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                                                                                Les attentats anarchistes

 

La " propagande par le fait " :
les attentats anarchistes (1892-1894).




Explosion d'une bombe à la Chambre des députés,
9 décembre 1893.




par Marc Nadaux


 





Vers 16 heures, le 9 décembre 1893, une bombe d'une grande puissance est lancée dans l'hémicycle de la Chambre des députés. Une illumination éclaire la salle qui est envahit ensuite par la fumée. C'est aussi une grêle de projectiles qui s'abat sur les députés et les spectateurs assistant aux délibérations. Le Président Charles Dupuy en maintenant la séance fait preuve de sang-froid, de même que les parlementaires qui ne cèdent pas à la panique, certains d'entre-eux prêtant leur concours aux médecins arrivant sur les lieux. 

Arrêté en compagnie de vingt autres personnes, Auguste Vaillant, un ouvrier parisien déclassé et converti récemment à l'anarchisme, avoue alors dans la nuit être l'auteur de l'attentat. Jugé quelques temps plus tard, il est exécuté le 5 février 1894, les jurés ne lui reconnaissant aucune circonstances atténuantes.

Vaillant leur avait fait remarquer que son geste était destiné à blesser et non à tuer. Il avait ainsi placé des clous et non des balles dans sa bombe, aussi aucune victime n'est à déplorer.  L'intervention de sa fille auprès de l'épouse du Président, une pétition menée par l'abbé Lemire, que l'on trouve en bonne place parmi les blessés, n'infléchiront point Sadi Carnot qui refuse sa grâce à Auguste Vaillant.

Sur les lèvres des anarchistes, c'est désormais La Complainte de Vaillant, un texte écrit par F. Xan-Neuf et mis en musique par Charles Spencer, qui remplace La Ravachole.







D'après Le Petit Journal, 23 décembre 1893.
D'après Le Figaro, 10 décembre 1893.







Explosion d'une bombe à la Chambre des députés
déposée par l'anarchiste Auguste Vaillant
le 9 décembre 1893.







Le Petit Journal, 23 décembre 1893.







Nous donnons d'abord le récit initial de notre collaborateur Paul Hemery qui assistait à la séance dans la tribune des journalistes, et qui par conséquent, a été la premier témoin de cet attentat :



" Il était environ quatre heures. Placé au premier rang de la galerie du premier étage qui fait face à la tribune et au président de la Chambre, j’ai entendu une formidable détonation et j’ai vu en même temps une lueur vague entourée d’une épiasse fumée.
Un horrible attentat venait d’être commis : une bombe, lancée d’une des tribune du second étage, au dessus de l’extrême droite, avait éclatée avant de toucher le sol, répandant une effroyable pluie de projectiles de toutes sortes, clous énormes, morceaux de zinc ou de plomb, atteignant les députés et les personnes placées dans les diverses galeries ou tribunes, frappant en tous sens et en tous endroits, causant l’émotion la plus poignant. Des cris déchirants s’échappaient de toutes les poitrines, les voix de femmes dominées le tumulte comme dans un épouvantable rêve et donnaient la sensation d’une lente et plaintive clameur.
J’eus d’abord l’impression d’un immense danger, comprenant de suite la nature de l’attentat et redoutant une suite à cette première manifestation : je croyais à une seconde, peut être à une troisième bombe. !
Devant l’attitude énergique et résolue du président de la Chambre et du gouvernement, devant le sang froid dont firent preuve tous les représentants du pays, tous les fonctionnaires qui assistaient à la séance et tous les représentants de la presse, le même sentiment se dégagea aussitôt :on avait échappé au premier danger et on attendait avec courage, ignorant les malheurs causés, les conséquences de cet affreux crime.

