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Dans le Var.



La sociabilité du monde ouvrier.



par Marc Nadaux

 






Le monde ouvrier dans le département du Var est au milieu du siècle déjà fortement structuré. Dès avant la naissance des syndicats de masse, les nombreuses formes de sociabilité inhérente au Sud provençal de la France, permettent ainsi aux représentants de ces classes laborieuses de se retrouver régulièrement et de développer ainsi une culture autonome. Au sein de ces cercles masculins, se répandent ainsi les idées avancées des républicains, l'actualité politique étant bien évidemment au cœur des conversations sous la Seconde République.  








Le règlement d'une chambrée.
L'Unita, une chanson républicaine en provençal.
La surveillance des autorités.



 





Le règlement d'une chambrée.



Les idées républicaine circulent principalement dans les chambrées, sortes de cercles où les hommes se réunissent après le souper pour causer, lire les journaux ou en écouter la lecture faite par quelqu'un d'instruit, boire... A Nans, en 1851, il y avait ainsi quatre chambrées :  la Minerve, la Montagne, la jeune France et l'Espérance. Cette dernière avait pour objet « la conversation, la lecture et la consommation intérieure du vin, café, etc ... ». Quant à la jeune France, elle se déclarait ainsi au maire : «Nous soussignés déclarons que nous avons l'intention d'ouvrir un cercle le vingt-six courant à la fin de nous réunir pour lecture de journaux, consommations et jeux non prohibés ...".

Ces chambrées ont chacune un règlement intérieur, un texte composé de quelques articles.  



Réglemente de la Société de Minerve, à Nans -les Pins.



Article premier : Aucun individu ne pourra faire partie de la société, ni être inscrit sur le catalogue sans au préalable que ses noms et prénoms aient resté affiché dans le lieu ordinaire pendant huit jours consécutifs, et si pendant ce délai ses nom et prénoms n'ont pas été enlevés il sera admis à la société.

Article second : Tout sociétaire sera obligé de faire à son tour le service de la société,

de la tenir propre de servir ses confrères; proprement, honnêtement ouvrir la chambre après son souper, de faire attention de tenir ses comptes en règles, et d'en rendre les comptes exact après ses huit jours passés au trésorier, dans le cas qu'il ne rendrait point ses comptes exact comme il est dit ci dessus, il sera exclût de la société.

Article trois : Le sociétaire qui sera de semaine est obligé en donnant la clef à son successeur de ne laisser aucune dettes, et tout sociétaire qui fera des dettes qui rie les acquittera pas dans huit jours sera aussi exclut.

Article quatre : Tout sociétaire évitera de faire du bruit, et de ne point chercher de disputes à ses confrères, dans le cas que deux sociétaires eussent quelque; difficulté parmi eux, c'est à leurs confrères à les faire arranger amicalement et de leur faire imposer silence, si toute fois ils voulaient persister et que cela leur arriva quelque fois ils seraient exclût de la société.

Article cinq : Tout sociétaire qui ne voudra plus faire partie de la société, ou qui sera exclut par sa mauvaise conduite n'aura rien à réclamer à la société, d'aucune manière que ce soit.

Article six : Tout sociétaire qui se permettra d'aller redire ce qui se sera dit, et ce qui se sera fait dans la société, qui lui sera prouvé sera aussi exclût

Article sept : Le trésorier sera obligé de présenter ces comptes à la société toutes les fois quelle la jugera nécessaire, pour voir s'ils sont en règles, Tous les trois mois le Président, le Trésorier et le secrétaire de la société seront renouvelés, et mis à la pluralité des voix ; les mêmes pourront continuer leurs fonctions s'ils obtiennent l'unanimité des suffrages.

Article huit : Le jeu de hasard appelé Vendôme est totalement défendu dans la société.







L'Unita, une chanson républicaine en provençal.



Dans les chambrées, le chant occupe une place importante. C'est un moment où s'exprime la camaraderie du groupe. Et parmi les chansons interprétées, il se trouve des chansons politiques. Le texte est souvent très long, en provençal à côté de chansons en français. Il permet ainsi aux ouvriers, souvent illettrés, d'accéder et de mémoriser les thèses républicaines. La chanson apparaît ainsi comme un vecteur essentiel de la diffusion du républicanisme.




I


En franço aven d'unei gens
Qué si disien républicains
Si dounon un non pas merita
Qués lei hounestés moudéra
Aquélo cliquo méi's amis
Per toujours foudra la banni

En France, il y a certaines gens 
Qui se disaient républicains
Ils se donnent un nom non mérité 
Ce sont les honnêtes modérés 
Cette clique, mes amis, 
Pour toujours il faudra la bannir.


