Proclamation
du préfet, 4 décembre 1851.
Le préfet du Var, Gustave de Romand, vient d'être
nommé dans le département de la Saône-et-Loire. Cependant, au vu des événements,
une circulaire du ministre de l'Intérieur lui enjoint de demeurer à son
poste. Malgré la venue prochaine de son remplaçant, de Romans est le
plus à même de faire face à la menace insurrectionnelle. D'ailleurs, le
nouveau gouvernement lui accorde à cette fin des pouvoirs exceptionnels.
Dans les jours qui suivent, le préfet s'emploie alors à présenter
l'action de Louis-Napoléon Bonaparte sous le jour le plus favorable et à
déconsidérer le mouvement républicain.
A
MM. les fonctionnaires et habitants du Var.
Messieurs,
je vous ai donné et continuerai à vous donner connaissance
de toutes les communications du Gouvernement, qui me sembleront intéresser
l'ordre public.
Quoique placé à la tête d'un autre département, je
demeurerai parmi vous tant que ma présence sera nécessaire à votre sécurité.
Je suis armé par le Gouvernement de pouvoirs extraordinaires
pour maintenir la paix et réprimer toute tentative de désordre dans
votre département. Les bons citoyens peuvent compter que j'userai de
toute la plénitude de ces pouvoirs pour les protéger, s'il était nécessaire
; mais je me plais à croire que les agitateurs seront effrayés de leur
petit nombre, et que le département du Var se signalera entre tous par le
patriotisme et l'intelligence avec lesquels il répondra au noble et loyal
appel que M. le Président de la République adresse au pays, au nom du
principe imprescriptible de la souveraineté nationale.
Draguignan, en l'hôtel de la Préfecture, le 4 Décembre 1851.
Le Préfet
Gustave de Romand
Le département
est mis en état de siège,
6 décembre 1851.
Après les rassemblements de la veille, les républicains s'organisent le
4 décembre. Dans les grandes villes, Toulon et Draguignan, les autorités
disposent de forces suffisamment nombreuses pour empêcher tout débordement.
Seules des délégations parviennent ainsi à la préfecture. Dans les communes
de moindres importances cependant, ont lieu les premiers affrontements.
A Vidauban, au Luc, à la Grade-Freinet, des municipalités révolutionnaires
sont installées, les gendarmes sont arrêtés. A Cuers, l'un d'entre-eux est tués,
un autre blessé alors que les locaux de l'administration sont saccagés. Le préfet
Pastoureau, nouvellement nommé, arrive alors le lendemain à la tête d'une
colonne militaire à Cuers et arrête une trentaine d'insurgés.
Car il s'agit bien d'une insurrection contre le nouveau pouvoir en place que
l'on considère comme illégal, contre les notabilités qui s'y rallie. Les
paysans des campagnes se joignent alors aux ouvriers des villes. Le 6 décembre,
le préfet proclame l'état de siège, profitant du caractère populaire du soulèvement
pour qualifier de vol les réquisitions opérées.
Rapport du
commissaire de police
de Draguignan,
6 décembre 1851.
A l'annonce du coup d'État, a
lieu le 3 décembre
un important rassemblement sur la place du marché, au café Alter. Le
lendemain, les républicains envoient un délégué les
représentant à Marseille
afin de prendre les ordres tandis qu'à la sous-préfecture les
fonctionnaires se barricadent dans l'attente de l'affrontement. Le 5 décembre
enfin, le clerc d'avoué Brunet, prenant la tête du mouvement, appelle le
peuple aux armes. La réaction de la police, rappelé ici par le
commissaire, empêche cependant toute manifestation. Le café Alter est
bientôt fermé et des mandats d'amener lancés contre les principaux
militants de l'opposition dans la ville. Brunet s'en va alors rejoindre la colonne républicaine avant
de s'exiler en Italie.