La bombe à été lancée de la seconde tribune publique, située à la droite du président de la Chambre, au deuxième étage, et à éclatée à hauteur de la galerie du dessous, emportant dans un immense tourbillon tout ce qu’elle rencontrait devant elle.
Plusieurs députés ont été renversé ;l’abbé Lemire est projeté sur le sol, il est atteint par un projectile derrière la tête et reçoit une blessure profonde. D’autres députés sont blessés : MM. De Lanjuinais, Leffet, le baron Gérard, Sazenove de Pradine, de Montalembert, Charpentier, de Tréveneue. On les entoure, on les emporte dans les bureaux pour leur donner les premiers soins.
M. Ch. Dupuy, au fauteuil, a eu le cuir chevelu déchiré par un clou.
Détail curieux : le bureau du secrétaire général de la présidence, M. Pierre, qui se trouve derrière le fauteuil du président, est couvert d’une couche épaisse de poussière, que l’on se garde d’enlever, cette poussière devant servir à faire des expériences chimiques.
De nombreux députés ont les épaules recouvertes de cette même poussière : MM. Georges Cochery, Marcel Habert ont comme un manteau grisâtre. M. Barthou, le jeune député des Basses-Pyrénées, dont l’attitude a été remarqué, a la figure criblée de petits grains noirs.
Le public a quitté la salle des séances en proie à une émotion violente : on aperçoit des traces de sang ; des femmes et des hommes, dont la liste est longue, ont été blessés. Les nombreux médecins qui font partie de la Chambre sont accourus aussitôt à leur secours et la Palis Bourbon est bientôt transformé en ambulance.
Et nous quittons la salle où la délibération continue, M. le vicomte de Montfort occupant la tribune et MM. Les secrétaires rédacteurs et les sténographes continuant avec la plus parfaite tranquillité à prendre leur notes. "


Aussitôt l’explosion produite, presque au même instant, toutes les grilles du Palais législatif ont été fermées. On ne laissait plus sortir personne : c’était une excellente mesure qu’on a sagement fait de prendre sans retard.
Nous assistons alors au long défilé des blessés que l’on conduit dans les divers locaux de la Chambre, où sont installés bien vite des internes de l’Hôtel-Dieu et des infirmières.
M. Casimir Perier, président du Conseil, accompagné de MM. Raynal et Antonin Dubost, ministres l’intérieur et de la justice, ont parcouru les salles, visitant les blessés. Quelques instants après, M. Charles Dupuy, président de la Chambre, suivi de tous les membres du bureau, vice-présidents et secrétaires, a accompli le même devoir.
A la buvette transformée également en salle d’ambulance, les soins sont données çà une pauvre femme qui a reçu une blessure en pleine poitrine et à un brave homme campagnard qui a deux ou trois blessures dans la tête. On soigne aussi un homme, jeune encore, dont les bras sont ensanglantés.
De tous cotés les questeurs et les députés s’empressent de porter secours.
Les députés se montrent des clous ramassés sur le tapis et un morceau de fer blanc qui permet de supposer que l’engin était une boite de sardines.
En dehors des médecins du Palais Bourbon, MM. Vigor, ministre de l’agriculture, Bizarelli, Chassaing, de Mahy qui sont des médecins, pratiquent les pansements.

Un de nos collaborateurs, malgré la consigne impitoyable de ne laisser entrer personne, a pu, vers cinq heures, en suivant un convoi de fiacres chargés de brancards et remplis d’internes et d’infirmiers, pénétré à l’intérieur de la Chambre par la porte qui donne sur la place du Palais Bourbon.
A l’intérieur, une double rangée de gardiens veillent à l’exécution des ordres reçus par le préfet de police. Les blessé eux-mêmes sont obligés – ôh ironie ! –de monter patte blanche, et les députés forcés de donner leur nom aux agents et de se faire reconnaître par les gardiens du Palais placés devant la porte.
Prestement, et avec une activité, un dévouement vraiment dignes des plus grands éloges, les jeunes internes de l’Hôtel-Dieu se précipitent dans le couloir, à gauche de la cour, qui donne accès aux bureau de la questure.
Là un spectacle à la fois effrayant et émouvant se présente.
Un à un les députés ou spectateurs légèrement blessé quittent les bureaux et descendent lentement, accompagnés d’amis ou de gardiens, l’escalier de la questure.
Voici M. le Foullon, avoué et député de Neuilly. Je me précipite vers lui et lui sert la main droite, car la main gauche est entièrement pansée, de même qu’une partie de la tête.
- Cela ne sera rien, dit-il, de l’air le plus calme. Je n’ai qu’un doigt entièrement fendu et l’ongle enlevé, avec une écorchure sur le tempe.
Et il s’éloigne en continuant à fumer tranquillement sa cigarette.

