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Victor Hugo et la peine de
mort.
Le Dernier Jour d'un
condamné,
Préface, 15 mars 1832.
par Marc Nadaux
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C'est en 1829,
le 3 février, chez Gosselin et Bossange, que parait la première œuvre
du " grand abolitionniste " concernant la peine de mort.
Habilement, Victor Hugo escamote l'aspect juridique de la question. Le
crime, le procès et la condamnation sont laissés de côté par l'auteur
qui volontairement ne retient dans son œuvre que le sort du condamné et
son exécution, le " dernier jour ". Et le lecteur est alors
pris de sympathie pour cet homme, héros romantique soumis à la vindicte populaire.
Car grâce au talent de l'écrivain, chacun peut s'imaginer vivre les
émotions du condamné à la peine capitale.
Aussi Le Dernier Jour d'un
condamné
trouble les
consciences et connaît un grand retentissement, appréciable par ses
multiples rééditions ; l'une d'entre-elles donne lieu à cette préface,
rédigée le 15 mars 1832. C'est qu'en ces premières années de la
Monarchie de Juillet, le débat sur la peine de mort est devenu public. Au
mois de décembre 1830, Lamartine a rédigé une ode Contre la peine de
mort et quelques temps plus tard, au mois de juin 1831, c'est à son tour
Lamennais qui s'érige contre le châtiment suprême dans un article de
son journal L'Avenir.
Le nouveau souverain, formé aux idéaux des Lumières, agit dans le sens
des polémistes. La loi du 28 avril 1832 qui reforme la justice confère
au jury la possibilité d'accorder les " circonstances atténuantes
". Cette loi a des effets immédiats et le nombre des exécutions
diminue. D'autant plus qu'à l'initiative de Louis-Philippe d'Orléans, la
peine de mort est supprimée dans neuf cas, parmi lesquels le vol
qualifié et le faux-monnayage. Ce dernier use également de manière
fréquente de son droit de grâce. |
Il n'y avait en
tête des premières éditions de cet ouvrage, publié d'abord sans nom
d'auteur, que les quelques lignes qu'on va lire :
" Il y a deux manières de se rendre compte de l'existence de ce
livre. Ou il y a eu, en effet, une liasse de papiers jaunes et inégaux
sur lesquels on a trouvé, enregistrées une à une, les dernières
pensées d'un misérable; ou il s'est rencontré un homme, un rêveur
occupé à observer la nature au profit de l'art, un philosophe, un
poète, que sais-je ? dont cette idée a été la fantaisie, qui l'a prise
ou plutôt s'est laissé prendre par elle, et n'a pu s'en débarrasser
qu'en la jetant dans un livre.
De ces deux explications, le lecteur choisira celle qu'il
voudra. "
Comme on le voit, à l'époque où ce livre fut publié, l'auteur ne jugea
pas à propos de dire dès lors toute sa pensée. Il aima mieux attendre
qu'elle fût comprise et voir si elle le serait. Elle l'a été. L'auteur
aujourd'hui peut démasquer l'idée politique, l'idée sociale, qu'il
avait voulu populariser sous cette innocente et candide forme littéraire.
Il déclare donc, ou plutôt il avoue hautement que Le Dernier Jour
d'un condamné n'est autre chose qu'un plaidoyer, direct ou indirect,
comme on voudra, pour l'abolition de la peine de mort. Ce qu'il a eu
dessein de faire, ce qu'il voudrait que la postérité vît dans son
œuvre, si jamais elle s'occupe de si peu, ce n'est pas la défense
spéciale, et toujours facile, et toujours transitoire, de tel ou tel
criminel choisi, de tel ou tel accusé d'élection ; c'est la plaidoirie
générale et permanente pour tous les accusés présents et à venir;
c'est le grand point de droit de l'humanité allégué et plaidé à toute
voix devant la société, qui est la grande cour de cassation ; c'est
cette suprême fin de non-recevoir, abhorrescere a sanguine,
construite à tout jamais en avant de tous les procès criminels; c'est la
sombre et fatale question qui palpite obscurément au fond de toutes les
causes capitales sous les triples épaisseurs de pathos dont l'enveloppe
la rhétorique sanglante des gens du roi ; c'est la question de vie et de
mort, dis-je, déshabillée, dénudée, dépouillée des entortillages
sonores du parquet, brutalement mise au jour, et posée où il faut qu'on
la voie, où il faut qu'elle soit, où elle est réellement, dans son vrai
milieu, dans son milieu horrible, non au tribunal, mais à l'échafaud,
non chez le juge, mais chez le bourreau.
Voilà ce qu'il a voulu faire. Si l'avenir lui décernait un jour la
gloire de l'avoir fait, ce qu'il n'ose espérer, il ne voudrait pas
d'autre couronne.
Il le déclare donc, et il le répète, il occupe, au nom de tous les
accusés possibles, innocents ou coupables, devant toutes les cours, tous
les prétoires, tous les jurys, toutes les justices. Ce livre est adressé
à quiconque juge. Et pour que le plaidoyer soit aussi vaste que la cause,
il a dû, et c'est pour cela que Le Dernier Jour d'un condamné est ainsi
fait, élaguer de toutes parts dans son sujet le contingent, l'accident,
le particulier, le spécial, le relatif, le modifiable, l'épisode,
l'anecdote, l'événement, le nom propre, et se borner (si c'est là se
borner) à plaider la cause d'un condamné quelconque, exécuté un jour
quelconque, pour un crime quelconque. Heureux si, sans autre outil que sa
pensée, il a fouillé assez avant pour faire saigner un cœur sous l'oes
triprex du magistrat! heureux s'il a rendu pitoyables ceux qui se croient
justes! heureux si, à force de creuser dans le juge, il a réussi
quelquefois à y retrouver un homme !
II y a trois ans, quand ce livre parut, quelques personnes imaginèrent
que cela valait la peine d'en contester l'idée à l'auteur. Les uns
supposèrent un livre anglais, les autres un livre américaine.
Singulière manie de chercher à mille lieues les origines des choses, et
de faire couler des sources du Nil le ruisseau qui lave votre rue! Hélas!
il n'y a en ceci ni livre anglais, ni livre américain, ni livre chinois.
L'auteur a pris l'idée du Dernier Jour d'un condamné, non dans un
livre, il n'a pas l'habitude d'aller chercher ses idées si loin mais là
où vous pouviez tous la prendre, où vous l'avez prise peut-être (car
qui n'a fait ou rêvé dans son esprit Le Dernier Jour d'un condamné
?), tout bonnement sur la place publique, sur la place de Grève. C'est
là qu'un jour en passant il a ramassé cette idée fatale, gisante dans
une mare de sang sous les rouges moignons de la guillotine.
