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Dans la Vienne.
Rapport
du Commissaire central de police au Préfet sur la situation politique
de la ville de Poitiers, 2-28 décembre 1851.
par Marc Nadaux
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Suivant les dispositions énoncées par le
ministre de l'Intérieur, des affiches apposées sur les murs de la ville
de Poitiers enseignent aux habitants la teneur des événements parisiens. Soucieux
de la légitimité républicaine, le maire de la ville s'adjoint à une
manifestation ouvrière, l'ensemble se portant à la Préfecture. C'est
l'action conjuguée des forces de l'ordre, police et armée, qui permet
alors au calme de revenir et aux autorités de la Préfecture d'être maître
de la rue. Les agitateurs, les principaux opposants au coup d'État et
donc à la personne de Louis-Napoléon Bonaparte sont à présent
clairement identifiés ; le plébiscite des 20 et 21 décembre 1851 lui
accorde l'autorité nécessaire pour modifier la constitution. A Paris, le
rétablissement de l'Empire est en marche alors qu'à Poitiers
l'opposition est muselée sans qu'une véritable lutte pour la survie de
la Seconde République se soit concrètement engagée. |
Rapport
du Commissaire central de police
à Monsieur le Préfet du département de la Vienne,
sur la situation politique de la Ville de Poitiers
du 2 au 28 décembre 1851.
Le 2 décembre
à 9 heures du matin la dépêche annonçant la dissolution de l'Assemblée
législative arrivait à la Préfecture ; à 10 heures, Monsieur le Préfet
me donnait ses instructions, à midi la dépêche était affichée, à 1
heure de relevée personne ne s'était encore montré mais, vers les 3
heures, trois à 400 personnes se trouvaient, comme par enchantement, réunies
dans la cour de la Mairie ; jusqu'à quatre heures 1/2, environ, cette
foule parut inoffensive et aucun cri ne fût proféré. J'étais dans mon
bureau, entouré de quelques sergens de ville, lorsque le cri de "à
bas Napoléon" fut poussé par plusieurs individus. Je m'avançai résolument
au milieu de la foule et leur dis : le premier qui aura l'audace de
pousser un nouveau cri je l'arrête ; aussitôt après avoir parlé le
Maire de Biard Monsieur Kiaro se tourna vers moi et cria à bas le
Dictateur. la dernière syllabe n'était pas terminée qu'il était saisi
et arrêté ; au même instant je me vis entouré par plus de deux cents
personnes, les uns me levèrent les bras, les autres m'appréhendaient au
corps, d'autres à la ceinture ; le prisonnier me fût enlevé et je reçus
de très fortes contusions, mon écharpe faillit être déchirée en un
mot j'étais dans la position la plus fâcheuse ; après cette scène je
me promenai encore une demi-heure au milieu de cette foule exaltée mais,
voyant que nous étions débordés je me rendis à la Préfecture et là
je rendis compte à Monsieur le Préfet de ce qui venait de se passer;
Monsieur le Préfet me donna l'ordre de faire venir de suite à la Préfecture
deux piquets de Dragons l'un à cheval, l'autre à pied; je venais de
transmettre cet ordre lorsque je vis arriver un sergent de ville, tout
essoufflé, qui venait m'annoncer qu'une colonne de 500 individus se
rendait à la Préfecture à la suite d'une délibération prise entr'eux.
Voici le texte de cette délibération :
En vertu de la constitution le Préfet n'existant plus, il faut le f ...
à la porte.
C'est animée de pareils sentimens que cette foule se rendit
à la Préfecture avec l'intention préconçue et bien arrêtée de mettre
à exécution leur infâme délibération.
Je n'avais qu'un poste composé de huit hommes du 11e
régiment de ligne et deux sergens de ville.
