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                                                                                La Campagne des banquets

 

La Campagne des banquets,
1847-1848.


Deux points de vue sur le banquet réformiste
de Dijon (Côte d'Or), 21 novembre 1847.


par Marc Nadaux







La campagne des banquets bat son plein. Plus d'une cinquantaine de réunions s'organisent à Paris, puis en Province. Pour les opposants au régime, convaincus de l'immobilisme du gouvernement, c'est un moyen commode de faire entendre leur voix, en prononçant à table des discours politiques de plus en plus violents à l'égard du pouvoir. Ainsi en est-il à Dijon, le 21 novembre 1847. La presse de province se fait l'écho de ces réunions et des diatribes de chacun, le commentaire évoluant en fonction de la sensibilité politique du journal qui rend compte à ses lecteurs des événements. 







Le Courrier de la Côte d'Or, 23 novembre 1847.
Le Journal de la Côte d'Or, 23 novembre 1847.






   Le Courrier de la Côte d'Or, 23 novembre 1847


C'est avant-hier dimanche, 21, qu'a eu lieu dans notre ville le banquet réformiste que nous avions précédemment annoncé. Nous sommes, on le sait, nous sommes de ceux qui pensent que toutes les nuances de l'opposition eussent pu, à Dijon, comme dans d'autres cités, être réunies sans inconvénient dans une même pensée, dans un même but, sur le terrain neutre de la réforme. Selon nous, ce n'est pas trop de toutes les forces vives de la nation, de tous ses dévoûments, de toutes ses lumières, pour faire face aux difficultés de la situation. Pourquoi, si l'ennemi est commun, les efforts pour le vaincre ne le seraient-ils pas ? Si les cosaques et les soldats de Metternich venaient à franchir le Rhin et à profaner de nouveau le sol sacré de notre patrie, est-ce que tous les cœurs ne convergeraient pas vers un point unique ? Est-ce que nous ne pousserions pas d'une voix unanime ce seul cri : Sauvons la France ! Or, ne sommes-nous pas en ce moment victimes d'une véritable invasion ? L'ennemi n'est-il pas dans nos villes, dans nos bourgades, jusque dans nos foyers domestiques ? Ne sommes-nous pas envahis par le flot de la corruption, plus terrible, plus dangereux qu'une inondation de barbares ?

Mais, puisqu'il a plu à la commission du banquet réformiste de notre ville de n'appeler dans son sein que des opinions appartenant à l'extrême gauche, nous respectons les motifs qui l'ont engagée à en agir ainsi. Ce n'est point un blâme que nous avons voulu formuler contre elle ; nous n'avons fait qu'exprimer un regret, regret qui nous a été inspiré par notre dévouement à la chose publique. Quoi qu'il en soit, nous dirons que le banquet de dimanche a été une magnifique protestation de la démocratie bourguignonne contre le système déplorable sous lequel on a courbé le génie d'une grande nation. Treize cents patriotes, parmi lesquels un grand nombre d'électeurs, assistaient à la réunion, malgré les menaces de certains mouchards. La réunion a eu lieu en dehors du faubourg Saint-Nicolas, à la Boudronnée, une maison qui appartient à M. Pingaud. A midi moins un quart, tous les souscripteurs du banquet se sont réunis chez le président, l'honorable M. Hernoux, ancien député de Dijon, l'un des vétérans de la liberté. A midi précis, le cortège s'est mis en marche ; il a défilé dans l'ordre le plus parfait. Il a traversé la place d'Armes, la rue de Lamonnoye et la rue Saint-Nicolas. Arrivés dans la salle du banquet, qui était magnifiquement ornée et pavoisée, tous les convives se sont assis sans confusion, sans bruit, et le banquet a commencé, tandis que les airs patriotiques chers à la France démocratique étaient joués par un nombreux orchestre.

Les regards se portaient alternativement sur M. Ledru-Rollin, député de la Sarthe, ce vigoureux athlète de nos luttes parlementaires ; sur M. Louis Blanc, qui, tout jeune encore, a su jeter les fondements d'une grande renommée, en ajoutant à nos annales révolutionnaires d'impérissables feuillets ; sur M. Etienne Arago, le spirituel feuilletoniste de la Réforme, l'auteur des Aristocraties et de tant d'autres ouvrages dramatiques, et pour tout dire à son honneur, le frère de notre grand astronome ; il y avait aussi là plusieurs autres ouvriers de la pensée

M. Ferdinand Flocon, rédacteur en chef de la Réforme ; M. Baune et d'autres qui étaient venus aussi de Paris pour prendre part à la manifestation patriotique de Dijon. MM. F. Arago, Béranger et Lamennais avaient envoyé leur adhésion en termes très sympathiques.

Le banquet a duré près de six heures, sans trouble, sans désordre. C'était une véritable fête de famille. Plusieurs discours ont été prononcés. Nous allons les donner ci-après, et dans l'ordre où ils ont été prononcés. Ceux de MM. Etienne Arago, Louis Blanc et Ledru-Rollin ont excité, par fois, un frénétique enthousiasme. Nous ne savons si M. Louis Blanc a déjà parlé souvent en public, maison peut dire hardiment qu'il est, dès à présent, un grand orateur. On peut ne pas partager toutes ses idées, mais il est impossible de ne pas rendre un éclatant hommage à son rare talent. Nous en dirons autant de M. Ledru-Rollin.

