestation qui me fut transmis par un membre de la commission et au dévouement de mon frère qui malade et sans armes partit à minuit pour la campagne de Mr. Gaudemar pour le faire évader, Nul doute que sans l'arrivée miraculeuse de la troupe notre pays ne fut, dans la journée du 10, livré au pillage et à la dévastation, et tous les sinistres projets ne sont pas des inventions suggérées au greffier par la peur, car j'étais informé des progrès que faisait l'audace de cette horde de sauvages par des membres de la commission municipale qui se sont conduits admirablement pour préserver le pays des ter, ribles malheurs dont il était menacé. Ces courageux citoyens qui avaient à se reprocher et à se faire pardonner le tort très grand d'avoir pactisé avec l'insurrection ont opposé à cette heure suprême la résistance la plus énergique à l'exécution de toutes les atrocités méditées contre nous, et dont ils savaient qu'ils seraient les premières victimes par leur refus persistant de s'en rendre les complices. Quelque terrible que soit la responsabilité qui pèse sur eux, c'est une justice que tous les gens de bien leur rendent qu'ils ont fait, à l'heure du danger, tout ce qu'ils pouvaient faire pour nous préserver et nous sauver. Leur dévouement, bien qu'il fut devenu impuissant sans l'arrivée des troupes, n'en est pas moins un titre qui leur donne des droits sacrés à la clémence du gouvernement
   II est resté sur le champ de bataille 18 cadavres Nous n'avons à l'hospice que deux blessés. Le nombre doit en être sans doute plus considérable, mais il est à présumer que tous ceux que la gravité de leurs blessures n'a pas retenu ont pris la fuite.
   La troupe n'a eu à déplorer que la mort d'un soldat et deux ou trois blessés.
   J'ai à vous signaler un trait de barbarie commis dans les scènes de déportation qui ont suivi le combat livré dans nos murs. Le nommé Féraud dit de Claire, propriétaire à Salernes, célibataire âgé de 38 ans a été lâchement assassiné sur le territoire d'Aups, à quelques mètres du grand puits qui se trouve sur la route d'Aups à Sillans. Cet honnête citoyen connu pour la modération de ses opinions politiques s'était refusé à suivre la colonne de Salernes et s'était dérobé par la fuite à la menace d'être fusillé lancée contre tous ceux qui se refusaient à partir Il était venu se cacher dans la commune de Moissac chez le sieur Joseph Roux voiturier où il était arrivé le 9 vers 10 heures du soir et d'ou il n'est reparti que dans la nuit du 10 au 11 après la fusillade d'Aups, croyant pouvoir, à cette heure, regagner sa demeure sans rien craindre. Il parait que, rencontré par des fuyards, il aurait été lâchement assassiné sans doute pour le punir de s'être refusé à suivre la colonne. Il a été frappé d'une balle à la figure qui lui a été tirée à bride pourpoint, pendant qu'il prenait un morceau car il avait la figure toute noircie par la poudre et il tenait encore dans sa main le morceau de pain qu'il mangeait. Il était sans armes, avait seulement un carnier dans lequel on a retrouvé 60 francs qui ont été restitués à sa famille.
   La colonne militaire n'est malheureusement restée que quelques heures à Aups. Après son départ, tous les hommes d'ordre ont été invités à se rendre à la mairie pour pourvoir à la défense de la ville en cas de retour des insurgés. Mais l'organisation de la défense était difficile, tous les habitants ayant été désarmés. Pendant que l'on délibérait dans la confusion de mille avis contraires, un cri d'alarme part de la ville : les insurgés retournent pour nous égorger, s'écrie-t-on de toutes parts. Aussitôt la terreur s'empare de la population. Les portes et les fenêtres se ferment avec fracas. Chacun court sans se rendre compte du mouvement qui le pousse et de l'endroit où il va. Une grande partie des habitants se sauvent dans les champs et dans les bois où ils ont passé la nuit dans des angoisses terribles ; les autres se barricadent dans les maisons, moins pour se défendre que pour se serrer contre les siens et mourir ensemble.
   Je ne saurai vous peindre cette scène de désespoir qui s'est prolongée toute la nuit. Ce n'a été que le matin au jour que la population a commencé à respirer et à secouer cette terreur qu'une fausse alarme avait imprimée à tous les cœurs.
   Dans l'après-midi, une compagnie du 50ëme détachée de la colonne nous est revenue et s'est installée à la mairie La vue des militaires a ranimé notre courage. La population les a accueillis avec des transports de joie et leur a témoigné ses vives &sympathies en leur apportant des vivres en abondance.
   Depuis lors, le calme est revenu dans les esprits et la tranquillité la plus parfaite règne dans la ville et dans le canton. Mais il serait impolitique de retirer cette petite garnison avant les élections. Il faut qu'elle reste jusqu'après le dépouillement du scrutin d'où dépend le salut de la France.

   Daignez agréer, Monsieur le Procureur de la République, l'assurance de ma respectueuse considération.


Le juge de paix du canton d'Aups

Girard







La mort de Martin Bidouré,
L'Écho du Peuple, n°7, 8 juin1852.



La répression qui touche le département donne lieu à des événements tragiques. La mort de Martin Bidouré, un jeune homme de 26 ans, en fait un saint républicain que s'est approprié la mémoire collective.