Grâce à un subterfuge, je pénètre dans les bureaux de la questure, encombrés de blessés, qu’on pense, d’autres qu’on interroge et de spectateurs qu’on fouillent.
M. Bizarelli, questeur, va et vient, signant des laissez-passer, lorsque l’identité d’une personne est reconnue.
Dans une salle, M. Souligot, le chef de clinique de l’Hôtel-Dieu, s’occupe du pansement d’une dame étendu sur un lit de camp. Elle a eu la jambe fracturée dans trois endroits et la rotule enlevée. On me dit son nom : c’est Mme Mantel, habitant Vienne (Autriche). Elle est calme et ne semble pas souffrir. Le médecin se demande cependant s’in ne va pas falloir procéder à l’amputation de la jambe atteinte.
De tous les côtés de cette salle, des blessés. Ici, sur un banc, la chemise ensanglantée et le bras en écharpe, un homme jeune, gros, une forte moustache blonde rougie par le ;sang qui dégoûte de la tête. C’est un marchand de charbon demeurant au 42 de la rue de La Chapelle, M. Laporte, qui était venu assisté à la séance avec sa femme. Celle-là, dans un autre cabinet, est assez gravement atteinte, mais ne donne aucun signe d’abattement : elle vient d’apercevoir son mari. Les malheureuses gens se félicitent d’en être quittes à ce prix.
L’air surchauffé par les calorifères avec l’odeur d’acide phénique qui se dégage de toutes parts rend l’atmosphère de la questure pénible, presque insupportable. Les couloirs encombrés de gens appartenant à la Chambre, d’agents qui vont et viennent, de journalistes aux renseignements constituent un empêchement à la rapide exécution des ordres. Cette partie du Palais Bourbon est transformée en hôpital.
Et toutes les sommités de la police sont cependant là, interrogeant, notant les moindres détails pouvant entraînés l’arrestation du coupable.



Le nombre des blessés n’était pas encore hier soir exactement connu. Du reste, M. Meyer, juge d’instruction, avait défendu qu’on donnât toute espèce de renseignements à cet égard. On peut l’évaluer cependant à une soixantaine.
Voici les noms que nous avons pu recueillir :

. M. l’abbé Lemire, député du Nord, a reçu deux blessures dont l’une assez large au cou. C’est un clou qui a passé sous la peau, donnant céton. L’épanchement de sang a été considérable et, un instant, on a cru que la carotide était atteinte. Il n’en a pas fallu plus pour qu’on répandit le bruit de sa mort. Heureusement les médecins ont déclaré que la vie de la victime n’était pas en danger.
. M. le comte de Lanjuinais, député du Morbihan, a également une blessure sérieuse, mais non mortelle.
. M. Albert Le Clech, député du Morbihan, a été blessé à la main gauche.
. M. Dufaure, député de la Charente Inférieure, légèrement blessé.
. M. Cousin, député de l’Hérault, légèrement blessé.
. M. de La Ferronnays, député de la Loire Inférieure, légèrement blessé.
. M. Dumas, député de l’Ariège, légèrement blessé.
. M. Leffet, député d’Indre et Loire, légèrement blessé.
. M. Lecoupanec, député du Morbihan, légèrement blessé.
. M. Dupuy, président de la Chambre, a reçu une égratignure à la joue.
. M. le général Billot, sénateur, qui se trouvait dans l’hémicycle a été légèrement atteint.
. Le lieutenant Allès, du 131ème de ligne, qui faisait partie du piquet de service, est qui avait les deux mains appuyées sur le rebord de la tribune , a eu deux doigts de la main droite emportés.
. M. Schillinger, huissier de la Chambre des députés, demeurant au Palais Bourbon, très grièvement blessé au crane.
. Notre confrère Bertol-Graivil, rédacteur à L’Écho de Paris, syndic de la presse républicaine, a été grièvement blessé au front. On l’a conduit chez lui, 6 rue Descoinbe.
. Le colonel Juan Vassill Bastuirel, officier roumain, qui se trouvait dans la tribune diplomatique, a été sérieusement atteint à la tête par un clou qui lui a fait une profonde déchirure.
. M. Touly, sous-préfet de Redon, a reçu, lui aussi, des clous à la joue et à la main.
. M. Mangeot, député, qui se trouvait près de M. Chauviere, à l’extrême gauche c’est à dire fort loin du point où s’est produite l’explosion nous a raconté qu’il était tombé sur lui et ses collègues une véritable pluie de clous. Ces clous sont à tête carrée, dite à diamant. Ils sont un peu plus court que des clous à ferrer les chevaux et semblent plutôt des clous à bateau. L’un d’eux à frapper le col droit que porter M. Mangeot qui, grâce à cette circonstance n’a pas eu de mal.


Le plus grand nombre des blessé a été dans les tribunes qui étaient littéralement remplies de sang. Les clous traversant la boiserie ont atteint les spectateurs aux jambes.

