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Dans le Var.



L'opinion publique à la veille du coup d'État.



par Marc Nadaux

 






A la fin de l'année 1851 comme depuis de nombreux mois, tous les rouages de l'administration judiciaire et policière - juges de paix, sous-préfet et commissaires de police - , s'entendent pour faire parvenir à leurs supérieurs - procureur et préfet - des rapports circonstanciés sur l'état de l'opinion. Il s'agit pour ces derniers de prendre les devants d'une éventuelles insurrections. Dans le département du Var, on vit ainsi dans la crainte perpétuelle du complot, celui-ci pouvant venir des milieux royalistes comme des classes laborieuses. C'est que le climat d'opposition entre la Chambre des députés et le Président de la République alimente les conversations au sein d'une société politisée.    








Rapport du juge de paix de Barjols au Procureur de la République, 29 septembre 1851.
Rapport du juge de paix de Cotignac au Procureur de la République, 25 novembre 1851.
Lettre du sous-Préfet de Toulon au Préfet, 26 novembre 1851.
Les craintes du ministre de l'Intérieur.



 





Rapport du juge de paix de Barjols
au Procureur de la République,
29 septembre 1851.



Le juge de paix de Barjols s'inquiète auprès du Procureur de la République des progrès de la "propagande républicaine". Quelques initiés se rendent ainsi dans les communes des environs afin de discourir sur les événements politiques. Parfois une nouvelle chambrée se forment, constituant un nouveau foyer d'insurrection potentiel pour les autorités. On voit ainsi que les militants s'organisent en réseau, celui-ci couvre l'ensemble du département et au-delà, renforçant le potentiel mobilisateur du monde ouvrier. 



JUSTICE DE PAIX DU CANTON DE BARJOLS
       ARRONDISSEMENT de BRIGNOLES
                  DÉPARTEMENT DU VAR


Barjols, le 23 septembre 1851.


Monsieur le Procureur de la République,


J'ai l'honneur de vous adresser le rapport mensuel demandé sur la situation morale et politique de ce canton.
   La propagande rouge qui semblait être restée stationnaire depuis quelque temps s'est encore révélée dernièrement par de nouveaux faits qui m'on été signalés depuis peu.
   Ainsi à Esparron où jusqu'ici on n'avait pas entendu que la démagogie eut fait des adeptes, et cela grâce à l'administration toute paternelle de mr. le maire de la commune, il vient de s'organiser une société rouge sous l'inspiration et le patronage de quelques émissaires qui leur seraient venus de varages à ce qu'on dit.
   Il m'a été rapporté aussi que par varages et par Barjols la propagande avait commencé à prendre pied à tavernes chef lieu du canton voisin, pays ou jusqu'ici avait régné le meilleur esprit. il y aurait même eu d'après ce qui m'a été (? ) un repas dimanche dans lequel aurait été réunis quelques frères et amis pour inaugurer une petite société rouge qui vient de s'y former.
   Il m'est aussi revenu qu'il y a 15 jours un des frères Bouclier taillandiers en cette ville et déjà connus pour faire de la propagande et pour leur opinion avancée, aurait été à fox amphoux et à montmeyan prêcher des doctrines qui n'auraient pas plu, puiqu'il aurait été dit-on mal reçu, il aurait entr'autres choses parlé contre la religion et les prêtres, mon collègue de tavernes pourra, s'il ne l'a fait déjà, vous mieux renseigner à cet égard.

   Veuillez agréer, Monsieur le Procureur de la République, l'assurance de ma considération respectueuse.


Le juge de paix







Rapport du juge de paix de Cotignac
au Procureur de la République,
25 novembre 1851.



Le juge de paix de Barjols adopte un point de vue nuancé à propos de l'opinion dans le canton de Cotignac. Si la tranquillité règne, les esprits sont stimulés par l'actualité nationale, le projet de révision de la loi limitant le suffrage universel notamment. D'autre part, cette souscription ouverte récemment en l'honneur du révolutionnaire hongrois exilé à Londres montre la présence d'une culture politique républicaine parmi les populations de ces régions rurales, au delà la pénétration des idées républicaines. 




  DÉPARTEMENT DU VAR
JUSTICE DE PAIX DE COTIGNAC


Cotignac, le 25 Novembre 1851


Monsieur le Procureur de la République,

J'ai l'honneur de vous adresser mon rapport sur la situation morale et politique de mon canton.
   Partout règne la même tranquillité, la même apathie politiquement parlant, que par le passé.
   Seulement, je dois vous dire que j'ai appris indirectement qu'une souscription était ouverte à Carcès, et qui aurait pour but de décerner une médaille à un ouvrier de Marseille qui aurait été délégué par le parti exalté pour aller visiter Kossuth à Londres Il m'est impossible de vous donner des détails sur ce fait que vous devez connaître d'ailleurs par Mr. le Maire de Carcés
   La proposition de retrait de la loi du 31 Mai a trouvé chez nous beaucoup d'adhérents parmi la classe ouvrière, mais aucune explosion de sentiments n'a eu lieu, seulement les journaux sont suivis avec intérêt.

   Recevez, Mr, le Procureur de la République, l'assurance de mon respect


Le juge de paix

Maunier







Lettre du sous-Préfet de Toulon au Préfet,
26 novembre 1851.



La hantise du complot est bien présente au sein de la haute administration du département du Var. L'insurrection viendra t'elle des milieux monarchistes ou du monde ouvrier, tous deux sous surveillance ? Cependant, peut-être le sous-préfet de Toulon et son commissaire de police font-il du zèle, le préfet parlant lui dans ses rapports des "sinistres prévisions" de son subordonné.  