Je les attendis et une vingtaine de ces brigands se
trouvant à ma portée je les arrêtai pour leur demander ce qu'ils
voulaient et quel était le but d'une démonstration aussi illégale ; il
me fut répondu qu'on désirait parlementer avec Monsieur le Préfet ;
voyant le but d'une pareille visite je crus devoir interposer mon autorité
et je sommai au nom de la loi tous ces individus, préparés d'avance à
un coup de main, de se séparer immédiatement, aussitôt après que cette
injonction fut donnée un nommé Pichot qui se faisait remarquer par son
exaltation s'écria, en se tournant vers moi, au nom de quelle loi, c'était
faire connaître le but de cette expédition de tous les socialistes de la
ville. J'arrêtai le plus mutin un coup de poignard me fut porté à la
cuisse ; dans une position aussi critique et seulement après avoir reçu
le coup qui me blessa je crus devoir faire usage de ma canne pour contenir
deux ou trois individus qui voulaient m'enlever le prisonnier. Un des
meneurs les plus acharnés le sieur Lecoiteux après avoir été emprisonné
fut déféré à Monsieur le Procureur de la République en présence de
Monsieur le Préfet qui le relâcha après l'avoir interrogé ; cette démonstration
contint les forcené qui se retirèrent non sans crier "aux armes, on
assassine nos frères" ; le sieur Pichot socialiste émérite se
faisait le coryphée des hurlements poussés par ces fanatiques.
Une partie de cette colonne, dispersée ainsi, revint à la
mairie dire que l'on s'égorgeait à la Préfecture ; Monsieur le Maire à
la tête de 4 conseillers municipaux se rendit à la Préfecture, après
quelques paroles échangées avec Monsieur le Préfet dont la fermeté et
l'attitude toujours énergique fit perdre contenance aux 4 délégués ;
la députation se rendit de nouveau à la Mairie ; des individus
attendaient et voulaient savoir ce qui venait de se passer pendant
l'entrevue à la Préfecture, Monsieur Grilliet, Maire, en rendit un
compte exact; il venait de terminer lorsque les cris de "à bas Saba,
à bas le commissaire en chef, nous demandons sa révocation" furent
poussés par la populace ameutée.
Je me gardais bien de prendre vis-à-vis d'eux une attitude
provocatrice ; le sieur Pichot criait toujours ; j'étais sur le trottoir
et j'écoutais ; ils n'osèrent pas m'approcher.
Pendant les scènes que je viens de raconter il s'en passait une autre
dont je dois rendre un compte fidèle, plusieurs conseillers municipaux et
principalement les derniers élus, MM. David de Thiais, Pilotelle,
Pouliot, etc., etc., voulaient forcer Monsieur le Maire à faire battre le
rappel.
Monsieur le Maire tint bon et je crois que dans cette
circonstance la fermeté de ce magistrat a évité de grands malheurs.
Le rappel ne se serait jamais battu j'avais reçu l'ordre de
Monsieur le Préfet, qui avait prévu le cas, d'arrêter les tambours.
Ce jour là seulement, comme vous le voyez, l'ordre a été
troublé sérieusement; deux ou trois jours après un individu serrurier,
dit en me voyant passer il faut le foutre à l'eau, je l'arrêtai et le
mis à la disposition de Monsieur le Préfet; 8 jours après il fut mis en
liberté.
Le huit du courant sur l'invitation de Monsieur le Procureur
Général Damay j'enlevai un placard séditieux qui avait été apposé
sur le pilastre de la principale porte d'entrée du palais de justice.
Les Élections ont eu lieu le 20 et le 21, comme dans toute
la France, et les suffrages accordés à Monsieur le Président de la République
prouvent mieux que tous les raisonnements que l'acte accompli le 2 a été
accueilli avec enthousiasme.
Les Démocrates sont abattus et complètement démoralisés ;
ils n'osent ni parler ni trop se montrer, ils attendent et nous les
surveillons.
Dans cette période de temps écoulée, depuis et y compris
le 2 décembre, la fermeté seule de Monsieur le Préfet a sauvegardé la
ville de bien grands malheurs.
Les individus qui se sont déclarés les plus hostiles à
Louis-Napoléon Bonaparte sont M. M. Kiaro, Maire de Biard ; Gougeard, Préposé
en chef de l'octroi ; Allain, Maître d'équitation Rue de Blossac ;
Chemioux, Avocat ; et Gauvain, Menuisier et antiquaire ;
Les deux premiers ont été révoqués et les autres ont été
prévenus que leur conduite serait surveillée et qu'ils seraient arrêtés
s'ils manifestaient ouvertement des opinions politiques contraires au
Gouvernement établi et approuvé par la nation toute entière.
Dans cette circonstance, comme toujours, le Parquet de la
cour d'appel et le Parquet de Monsieur le Procureur de la République ont
prêté, à Monsieur le Préfet, pour traverser cette époque difficile,
un concours au dessus de tous éloges.
Dont rapport :
Le
Commissaire Central de Police,
Saba
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