La lettre d'infos


A voir et à lire
sur
19e.org,
et ailleurs.

S'abonner à la lettre d'infos
 

 L'actualité
sur 19e.org

 
 

 A voir sur le Web

     Vous êtes ici :   Accueil   Documents   La Troisième République                                           Contact
                                                                                Les attentats anarchistes

 

La " propagande par le fait " :
les attentats anarchistes (1892-1894).




L'assassinat du Président Sadi Carnot,
24 juin 1894.




par Marc Nadaux


 





Le 24 juin 1894, le Président de la République est à Lyon où il est venu visité l'Exposition universelle. Sadi Carnot se rend dans un landau découvert au Grand-Théâtre applaudir une représentation d'Andromaque. Il est alors blessé d'un coup de poignard donné par un jeune homme qui vient de fendre le public. C'est la consternation générale. Atteint à l'aorte, le chef de l'État décédera quelques heures plus tard, le 25 juin à 0 h 30.

Son meurtrier est un anarchiste italien, Santo Jeronimo Caserio, âgé de vingt ans et venu de Sète où il était apprenti boulanger. Jugé les 2 et 3 août 1894,  le jeune homme affirme avoir agi seul. De nombreux éléments viennent cependant étayer la thèse du complot. Il est exécuté quelques temps plus tard. 

Du 26 juin au 1er juillet, une foule imposante vient se recueillir sur la dépouille de Sadi Carnot, dans une chapelle ardente installée au palais de l'Élysée. L'opinion est choquée. Cet attentat marque d'ailleurs  la fin de l'emploi de la terreur par les révolutionnaires anarchistes. La " propagande par le fait " qui n'est pas parvenue à déstabiliser la société aboutit à une impasse.







D'après Le Petit Journal, 2 juillet 1894.
D'après Le Figaro, 25 juin 1894.







L'assassinat du Président Sadi Carnot
 par l'anarchiste italien Caserio,
le 24 juin 1894.







Le Petit Journal, 23 décembre 1893.







Voici le récit de notre collaborateur Chincholle qui, on le sait ; avait été délégué par Le Figaro pour suivre le Président de la république dans ce voyage à Lyon, voyage que personne ne pouvait prévoir aussi émouvant et terrible :


Je sortais de la Place Saint-Bonaventure pour me rendre à la Préfecture. A ce moment même le Président sortait par la Place des Cordeliers qui s’étend derrière la Bourse et où on attendait sa voiture.
Depuis plus d’une heure, une foule considérable est là. Tous les trottoirs allant de la Bourse au Grand-Théâtre où doit se rendre le Président sont également garnis de monde.
M. Carnot monte en voiture accompagné du docteur Gailleton et des généraux Voisin et Borius. On l’acclame. La voiture l’emporte vers le Théâtre ; elle parcourt à peine une centaine de mètres quand devant le Grand-Hôtel où je suis descendu, un individu, vêtu de gris et âgé de vingt-cinq ans à peu, s’élance le poignard à la main, sur M. Carnot , et le frappe en pleine poitrine.
Il avait visé le cœur ; mais la lame a dévié, elle est entrée entre le foie et l’intestin. Le coup néanmoins a frappé si terriblement M. Carnot qu’il s’est affaissé inanimé au fond de sa voiture.

Immédiatement, le docteur Gailleton lui donne les premiers soins.
Les voitures, au lieu d’aller vers le Grand-Théâtre, sont dirigées vers la Préfecture.
La foule s’élance sur l’assassin. Un employé du télégraphe, Monsieur Guilhermier, lui casse son parapluie sur la tête. Les agents s’emparent de l’assassin et le conduisent au poste voisin de la Préfecture où ils le déshabillent complètement.
On l’interroge. C’est un Italien du nom Caserio, âgé de vingt-quatre ans. Si les agents l’ont laissé approché de la voiture de M. Carnot, c’est qu’il avait à la main une rose. Ils croyaient qu’il voulait la lui offrir.
M. Carnot est transporté dans ses appartements dont naturellement l’accès est interdit. La consternation se répand dans la ville. Les témoins regrettent qu’on les ai empêché de tuer Caserio.

Les pires nouvelles circulent. Il y a une seconde on prétendait que M. Carnot était mort. Il n’en est rien. Mais la blessure n’en est pas moins grave. Le foie serait perforé.
Une foule considérable, dont l’anxiété se conçoit, entoure la Préfecture. Les docteurs Ollier et Poncet, interrogés par mille bouches, disent qu’il n’y a point de danger, mais l’attitude du Préfet, M. Rivaud, absolument consterné, est telle que l’inquiétude s’accroît.
Au poste, l’assassin, qui parle très mal le français, est interrogé en italien. Il est très calme.
" Je m’expliquerai plus tard ", dit-il.
On a trouvé sur lui, outre le poignard, un couteau et un casse-tête.