RAPPORT
DU COMMISSAIRE DE POLICE DE DRAGUIGNAN
Ce jourd'hui six Décembre
mil huit cent cinquante et un à sept heures du matin, Nous Joseph Vitalis
Baptistin Laugier Commissaire de police de Draguignan, rapportons qu'hier
à neuf heures du soir, nous trouvant sur l'esplanade de cette ville, à
la hauteur de la rue du Rosaire, s'avança vers nous le nommé Brunet
Joseph Louis, clerc d'avoué demeurant et domicilié en cette ville,
lequel nous dit : par quel ordre faisions-nous évacuer l'esplanade,
adressez-vous au commandant et il vous le dira.
Le dit Brunet s'avance devant Monsieur Ridal commandant le 50ème
de ligne en cette garnison, à cheval, sur l'esplanade à la tête d'un
escadron de gendarmerie, et l'interpelle en ses termes : par quel motif
commandant, faites-vous évacuer l'esplanade, le commandant répond, Mr.
je n'ai pas de compte à vous rendre, je suis ici pour faire exécuter les
lois ainsi retirez-vous, après le lui avoir réitérer Brunet répond au
commandant la mesure que vous prenez n'est pas populaire, vous voulez
faire usage des armes eh . bien nous aussi ; le commandant ordonne de
l'arrêter, Brunet s'élance précipitamment dans la susdite rue, en
criant aux armes. Nous nous sommes immédiatement élancé vers lui, mais
les chevaux de la gendarmerie nous ont empêché de l'atteindre.
De tout ce qui précède, nous avons rédigé le présent procès-verbal,
qui sera transmis à Monsieur le Procureur de la République de cet
arrondissement, pour y être donné telle suite qu'il avisera.
Fait à Draguignan les jours mois et an que dessus.
Laugier
Rapport du
sous-préfet de Toulon au préfet,
7 décembre 1851.
A Toulon, où est présente une importante
garnison, le maintien de l'ordre est aisé pour les autorités. Le sous-préfet
s'attache ainsi à décrire la situation dans le reste de son
arrondissement. La colonne républicaine est partie de Toulon la veille et
recrute maintenant dans les campagnes des environs. Le but des insurgés
est de prendre les communes de moindre importance afin d'y installer un
Comité de résistance désigné par proclamation populaire. Ils cherchent
également à coordonner leurs actions pour qu'elles soient plus
efficaces, utilisant alors les réseaux d'affidés. D'où l'importance
pour les militaires d'intercepter les émissaires et de les faire
parler.
DÉPARTEMENT DU VAR
SOUS-PRÉFECTURE DE TOULON
Toulon, le 7
Décembre 1851
Monsieur le Préfet,
J'ai l'honneur de vous annoncer que Toulon continue à être
maintenu.
La proclamation de l'état de siège a été accueillie par
tous les gens paisibles comme un moyen d'ordre puissant, et la partie honnête
et tranquille de la population vous en a su gré.
La fermeté de vos mesures à Cuers s'est joint à l'égard
des gens de désordre à l'effet qu'a produit sur eux la déclaration d'état
de siège
D'une autre part, les dépêches télégraphiques que vous
trouverez ci jointes, et dont j'ai reçu le double ont rassuré les
timides et découragé les meneurs de la faction,
La première que j'ai reçue est celle du 5, annonçant la
victoire décisive remportée sur les nouveaux barbares qui menacent
l'empire de la civilisation je l'ai fait publier et afficher immédiatement.
Quant à celles du 4, concernant la mise en liberté des représentants
du parti modéré, qui me sont arrivées plus tard, je les ferai imprimer
cette nuit et publier demain matin, ainsi que celle de même date,
relative aux fausses nouvelles
On m'annonce à l'instant l'arrivée de M. le Procureur de la
République, que je n'ai pu voir encore, mais qui cependant m'a fait
donner de bonnes nouvelles de votre marche Il me tarde d'en recevoir de
vive voix, d'abord par lui, et ensuite de vous même
Le général Levaillant prépare les mesures nécessaires
pour que la déclaration de l'état de siège ait son efficacité. Je vous
en rendrai compte, afin de vous tenir au courant de tout ce qui sera
prescrit, ou qui devra l'être,
Je n'ai aucun indice de nouveaux troubles dans
l'arrondissement, sinon à Collobrieres
On vient d'arrêter un des émissaires de cette commune,
porteur d'une note compromettante, je le mettrai à la disposition de M le
Procureur de la République des demain matin.