On cite jusqu’à présent :
. M. Jules Gaillotiez, 25 ans, célibataires, garçon boulanger, 14 rue du Bouloi, blessé à la tête.
. M. Pierre Jacques Esnault, 65 ans, rentier, 185 boulevard National à Clichy, blessé à l’oreille.
. M. Louis Rouby.
. M. Edouard Vallerand, limonadier, 1 rue Lully, blessé à l’épaule gauche et au sein gauche.
. M. Sénéchal, négociant, 12 rue Aubriot, blessure au front.
. M. Auguste Vaillant, 17 rue de la Raffinerie, à Choisy-le-Roi, blessé au nez et à la jambe droite.
. M. Jean Bivort, 8 rue Roy blessé à la tête et à la poitrine.
. M. Georges Maringer, 32 boulevard des Italiens, hôtel de Bade, blessé à l’oreille gauche.
. M. Joseph Alexande Aussager, représentant de commerce, 121 rue d’Aguesseau, à Boulogne, blessé au bras droit.
. Mme Laporte, marchande de charbon en gros, 146 rue de la chapelle, fracture de la rotule gauche.
. M. Joseph Datour, ingénieur civil, 11 rue Ferroul, blessé à l’oreille gauche.
. M. Pierre Dessets, infirmier, 93 rue Lafayette, blessé à la tête et au bras gauche.
. M. Charles Hurpot, 66 nans, propriétaire, 25 rue du Petit-Musc, blessé au bras gauche.
. M. Antoine Massat, 39 ans, tailleur, 152 rue Montmartre, contusion à la face.
. M. Marius Laugier, 35 ans, cuisinier, 103 rue Saint-Domonique, blessé à la tête.
. M. Pierre Roussel, âgé de 40 ans, marchand de vin, 6 rue de Romainville, à Bobigny.
. M. Albert Vasser, 35 ans, brigadier des forêts en Algérie de passage à Paris, 35 rue du Niger, blessé à la tête.
. Mme Pauline Porcheron, 35 ans, rentière, blessé au bras droit.
. M. Charles Isaer, 52 ans, représentant de commerce, 23 rue d’Hauteville, blessé à la tête.
. M. Foucault, commissaire à la compagnie transatlantique de passage à Paris, hôtel Terminus, blessé à la tête.
. Mme Foucault, blessé à la tête.
. M. Bourgoz, 35 ans, né en Suisse, concierge, 12 rue Saint-Fiacre, blessé légèrement à la poitrine.
. M. Eugène Joseph Cordier, marchand de vin, 3 rue Saint-Fiacre, demeurant personnellement 26 rue du Sentier, blessures légères.
. M. Gaston Sorin, 23 ans, négociant à Saujon (Charente Inférieure), de passage à Paris, hôtel Central de la Bourse de Commerce, rue du Louvre, blessé à la tête et au bras.
. M. Fernand Sorin, né à Royant (Charente Inférieure), même adresse, blessé à la tête et aux bras.
. M. Charles Doux, marchand de vin, 6 impasse Sainte-Ambroise, blessé grièvement aux bras (consigné à l’hôpital de la Charité).
. M. Paul Tallon, 41 ans, né à Elbeuf, employé de commerce, 71 rue des Batignolles, blessé grièvement à la tête, aux bras et au côté gauche de la poitrine, transporté à son domicile, sur l’ordre de M. la procureur de la République.
. Mme Mandel, née Rosa Wolff, de Vienne (Autriche), 5 rue de la Néva, blessée à la tête, côté gauche et la rotule gauche brisée.
. M. Jules Soufflard, cultivateur, 27 ans, 86 boulevard de la Tour-Maubourg, Blessé à la tête, fracture du poignet droit.
. M. Louis Théophile Le noir, 38 ans, ciseleur, 27 rue Saint-Ambroise, blessé à la tête et aux bras. Consigné à la disposition de la justice.
. M. Gaumet, 54 ans, propriétaire, 202 boulevard Voltaire, blessé à la tête et à la main gauche.
. M. Robert Berger, 35 ans ; loueur de voitures, 5 avenue du Trocadéro, blessé à la tête.
. M. Miche Longet, 62 ans, cultivateur, blessé à la tête et aux deux bras.
. Melle Marie Ellauer, 19 ans, née à Kiel (Pologne) ; étudiante en lettres, 109 rue Saint-Dominique.


Le Figaro, 10 décembre 1893.