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                                                                                A Paris

 

A Paris.


Victor Hugo, proclamation à l'armée,
3 décembre 1851.


par Marc Nadaux

 






L'occupation du Palais-Bourbon, décidée à l'initiative de Louis-Napoléon Bonaparte et du nouveau ministre de l'Intérieur le comte de Morny, provoque une énergique protestation des députés conservateurs. Ceux-ci prononcent la déchéance du Président de la République avant d'être arrêtés. Une soixantaine de députés de la gauche républicaine entre alors dans la clandestinité afin d'organiser la résistance au coup d'État. Victor Hugo est l'un des principaux animateurs de ce mouvement qui ne rencontre pas l'écho espéré parmi les populations ouvrières de l'Est parisien. Il s'exile à Bruxelles, le 11 décembre 1851, en voyageant muni d'un passeport au nom de Jacques-Firmin Lanvin. L'écrivain est bientôt placé, le 9 janvier 1852, sur la liste des proscrits et désormais interdit de séjour en France. 








Soldats !


Un homme vient de briser la Constitution, il déchire le serment qu'il avait prêté au peuple, supprime la loi, étouffe le droit, ensanglante Paris, garrotte la France, trahit la République.

Soldats, cet homme vous engage dans le crime.

Il y a deux choses saintes : le drapeau qui représente l'honneur militaire et la loi qui représente le droit national. Soldats ! le plus grand des attentats, c'est le drapeau levé contre la loi.
Ne suivez pas plus longtemps le malheureux qui vous égare. Pour un tel crime, les soldats français sont des vengeurs, non des complices.
Livrez à la loi ce criminel. Soldats ! c'est un faux Napoléon. Un vrai Napoléon vous ferait recommencer Marengo ; lui, il vous fait recommencer Transnonnain.
Tournez vos yeux sur la vraie fonction de l'Armée française. Protéger la patrie, propager la révolution, délivrer les peuples, soutenir les nationalités, affranchir le continent, briser les chaînes partout, défendre partout le droit, voilà votre rôle parmi les armées d'Europe ; vous êtes dignes des grands champs de bataille.

Soldats ! l'armée française est l'avant-garde de l'humanité.

Rentrez en vous-mêmes, réfléchissez, reconnaissez-vous, relevez-vous. Songez à vos généraux arrêtés, pris au collet par des argousins et jetés, menottes aux mains, dans la cellule des voleurs'. Le scélérat qui est à l'Élysée croit que l'armée de la France est une bande du Bas-Empire, qu'on la paie et qu'on l'enivre et qu'elle obéit ! Il vous fait faire une besogne infâme ; il vous fait égorger, en plein dix-neuvième siècle et dans Paris même, la liberté, le progrès, la civilisation ; il vous fait détruire, à vous enfants de la France, ce que la France a si glorieusement et si péniblement construit
en trois siècles de lumière et en soixante ans de révolution ! Soldats, si vous êtes la grande armée, respectez la grande nation.
Nous, citoyens, nous, représentants du peuple et vos représentants, - nous, vos amis, vos frères, nous qui sommes la loi et le droit, nous, qui nous dressons devant vous en vous tendant les bras et que vous frappez aveuglément de vos épées, savez-vous ce qui nous désespère, ce n'est pas de voir notre sang qui coule, c'est de voir votre honneur qui s'en va.

Soldats ! un pas de plus dans l'attentat, un jour de plus avec Louis Bonaparte, et vous êtes perdus devant la conscience universelle. Les hommes qui vous commandent sont hors la loi ; ce ne sont pas des généraux, ce sont des malfaiteurs ; la casaque des bagnes les attend. Vous soldats, il en est temps encore, revenez à la patrie, revenez à la République. Si vous persistiez, savez-vous ce que l'histoire dirait de vous ? Elle dirait : « Ils ont foulé aux pieds de leurs chevaux et écrasé sous les roues de leurs canons toutes les lois de leur pays ; eux, des soldats français, ils ont déshonoré l'anniversaire d'Austerlitz  ; et, par leur faute, par leur crime, il dégoutte aujourd'hui du nom de Napoléon sur la France autant de honte qu'il en a autrefois découlé de gloire ! »

Soldats français, cessez de prêter main forte au crime !


Pour les représentants du peuple restés libres, le représentant membre du comité de résistance,

VICTOR HUGO