La lettre d'infos


A voir et à lire
sur
19e.org,
et ailleurs.

S'abonner à la lettre d'infos
 

 L'actualité
sur 19e.org

 
 

 A voir sur le Web

     Vous êtes ici :   Accueil   Documents   La vie économique                                                     Contact
                                                                                Les coalitions ouvrières

 

Les coalitions ouvrières :
la grève, avant le droit de grève.




Sous la Seconde République,
lettre du Ministre de l'Intérieur, Léon Faucher,
aux Préfets,
2 février 1849.




par Marc Nadaux







L'avènement de la Seconde République marque un moment de tension dans la société. L'année 1848 avait vu le monde ouvrier parisien en ébullition. Exacerbées par la misère issue de la crise économique, les convictions républicaines du plus grand nombre amènent un mouvement de révolte contre le pouvoir philippard et l'immobilisme du gouvernement Guizot. Confisqué maintenant par le parti de l'Ordre, en attendant qu'un parti de l'Élysée se forme autour de la personne du nouveau Président, le pouvoir politique place cette population sous surveillance, peu après la répression des Journées de juin.

Dans la pratique, les pouvoirs publics n'interviennent dans les moments de tension au sein de l'usine qu'à la demande des entrepreneurs, afin de rétablir l'ordre, ou par mesure préventive, afin d'éviter une aggravation de la situation. L'administration, l'armée et la police se placent ainsi généralement du côté du patronat, d'autant plus que le droit de coalition et de grève n'est reconnu au monde ouvrier qu'à partir de 1864. De plus, le contrôle de l'application des lois sociales à l'intérieur de l'entreprise n'est accepté que tardivement et donc peu pratiqué. Les nombreux problèmes liés aux conditions de travail alimente donc la lutte sociale, l'État ne jouant qu'un rôle mineur d'arbitrage et n'ayant pas les moyens de faire appliquer les lois votées.







Sous la Seconde République,
lettre du Ministre de l'Intérieur, Léon Faucher, aux Préfets,
2 février 1849.



 

2 février 1849,


Monsieur le Préfet,


Depuis quelques mois, et par suite du ralentissement des principales industries, des coalitions d'ouvriers et des grèves se produisent fréquemment ; comme de pareils incidents réagissent d'une manière fâcheuse sur les intérêts privés et sur la tranquillité publique, je crois nécessaire de vous rappeler les principes que l'administration doit prendre pour règle en pareille occurrence.

L'autorité ne doit jamais s'immiscer dans les questions de salaire, alors même que les parties intéressées lui demandent d'intervenir. Le taux des salaires ne peut être déterminé par des règlements administratifs. Le taux de salaire exprime toujours et nécessairement le rapport qui existe entre l'offre et la demande; le prix de la main-d'œuvre hausse dans les temps où l'industrie est active, parce qu'alors il y a une grande demande de bras; il baisse quand l'industrie se ralentit, parce que le travail est plus offert que demandé. Le niveau est donné par les circonstances; le caprice des individus ou l'influence de l'autorité n'y changera rien.

Faites comprendre aux ouvriers ces vérités élémentaires. Il faut leur parler d'abord le langage de la raison et de la sympathie, pour ensuite être plus fort en leur parlant le langage sévère de la loi.

Ce n'est pas que la société, dans la personne de ceux qui la représentent, doive se montrer indifférente à des conflits qui touchent de si près à l'existence des familles, à la prospérité de l'industrie, au maintien de l'ordre; mais n'agissez que par voie de conseil; éclairez les ouvriers et les maîtres sur leurs intérêts et leurs devoirs, et faites connaître à tous que les magistrats sont fermement résolus à protéger les uns et les autres contre la violence et la fraude. Que tous soient bien convaincus de votre profonde sollicitude pour les intérêts en souffrance et de votre détermination constante de maintenir la liberté des transactions et du travail.

Si des désordres éclatent, votre premier devoir sera de les réprimer; pour que le droit réciproque de l'ouvrier et du fabricant soit librement débattu, il faut que nul ne puisse être contraint de fléchir sous la pression de la menace. Vous faire l'homme de l'ouvrier ou celui du maître, ce serait suivre une route pleine de périls et assumer la responsabilité la plus grave. Sachez donc jusqu'au bout vous tenir en garde contre cet écueil d'autant plus à craindre que, sollicitée de toutes parts d'accepter le rôle d'arbitre ou de juge, l'autorité, en paraissant s'abstenir, semble manquer à une partie de sa mission, alors même qu'elle y demeure le plus fidèle.

Je compte sur votre vigilance et sur votre énergie.


Agréez, Monsieur le Préfet, l'assurance de ma considération distinguée. 



Le Ministre de l'Intérieur.

Léon Faucher