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L'entrée
en guerre.
Discours
d'Adolphe Thiers au Corps législatif,
15 juillet 1870.
par Marc Nadaux
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Discours d'Adolphe Thiers au Corps
législatif,
15 juillet 1870.
ADOLPHE
THIERS. - S'il y a eu un jour, une heure, où l'on pu dire sans exagération que l'histoire nous regarde, c'est
cette heure et cette journée, et il me semble que tout le monde
devrait y penser sérieusement.
Quand la guerre sera déclarée, il n'y aura personne de plus zélé, de plus empressé que moi à donner au
gouvernement les moyens dont il aura besoin pour la rendre victorieuse. (Très bien! Très
bien ! à gauche.)
Ce n'est donc pas assaut de patriotisme que nous fais ici.
Je soutiens que mon patriotisme est, non pas supérieur, mais égal à celui de tous ceux qui sont ici.
(Approbation à gauche.)
De quoi s'agit-il ? De donner ou de refuser au gouvernement les moyens qu'il
demande ? Non, je proteste contre cette pensée.
De quoi s'agit-il ? D'une déclaration de guerre faite à
cette tribune par le ministère, et je m'exprime constitutionnellement, on le
reconnaîtra. Eh bien, est-ce au ministère à lui seul de déclarer la
guerre ? Ne devons-nous pas, nous aussi, avoir la parole ? Et, avant de la prendre, ne nous faut-il pas un instant de
réflexion !...
Je vous ai dit que l'histoire nous regarde, j'ajoute que la France aussi et le monde nous regardent. On ne peut pas exagérer la gravité des circonstances ; sachez que de la décision que vous allez émettre peut résulter la mort de milliers d'hommes.
(Exclamations au centre et à droite. - Très bien ! à gauche. - Le bruit couvre la voix de
l'orateur.)
Et, si je vous demande un instant de réflexion, c'est qu'en ce moment un souvenir assiège mon esprit !... Avant de prendre une résolution aussi grave, une résolution de laquelle dépendra, je le répète, le sort du pays et de l'Europe, rappelez-vous, messieurs, le 6 mai 1866. Vous m'avez refusé la parole, alors que je vous signalais les dangers qui se préparaient.
(Approbation à gauche. - Exclamations à droite.)
Quand je vous montrais ce qui se préparait, vous m'avez écouté un
jour ; le lendemain, au jour décisif, vous avez refusé de m'écouter. Il me semble que ce souvenir seul, ce souvenir devrait vous arrêter un moment, et vous inspirer le désir de m'écouter une minute sans m'interrompre.
(Très bien ! à gauche. - Parlez !)
Laissez-moi vous dire une chose. Vous allez vous récrier, mais je suis fort décidé à écouter vos murmures, et, s'il le faut, à les braver.
(Oui ! Très bien ! à gauche.)
Vous êtes comme vous étiez en 1866.
Eh bien, vous n'avez pas alors voulu m'entendre et rappelez-vous ce qu'il en a coûté à la
France !... (Rumeurs au centre et à droite.)
Mais aujourd'hui la demande principale qu'on adressait à la Prusse, celle qui devait être la principale et que le ministère nous a assuré être la seule, cette demande a reçu une réponse favorable.
(Dénégations sur un grand nombre de bancs.) Vous ne me lasserez
pas.
A GAUCHE. - Très bien ! Très bien !.
THIERS. - J'ai le sentiment que je représente ici... non pas les emportements du pays, mais ses intérêts fléchis.
J'ai la certitude, la conscience au fond de moi-même, de remplir un devoir difficile, celui de résister à des passions patriotiques, si l'on veut, mais imprudentes.
Soyez convaincus que, quand on a vécu quarante ans... (interruptions) au milieu des agitations et des
vicissitudes politiques, et qu'on remplit son devoir, et qu'on a la certitude de le remplir, rien ne peut vous ébranler, rien, pas même les outrages.
Il me semble que, sur un sujet si grave, n'y eût-il qu'un seul individu, le dernier dans le pays, s'il avait un doute, vous devriez
l'écouter ; oui, n'y en eût-il qu'un ; mais je suis pas seul.
Je serais seul... (interruptions), je serais seul, que, pour, gravité du sujet, vous devriez m'entendre.
(Parlez ! Parlez !).
Eh bien, messieurs, est-il vrai, oui ou non, que, sur fond, c'est-à-dire sur la candidature du prince de
Hohenzollern, votre réclamation a été écoutée, et qu'il y a été
fait droit ? Est-il vrai que vous rompez sur une question de susceptibilité, très honorable, je le veux bien, mais vous rompez sur une question de
susceptibilité ? (Mouvement).
Eh bien, voulez-vous qu'on dise, voulez-vous que l'Europe tout entière dise que le fond était accordé, et que, pour une
question de forme, vous vous êtes décidés à verser des torrents de
sang ! (Réclamations bruyantes à droite et au centre.
- Approbation d gauche.)
Ici, Messieurs, chacun de nous doit prendre la responsabilité qu'il croit pouvoir porter.
Je ne voudrais pas qu'on pût dire (interruptions) que j'ai pris la responsabilité d'une guerre fondée sur de tels
motifs !...