Depuis, chaque fois qu'au gré des funèbres jeudis de la cour de
cassation, il arrivait un de ces jours où le cri d'un arrêt de mort se
fait dans Paris, chaque fois que l'auteur entendait passer sous ses
fenêtres ces hurlements enroués qui ameutent des spectateurs pour la
Grève, chaque fois, la douloureuse idée lui revenait, s'emparait de lui,
lui emplissait la tête de gendarmes, de bourreaux et de foule, il lui
expliquait heure par heure les dernières souffrances du misérable
agonisant, - en ce moment on le confesse, en ce moment on lui coupe les
cheveux, en ce moment on lui lie les mains, - le sommait, lui pauvre
poète, de dire tout cela à la société, qui fait ses affaires pendant
que cette chose monstrueuse s'accomplit, le pressait, le poussait, le
secouait, lui arrachait ses vers de l'esprit, s'il était en train d'en
faire, et les tuait à peine ébauchés, barrait tous ses travaux, se
mettait en travers de tout, l'investissait, l'obsédait, l'assiégeait.
C'était un supplice, un supplice qui commençait avec le jour, et qui
durait, comme celui du misérable qu'on torturait au même moment,
jusqu'à quatre heures.
Alors seulement, une fois le ponens caput expiravit crié par la
voix sinistre de l'horloge, l'auteur respirait et retrouvait quelque
liberté d'esprit. Un jour enfin, c'était, à ce qu'il croit, le
lendemain de l'exécution d'Ulbach, il se mit à écrire ce livre. Depuis
lors il a été soulagé. Quand un de ces crimes publics, qu'on nomme
exécutions judiciaires, a été commis, sa conscience lui a dit qu'il
n'en était plus solidaire; et il n'a plus senti à son front cette goutte
de sang qui rejaillit de la Grève sur la tête de tous les membres de la
communauté sociale.
Toutefois, cela ne suffit pas. Se laver les mains est bien, empêcher le
sang de couler serait mieux.
Aussi ne connaîtrait-il pas de but plus élevé, plus saint, plus auguste
que celui-là: concourir à l'abolition de la peine de mort. Aussi est-ce
du fond du cœur qu'il adhère aux vœux et aux efforts des hommes généreux
de toutes les nations qui travaillent depuis plusieurs années à jeter
bas l'arbre patibulaire, le seul arbre que les révolutions ne déracinent
pas. C'est avec joie qu'il vient à son tour, lui chétif, donner son coup
de cognée, et élargir de son mieux l'entaille que Beccaria a faite, il y
a soixante-six ans, au vieux gibet dressé depuis tant de siècles sur la
chrétienté.
Nous venons de dire que l'échafaud est le seul édifice que les
révolutions ne démolissent pas. Il est rare, en effet, que les
révolutions soient sobres de sang humain, et, venues qu'elles sont pour
émonder, pour ébrancher, pour étêter la société, la peine de mort
est une des serpes dont elles se dessaisissent le plus malaisément.
Nous l'avouerons cependant, si jamais révolution nous parut digne et
capable d'abolir la peine de mort, c'est la révolution de juillet. Il
semble, en effet, qu'il appartenait au mouvement populaire le plus
clément des temps modernes de raturer la pénalité barbare de Louis XI,
de Richelieu et de Robespierre, et d'inscrire au front de la loi
l'inviolabilité de la vie humaine. 1830 méritait de briser le couperet
de 93.
Nous l'avons espéré un moment. En août 1830, il y avait tant de
générosité et de pitié dans l'air, un tel esprit de douceur et de
civilisation flottait dans les masses, on se sentait le cœur si bien
épanoui par l'approche d'un bel avenir, qu'il nous sembla que la peine de
mort était abolie de droit, d'emblée, d'un consentement tacite et
unanime, comme le reste des choses mauvaises qui nous .avaient gênés. Le
peuple venait de faire un feu de joie des guenilles de l'ancien régime.
Celle-là était la guenille sanglante. Nous la crûmes dans le tas. Nous
la crûmes brûlée comme les autres. Et pendant quelques semaines,
confiant et crédule, nous eûmes foi pour l'avenir à l'inviolabilité de
la vie comme à l'inviolabilité de la liberté.
Et en effet deux mois s'étaient à peine écoulés qu'une tentative fut
faite pour résoudre en réalité légale l'utopie sublime de César
Bonesana.
Malheureusement, cette tentative fut gauche, maladroite, presque
hypocrite, et faite dans un autre intérêt que l'intérêt général.
Au mois d'octobre 1830, on se le rappelle, quelques jours après avoir
écarté par l'ordre du jour la proposition d'ensevelir Napoléon sous la
colonne, la Chambre tout entière se mit à pleurer et à bramer. La
question de la peine de mort fut mise sur le tapis, nous allons dire
quelques lignes plus bas à quelle occasion ; et alors il sembla que
toutes ces entrailles de législateurs étaient prises d'une subite et
merveilleuse miséricorde. Ce fut à qui parlerait, à qui gémirait, à
qui lèverait les mains au ciel. La peine de mort, grand Dieu! quelle
horreur! Tel vieux procureur général, blanchi dans la robe rouge, qui
avait mangé toute sa vie le pain trempé de sang des réquisitoires, se
composa tout à coup un air piteux et attesta les dieux qu'il était
indigné de la guillotine. Pendant deux jours la tribune ne désemplit pas
de harangueurs en pleureuses. Ce fut une lamentation, une myriologie, un
concert de psaumes lugubres, un Super flumina Babylonis, un
Stabat mater dolorosa, une grande symphonie en ut, avec chœurs, exécutée
par tout cet orchestre d'orateurs qui garnit les premiers bancs de la
Chambre, et rend de si beaux sons dans les grands jours. Tel vint avec sa
basse, tel avec son fausset. Rien n'y manqua. La chose fut on ne peut plus
pathétique et pitoyable. La séance de nuit surtout fut tendre, paterne
et déchirante comme un cinquième acte de Lachaussée. Le bon public, qui
n'y comprenait rien, avait les larmes aux yeux.
De quoi s'agissait-il donc ? d'abolir la peine de mort ?
Oui et non.
Voici le fait
Quatre hommes du monde, quatre hommes comme il faut, de ces hommes qu'on a
pu rencontrer dans un salon, et avec qui peut-être on a échangé
quelques paroles polies; quatre de ces hommes, dis je, avaient tenté,
dans les hautes régions politiques, un de ces coups hardis que Bacon
appelle crimes, et que Machiavel appelle entreprises. Or, crime ou
entreprise, la loi, brutale pour tous, punit cela de mort. Et les quatre
malheureux étaient là, prisonniers, captifs de la loi, gardés par trois
cents cocardes tricolores sous les belles ogives de Vincennes. Que faire
et comment faire ? Vous comprenez qu'il est impossible d'envoyer à la
Grève, dans une charrette, ignoblement liés avec de grosses cordes, dos
à dos avec ce fonctionnaire qu'il ne faut pas seulement nommer, quatre
hommes comme vous et moi, quatre hommes du monde ? Encore s'il y avait une
guillotine en acajou !
