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Les
coalitions ouvrières :
la grève, avant le droit de grève.
Circulaire ministérielle adressée aux Préfets,
17 décembre 1831.
par Marc Nadaux
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La
révolution de juillet, qui l'année précédente a placé sur le trône
Louis-Philippe d'Orléans, fils lui-même de Philippe-Egalité, ne change
rien à l'affaire. Cette circulaire ministérielle aux Préfets confirme
les dispositions législatives en place, pour iniques qu'elles soient. Ce
discours froid et administratif contraste ainsi avec les plaidoiries des
avocats militants ou les diatribes des économistes politiques.
Mais force est de constater qu'il y a bien une continuité d'attitude des
autorités en place, malgré les changements de régime, vis à vis de la
classe ouvrière au cours de cette première période d'industrialisation
de l'économie française. En cette année 1831 d'ailleurs, l'insurrection
des canuts lyonnais a vu un Préfet s'immiscer en tant qu'arbitre dans les
affaires privées des patrons et autres ouvriers. Ce rappel à
l'ordre de l'autorité centrale s'impose donc. |
Circulaire ministérielle adressée aux Préfets,
17 décembre 1831.
Paris,
le 17 Décembre 1831
Monsieur le Préfet,
Je suis
informé que, dans un petit nombre de départements, des ouvriers de
manufactures s'adressent à l'autorité pour obtenir des augmentations de
salaires ; qu'à cet effet, ils tiennent des assemblées, qu'ils
s'organisent en corporations et se nomment des chefs ou des délégués.
Ces réunions constituent une infraction à l'ordre public ; elles peuvent
conduire à des délits plus graves encore : un exemple récent en a fourni
la preuve.
Je suis assuré, Monsieur, que, si ces écarts avaient lieu dans votre
département, vous sauriez les réprimer.
Je crois devoir vous rappeler les lois qui régissent la matière ; vous
ne devez pas hésiter à en provoquer l'application, si le cas s'en
présentait.
1° Vous savez qu'aucune loi n'autorise à taxer les salaires des travaux
de l'industrie. (...)
2° Les conseils de prud'hommes n'ont pas plus de juridiction,
à cet égard, que l'autorité administrative. Leurs fonctions légales leur
donnent uniquement le droit de concilier les différends des fabricants
et des ouvriers, et de les juger, si la conciliation ne peut avoir lieu.
C'est un tribunal qui statue sur des contestations particulières, à
mesure qu'elles se présentent. Mais, en aucun cas, ils n'ont le droit
d'arrêter des tarifs et de faire des règlements.
3° S'il est tenu des assemblées de professions ou de
corporations, si ces assemblées se nomment des délégués, si elles
présentent des pétitions collectives, c'est-à-dire des pétitions où de
prétendus présidents, secrétaires ou commissaires réclament au nom de la
profession, vous devez leur rappeler les dispositions de la loi du 17
Juin 1791 qui interdit ces démarches et les déclare illégales. Vous ne
devez ni souffrir ces assemblées, ni reconnaître leurs délégués, ni
admettre leurs pétitions.
Or, il résulte de la législation que, les ouvriers et les fabricants
ne pouvant faire corps, il ne saurait y avoir entre eux de traité qui
soit obligatoire pour la profession entière. Chaque individu est libre
de contracter à son gré, et l'adhésion d'une majorité quelconque ne
saurait faire la loi à la minorité. Cette adhésion ne pourrait avoir
force, soit devant l'administration, soit devant les tribunaux.
4° La loi de 1791 défend spécialement les coalitions pour
faire hausser ou baisser les salaires, et les articles 414, 415, 416 du
Code pénal attachent à ces dispositions une sanction pénale. Ces
articles du Code ont été souvent appliqués, et vous devez soigneusement
avertir ceux qui se réuniraient pour réclamer des changements dans le
prix des main-d'œuvres, qu'ils commettent un délit condamné par la loi,
et qu'ils s'exposent à être déférés devant les tribunaux.
Non seulement, Monsieur le Préfet, vous avez à tenir la main à
l'exécution de ces lois protectrices de l'ordre, mais vous devez faire
comprendre à ceux qui seraient tentés de les méconnaître qu'elles sont
nécessaires et conformes à l'intérêt des ouvriers autant qu'à la justice
;car si la diminution de la consommation qui suit toujours les désordres
commis par les ouvriers, si toute autre cause amène une réduction dans
les prix de vente, et par conséquent dans le salaire attribué à la
production, il devient évident que le manufacturier ne peut travailler
qu'à perte, ou que, s'il essayait de le faire, ses capitaux se
trouveraient bientôt épuisés : d'où il suit qu'il est impossible de
maintenir en faveur de l'ouvrier un salaire élevé, quand le prix du
produit manufacturé subit une baisse.
Alors il y a donc nécessité de choisir entre la main-d’œuvre à prix
réduit ou le défaut absolu d'ouvrage. Dans une pareille situation,
vouloir faire hausser le prix du travail, c'est empêcher le travail
même.
Sans doute le fabricant doit avoir égard aux circonstances : les
convenances l'invitent, dans des moments difficiles, à réduire ses
bénéfices au strict nécessaire. Mais son propre intérêt le porte à agir
ainsi, tant qu'il n'est pas positivement en perte ; car le plus grand
intérêt du fabricant est que son travail ne demeure pas interrompu ; que
son usine, ou sa manufacture, ne soit pas arrêtée, et qu'il ne perde pas
ses débouchés et ses correspondants.
La force des choses et les intérêts communs des fabricants et des
ouvriers les portent donc à se rapprocher et à s'entendre. Mais la
concurrence seule et le libre débat entre le manufacturier et l'ouvrier
qu'il emploie doivent amener entre eux cet accord sur le prix de la
main-d'œuvre. L'administration n'a ni le droit ni le moyen d'intervenir
dans ces fixations, et encore moins de les déterminer par des tarifs.
Telles sont les règles, Monsieur le Préfet, dont je vous rappelle
l'observation, et au maintien desquelles vous devez veiller avec une
extrême vigilance....
Le Pair
de France, Ministre du Commerce et des Travaux publics,
Comte d'Argout
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