Rapport du juge de paix de
Barjols
au Procureur de la République,
29 septembre 1851.
Le juge de paix de Barjols s'inquiète auprès
du Procureur de la République des progrès de la "propagande républicaine".
Quelques initiés se rendent ainsi dans les communes des environs afin de
discourir sur les événements politiques. Parfois une nouvelle chambrée
se forment, constituant un nouveau foyer d'insurrection potentiel pour les
autorités. On voit ainsi que les militants s'organisent en réseau,
celui-ci couvre l'ensemble du département et au-delà, renforçant le
potentiel mobilisateur du monde ouvrier.
JUSTICE DE PAIX DU CANTON
DE BARJOLS
ARRONDISSEMENT de BRIGNOLES
DÉPARTEMENT DU VAR
Barjols, le
23 septembre 1851.
Monsieur le Procureur de la
République,
J'ai l'honneur de vous adresser le rapport mensuel demandé
sur la situation morale et politique de ce canton.
La propagande rouge qui semblait être restée stationnaire
depuis quelque temps s'est encore révélée dernièrement par de nouveaux
faits qui m'on été signalés depuis peu.
Ainsi à Esparron où jusqu'ici on n'avait pas entendu que la
démagogie eut fait des adeptes, et cela grâce à l'administration toute
paternelle de mr. le maire de la commune, il vient de s'organiser une société
rouge sous l'inspiration et le patronage de quelques émissaires qui leur
seraient venus de varages à ce qu'on dit.
Il m'a été rapporté aussi que par varages et par Barjols
la propagande avait commencé à prendre pied à tavernes chef lieu du
canton voisin, pays ou jusqu'ici avait régné le meilleur esprit. il y
aurait même eu d'après ce qui m'a été (? ) un repas dimanche dans
lequel aurait été réunis quelques frères et amis pour inaugurer une
petite société rouge qui vient de s'y former.
Il m'est aussi revenu qu'il y a 15 jours un des frères
Bouclier taillandiers en cette ville et déjà connus pour faire de la
propagande et pour leur opinion avancée, aurait été à fox amphoux et
à montmeyan prêcher des doctrines qui n'auraient pas plu, puiqu'il
aurait été dit-on mal reçu, il aurait entr'autres choses parlé contre
la religion et les prêtres, mon collègue de tavernes pourra, s'il ne l'a
fait déjà, vous mieux renseigner à cet égard.
Veuillez agréer, Monsieur le Procureur de la République,
l'assurance de ma considération respectueuse.
Le juge de
paix
Rapport du juge de paix de
Cotignac
au Procureur de la République,
25 novembre 1851.
Le juge de paix de Barjols adopte un point de
vue nuancé à propos de l'opinion dans le canton de Cotignac. Si la
tranquillité règne, les esprits sont stimulés par l'actualité
nationale, le projet de révision de la loi limitant le suffrage universel
notamment. D'autre part, cette souscription ouverte récemment en
l'honneur du révolutionnaire hongrois exilé à Londres montre la présence d'une culture politique
républicaine parmi les populations
de ces régions rurales, au delà la pénétration des idées républicaines.
DÉPARTEMENT DU VAR
JUSTICE DE PAIX DE COTIGNAC
Cotignac, le
25 Novembre 1851
Monsieur le Procureur de la
République,
J'ai l'honneur de vous adresser mon rapport sur la situation
morale et politique de mon canton.
Partout règne la même tranquillité, la même apathie
politiquement parlant, que par le passé.
Seulement, je dois vous dire que j'ai appris indirectement
qu'une souscription était ouverte à Carcès, et qui aurait pour but de décerner
une médaille à un ouvrier de Marseille qui aurait été délégué par
le parti exalté pour aller visiter Kossuth à Londres Il m'est impossible
de vous donner des détails sur ce fait que vous devez connaître
d'ailleurs par Mr. le Maire de Carcés
La proposition de retrait de la loi du 31 Mai a trouvé chez
nous beaucoup d'adhérents parmi la classe ouvrière, mais aucune
explosion de sentiments n'a eu lieu, seulement les journaux sont suivis
avec intérêt.
Recevez, Mr, le Procureur de la République, l'assurance de
mon respect
Le juge de
paix
Maunier
Lettre du sous-Préfet de
Toulon au Préfet,
26 novembre 1851.
La hantise du complot est bien présente au
sein de la haute administration du département du Var. L'insurrection
viendra t'elle des milieux monarchistes ou du monde ouvrier, tous deux
sous surveillance ? Cependant, peut-être le sous-préfet de Toulon et son
commissaire de police font-il du zèle, le préfet parlant lui dans ses
rapports des "sinistres prévisions" de son subordonné.
DÉPARTEMENT DU VAR
SOUS-PRÉFECTURE DE TOULON
Toulon, le
26 Novembre 1851
Monsieur le Préfet,
je viens d'apprendre par une communication confidentielle du
général commandant la subdivision que le parti du mouvement a reçu avis
de se tenir prêt pour un soulèvement simultané, fixé au 30 de ce mois.