Hé! il n'y a qu'à abolir la peine de mort !
Et là-dessus, la Chambre se met en besogne.
Remarquez, messieurs, qu'hier encore vous traitiez cette abolition
d'utopie, de théorie, de rêve; de folie, de poésie. Remarquez que ce
n'est pas la première fois qu'on cherche à appeler votre attention sur
la charrette, sur les grosses cordes et sur l'horrible machine écarlate,
et qu'il est étrange que ce hideux attirail vous saute ainsi aux yeux
tout à coup.
Bah ! c'est bien de cela qu'il s'agit! Ce n'est pas à cause de vous,
peuple, que nous abolissons la peine de mort, mais à cause de nous,
députés qui pouvons être ministres. Nous ne voulons pas que la
mécanique de Guillotin morde les hautes classes. Nous la brisons. Tant
mieux si cela arrange tout le monde, mais nous n'avons songé qu'à nous.
Ucalégon brûle. Éteignons le feu. Vite, supprimons le bourreau, biffons
le code.
Et c'est ainsi qu'un alliage d'égoïsme altère et dénature les plus
belles combinaisons sociales. C'est la veine noire dans le marbre blanc ;
elle circule partout, et apparaît à tout moment à l'improviste sous le
ciseau. Votre statue est à refaire.
Certes, il n'est pas besoin que nous le déclarions ici, nous ne sommes
pas de ceux qui réclamaient les têtes des quatre ministres. Une fois ces
infortunés arrêtés, la colère indignée que nous avait inspirée leur
attentat s'est changée, chez nous comme chez tout le monde, en une
profonde pitié. Nous avons songé aux préjugés d'éducation de
quelques-uns d'entre eux, au cerveau peu développé de leur chef, relaps
fanatique et obstiné des conspirations de 1804, blanchi avant l'âge sous
l'ombre humide des prisons d'état, aux nécessités fatales de leur
position commune, à l'impossibilité d'enrayer sur cette pente rapide où
la monarchie s'était lancée elle-même à toute bride le 8 août 1829,
à l'influence trop peu calculée par nous jusqu'alors de la personne
royale, surtout à la dignité que l'un d'entre eux répandait comme un
manteau de pourpre sur i, leur malheur. Nous sommes de ceux qui leur
souhaitaient bien sincèrement la vie sauve, et qui I étaient prêts à
se dévouer pour cela. Si jamais, par impossible, leur échafaud eût
été dressé un jour en Grève, nous ne doutons pas, et si c'est une
illusion nous voulons la conserver, nous ne doutons pas qu'il n'y eût eu
une émeute pour le renverser, et celui qui écrit ces lignes eût été
de cette sainte émeute. Car, il faut bien le dire aussi, dans les crises
sociales, de tous les échafauds, l'échafaud politique est le plus
abominable, le plus funeste, le plus vénéneux, le plus nécessaire à
extirper. Cette espèce de guillotine-là prend racine dans le pavé, et
en peu de temps repousse de bouture sur tous les points du sol.
En temps de révolution, prenez garde à la première tête qui tombe.
Elle met le peuple en appétit.
Nous étions donc personnellement d'accord avec ceux qui voulaient
épargner les quatre ministres, et d'accord de toutes manières, par les
raisons sentimentales comme par les raisons politiques. Seulement, nous
eussions mieux aimé que la Chambre choisît une autre occasion pour
proposer l'abolition de la peine de mort.
Si on l'avait proposée, cette souhaitable abolition, non à propos de
quatre ministres tombés des Tuileries à Vincennes, mais à propos du
premier voleur de grands chemins venu, à propos d'un de ces misérables
que vous regardez à peine quand ils passent près de vous dans la rue,
auxquels vous ne parlez pas, dont vous évitez instinctivement le
coudoiement poudreux; malheureux dont l'enfance déguenillée a couru
pieds nus dans la boue des carrefours, grelottant l'hiver au rebord des
quais, se chauffant au soupirail des cuisines de M. Véfour chez qui vous
dînez, déterrant çà et là une croûte de pain dans un tas d'ordures
et l'essuyant avant de la manger, grattant tout le jour le ruisseau avec
un clou pour y trouver un liard, n'ayant d'autre amusement que le
spectacle gratis de la fête du roi et les exécutions en Grève, cet
autre spectacle gratis; pauvres diables, que la faim pousse au vol, et le
vol au reste; enfants déshérités d'une société marâtre, que la
maison de force prend à douze ans, le bagne à dix-huit, l'échafaud à
quarante; infortunés qu'avec une école et un atelier vous auriez pu
rendre bons, moraux, utiles, et dont vous ne savez que faire, les versant,
comme un fardeau inutile, tantôt dans la rouge fourmilière de Toulon,
tantôt dans le muet enclos de Clamart, leur retranchant la vie après
leur avoir volé la liberté; si c'eût été à propos d'un de ces hommes
que vous eussiez proposé d'abolir la peine de mort, oh! alors, votre
séance eût été vraiment digne, grande, sainte, majestueuse,
vénérable. Depuis les augustes pères de Trente, invitant les
hérétiques au concile au nom des entrailles de Dieu, per viscera Dei,
parce qu'on espère leur conversion, quoniam sancta synodus sperat
hcereticorum conversionem, jamais assemblée d'hommes n'aurait
présenté au monde spectacle plus sublime, plus illustre et plus
miséricordieux. Il a toujours appartenu à ceux qui sont vraiment forts
et vraiment grands d'avoir souci du faible et du petit. Un conseil de
brahmines serait beau prenant en main la cause du paria. Et ici, la cause
du paria, c'était la cause du peuple. En abolissant la peine de mort, à
cause de lui et sans attendre que vous fussiez intéressés dans la
question, vous faisiez plus qu'une œuvre politique, vous faisiez une
œuvre sociale.
Tandis que vous n'avez pas même fait une œuvre politique en essayant de
l'abolir, non pour l'abolir, mais pour sauver quatre malheureux ministres
pris la main dans le sac des coups d'état !
Qu'est-il arrivé ? c'est que, comme vous n'étiez pas sincères, on a
été défiant. Quand le peuple a vu qu'on voulait lui donner le change,
il s'est fâché contre toute la question en masse, et, chose remarquable!
il a pris fait et cause pour cette peine de mort dont il supporte pourtant
tout le poids. C'est votre maladresse qui l'a amené là. En abordant la
question de biais et sans franchise, vous l'avez compromise pour
longtemps. Vous jouiez une comédie. On l'a sifflée.