La police est en ce moment à la piste d'un envoyé de
Brignoles S'il est aire té ce soir, je le ferai comparaître devant moi,
et tâcherai par tous les moyens d-obtenir des aveux et des renseignements
sur leurs projets ultérieurs, afin de pouvoir vous en instruire.
Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l'assurance de ma très
haute considération
Le sous-préfet
de Lisa
Proclamation
du général Hecquet,
10 décembre 1851.
Au moment où est affichée cette proclamation
dans le département du Var, le 10 décembre 1851, l'affrontement décisif
entre les insurgés et les autorités a lieu. A Aups, la colonne républicaine
se disperse en quelques minutes. Ouvriers et paysans, peu préparés à la
guerre telle qu'elle se présentait face à des soldats entraînés au
maniement des armes, sont au désespoir d'une situation sans issue. Alors
que quelques uns de leurs chefs se réfugient en Italie, ouvriers et
paysans retournent à leur village ou se fondent dans la foule
marseillaise. Les fuyards sont pourchassés par les soldats. Commence en
effet le nettoyage, vaste et sanglante chasse à l'hommes.
Proclamation
du général de division
commandant la 7ème division militaire,
aux habitants des départements de cette division,
soumis à l'état de siège.
Sous
le prétexte mensonger de défendre la République, qui n'est point en
danger puisque Louis-Napoléon a fait un appel loyal au jugement de la
nation rassemblée dans ses comices pacifiques, des bandes de brigands répandent
l'effroi, la désolation, l'anarchie dans vos contrées, que l'ordre et la
paix rendaient naguère si florissantes.
L'unique but de ces bandes est le pillage, la dévastation.
Usant des pouvoirs dont je suis investi, j'ai déclaré l'état de siège
dans les départements de la 7ème division militaire; où
l'insurrection s'est manifestée.
De redoutables colonnes composées d'infanterie, de cavalerie et
d'artillerie sillonnent en tous sens le territoire A leur approche ces
bandes fuient et se dispersent, ou sont refoulées par mes troupes qui rétablissent
sur leur passage l'ordre et les autorités constituées.
De nombreux prisonniers tombent entre nos mains. La loi martiale frappera
les coupables de toute sa sévérité.
Tant de malheurs n'auraient point accablé le pays si les hommes d'ordre.
les bons citoyens, qui sont en si grande majorité, n'avaient pas cédé
à une terreur pusillanime et s'étaient réunis pour s'opposer au torrent
de l'insurrection.
Il ne s'agit point ici d'opinions politiques.
Cette guerre impie est celle du génie du mal contre la famille, la propriété,
la société, qui périraient sans retour si l'anarchie pouvait jamais
triompher.
Habitants des départements en état de siège !
Rappelez votre énergie ; serrez vos rangs pour défendre vos foyers ;
osez regarder en face votre sauvage ennemi et votre attitude seule le fera
trembler à son tour.
Résistez aux bandes qui vous menacent afin de donner à mes braves et
infatigables soldats le temps de les atteindre et de vous en délivrer.
Que votre élan patriotique seconde le dévouement de l'armée et bientôt
la paix renaîtra dans vos foyers.
Libres alors de vos suffrages vous pourrez exprimer vos vœux pour assurer
le bonheur et la gloire de notre chère Patrie, cette belle et noble
France que des dissension de partis ont trop longtemps déchirée.
Union, Énergie, Patriotisme !
Que telle soit votre devise comme celle inscrite sur nos drapeaux
militaires est Honneur et Patrie !
Au Quartier général de Marseille, le 10 Décembre 1851.
Le
Général de Division, commandant la 7ème division militaire.
HECQUET