La séance a été levée vers six heures du soir au milieu des refrains de la Marseillaise. Une collecte a été faite au profit des détenus politiques, et chacun est rentré paisiblement chez soi. Tout s'est donc passé le plus convenablement possible, au grand désappointement de certains fougueux bien pensants. Nous ne pouvons donner aujourd'hui tous les toasts qui ont été portés. Nous réservons pour notre prochain numéro ceux de MM. Ferdinand Flocon, Louis Blanc, Ledru-Rollin et Hernoux.


Le Courrier de la Côte d'Or, 23 novembre 1847

 




   Le Journal de la Côte d'Or, 23 novembre 1847


Grâce à Dieu, la comédie des banquets réformistes touche à son terme. La lumière s'est faite. Le communisme et le suffrage universel, voilà les réformes auxquelles les promoteurs de banquets ont donné la parole. C'est qu'en France, on ne remue jamais les passions sans soulever des tempêtes ; livrez les réformes politiques à la discussion des masses, vous secouez aussitôt le levain révolutionnaire, et soudain vous voyez apparaître, derrière les utopistes, les praticiens du parti qui demandent des améliorations plus palpables. Vous aurez beau dire alors : Nous ne voulions pas rouvir le club des jacobins, il faudra marcher et suivre le torrent qui doit tout dévaster.

Quelques banquets, on ne peut le nier, ont redoublé l'audace des républicains. On sait que les radicaux sont des hommes d'action ; ils ne sont pas nombreux, mais ils sont résolus ; c'est pour cela que le devoir du gouvernement et du pays est de les surveiller sévèrement. Notre première révolution a été déshonorée par les excès de la terreur. Eh bien ! par qui ont été commis ces effroyables excès ? quels étaient ceux qui osaient dire qu'il y avait deux cent mille têtes de trop en France, et qui parvinrent à les faire tomber ? C'était un petit nombre d'énergumènes qui, pendant quelques mois, suppléèrent à tout par l'audace, et fascinèrent en quelque sorte la France entière par la fascination du sang et de la guillotine. Prenons-y bien garde ; le retour de cette phase de délire nous paraît impossible ; il ne l'est pas. Le succès que les républicains ont remporté à quelques banquets a fait naître des espérances coupables. Les chambres et le pays sont donc suffisamment avertis, et s'ils font des concessions au point de vue électoral, ils sauront du moins où ces concessions peuvent les conduire.

Un banquet réformiste, c'est-à-dire radical, a eu lieu à Dijon, dimanche. On sait comment se peuplent ordinairement ces réunions ; pour grossir la foule clairsemée des adhérents et remplacer les hommes sérieux qui s'éloignent, un appel est fait à toutes les curiosités, à toutes les crédulités, à toutes les passions, à toutes les rancunes, et même à toutes les nullités, sans qu'il y ait dans tout ce pêle-mêle aucune conviction politique. C'est ce qui a eu lieu ici.

Vers midi et demi, les convives, qui s'étaient réunis chez M. Hernoux, président du banquet, défilèrent, de la rue Vauban, pour se rendre au lieu du banquet qui était dans le vaste magasin d'un brasseur, hors la porte Saint-Nicolas. A la tête du cortège marchaient M. Hernoux et M. Ledru-Rollin ; on remarquait aussi MM. Louis Blanc, Etienne Arago ; un des rédacteurs de la Réforme, M. Flocon, et puis suivait, sur quatre rangs, la foule composée surtout de jeunes gens, d'élèves de l'école de Droit, de gens de la campagne, etc. Le Courrier de la Côte d'Or brillait par son absence ; il était sans doute occupé, comme il l'a dit quelque part, à piler dans un mortier M. Guizot, pour en tirer quelque atôme de je ne sais quoi.

Le repas se composait, pour chaque table, d'un jambon, deux poulets et un pâté ; voilà pour le menu ; restent les toasts. MM. Ledru-Rollin, Louis Blanc et Arago, l'avocat Marlet, de Semur, ont prononcé chacun de fort longs discours. Si nous en croyons les on-dit, M. Ledru aurait dépassé toutes les bornes, et aurait été rappelé vivement à l'ordre par le président, M. Hernoux ; et M. Marlet aurait tellement ennuyé son auditoire, que celui-ci l'aurait laissé parler seul à lui-même. Du reste, comme la Réforme, journal radical le plus avancé, avait envoyé là, avec son rédacteur, un sténographe, nous espérons pouvoir jouir bientôt, nous profane, de toutes ces belles choses.

Qu'il nous suffise de dire que le banquet de Dijon a été exclusivement radical, que toute la république, non seulement du département, mais encore des départements voisins, y assistait au complet, et qu'il n'y avait pas peut-être 150 dijonnais.

A cinq heures du soir, tout était terminé. L'ordre, du reste, nous avons cette justice à rendre, n'a pas été un moment troublé ; et il n'est aujourd'hui, dans nos murs, pas plus question de banquet et d'agitation réformistes que s'il n'y en avait jamais eu.


Le Journal de la Côte d'Or, 23 novembre 1847