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La
" propagande par le fait " :
les attentats anarchistes (1892-1894).
L'arrestation
d'Émile Henry,
12 février 1894.
par Marc Nadaux
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Une semaine à
peine après l'exécution d'Auguste Vaillant, une nouvelle bombe est lancée
dans le café Terminus situé à proximité de la gare Saint-Lazare.
L'endroit est alors bondé de monde et l'engin fait une victime ainsi
qu'une vingtaine de blessés. Arrêté sur les lieux même de son
forfait, Émile Henry déclare d'ailleurs avoir voulu tuer. Il avoue être
également l'auteur de l'attentat commis au commissariat des Bons-Enfants
le 8 novembre 1892.
Émile Henry est un jeune homme de vingt et un ans, élève brillant admis
au concours d'entrée à l'École polytechnique mais fasciné par l'idéal
de l'anarchie. Terrifiant de froideur les jurés de la Cour d'Assises de
la Seine où a lieu son procès les 27 et 28 juin 1894, celui que l'on
surnomme le " Saint-Just de l'anarchie " est condamné à mort
puis exécuté le 5 février suivant. Il s'écrira alors sur l'échafaud
" Courage, camarades, vive l'anarchie! ". |
Lors du procès d'Émile Henry, le greffier du tribunal, M. Wilmés,
rappelle en lisant les deux actes d'accusation les circonstances de son
arrestation :
Le 20 décembre dernier, Émile
Henry se présenta à la Villa Faucheur, rue des Envierges, et loua une
chambre sous le nom de Louis Dubois.
Là, il se procura les substances nécessaires à la fabrication d'engins
explosifs, notamment de l'acide picrique, et s'occupa de préparer une
bombe.
Dans une petite marmite en métal, dont il supprima l'anse et le bouton
qui surmontait le couvercle, il introduisit une enveloppe cylindrique en
zinc.
Entre cette enveloppe et les parois évasées de la marmite, il plaça,
a-t-il déclaré, cent vingt balles.
Dans le cylindre de zinc, il en disposa un autre sensiblement plus petit,
et remplit d'une substance explosive l'intervalle qui les séparait.
Enfin, dans le plus petit, il mit une cartouche de dynamite garnie d'une
amorce au fulminate de mercure.
A cette amorce aboutissait une mèche de mineur dont la longueur était
calculée de manière à brûler 15 secondes.
Le 12 février, il quitta sa chambre, après avoir prévenu le gardien de
la villa qu'il ne rentrerait pas de quelques jours. Il y laissait, selon
sa déclaration, trois kilos et demi d'acide picrique. Il emportait sa
bombe, à l'exemple de Vaillant, dans la ceinture de son pantalon.
Il était muni d'un revolver chargé dont il avait mâché les balles,
afin, dit-il, de faire plus de mal, et d'un poignard dont il avait cherché
à empoisonner la lame.
Ainsi armé, il se dirigea vers l'avenue de l'Opéra, jeta un coup d'œil
au restaurant Bignon, puis au café Américain, puis au café de la Paix,
mais dans aucun de ces établissements il rie trouva un nombre suffisant
de victimes, et il continua son chemin.
Au café Terminus, où il arriva vers huit heures et demie, la foule était
particulièrement pressée autour d'une estrade où jouait un orchestre.
Il entra, s'assit devant un guéridon placé tout près de la porte et
demanda un bock qu'il paya d'avance.
Il s'en fit bientôt servir un second avec un cigare qu'il paya également
dès qu'ils lui furent apportés. Il attendait que le public fût encore
plus nombreux.
A neuf heures, il approcha son cigare allumé de l'extrémité de la mèche,
puis se leva et gagna la porte dont une très petite distance le séparait.
Alors il se retourna et lança la bombe dans la direction de l'orchestre.
L'engin rencontra le lustre électrique, brisa une des tulipes de cristal,
et tomba à terre en répandant une fumée épaisse et âcre.
Quelques secondes plus tard, elle éclata avec une détonation sourde,
enfonçant le parquet et blessant dix-sept personnes.
L'assassin prit la fuite en criant : " Ah! le misérable, où est-il?
"
Il fut aussitôt poursuivi par le garçon Tissier et par deux
consommateurs qui l'avaient vu jeter l'engin.
Le gardien de la paix Poisson, qui était de service sur le refuge situé
en face du café, s'élança aussi derrière lui.
A l'angle de la rue du Havre et de la rue d'Isly, un employé de la
compagnie de l'Ouest, le sieur Etienne, le rejoignit et lui mit la main
sur l'épaule en lui disant " Je te tiens, canaille! " - "
Pas encore! " répondit l'accusé, qui lui tira un coup de revolver
en pleine poitrine.
La balle heureusement s'aplatit sur un bouton et ne pénétra pas, mais
Etienne tomba, évanoui.
Le sieur Maurice, coiffeur, le saisit à son tour, un peu plus loin. Un
second coup de revolver le jeta à terre, lui faisant une blessure des
plus sérieuses.
A ce moment arrivait le gardien de la paix Poisson. L'accusé le visa,
mais le manqua et continua sa route. Poisson tira son sabre et reprit la
poursuite. Il gagnait du terrain, quand un coup de feu l'atteignit à la .
poitrine. Resté debout, il levait le bras pour frapper, mais l'accusé déchargea
sur lui les deux derniers coups de son revolver. L'une des balles frappa
le côté droit; l'autre se perdit dans le portefeuille de l'agent.
Celui-ci se précipita sur l'accusé et tomba avec lui.
D'autres agents survinrent au moment où Poisson perdait connaissance. Ils
s'emparèrent de Henry, qu'ils durent protéger contre la fureur des
assistants.
Au cours de l'information, Henry, qui avait d'abord pris le faux nom de
Breton, n'a témoigné aucun repentir de cette série d'actes criminels.
Il a, au contraire, exprimé devant une de ses victimes, le sieur Étienne,
le regret d'avoir fait usage d'un revolver défectueux, ainsi que d'avoir
diminué la force explosive de sa bombe en assujettissant mal le couvercle
de la marmite.
L'expert commis par le juge d'instruction a déclaré que l'engin projeté
par Henry était " combiné et construit de manière à donner la
mort en tombant au milieu d'une foule, et à détruire partiellement l'édifice
dans lequel il aurait été lancé.
Comme tous les anarchistes, il affirme avoir agi sous l'empire d'une résolution
purement personnelle.
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