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                                                                                Victor Hugo et la peine de mort

 

Victor Hugo et la peine de mort.


La Seconde République abolit la peine de mort en matière politique.
Discours à l'Assemblée constituante,
15 septembre 1848.



par Marc Nadaux


 





Alors que les Journées de Février viennent de mettre à bas la Monarchie de Juillet, la jeune Seconde République, deux jours après sa naissance, décide de l'abolition de la peine de mort en matière politique. C'est que le grand homme du moment, Alphonse de Lamartine, devenu président du Gouvernement  provisoire, est un fervent abolitionniste. Et le décret du 26 février 1848 arrive de manière opportune pour rassurer l'opinion qui se souvient des folies meurtrières de la Ière République.

Quelques mois plus tard, le 4 novembre, ce décret est incorporé au texte constitutionnel et en devient l'article 5. Lors des débats qui ont précédé son adoption, s'est posée la question de l'abolition pure et simple de la peine de mort en France. Un amendement déposé en ce sens par les représentants Coquerel, Koenig et Buvignier, défendu à la tribune par Victor Hugo, est cependant repoussé, le 18 septembre, par 498 voix contre 216.

Dans les faits à présent, reste à définir la portée exacte de l'article 5. Quelques temps plus tard, la Cour de Cassation s'en charge qui affirme que dans des circonstances particulièrement odieuses un crime politique peut se transformer en crime de droit commun et donc se voir appliquer la peine capitale. Celle-ci est bientôt remplacée en matière politique  par la déportation avant que ne soit également applicable la détention dans une enceinte fortifiée avec la loi du 8 juin 1850.








Je regrette que cette question, la première de toutes peut-être, arrive au milieu de vos délibérations presque à l'improviste, et surprenne les orateurs non préparés. Quant à moi, je dirai peu de mots, mais ils partiront du sentiment d'une conviction profonde et ancienne.

Vous venez de consacrer l'inviolabilité du domicile; nous vous demandons de consacrer une inviolabilité plus haute et plus sainte encore: l'inviolabilité de la vie humaine.

Messieurs, une constitution, et surtout une constitution faite par la France et pour la France, est nécessairement un pas dans la civilisation. Si elle n'est point un pas dans la civilisation, elle n'est rien.

(Très bien ! très bien !)

Eh bien! songer-v, qu'est-ce que la peine de mort ? La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie.

(Mouvement.)

Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne.

(Sensation.)

Ce sont là des faits incontestables. L’adoucissement de la pénalité est un grand et sérieux progrès. Le XVIIIème siècle, c'est là une partie de sa gloire, a aboli la torture; le XIXème siècle abolira certainement la peine de mort.

(Vive adhésion. Oui ! oui !)

Fous ne l'abolirez pas peut-être aujourd'hui, mais, n'en doutez pas, demain vous l'abolirez, ou vos successeurs l'aboliront.

(Nous l’abolirons ! - Agitation.)

Vous écrivez en tête du préambule de votre constitution : " En présence de Dieu", et vous commenceriez par lui dérober, à ce Dieu, ce droit qui n'appartient qu'à lui, le droit de vie et de mort !

(Très bien ! très bien !)

Messieurs, il y a trois choses qui sont à Dieu et qui n'appartiennent pas à l'homme : l'irrévocable, l'irréparable, l’indissoluble. Malheur à l'homme s'il les introduit dans ses lois !

(Mouvement.)

Tôt ou tard elles font plier la société sous leur poids, elles dérangent l'équilibre nécessaire des lois et des mœurs, elles ôtent à la justice humaine ses propositions; et alors il arrive ceci, réfléchissez v, messieurs, que la loi épouvante la conscience.

(Sensation.)

Je suis monté à cette tribune pour vous dire un seul mot, un mot décisif, selon moi; ce mot, le voici.

(Écoutez ! écoutez !)

Après Février, le peuple eut une grande pensée : le lendemain du jour où il avait brûlé le trône, il voulut brûler l'échafaud.

(Très bien ! – D’autres voix : très mal !)

Ceux qui agissaient sur son esprit alors ne furent pas, je le regrette profondément, à la hauteur de son grand cœur.

(A gauche : très bien !)

On l'empêcha d'exécuter cette idée sublime.

Eh bien ! Dans le premier article de la constitution que vous votez, vous venez de consacrer la première pensée du peuple: vous avez renversé le trône. Maintenant consacrez l'autre: renverser l'échafaud !

(Applaudissements à gauche. Protestations à droite.)

Je vote l'abolition pure, simple et définitive de la peine de mort.