Le règlement d'une chambrée.
Les idées républicaine circulent
principalement dans les chambrées, sortes de cercles où les hommes se réunissent
après le souper pour causer, lire les journaux ou en écouter la lecture
faite par quelqu'un d'instruit, boire... A Nans, en 1851, il y avait ainsi
quatre chambrées : la Minerve, la Montagne, la jeune France et
l'Espérance. Cette dernière avait pour objet « la conversation, la
lecture et la consommation intérieure du vin, café, etc ... ». Quant à
la jeune France, elle se déclarait ainsi au maire : «Nous soussignés déclarons
que nous avons l'intention d'ouvrir un cercle le vingt-six courant à la
fin de nous réunir pour lecture de journaux, consommations et jeux non
prohibés ...".
Ces chambrées ont chacune un règlement intérieur, un texte composé de
quelques articles.
Réglemente
de la Société de Minerve, à Nans -les Pins.
Article premier : Aucun
individu ne pourra faire partie de la société, ni être inscrit sur le
catalogue sans au préalable que ses noms et prénoms aient resté affiché
dans le lieu ordinaire pendant huit jours consécutifs, et si pendant ce délai
ses nom et prénoms n'ont pas été enlevés il sera admis à la société.
Article second : Tout sociétaire sera obligé de faire à son tour le
service de la société,
de la tenir propre de servir ses confrères; proprement, honnêtement
ouvrir la chambre après son souper, de faire attention de tenir ses
comptes en règles, et d'en rendre les comptes exact après ses huit jours
passés au trésorier, dans le cas qu'il ne rendrait point ses comptes
exact comme il est dit ci dessus, il sera exclût de la société.
Article trois : Le sociétaire qui sera de semaine est obligé en donnant
la clef à son successeur de ne laisser aucune dettes, et tout sociétaire
qui fera des dettes qui rie les acquittera pas dans huit jours sera aussi
exclut.
Article quatre : Tout sociétaire évitera de faire du bruit, et de ne
point chercher de disputes à ses confrères, dans le cas que deux sociétaires
eussent quelque; difficulté parmi eux, c'est à leurs confrères à les
faire arranger amicalement et de leur faire imposer silence, si toute fois
ils voulaient persister et que cela leur arriva quelque fois ils seraient
exclût de la société.
Article cinq : Tout sociétaire qui ne voudra plus faire partie de la société,
ou qui sera exclut par sa mauvaise conduite n'aura rien à réclamer à la
société, d'aucune manière que ce soit.
Article six : Tout sociétaire qui se permettra d'aller redire ce qui se
sera dit, et ce qui se sera fait dans la société, qui lui sera prouvé
sera aussi exclût
Article sept : Le trésorier sera obligé de présenter ces comptes à la
société toutes les fois quelle la jugera nécessaire, pour voir s'ils
sont en règles, Tous les trois mois le Président, le Trésorier et le
secrétaire de la société seront renouvelés, et mis à la pluralité
des voix ; les mêmes pourront continuer leurs fonctions s'ils obtiennent
l'unanimité des suffrages.
Article huit : Le jeu de hasard appelé Vendôme est totalement défendu
dans la société.
L'Unita, une
chanson républicaine en provençal.
Dans les chambrées, le chant occupe une place
importante. C'est un moment où s'exprime la camaraderie du groupe. Et
parmi les chansons interprétées, il se trouve des chansons politiques.
Le texte est souvent très long, en provençal à côté de chansons en
français. Il permet ainsi aux ouvriers, souvent illettrés, d'accéder et
de mémoriser les thèses républicaines. La chanson apparaît ainsi comme
un vecteur essentiel de la diffusion du républicanisme.
I
En
franço aven d'unei gens
Qué si disien républicains
Si dounon un non pas merita
Qués lei hounestés moudéra
Aquélo cliquo méi's amis
Per toujours foudra la banni
En France, il y a certaines gens
Qui se disaient républicains
Ils se donnent un nom non mérité
Ce sont les honnêtes modérés
Cette clique, mes amis,
Pour toujours il faudra la bannir.
REFRAIN
Anen si
réjouissen ben
Sians éi'ssi toutéï républicains
Parmi naoutré l'Egalita
Régno et mé la fraternita
La Republiquo la vouren
Jusqu'a la mouart la soustenen
Allons, réjouissons nous bien,
Nous sommes ici tous républicaine
Parmi nous l'Égalité
Règne avec la fraternité
Nous voulons la République
Nous la soutenons jusqu'à la mort
II
Iaquéleï
gens tant abourras
Vourien nous fane échouas
Mai` li prouvan péar nostré unien
Qué sians tengus péar dé bouons liens
Quan la républiquo toumbara
Alors les ai's pourraen voura
Ces gens tant abhorrés
Voudraient nous faire échouer
Nous leur prouvons par notre union
Que nous sommes tenus par de bons liens
Quand la république tombera
Alors les ânes pourront voter.