Cette farce pourtant, quelques esprits avaient eu la bonté de la prendre
au sérieux. Immédiatement après la fameuse séance, ordre avait été
donné aux procureurs généraux, par un garde des sceaux honnête homme,
de suspendre indéfiniment toutes exécutions capitales. C'était en
apparence un grand pas. Les adversaires de la peine de mort respirèrent.
Mais leur illusion fut de courte durée.
Le procès des ministres fut mené à fin. Je ne sais quel arrêt fut
rendu. Les quatre vies furent épargnées. Ham fut choisi comme juste
milieu entre la mort et la liberté. Ces divers arrangements une fois
faits, toute peur s'évanouit dans l'esprit des hommes d'état dirigeants,
et, avec la peur, l'humanité s'en alla. Il ne fut plus question d'abolir
le supplice capital; et une fois qu'on n'eut plus besoin d'elle, l'utopie
redevint utopie, la théorie, théorie, la poésie, poésie.
Il y avait pourtant toujours dans les prisons quelques malheureux
condamnés vulgaires qui se promenaient dans les préaux depuis cinq ou
six mois, respirant l'air, tranquilles désormais, sûrs de vivre, prenant
leur sursis pour leur grâce. Mais attendez.
Le bourreau, à vrai dire, avait eu grand peur. Le jour où il avait
entendu les faiseurs de lois parler humanité, philanthropie, progrès, il
s'était cru perdu. Il s'était caché, le misérable, il s'était blotti
sous sa guillotine, mal à l'aise au soleil de juillet comme un oiseaux de
nuit en plein jour, tâchant de se faire oublier, se bouchant les oreilles
et n'osant souffler. On ne le voyait plus depuis six mois. Il ne donnait
plus signe de vie. Peu à peu cependant il s'était rassuré dans ses
ténèbres. Il avait écouté du côté des Chambres et n'avait plus
entendu prononcer son nom. Plus de ces grands mots sonores dont il avait
eu si grande frayeur. Plus de commentaires déclamatoires du Traité
des délits et des peines. On s'occupait de toute autre chose, de
quelque grave intérêt social, d'un chemin vicinal, d'une subvention pour
l'Opéra-Comique, ou d'une saignée de cent mille francs sur un budget
apoplectique de quinze cents millions. Personne ne songeait plus à lui,
coupe-tête. Ce que voyant, l'homme se tranquillise, il met sa tête hors
de son trou, et regarde de tous côtés; il fait un pas, puis deux, comme
je ne sais plus quelle souris de La Fontaine', puis il se hasarde à
sortir tout à fait de dessous son échafaudage, puis il saute dessus, le
raccommode, le restaure, le fourbit, le caresse, le fait jouer, le fait
reluire, se remet à suifer la vieille mécanique rouillée que
l'oisiveté détraquait; tout à coup il se retourne, saisit au hasard par
les cheveux dans la première prison venue un de ces infortunés qui
comptaient sur la vie, le tire à lui, le dépouille, l'attache, le
boucle, et voilà les exécutions qui recommencent.
Tout cela est affreux, mais c'est de l'histoire.
Oui, il y a eu un sursis de six mois accordé à de malheureux captifs,
dont on a gratuitement aggravé la peine de cette façon en les faisant
reprendre à la vie; puis, sans raison, sans nécessité, sans trop savoir
pourquoi, pour le plaisir, on a un beau matin révoqué le sursis, et l'on
a remis froidement toutes ces créatures humaines en coupe réglée. Eh!
mon Dieu ! je vous le demande, qu'est-ce que cela nous faisait à tous que
ces hommes vécussent ? Est-ce qu'il n'y a pas en France assez d'air à
respirer pour tout le monde ?
Pour qu'un jour un misérable commis de la chancellerie, à qui cela
était égal, se soit levé de sa chaise en disant: - Allons ! personne ne
songe plus à l'abolition de la peine de mort. Il est temps de se remettre
à guillotiner ! - il faut qu'il se soit passé dans le cœur de cet
homme-là quelque chose de bien monstrueux.
Du reste, disons-le, jamais les exécutions n'ont été accompagnées de
circonstances plus atroces que depuis cette révocation du sursis de
juillet, jamais l'anecdote de la Grève n'a été plus révoltante et n'a
mieux prouvé l'exécration de la peine de mort. Ce redoublement d'horreur
est le juste châtiment des hommes qui ont remis le code du sang en
vigueur. Qu'ils soient punis par leur couvre. C'est bien fait.
Il faut citer ici deux ou trois exemples de ce que certaines exécutions
ont eu d'épouvantable et d'impie. Il faut donner mal aux nerfs aux femmes
des procureurs du roi. Une femme, c'est quelquefois une conscience.
Dans le midi, vers la fin du mois de septembre dernier, nous n'avons pas
bien présents à l'esprit le lieu, le jour, ni le nom du condamné, mais
nous les retrouverons si l'on conteste le fait, et nous croyons que c'est
à Pamiers ; vers la fin de septembre donc, on vient trouver un homme dans
sa prison, où il jouait tranquillement aux cartes; on lui signifie qu'il
faut mourir dans deux heures, ce qui le fait trembler de tous ses membres,
car, depuis six mois qu'on l'oubliait, il ne comptait plus sur la mort; on
le rase, on le tond, on le garrotte, on le confesse; puis on le brouette
entre quatre gendarmes, et à travers la foule, au lieu de l'exécution.
Jusqu'ici rien que de simple. C'est comme cela que cela se fait. Arrivé
à l'échafaud, le bourreau le prend au passé dans le cœur de cet
homme-là quelque chose de bien monstrueux.
Du reste, disons-le, jamais les exécutions n'ont été accompagnées de
circonstances plus atroces que depuis cette révocation du sursis de
juillet, jamais l'anecdote de la Grève n'a été plus révoltante et n'a
mieux prouvé l'exécration de la peine de mort. Ce redoublement d'horreur
est le juste châtiment des hommes qui ont remis le code du sang en
vigueur. Qu'ils soient punis par leur couvre. C'est bien fait.
Il faut citer ici deux ou trois exemples de ce que certaines exécutions
ont eu d'épouvantable et d'impie. Il faut donner mal aux nerfs aux femmes
des procureurs du roi. Une femme, c'est quelquefois une conscience.