J'ai cru devoir, bien que je pense que vous êtes instruit de
votre côté, vous donner connaissance par voie extraordinaire de cette
grave nouvelle.
Je suis convaincu qu'il en sera, du moins en ce qui regarde
Toulon, de cette menace comme de beaucoup d'autres du même genre, qui ont
échoué pour raison d'impuissance.
Cependant toutes les mesures, propres à réprimer énergiquement
les tentatives de désordre, sont prises, et de telle nature que nous ne
pouvons avoir rien à redouter de sérieux de la part des entrepreneurs de
sédition dans la ville de Toulon.
Les rapports particuliers de la police ne font pressentir
aucune insurrection prochaine, mais ce ne peut être une raison de
repousser la pensée des précautions à prendre à tout événement.
L'organisation du parti étant achevée et constituée de manière à ce
que ses membres militants puissent recevoir de proche en proche, avec une
grande rapidité les instructions à suivre et obéir au premier signal,
on courrait risque d'être surpris, si on se fiait aux moyens de
renseignements ordinaires.
Aussi l'autorité militaire est sur ses gardes, et de mon coté,
je tâcherai, le cas échéant de n'être pas au dessous de la mission que
le gouvernement m'a confiée sous vos ordres.
J'ai donné des instructions, sans qu'elles pussent
compromettre le secret à garder, aux agents supérieurs de la police,
pour ne pas être surpris
Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l'assurance de ma
haute considération.
Le sous-préfet
C. de Lisa
Les craintes du ministre de
l'Intérieur,
24 novembre 1851.
Au delà de l'administration départementale,
à Paris, on craint également les complots. Le gouvernement aussi s'inquiète
(ou feint de s'inquiéter) des mouvements qu'il appelle
"anarchistes". En conséquence, le ministre de l'Intérieur, de
Thorigny, adresse une circulaire aux préfets, leur donnant une série
d'instructions visant à rassurer "les populations honnêtes".
Ministère de l'Intérieur
2ème division Sûreté Générale
Paris, le 24
novembre 1851
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Préfet, de nombreux avis dont il serait imprudent de ne pas
tenir compte, annoncent que les anarchistes se disposent à tenter un
prochain mouvement insurrectionnel. On indique la date du 30 de ce mois ;
c'est le jour désigné par les meneurs des sociétés secrètes. De différents
points du territoire on signale le départ des principaux affidés qui
semblent venir à Paris chercher le mot d'ordre ; un assez grand nombre
d'hommes suspects ou dangereux nous arrivent d'Angleterre, comme pour
prendre part à une lutte décisive : ce sont là des symptômes graves et
qui méritent la plus sérieuse attention.
Ils éveilleront, je n'en doute pas, votre vigilance. C'est
par une attitude énergique et prévoyante que vous parviendrez à déconcerter
les tentatives des factieux. Je compte sur votre dévouement
Paris est calme, du moins à la surface ; le gouvernement est
en mesure de réduire à l'impuissance les artisans d'émeute. Si les appréhensions,
que de sinistres projets ont fait naître, venaient à se réaliser, et
qu'un mouvement éclatât dans Paris, vous devriez être plein de
confiance dans la fidélité de l'armée et dans le patriotisme des amis
de l'ordre sur lesquels le Gouvernement s'appuie. Mais votre devoir serait
de maintenir la tranquillité publique, dans votre département, par tous
les moyens dont la loi vous assure la disposition. Concertez-vous
d'avance, à cet égard, avec l'autorité militaire ; veillez à ce
qu'aucune surprise ne soit faite au pouvoir ; secondez de tous vos efforts
le zèle des magistrats et l'action de la justice.
Des perquisitions domiciliaires opérées chez les meneurs
les plus compromis, l'arrestation ordonnée à propos de tous ceux d'entre
eux que l'on pourrait à juste titre considérer comme les auteurs ou les
complices des projets coupables que l'on signale, seraient autant de
mesures propres à déjouer des plans d'insurrection et à priver l'émeute
de ses chefs naturels. Montrez-vous ferme et sévère ; faites saisir, de
concert avec les magistrats compétens, les écrits et les journaux qui
provoqueraient à la rébellion ou à la révolte ; il faut que les
populations honnêtes, que les démagogues tiennent sous la crainte, se
rassurent en voyant que l'autorité est partout en mesure de comprimer ses
ennemis et de les livrer à la sévérité des lois.
Stimulez le zèle de la gendarmerie ; faites appel, s'il y a
lieu, et dans la limite des instructions spéciales, au concours de la
garde forestière ; réclamez la coopération active et efficace de tous
les agents de l'État. C'est par cette conduite vigoureuse que vous
intimiderez les malveillans et que vous rallierez à vous les bons
citoyens.
Veuillez, comme par le passé, me tenir exactement informé
de tous les incidents dignes d'intérêt qui viendraient à se produire.
Agréez, Monsieur le Préfet, l'assurance de ma considération
distinguée.
Le
Ministre de l'Intérieur
de Thorigny
Pour expédition :
Le Chef de la Division de la Sûreté Générale.
Donny