(AU REFRAIN)
III
Si
lei eosaquo vau pays
Un reï nous vourier restabli
Qusqué lei's vourier appéla
Sériez voustréï gens moudéras
Mai si débarrassarian ben
Deï Blancs eoumo dei' autrichien
Si les cosaques au pays
Voulaient rétablir un roi
Quelques-uns voudraient les appeler
Ce serait vous, gens modérés
Mais nous nous débarrasserons bien
Des Blancs comme des Autrichiens.
(AU REFRAIN)
IV
Si
foou patant frutas lei mens
D'un air jouyeux, d'un cor countent
Voustré Henri V nen vendra pas
Lou poplé voous plus di royoouta
Poudès Ly fané son toumbéon
Car l'ensévéliren ben léou, amen
II ne faut pas tant se frotter les mains
D'un air joyeux, d'un cœur content,
Votre Henri V ne viendra pas
Le peuple ne veut plus de royautés
Vous pouvez lui faire son tombeau
Car nous l'ensevelirons bien vite, amen.
(AU REFRAIN)
V
Vaoutrès
touteï qué Méscoritas
Gens de l'abour dé tout état,
Ouvrier meï fréro aprouchavens
Parli péar miou coumo péar vous
Ly a qué la bello péar nous souvas
Dei' cheinas qui naen prépara. Amen
Vous tous qui m'écoutez
Gens de travail de tout état
Ouvriers, mes frères, approchez~vous
Je parle pour moi comme pour vous
Il n'y a que la Belle (1) pour nous sauver
Des chaînes qu'ils nous ont préparées. Amen !
(AU REFRAIN)
VI
Republicains
plus di chagrin
Lei négaen touteï din lou vin
Lou ben estré vendra ami
Jesouschrist nous varriés prédit
Si ven pas en cueï vendra déman
La republiquo dei' paysan
Républicains, plus de chagrins
Nous les noyons tous dans le vin
Jésus-Christ nous l'aurait prédit
Si elle ne vient pas aujourd'hui, elle viendra demain
La république des paysans.
(AU
REFRAIN)
(1). La Belle, autrement dit la République.
La surveillance des
autorités.
Sous la Seconde république, ces lieux de réunion
du monde ouvriers sont surveillés de près par les autorités. A la fin
du mois de novembre 1851, une question importante est au centre des
conversations dans les chambrées : le rappel de la loi du 31 mai 1850.
Voté à l'instigation du parti de l'ordre et défendu à la Chambre des députés
par Adolphe Thiers, celle-ci avait privé du droit de vote de nombreux
ouvriers. Dans le courant de l'année, la Président Louis - Napoléon
Bonaparte en avait proposé la suppression, par intérêt personnel pour
les ouvriers et surtout par intérêt politique, espérant se gagner ainsi
la classe ouvrière.
Justice de Paix du canton
de Tavernes
Tavernes le
22 Novembre 1851
Monsieur le Procureur de la
République,
Depuis que nos législateurs se sont occupés de la loi du 31
mai, les démagogues s'agitent beaucoup dans mon canton. Le chef-lieu qui,
jusqu'à présent, avait demeuré étranger à toutes les commotions
politiques, vient de voir se former dans son sein une chambrée intitulée
Société de la fraternité des citoyens, qui, dit on, compte à
son début une soixantaine de membre quoique la liste que leur chef a donnée
à Mr. le Maire n'en comprenne que quatorze. Dimanche au soir il y avait
beaucoup de mouvement ; d'après ce que j'ai appris il s'agissait de
plusieurs récipiendaires auxquels on faisait prêter serment.
Plusieurs Barjolais, bien connus par leur opinion avancée,
se trouvait dans la société ce soir-là. Ces mêmes individus étaient
à Fox Amphoux l'autre dimanche dans le but de faire former une société
comme ils l'entendent Je crois qu'ils y ont réussi.
Enfin dans toutes les communes de mon canton il y a
aujourd'hui de ces sociétés.
Je vous prie de croire, Monsieur le procureur de la République,
que je les surveille avec activité et que s'il s'y passe quelque chose
qui mérite d'être porté à votre connaissance je ne manquerai pas de le
faire
Veuillez agréer, Monsieur le Procureur de la République,
l'assurance de mon respectueux dévouement
Le juge de
paix
Constans