Dans le midi, vers la fin du mois de septembre dernier, nous n'avons pas
bien présents à l'esprit le lieu, le jour, ni le nom du condamné, mais
nous les retrouverons si l'on conteste le fait, et nous croyons que c'est
à Pamiers ; vers la fin de septembre donc, on vient trouver un homme dans
sa prison, où il jouait tranquillement aux cartes; on lui signifie qu'il
faut mourir dans deux heures, ce qui le fait trembler de tous ses membres,
car, depuis six mois qu'on l'oubliait, il ne comptait plus sur la mort; on
le rase, on le tond, on le garrotte, on le confesse; puis on le brouette
entre quatre gendarmes, et à travers la foule, au lieu de l'exécution.
Jusqu'ici rien que de simple. C'est comme cela que cela se fait. Arrivé
à l'échafaud, le bourreau le prend au prêtre, l'emporte, le ficelle sur
la bascule, l'enfourne, je me sers ici du mot d'argot, puis il lâche le
couperet. Le lourd triangle de fer se détache avec peine, tombe en
cahotant dans ses rainures, et, voici l'horrible qui commence, entaille
l'homme sans le tuer. L'homme pousse un cri affreux. Le bourreau,
déconcerté, relève le couperet et le laisse retomber. Le couperet mord
le cou du patient une seconde fois, mais ne le tranche pas. Le patient
hurle, la foule aussi. Le bourreau rehisse encore le couperet, espérant
mieux du troisième coup. Point. Le troisième coup fait jaillir un
troisième ruisseau de sang de la nuque du condamné, mais ne fait pas
tomber la tête. Abrégeons. Le couteau remonta et retomba cinq fois, cinq
fois il entama le condamné, cinq fois le condamné hurla sous le coup et
secoua sa tête vivante en criant grâce! Le peuple indigné prit des
pierres et se mit dans sa justice à lapider le misérable bourreau. Le
bourreau s'enfuit sous la guillotine et s'y tapit derrière les chevaux
des gendarmes. Mais vous n'êtes pas au bout. Le supplicié, se voyant
seul sur l'échafaud, s'était redressé sur la planche, et là, debout,
effroyable, ruisselant de sang, soutenant sa tête à demi coupée qui
pendait sur son épaule, il demandait avec de faibles cris qu'on vînt le
détacher. La foule, pleine de pitié, était sur le point de forcer les
gendarmes et de venir à l'aide du malheureux qui avait subi cinq fois son
arrêt de mort. C'est en ce moment-là qu'un valet du bourreau, jeune
homme de vingt ans, monte sur l'échafaud, dit au patient de se tourner
pour qu'il le délie, et, profitant de la posture du mourant qui se
livrait à lui sans défiance, saute sur son dos et se met à lui couper
péniblement ce qui lui restait de cou avec je ne sais quel couteau de
boucher. Cela s'est fait. Cela s'est vu. Oui.
Aux termes de la loi, un juge a dû assister à cette exécution. D'un
signe il pouvait tout arrêter. Que faisait-il donc au fond de sa voiture,
cet homme, pendant qu'on massacrait un homme ? Que faisait ce punisseur
d'assassins, pendant qu'on assassinait en plein jour, sous ses yeux, sous
le souffle de ses chevaux, sous la vitre de sa portière ?
Et le juge n'a pas été mis en jugement! et le bourreau n'a pas été mis
en jugement! Et aucun tribunal ne s'est enquis de cette monstrueuse
extermination de toutes les lois sur la personne sacrée d'une créature
de Dieu !
Au dix-septième siècle, à l'époque de barbarie du code criminel, sous
Richelieu, sous Christophe Fouquet, quand M. de Chalais fut mis à mort
devant le Bouffay de Nantes par un soldat maladroit qui, au lieu d'un coup
d'épée, lui donna trente-quatre coups d'une doloire de tonnelier', du
moins cela parut-il irrégulier au parlement de Paris; il y eut enquête
et procès, et si Richelieu ne fut pas puni, si Christophe Fouquet ne fut
pas puni, le soldat le fut. Injustice sans doute, mais au fond de laquelle
il y avait de la justice.
Ici, rien. La chose a eu lieu après juillet, dans un temps de douces mœurs
et de progrès, un an après la célèbre lamentation de la Chambre sur la
peine de mort. Eh bien! le fait a passé absolument inaperçu. Les
journaux de Paris l'ont publié comme une anecdote. Personne n'a été
inquiété. On a su seulement que la guillotine avait été disloquée
exprès par quelqu'un gui voulait nuire à l'exécuteur des hautes oeuvres.
C'était un valet du bourreau, chassé par son maître, qui, pour se
venger, lui avait fait cette malice.
Ce n'était qu'une espièglerie. Continuons.
A Dijon, il y a
trois mois, on a mené au supplice une femme. (Une femme!) Cette fois
encore, le couteau du docteur Guillotin a mal fait son service. La tête
n'a pas été tout à fait coupée. Alors les valets de l'exécuteur se
sont attelés aux pieds de la femme, et à travers les hurlements de la
malheureuse, et à force de tiraillements et de soubresauts, ils lui ont
séparé la tête du corps par arrachement.
A Paris, nous revenons au temps des exécutions secrètes. Comme on n'ose
plus décapiter en Grève depuis juillet, comme on a peur, comme on est
lâche, voici ce qu'on fait. On a pris dernièrement à Bicêtre un homme,
un condamné à mort, un nommé Désandrieux, je crois; on l'a mis dans
une espèce de panier traîné sur deux roues, clos de toutes parts,
cadenassé et verrouillé; puis, un gendarme en tête, un gendarme en
queue, à petit bruit et sans foule, on a été déposer le paquet à la
barrière déserte de Saint-Jacques. Arrivés là, il était huit heures
du matin, à peine jour, il y avait une guillotine toute fraîche dressée
et pour public quelque douzaine de petits garçons groupés sur les tas de
pierres voisins autour de la machine inattendue; vite, on a tiré l'homme
du panier, et, sans lui donner le temps de respirer, furtivement,
sournoisement, honteuse ment, on lui a escamoté sa tête. Cela s'appelle
un acte public et solennel de haute justice. Infâme dérision !
Comment donc les gens du roi comprennent-ils le mot civilisation ? Où en
sommes-nous ? La justice ravalée aux stratagèmes et aux supercheries! la
loi aux expédients! Monstrueux !
C'est donc une chose bien redoutable qu'un condamné à mort, pour que la
société le prenne en traître de cette façon !
Soyons juste pourtant, l'exécution n'a pas été tout à fait secrète.
Le matin on a crié et vendu comme de coutume l'arrêt de mort dans les
carrefours de Paris. Il paraît qu'il y a des gens qui vivent de cette
vente. Vous entendez ? du crime d'un infortuné, de son châtiment, de ses
tortures, de son agonie, on fait une denrée, un papier qu'on vend un sou.
Concevez-vous rien de plus hideux que ce sou, vert-de-grisé dans le sang
? Qui est-ce donc qui le ramasse ?