Nous avons déjà parlé de la mort du malheureux Martin de Barjols le jour de la surprise d'Aups, mais nous en avions ajourné les détail jusqu'au moment où des renseignements précis que nous refusait la réserve presque timorée des réfugiés français nous seraient parvenus des localités mêmes où s'étaient passés les tristes événements que nous avons à raconter à nos lecteurs. Ces renseignements, nous les avons reçus et nous allons exposer les faits lugubres qu'ils nous ont appris. Le brave et malheureux Martin fut rencontré sur la route d Aups à Tourtour et près de la première de ces localités, par l'avant-garde du corps de troupe dirigé contre les insurgés surpris à un détour de la route, Martin qui était à cheval cherche vainement à s'échapper et fut pris avant même d'avoir pu tourner bride. Amené devant Mr le préfet Pastoureau qui était à quelque distance de là avec le gros de la troupe, Martin fut interrogé sur la route même par ce fonctionnaire sur les motifs qui le conduisaient d'Aups à Tourtour. C'est pendant cet interrogatoire que Martin fut interrompu par une balle qui ne l'atteignit pas à la poitrine comme nous l'avions dit d'abord mais bien à la figure. Cette balle sortait d'un des pistolets que Martin portait; que le préfet saisit et qu'il déchargea au même instant à bout portant sur Martin dont la figure était labourée et l'oreille emportée par le coup. Renversé de son cheval le pauvre Martin fut aussitôt frappé de plusieurs coups de sabres par les gendarmes et par un gentilhomme de la commune du Luc qui ne craignit pas de teindre son épée du sang d'un adversaire couché par terre sans armes et sans connaissance. Dépouillé des papiers qu'il pouvait avoir le corps de la victime fut poussé du pied jusque dans le fossé de la route où il fut abandonné comme à la voirie ; ainsi a devenir la pâture du premier animal affamé qui passerait par là.

   Mais la providence en avait décidé autrement elle voulut que la victime elle même put protester contre l'assassinat dont elle avait été l'objet Après avoir resté plusieurs heures dans la situation où l'avaient laissé ses meurtriers, Martin reprit connaissance et trouva dans son énergique nature la force nécessaire pour se traîner jusqu'à une ferme voisine, où il fut accueilli et reçut les premiers soins que son état réclamait. Aucune des blessures de la victime ne paraissait mortelle et son état ne s'aggravait pas il put même écrire ou faire écrire chez lui pour annoncer son prochain retour, mais le bruit s'étant répandu que tout individu qui donnerait asile à un insurgé serait puni comme l'insurgé lui même les fermiers qui avaient recueilli Martin craignant de se compromettre se décidèrent à aller prendre conseil de Mr de la B. propriétaire de la ferme qui leur dit qu'il se chargeait de le faire conduire à l'hôpital.

   En effet l'autorité d'Aups prévenue par Mr de la B. s'empressa de faire arracher Martin à son lit de douleur le surlendemain de son arrivée à la ferme et de le faire traîner à l'hôpital. Mais là ne devait pas finir le drame si émouvant dont le brave Martin devait être victime et dés le lendemain de son entrée à l'hôpital il se vit de nouveau arraché de son lit et traîné à un nouveau supplice. On lui avait déjà annoncé qu'il était condamné à être fusillé et un ecclésiastique qu'il connaissait personnellement avait pu lui porter quelques paroles de consolation. Pendant le trajet de l'hôpital au cimetière, où l'exécution devait avoir lieu, Martin rencontra plusieurs personnes de sa connaissance et à toutes il fit les adieux les plus affectueux et les plus touchants en s'écriant avec l'accent de la satisfaction qu'il allait verser son sang pour la démocratie mais que la république ne périrait pas affirmant même que sa cause triompherait en France à l'heure même ou il allait mourir pour elle. Chemin faisant il rencontra l'ecclésiastique qui l'avait déjà visité et il l'invita à l'assister dans ses derniers moments, ce qu'il s'empressa de faire.

   Arrivé sur le lieu du supplice, Martin se prépare à mourir en pardonnant à ses ennemis et se place avec une héroïque résignation au poste qui lui est assigné pour y recevoir la mort qui semblait ne pas vouloir de la victime et protester par sa lenteur à venir contre l'acharnement si empressé de ses bourreaux. En effet Martin tombe bientôt frappé de plusieurs balles mais il se releva aussitôt sur ses deux mains et s'écria : "Vous ne pouvez donc pas en finir, je ne suis pas mort ; tuez-moi donc, malheureux." et à l'instant un canon de fusil appliqué sur son oreille le délivre de tant de tortures mais il a encore la force de s'écrier avant de mourir : "Oh ! cette fois je suis bien mort, vous pouvez vous en aller !" et il tombe pour ne plus se relever. Nous n'ajouterons rien à l'éloquence de tant de sauvagerie. Échappé à un premier supplice le trop malheureux Martin devait en subir un second qui devait assurer son silence sur le premier épisode de ce double et horrible assassinat.

   Mais le ciel a voulu que Martin put raconter lui même une partie de cette épouvantable histoire et que l'indignation publique complétât ce sombre et lugubre récit que l'atrocité des faits semble rendre incroyable.

   Les détails que nous venons de donner sur la mort de Martin sont si monstrueux qu'ils paraissaient impossibles. Pourtant ils sont attestés par des personnes de la localité très bien informées de tout ce qui s'est passé. Néanmoins tout en reproduisant ces détails qui courent les rues et qui sont dans toutes les bouches à Nice comme de l'autre coté du Var, nous devons prévenir les personnes intéressées à relever certains de ces faits qui ne leur paraîtraient pas d'une complète exactitude que nous tenons nos colonnes à leur disposition. C'est avec bonheur, nous le déclarons que nous insérerions les rectifications qui tendraient à donner à cette horrible affaire une couleur moins sombre.

   On a fait circuler dans le département du Var une souscription dont le montant est destiné à offrir une épée d'honneur à Mr. Pastoureau. Les souscripteurs se trompent c'est un pistolet qu'ils doivent voter à l'ex-préfet du Var, aujourd'hui préfet du Lot en commémoration expiatoire de l'assassinat de Martin.