Il est dix heures trente cinq. Pendant que j’écris en toute hâte, trois amis vont aux nouvelles. Ils ont le plus grand mal à circuler. Il y a peut être cent mille personnes autour de la Préfecture, et devant le télégraphe même et une foule considérable qui voudrait que la presse lui donnât des nouvelles.
De minute en minute elles sont plus mauvaises. Il faut penser en effet que c’est au sortir du repas que le Président a été frappé, et par conséquent l’intestin chargé.
Voici les nouvelles que nous apporte un témoin oculaire, notre confrère Formentin, qui, dans le tumulte qui a suivi l’attentat, a pu entrer dans la Préfecture, où il a même aidé les docteurs Poncet et Gailleton a transporter M. Carnot complètement évanoui.
Les docteurs ont étalé un matelas sur un pliant dans la chambre du Préfet, et ont étendu dessus le blessé dont ils ont arraché les vêtements.
La poitrine était couverte de sang. La blessure a quatre centimètres de large ; le coup a été porté de bas en haut.
On a commencé par placé de la glace sur la plaie. Le Président était toujours évanoui. Le docteur Poncet a jugé nécessaire de " débrider le foie ".
On s’est demandé si on ne devait pas préalablement anesthésier le blessé ; on a jugé que cela ferait perdre un temps précieux. On a donc fait immédiatement l’opération.
Sur une longueur de vingt centimètres environ : on a ouvert la poitrine, et constat que la foie était perforé de part en part.
Pendant l’opération, M. Carnot s’est ranimé : " Oh ! mon Dieu, que je souffre ! répétait-il. Cela n’en finira donc pas ! … Mon Dieu que je souffre ! Est-ce fini ? "
Quand l’opération était terminée, on l’a transporté sur son lit, où on a constaté qu’il était absolument glacé. Le docteur Poncet est resté auprès de lui.
Le docteur Ollier, le général Borius, le docteur Gailleton, M. Dupuy, le colonel Chamoin sont passés dans une chambre voisine où ils ont tenu un conciliabule qui est resté secret, mais à la suite duquel il a a été décidé que M. Dupuy irait à Paris pour parer à tout.
On craint de plus en plus une issue fatale. Les docteurs Poncet et Gailleton sont en permanence auprès du lit du blessé. Les médecins redoutent une seconde hémorragie qui pourrait amené la mort.

Les étudiants sont en train de siffler le Consul italien qui demeure à quelques pas du télégraphe central, cinq rue de la Barre. Une foule considérable se joint à eux. Les gendarmes apparaissent. On crie :vive Carnot ! A bas Crispi !
L’assassin, dont le vrai nom est Caserio Santo, est de Turin. On a trouvé sur lui plusieurs lettres datées de Paris, quinze juin. Ils persistent à ne vouloir parler que plus tard. On croit qu’il vient de Paris. Cependant, on parle aussi de Sète où il se trouvait, paraît-il, hier encore avec un groupe d’anarchistes. Il avait sur lui des lettres l’accréditant auprès de plusieurs maisons de banque.
Cet anarchiste persiste à ne vouloir répondre que devant le jury. On a trouvé dans a poche un carnet sur la première page duquel sont écrits ces mots : Caserio Giovanni, corso Duca di Genova, distintissima famiglia (Jean Caserio, cour du Duc de Gènes, de la famille la plus distinguée).
S’il est de famille distinguée, il n’en a pas l’air, son attitude est, au contraire, des plus vulgaires.
M. Elisi de Saint-Albert, conseiller de Préfecture, M. Rivaud et M. Mayer, chefs de division, sont entrain d’interroger Caserio. Il ne veut pas dire s’il est anarchiste. Il prétend être arrivé aujourd’hui à sic heures de Sète. On voudrait le mener à la Permanence, mais il y a tellement de monde autour du poste qu’on ose pas l’en faire sortir, la foule tuerai.
La foule s’est portée contre le café de M. Isaac Casati, dont elle a absolument défoncée la devanture, bien que ce soit un café fort connu pour sa clientèle essentiellement française et fort considéré des Lyonnais. On a saccagé tout l’établissement, pendant que les clairons de la Société, des Touristes lyonnais, sonnaient la charge.
La foule se dirige présentement vers le café Maderni, qui appartient à un Italien.
Dans les rues de Lyon, circulent maintenant d’épais groupes qui, brandissent des drapeaux tricolores, chantent la Marseillaise sous les fenêtres des Italiens. Les journaux locaux tirent des éditions supplémentaires mais la police arrête tous ceux qui les vendent.

C’est fini, Mme Carnot arrivera trop tard. A minuit quarante deux , le Président a rendu le dernier soupir au milieu de la consternation des personnes restées auprès de lui : ses deux médecins, le général Borius, le colonel Chamoin, M. Rivaud, M. Gravier, l’archevêque de Lyon qui n’a pas quitté la Préfecture depuis qu’on y a ramené le Président et qui, au moment où les médecins ont pressenti la fin lui a administré les derniers sacrements.
C’est en pleurant qu’on nous donne la funèbre nouvelle. Ce matin encore, M. Carnot était si joyeux ! Il avait, il n y a pas quatre heures, un succès si retentissant ! On a tant de fois crié aujourd’hui : " Vive Carnot ! " et maintenant, la pensée de tous va à la malheureuse femme qui est entrant de faire un si cruel voyage et qui arrivera trop tard.
Peu de personnes encore connaissent ici la vérité et celles qui la connaissent sont anéanties, écrasées, et précisément parce que, de neuf heures du matin à neuf heures du soir, elles ont pris part à l’enthousiasme général, elles ne peuvent retenir leurs larmes.


 

Le Figaro, 25 juin 1894.