Voilà assez de faits. En voilà trop. Est-ce que tout cela n'est pas
horrible ? Qu'avez-vous à alléguer pour la peine de mort ?
Nous faisons cette question sérieusement; nous la faisons pour qu'on y
réponde; nous la faisons aux criminalistes, et non aux lettrés bavards.
Nous savons qu'il y a des gens qui prennent l'excellence de la peine de
mort pour texte à paradoxe comme tout autre thème. II y en a d'autres
qui n'aiment la peine de mort que parce qu'ils haïssent tel ou tel qui
l'attaque. C'est pour eux une question quasi-littéraire, une question de
personnes, une question de noms propres. Ceux-là sont les envieux, qui ne
font pas plus faute aux bons jurisconsultes qu'aux grands artistes. Les
Joseph Grippa ne manquent pas plus aux Filangieri que les Torregiani aux Michel-Ange
et les Scudéry aux Corneille.
Ce n'est pas à eux que nous nous adressons, mais aux hommes de loi
proprement dits, aux dialecticiens, aux raisonneurs, à ceux qui aiment la
peine de mort pour la peine de mort, pour sa beauté, pour sa bonté, pour
sa grâce.
Voyons, qu'ils donnent leurs raisons.
Ceux qui jugent et qui condamnent disent la peine de mort nécessaire.
D'abord, - parce qu'il importe de retrancher de la communauté sociale un
membre qui lui a déjà nui et qui pourrait lui nuire encore. - S'il ne
s'agissait que de cela, la prison perpétuelle suffirait. A quoi bon la
mort ? Vous objectez qu'on peut s'échapper d'une prison ? faites mieux
votre ronde. Si vous ne croyez pas à la solidité des barreaux de fer,
comment osez-vous avoir des ménageries ?
Pas de bourreau où le geôlier suffit.
Mais, reprend-on, il faut que la société se venge, que la société
punisse. Ni l'un, ni l'autre. Se venger est de l'individu, punir est de
Dieu.
La société est entre deux. Le châtiment est au-dessus d'elle, la
vengeance au-dessous. Rien de si grand et de si petit ne lui sied. Elle ne
doit pas " punir pour se venger " ; elle doit corriger pour
améliorer. Transformez de cette façon la formule des criminalistes, nous
la comprenons et nous y adhérons.
Reste la troisième et dernière raison, la théorie de l'exemple. - II
faut faire des exemples! il faut épouvanter par le spectacle du sort
réservé aux criminels ceux qui seraient tentés de les imiter! - Voilà
bien à peu près textuellement la phrase éternelle dont tous les
réquisitoires des cinq cents parquets de France ne sont que des
variations plus ou moins sonores. Eh bien! nous nions d'abord qu'il y ait
exemple. Nous nions que le spectacle des supplices produise l'effet qu'on
en attend. Loin d'édifier le peuple, il le démoralise, et ruine en lui
toute sensibilité, partant toute vertu. Les preuves abondent, et
encombreraient notre raisonnement si nous voulions en citer. Nous
signalerons pourtant un fait entre mille, parce qu'il est le plus récent.
Au moment où nous écrivons, il n'a que dix jours de date. Il est du 5
mars, dernier jour du carnaval. A Saint-Pol, immédiatement après
l'exécution d'un incendiaire nommé Louis Camus, une troupe de masques
est venue danser autour de l'échafaud encore fumant. Faites donc des
exemples! le mardi gras vous rit au nez.
Que si, malgré l'expérience, vous tenez à votre théorie routinière de
l'exemple, alors rendez-nous le seizième siècle, soyez vraiment
formidables, rendez-nous la variété des supplices, rendez-nous Farinacci,
rendez-nous les tourmenteurs-jurés, rendez nous le gibet, la roue, le
bûcher, l'estrapade, l'essorillement, l'écartèlement, la fosse à
enfouir vif, la cuve à bouillir vif ; rendez-nous, dans tous les
carrefours de Paris, comme une boutique de plus ouverte parmi les autres,
le hideux étal du bourreau, sans cesse garni de chair fraîche.
Rendez-nous Montfaucon, ses seize piliers de pierre, ses brutes assises,
ses caves à ossements, ses poutres, ses crocs, ses chaînes, ses
brochettes de squelettes, son éminence de plâtre tachetée de corbeaux,
ses potences succursales, et l'odeur de cadavre que par le vent du
nord-est il répand à larges bouffées sur tout le faubourg du Temple.
Rendez-nous dans sa permanence et dans sa puissance ce gigantesque
appentis du bourreau de Paris. A la bonne heure! Voilà de l'exemple en
grand. Voilà de la peine de mort bien comprise. Voilà un système de
supplices qui a quelque proportion. Voilà qui est horrible, mais qui est
terrible.
Ou bien faites comme en Angleterre. En Angleterre, pays de commerce, on
prend un contrebandier sur la côte de Douvres, on le pend pour l'exemple,
pour l'exempte on le laisse accroché au gibet; mais, comme les
intempéries de l'air pourraient détériorer le cadavre, on l'enveloppe
soigneusement d'une toile enduite de goudron, afin d'avoir à le
renouveler moins souvent. Ô terre d'économie! goudronner les pendus !
Cela pourtant a encore quelque logique. C'est la façon la plus humaine de
comprendre la théorie de l'exemple.
Mais vous, est-ce bien sérieusement que vous croyez faire un exemple
quand vous égorgillez misérablement un pauvre homme dans le recoin le
plus désert des boulevards extérieurs ? En Grève, en plein jour, passe
encore; mais à la barrière Saint-Jacques! mais à huit heures du matin!
Qui est-ce qui passe là ? Qui est-ce qui va là ? Qui est-ce qui sait que
vous tuez un homme là ? Qui est-ce qui se doute que vous faites un
exemple là ? Un exemple pour qui ? Pour les arbres du boulevard,
apparemment.
Ne voyez-vous donc pas que vos exécutions publiques se font en tapinois ?
Ne voyez-vous donc pas que vous vous cachez ? Que vous avez peur et honte
de votre œuvre ? Que vous balbutiez ridiculement votre discite
justitiam moniti ? Qu'au fond vous êtes ébranlés, interdits,
inquiets, peu certains d'avoir raison, gagnés par le doute général,
coupant des têtes par routine et sans trop savoir ce que vous faites? Ne
sentez-vous pas au fond du cœur que vous avez tout au moins perdu le
sentiment moral et social de la mission de sang que vos prédécesseurs,
les vieux parlementaires, accomplissaient avec une conscience si
tranquille ? La nuit, ne retournez-vous pas plus souvent qu'eux la tête
sur votre oreiller ? D'autres avant vous ont ordonné des exécutions
capitales, mais ils s'estimaient dans le droit, dans le juste, dans le
bien. Jouvenel des Ursins se croyait un juge; Élie de Thorrette se
croyait un juge; Laubardemont, La Reynie et Laffemasz eux-mêmes se
croyaient des juges; vous, dans votre for intérieur, vous n’êtes pas
bien sur de ne pas être des assassins !