Le fond était accordé, et c'est pour un détail de forme que vous
rompez ! (Non ! Non ! Si ! Si !)
Vous me répondrez.
Je demande donc à la face du pays qu'on nous donne connaissance des dépêches d'après lesquelles on a pris la
résolution qui vient de nous être annoncée ; car, il ne faut pas nous le dissimuler, c'est une déclaration de
guerre ! (Certainement ! - mouvement prolongé.)
Messieurs, je connais ce dont les hommes sont capables sous l'empire de vives émotions. Pour moi, si j'avais eu l'honneur de diriger, dans cette circonstance, les destinées de mon pays...
(nouvelle interruption)... Vous savez bien, par ma présence sur ces bancs, que ce n'est pas un regret que j'exprime ; mais je répète que, si j'avais été placé dans cette circonstance douloureuse, mais grande, j'aurais voulu ménager à mon pays quelques instants de réflexion avant de prendre pour lui une résolution aussi grave.
Quant à moi, laissez-moi vous dire en deux mots, pour vous expliquer et ma conduite et mon langage, laissez-moi vous dire que je regarde cette guerre comme souverainement imprudente. Cette déclaration vous blesse, mais j'ai bien le droit d'avoir une opinion sur une question pareille. J'aime mon pays, j'ai été affecté plus douloureusement que personne des événements de
1866 ; plus que personne j'en désire la réparation ; mais, dans ma profonde conviction, et, si j'ose le dire, selon mon expérience, l'occasion est mal choisie.
(Interruption.)
Plus que personne, je le répète, je désire la réparation des événements de
1866 ; mais je trouve l'occasion détestablement choisie. (Réclamations.)
Sans aucun doute, la Prusse s'était mise gravement dans son tort, très gravement. Depuis longtemps, en effet, elle
nous disait qu'elle ne s'occupait que des affaires de l'Allemagne, de la destinée de la patrie allemande, et nous l'avons trouvée tout à coup, sur les Pyrénées, préparant une candidature que la France devait ou pouvait regarder comme une offense à sa dignité et une entreprise contre ses intérêts.
(Très bien ! Très bien ! au centre et à droite.)
Vous vous êtes adressés à l'Europe, et l'Europe, avec un empressement qui l'honore elle-même, a voulu qu'il nous fût fait droit sur le point essentiel. Sur ce point, en
effet, vous avez eu satisfaction, la candidature du pris Hohenzollern a été retirée.
AU CENTRE ET A DROITE. - Mais non ! mais non !
A GAUCHE. - Très bien ! parlez !
M. THIERS. - Vous avez exprimé votre opinion, laissez-moi dire la mienne en quelques mots. Cette
urgence de laquelle vous êtes si pressé d'user, elle est à vous, elle
est votée, vous allez en jouir, vous allez avoir la faculté de vous livrer à toute l'ardeur de vos
sentiments ; laissez-moi vous exprimer les miens, tout douloureux qu'ils soient,
et, si vous ne comprenez pas que, dans ce moment, je remplis un devoir et le plus pénible de ma vie, je vous
plains. (Très bien ! très bien ! à gauche. - Réclamations au centre
et à droite.)
Oui, quant à moi, je suis tranquille pour ma mémoire, je suis sûr de ce qui lui est réservé pour l'acte auquel
je me livre en ce moment ; mais, pour vous, je suis certain qu'il y aura des jours où vous regretterez votre précipitation.
(Allons donc ! Allons donc!)
Eh bien, quant à moi...
M. LE MARQUIS DE PIRE, avec violence. - Vous êtes la trompette antipatriotique du désastre.
(N'interrompez pas.) Allez
à Coblentz !
M. THIERS. - Offensez-moi... Insultez-moi... je suis prêt à
tout subir pour défendre le sang de mes concitoyens que vous êtes prêts à verser si
imprudemment !
Je souffre, croyez-le, d'avoir à parler ainsi.
Dans ma conviction, je vous le répète en deux mots, car, si je voulais vous le démontrer, vous ne m'écouteriez vous choisissez mal l'occasion de la réparation que
vous désirez et que je désire comme vous.
M. GAMBETTA. - Très bien !
M. THIERS. - Plein de ce sentiment, lorsque je vois que,
cédant à vos passions, vous ne voulez pas prendre un instant de réflexion, que vous ne voulez pas
demander la connaissance des dépêches sur lesquelles votre jugement
pourrait s'appuyer, je dis, messieurs, permettez-moi cette expression, que vous ne remplissez pas dans toute leur étendue les devoirs qui vous sont imposés.
M. LE BARON JÉRÔME DAVID. - Gardez vos leçons; nous les récusons.
M. THIERS. - Dites ce que vous voudrez, mais il est bien imprudent à vous de laisser soupçonner au pays que c'est une résolution de parti que vous prenez aujourd'hui.
(Vives et nombreuses réclamations.)
Je suis prêt à voter tous les moyens nécessaires quand la guerre sera définitivement
déclarée ; mais je désire connaître les dépêches sur lesquelles on fonde cette déclaration de guerre. La Chambre fera ce qu'elle
voudra ; je m'attends à ce qu'elle va faire, mais je décline, quant à moi, la responsabilité d'une guerre aussi peu justifiée.
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