      DÉPARTEMENT DU VAR
SOUS-PRÉFECTURE DE TOULON


Toulon, le 26 Novembre 1851


Monsieur le Préfet,


je viens d'apprendre par une communication confidentielle du général commandant la subdivision que le parti du mouvement a reçu avis de se tenir prêt pour un soulèvement simultané, fixé au 30 de ce mois.
   J'ai cru devoir, bien que je pense que vous êtes instruit de votre côté, vous donner connaissance par voie extraordinaire de cette grave nouvelle.
   Je suis convaincu qu'il en sera, du moins en ce qui regarde Toulon, de cette menace comme de beaucoup d'autres du même genre, qui ont échoué pour raison d'impuissance.
   Cependant toutes les mesures, propres à réprimer énergiquement les tentatives de désordre, sont prises, et de telle nature que nous ne pouvons avoir rien à redouter de sérieux de la part des entrepreneurs de sédition dans la ville de Toulon.
   Les rapports particuliers de la police ne font pressentir aucune insurrection prochaine, mais ce ne peut être une raison de repousser la pensée des précautions à prendre à tout événement. L'organisation du parti étant achevée et constituée de manière à ce que ses membres militants puissent recevoir de proche en proche, avec une grande rapidité les instructions à suivre et obéir au premier signal, on courrait risque d'être surpris, si on se fiait aux moyens de renseignements ordinaires.
   Aussi l'autorité militaire est sur ses gardes, et de mon coté, je tâcherai, le cas échéant de n'être pas au dessous de la mission que le gouvernement m'a confiée sous vos ordres.
   J'ai donné des instructions, sans qu'elles pussent compromettre le secret à garder, aux agents supérieurs de la police, pour ne pas être surpris

   Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l'assurance de ma haute considération.


Le sous-préfet

C. de Lisa







Les craintes du ministre de l'Intérieur,
24 novembre 1851.



Au delà de l'administration départementale, à Paris, on craint également les complots. Le gouvernement aussi s'inquiète (ou feint de s'inquiéter) des mouvements qu'il appelle "anarchistes". En conséquence, le ministre de l'Intérieur, de Thorigny, adresse une circulaire aux préfets, leur donnant une série d'instructions visant à rassurer "les populations honnêtes".




     Ministère de l'Intérieur
2ème division Sûreté Générale


Paris, le 24 novembre 1851


Monsieur le Préfet,


Monsieur le Préfet, de nombreux avis dont il serait imprudent de ne pas tenir compte, annoncent que les anarchistes se disposent à tenter un prochain mouvement insurrectionnel. On indique la date du 30 de ce mois ; c'est le jour désigné par les meneurs des sociétés secrètes. De différents points du territoire on signale le départ des principaux affidés qui semblent venir à Paris chercher le mot d'ordre ; un assez grand nombre d'hommes suspects ou dangereux nous arrivent d'Angleterre, comme pour prendre part à une lutte décisive : ce sont là des symptômes graves et qui méritent la plus sérieuse attention.
   Ils éveilleront, je n'en doute pas, votre vigilance. C'est par une attitude énergique et prévoyante que vous parviendrez à déconcerter les tentatives des factieux. Je compte sur votre dévouement
   Paris est calme, du moins à la surface ; le gouvernement est en mesure de réduire à l'impuissance les artisans d'émeute. Si les appréhensions, que de sinistres projets ont fait naître, venaient à se réaliser, et qu'un mouvement éclatât dans Paris, vous devriez être plein de confiance dans la fidélité de l'armée et dans le patriotisme des amis de l'ordre sur lesquels le Gouvernement s'appuie. Mais votre devoir serait de maintenir la tranquillité publique, dans votre département, par tous les moyens dont la loi vous assure la disposition. Concertez-vous d'avance, à cet égard, avec l'autorité militaire ; veillez à ce qu'aucune surprise ne soit faite au pouvoir ; secondez de tous vos efforts le zèle des magistrats et l'action de la justice.
   Des perquisitions domiciliaires opérées chez les meneurs les plus compromis, l'arrestation ordonnée à propos de tous ceux d'entre eux que l'on pourrait à juste titre considérer comme les auteurs ou les complices des projets coupables que l'on signale, seraient autant de mesures propres à déjouer des plans d'insurrection et à priver l'émeute de ses chefs naturels. Montrez-vous ferme et sévère ; faites saisir, de concert avec les magistrats compétens, les écrits et les journaux qui provoqueraient à la rébellion ou à la révolte ; il faut que les populations honnêtes, que les démagogues tiennent sous la crainte, se rassurent en voyant que l'autorité est partout en mesure de comprimer ses ennemis et de les livrer à la sévérité des lois.
   Stimulez le zèle de la gendarmerie ; faites appel, s'il y a lieu, et dans la limite des instructions spéciales, au concours de la garde forestière ; réclamez la coopération active et efficace de tous les agents de l'État. C'est par cette conduite vigoureuse que vous intimiderez les malveillans et que vous rallierez à vous les bons citoyens.
   Veuillez, comme par le passé, me tenir exactement informé de tous les incidents dignes d'intérêt qui viendraient à se produire.

   Agréez, Monsieur le Préfet, l'assurance de ma considération distinguée.


Le Ministre de l'Intérieur

 de Thorigny

Pour expédition :
Le Chef de la Division de la Sûreté Générale.
 Donny