REFRAIN

Anen si réjouissen ben
Sians éi'ssi toutéï républicains
Parmi naoutré l'Egalita
Régno et mé la fraternita
La Republiquo la vouren
Jusqu'a la mouart la soustenen

Allons, réjouissons nous bien,
Nous sommes ici tous républicaine
Parmi nous l'Égalité
Règne avec la fraternité
Nous voulons la République
Nous la soutenons jusqu'à la mort


II


Iaquéleï gens tant abourras
Vourien nous fane échouas
Mai` li prouvan péar nostré unien
Qué sians tengus péar dé bouons liens
Quan la républiquo toumbara
Alors les ai's pourraen voura

Ces gens tant abhorrés
Voudraient nous faire échouer
Nous leur prouvons par notre union
Que nous sommes tenus par de bons liens
Quand la république tombera
Alors les ânes pourront voter.


(AU REFRAIN)


III


Si lei eosaquo vau pays
Un reï nous vourier restabli
Qusqué lei's vourier appéla
Sériez voustréï gens moudéras
Mai si débarrassarian ben
Deï Blancs eoumo dei' autrichien

Si les cosaques au pays
Voulaient rétablir un roi
Quelques-uns voudraient les appeler
Ce serait vous, gens modérés
Mais nous nous débarrasserons bien
Des Blancs comme des Autrichiens.


(AU REFRAIN)


IV

 

Si foou patant frutas lei mens
D'un air jouyeux, d'un cor countent
Voustré Henri V nen vendra pas
Lou poplé voous plus di royoouta
Poudès Ly fané son toumbéon
Car l'ensévéliren ben léou, amen

II ne faut pas tant se frotter les mains
D'un air joyeux, d'un cœur content,
Votre Henri V ne viendra pas
Le peuple ne veut plus de royautés
Vous pouvez lui faire son tombeau
Car nous l'ensevelirons bien vite, amen.


(AU REFRAIN)


V


Vaoutrès touteï qué Méscoritas
Gens de l'abour dé tout état,
Ouvrier meï fréro aprouchavens
Parli péar miou coumo péar vous
Ly a qué la bello péar nous souvas
Dei' cheinas qui naen prépara. Amen

Vous tous qui m'écoutez 
Gens de travail de tout état 
Ouvriers, mes frères, approchez~vous 
Je parle pour moi comme pour vous 
Il n'y a que la Belle (1) pour nous sauver 
Des chaînes qu'ils nous ont préparées. Amen ! 


(AU REFRAIN)


VI


Republicains plus di chagrin 
Lei négaen touteï din lou vin 
Lou ben estré vendra ami 
Jesouschrist nous varriés prédit 
Si ven pas en cueï vendra déman 
La republiquo dei' paysan

Républicains, plus de chagrins
Nous les noyons tous dans le vin
Jésus-Christ nous l'aurait prédit 
Si elle ne vient pas aujourd'hui, elle viendra demain 
La république des paysans.


(AU REFRAIN)


(1). La Belle, autrement dit la République.







La surveillance des autorités.



Sous la Seconde république, ces lieux de réunion du monde ouvriers sont surveillés de près par les autorités. A la fin du mois de novembre 1851, une question importante est au centre des conversations dans les chambrées : le rappel de la loi du 31 mai 1850. Voté à l'instigation du parti de l'ordre et défendu à la Chambre des députés par Adolphe Thiers, celle-ci avait privé du droit de vote de nombreux ouvriers. Dans le courant de l'année, la Président Louis - Napoléon Bonaparte en avait proposé la suppression, par intérêt personnel pour les ouvriers et surtout par intérêt politique, espérant se gagner ainsi la classe ouvrière.




Justice de Paix du canton de Tavernes


Tavernes le 22 Novembre 1851


Monsieur le Procureur de la République,


Depuis que nos législateurs se sont occupés de la loi du 31 mai, les démagogues s'agitent beaucoup dans mon canton. Le chef-lieu qui, jusqu'à présent, avait demeuré étranger à toutes les commotions politiques, vient de voir se former dans son sein une chambrée intitulée Société de la fraternité des citoyens, qui, dit on, compte à son début une soixantaine de membre quoique la liste que leur chef a donnée à Mr. le Maire n'en comprenne que quatorze. Dimanche au soir il y avait beaucoup de mouvement ; d'après ce que j'ai appris il s'agissait de plusieurs récipiendaires auxquels on faisait prêter serment.
   Plusieurs Barjolais, bien connus par leur opinion avancée, se trouvait dans la société ce soir-là. Ces mêmes individus étaient à Fox Amphoux l'autre dimanche dans le but de faire former une société comme ils l'entendent Je crois qu'ils y ont réussi.
   Enfin dans toutes les communes de mon canton il y a aujourd'hui de ces sociétés.
   Je vous prie de croire, Monsieur le procureur de la République, que je les surveille avec activité et que s'il s'y passe quelque chose qui mérite d'être porté à votre connaissance je ne manquerai pas de le faire

   Veuillez agréer, Monsieur le Procureur de la République, l'assurance de mon respectueux dévouement


Le juge de paix

Constans