Vous quittez la Grève pour la barrière SaintJacques, la foule pour la
solitude, le jour pour le crépuscule. Vous ne faites plus fermement ce
que vous faites. Vous vous cachez, vous dis-je !
Toutes les raisons pour la peine de mort, les voilà donc démolies.
Voilà tous les syllogismes de parquets mis à néant. Tous ces copeaux de
réquisitoires, les voilà balayés et réduits en cendres. Le moindre
attouchement de la logique dissout tous les mauvais raisonnements.
Que les gens du roi ne viennent donc plus nous demander des têtes, à
nous jurés, à nous hommes, en nous adjurant d'une voix caressante au nom
de la société à protéger, de la vindicte publique à assurer, des
exemples à faire. Rhétorique, ampoule, et néant que tout cela! un coup
d'épingle dans ces hyperboles, et vous les désenflez. Au fond de ce
doucereux verbiage, vous ne trouvez que dureté de cœur, cruauté,
barbarie, envie de prouver son zèle, nécessité de gagner ses
honoraires. Taisez-vous, mandarins! Sous la patte de velours du juge on
sent les ongles du bourreau.
Il est difficile de songer de sang-froid à ce que c'est qu'un procureur
royal criminel. C'est un homme qui gagne sa vie à envoyer les autres à
l'échafaud. C'est le pourvoyeur titulaire des places de Grève. Du reste,
c'est un monsieur qui a des prétentions au style et aux lettres, qui est
beau parleur ou croit l'être, qui récite au besoin un vers latin ou deux
avant de conclure à la mort, qui cherche à faire de l'effet, qui
intéresse son amour-propre, ô misère! là où d'autres ont leur vie
engagée, qui a ses modèles à lui, ses types désespérants à
atteindre, ses classiques, son Bellart, son Marchangy, comme tel poète a
Racine et tel autre Boileau. Dans le débat, il tire du côté de la
guillotine, c'est son rôle, c'est son état. Son réquisitoire, c'est son
œuvre littéraire, il le fleurit de métaphores, il le parfume de
citations, il faut que cela soit beau à l'audience, que cela plaise aux
dames. Il a son bagage de lieux communs encore très neufs pour la
province, ses élégances d'élocution, ses recherches, ses raffinements
d'écrivain. Il hait le mot propre presque autant que nos poètes
tragiques de l'école de Delille. N'ayez pas peur qu'il appelle les choses
par leur nom. Fi donc ! Il a pour toute idée dont la nudité vous
révolterait des déguisements complets d'épithètes et d'adjectifs. Il
rend M. Samson présentable. Il gaze le couperet. Il estompe la bascule.
II entortille le panier rouge dans une périphrase. On ne sait plus ce que
c'est. C'est douceâtre et décent. Vous le représentez-vous, la nuit,
dans son cabinet, élaborant à loisir et de son mieux cette harangue qui
fera dresser un échafaud dans six semaines ? Le voyez-vous suant sang et
eau pour emboîter la tête d'un accusé dans le plus fatal article du
code ? Le voyez-vous scier avec une loi mal faite le cou d'un misérable ?
Remarquez-vous comme il fait infuser dans un gâchis de tropes et de synecdoques
deux ou trois textes vénéneux pour en exprimer et en extraire à
grand'peine la mort d'un homme ? N'est-il pas vrai que, tandis qu'il
écrit, sous sa table, dans l'ombre, il a probablement le bourreau
accroupi à ses pieds, et qu'il arrête de temps en temps sa plume pour
lui dire, comme le maître à son chien : Paix là ! paix là ! tu vas
avoir ton os !
Du reste, dans la vie privée, cet homme du roi peut être un honnête
homme, bon père, bon fils, bon mari, bon ami, comme disent toutes les
épitaphes du Père-Lachaise.
Espérons que le jour est prochain où la loi abolira ces fonctions
funèbres. L'air seul de notre civilisation, doit dans un temps donné
user la peine de mort.
On est parfois tenté de croire que les défenseurs de la peine de mort
n'ont pas bien réfléchi à ce que c'est. Mais pesez donc un peu à la
balance de quelque crime que ce soit ce droit exorbitant que la société
s'arroge d'ôter ce qu'elle n'a pas donné, cette peine, la plus
irréparable des peines irréparables !
malheur vous faites son crime! Personne ne lui a appris à savoir ce qu'il
faisait. Cet homme ignore. Sa faute est à sa destinée, non à lui. Vous
frappez un innocent.
Ou cet homme a une famille; et alors croyez-vous que le coup dont vous
l'égorgez ne blesse que lui seul ? que son père, que sa mère, que ses
enfants, n'en saigneront pas ? Non. En le tuant, vous décapitez toute sa
famille: Et ici encore vous frappez des innocents.
Gauche et aveugle pénalité, qui, de quelque côté qu'elle se tourne,
frappe l'innocent !
Cet homme, ce coupable qui a une famille, séquestrez-le. Dans sa prison,
il pourra travailles: encore pour les siens. Mais comment les fera-t-il
vivre du fond de son tombeau ? Et songez-vous sans frissonner à ce que
deviendront ces petits garçons, ces petites filles, auxquelles vous ôtez
leur père, c'est-à-dire leur pain ? Est-ce que vous comptez sur cette
famille pour approvisionner dans quinze ans, eux le bagne, elles le musico
? Oh ! les pauvres innocents !
Aux colonies, quand un arrêt de mort tue un esclave, il y a mille francs
d'indemnité pour le propriétaire de l'homme. Quoi! vous dédommagez le
maître, et vous n'indemnisez pas la famille! Ici aussi ne prenez-vous pas
un homme à ceux qui le possèdent ? N'est-il pas, à un titre bien
autrement sacré que l'esclave vis-à-vis du maître, la propriété de
son père, le bien de sa femme, la chose de ses enfants ?
Nous avons déjà convaincu votre loi d'assassinat. La voici convaincue de
vol.
Autre chose encore. L'âme de cet homme, y songez-vous ? Savez-vous dans
quel état elle se trouve ? Osez-vous bien l'expédier si lestement ?
Autrefois du moins, quelque foi circulait dans le peuple; au moment
suprême, le souffle religieux qui était dans l'air pouvait amollir le
plus endurci; un patient était en même temps un pénitent; la religion
lui ouvrait un monde au moment où la société lui en fermait un autre;
toute âme avait conscience de Dieu ; l'échafaud n'était qu'une
frontière du ciel. Mais quelle espérance mettez-vous sur l'échafaud
maintenant que la. rosse foule ne croit plus ? maintenant que toutes les
religions sont attaquées du dry-rot, comme ces vieux vaisseaux qui
pourrissent dans nos ports, et qui jadis peut être ont découvert des
mondes ? maintenant que les petits enfants se moquent de Dieu? De quel
droit lancez-vous dans quelque chose dont vous doutez vous-mêmes les
âmes obscures de vos condamnés, ces âmes telles que Voltaire et M.
Pigault-Lebrun les ont faites? Vous les livrez à votre aumônier de
prison, excellent vieillard sans doute ; mais croit-il et fait-il
croire ? Ne grossoie-t-il pas comme une corvée son œuvre sublime ?
Est-ce que vous le prenez pour un prêtre, ce bonhomme qui coudoie le
bourreau dans la charrette ? Un écrivain plein d'âme et de talent l'a
dit avant nous. C'est une horrible chose de conserver le bourreau après
avoir ôté le confesseur !
Ce ne sont là, sans doute, que des " raisons sentimentales ",
comme disent quelques dédaigneux qui ne prennent leur logique que dans
leur tête. A nos yeux, ce sont les meilleures. Nous préférons souvent
les raisons du sentiment aux raisons de la raison. D'ailleurs les deux
séries se tiennent toujours, ne l'oublions pas. Le Traité des délits
est greffé sur L'Esprit des lois. Montesquieu a engendré
Beccaria.
La raison est pour nous, le sentiment est pour nous, l'expérience est
aussi pour nous. Dans les états modèles, où la peine de mort est
abolie, la masse des crimes capitaux suit d'année en année une baisse
progressive. Pesez ceci.
Nous ne demandons cependant pas pour le moment une brusque et complète
abolition de la peine de mort, comme celle où s'était si étourdiment
engagée la Chambre des députés. Nous désirons, au contraire, tous les
essais, toutes les précautions, tous les tâtonnements de la prudence.
D'ailleurs, nous ne voulons pas seulement l'abolition de la peine de mort,
nous voulons un remaniement complet de la pénalité sous toutes ses
formes; du haut en bas, depuis le verrou jusqu'au couperet, et le temps
est un des ingrédients qui doivent entrer dans une pareille œuvre pour
qu'elle soit bien faite. Nous comptons développer ailleurs, sur cette
matière, le système d'idées que nous croyons applicable. Mais,
indépendamment des abolitions partielles pour le cas de fausse monnaie,
d'incendie, de vols qualifiés, etc., nous demandons que dès à présent,
dans toutes les affaires capitales, le président soit tenu de poser au
jury cette question: L'accusé a-t-il agi par passion ou par intérêt ?
et que, dans le cas où le jury répondrait: L'accusé a agi par passion,
il n'y ait pas condamnation à mort. Ceci nous épargnerait du moins
quelques exécutions révoltantes. Ulbach et Debacker seraient sauvés. On
ne guillotinerait plus Othello.
Au reste, qu'on ne s'y trompe pas, cette question de la peine de mort
mûrit tous les jours. Avant peu, la société entière la résoudra comme
nous.
Que les criminalistes les plus entêtés y fassent attention, depuis un
siècle la peine de mort va s'amoindrissant. Elle se fait presque douce.
Signe de décrépitude. Signe de faiblesse. Signe de mort prochaine. La
torture a disparu. La roue a disparu. La potence a disparu. Chose
étrange! la guillotine elle-même est un progrès.
M. Guillotin était un philanthrope.
Oui, l'horrible Thémis dentue et vorace de Farinace et du Vouglans, de
Delancre et d'Isaac Loisel, de d'Oppède et de Machault, dépérit. Elle
maigrit. Elle se meurt.
Voilà déjà la Grève qui n'en veut plus. La Grève se réhabilite. La
vieille buveuse de sang s'est bien conduite en juillet. Elle veut mener
désormais meilleure vie et rester digne de sa dernière belle action.
Elle qui s'était prostituée depuis trois siècles à tous les
échafauds, la pudeur la prend. Elle a honte de son ancien métier. Elle
veut perdre son vilain nom. Elle répudie le bourreau. Elle lave son
pavé.
A l'heure qu'il est, la peine de mort est déjà hors de Paris, Or;
disons-le bien ici, sortir de Paris c'est sortir de la civilisation.
Tous les symptômes sont pour nous. Il semble aussi qu'elle se rebute et
qu'elle rechigne, cette hideuse machine, ou plutôt ce monstre fait de
bois et de fer qui est à Guillotin ce que Galatée est à Pygmalion. Vues
d'un certain côté, les effroyables exécutions que nous avons
détaillées plus haut sont d'excellents signes. La guillotine hésite.
Elle en est à manquer son coup. Tout le vieil échafaudage de la peine de
mort se détraque.
L'infâme machine partira de France, nous y comptons, et, s'il plaît à
Dieu, elle partira en boitant, car nous tâcherons de lui porter de rudes
coups.
Qu'elle aille demander l'hospitalité ailleurs, à quelque peuple barbare,
non à la Turquie, qui se civilise, non aux sauvages, qui ne voudraient
pas d'elle; mais qu'elle descende quelques échelons encore de l'échelle
de la civilisation, qu'elle aille en Espagne ou en Russie.
L'édifice social du passé reposait sur trois colonnes, le prêtre, le
roi, le bourreau. Il y a déjà longtemps qu'une voix a dit: Les dieux
s'en vont! Dernièrement une autre voix s'est élevée et a crié : Les
rois s'en vont! Il est temps maintenant qu'une troisième voix s'élève
et dise: Le bourreau s'en va !
Ainsi l'ancienne société sera tombée pierre à pierre; ainsi la
providence aura complété l'écroulement du passé.
A ceux qui ont regretté les dieux, on a pu dire
Dieu reste. A ceux qui regrettent les rois, on peut dire: La patrie reste.
A ceux qui regretteraient le bourreau, on n'a rien à dire.
Et l'ordre ne disparaîtra pas avec le bourreau; ne le croyez point. La
voûte de la société future ne croulera pas pour n'avoir point cette
clef hideuse.
La civilisation n'est autre chose qu'une série de transformations
successives. A quoi donc allez-vous assister ? à la transformation de la
pénalité. La douce loi du Christ pénétrera enfin le code et rayonnera
à travers. On regardera le crime comme une maladie, et cette maladie aura
ses médecins qui remplaceront vos juges, ses hôpitaux qui remplaceront
vos bagnes. La liberté et la santé se ressembleront. On versera le baume
et l'huile où l'on appliquait le fer et le feu. On traitera par la
charité ce mal qu'on traitait par la colère. Ce sera simple et sublime.
La croix substituée au gibet. Voilà tout.
15 mars 1832.
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