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La
condamnation du général Boulanger,
14 août 1889.
par Marc Nadaux
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Entré en
politique, les victoires électorales du populaire général Boulanger,
ancien ministre de la Guerre dans le cabinet Freycinet, prennent un caractère
plébiscitaire, au mois d'avril et au mois d'août 1889. Celui-ci se
refuse cependant à marcher vers l'Élysée au soir d'un nouveau succès
à Paris, le 27 janvier 1889. Les
républicains du gouvernement réagissent en modifiant la loi électorale.
Devant la rumeur de son arrestation imminente, le général Boulanger
prend peur et s'enfuit le 1er avril 1889 en Belgique, se discréditant
auprès des Français. Le 14 août suivant, le Sénat, réuni en
Haute-Cour, le condamne, par contumace, à la déportation dans une
enceinte fortifiée. Le "brave général", à présent en
exil, se suicide, le 30 septembre
1891, d’un coup de revolver sur la tombe de sa maîtresse
Marguerite de Bonnemains, à Ixelles. |
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Arrêt
rendu par la Haute-Cour, 14 aout 1889. |
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Lettre
du Directeur de la Sûreté générale au Préfet de la Somme, 19
juillet 1889. |
La
Haute-Cour,
Vu l’arrêt de la Chambre d’accusation du 12 juillet 1889 ;
Ensemble l’acte d’accusation dressé en conséquence contre Boulanger
(Georges-Ernest-Jean-Marie), Dillon (Arthur) et de Rochefort-Lucet
(Henri-Victor) ;
Vu l’ordonnance du Président de la Haute-Cour, en date du 27 juillet
1889, ayant pour objet la représentation des accusés ci-dessus dénommés ;
Ensemble les procès-verbaux constatant la publication et l’affiche de
ladite ordonnance ;
Vu pareillement l’instruction relative aux dits accusés ;
Oui le procureur général en ces réquisitions, lesquelles par lui déposées
sur le bureau de la Haute-Cour.
Après en avoir délibéré, conformément à la loi, les 12, 13 et 14 août
1899,
En ce qui touche la question des compétences,
Attendu que l’article 12 de la loi constitutionnelle du 10 juillet 1875
sur les rapports des pouvoirs publics ainsi conçu : " le Sénat
peut être constitué " en Cour de justice… pour juger toute
personne prévenue d’attentat contre la sûreté de l’État ",
se réfère incontestablement à la loi constitutionnelle du 2 février précédent
relative à l’organisation du Sénat et dont l’article 9 porte que
" le Sénat peut être constitué en Cour de justice pour connaître
des attentas commis contre la sûreté de l’État " ;
Que ce mot " attentats " est évidemment pris ici dans
son sens générique ;
Que cette disposition est empruntée aux Constitutions antérieures et
notamment aux Chartes de 1814 et 1830 ;
Qu’elle a été constamment interprétés en ce sens que la Haute-Cour
était compétente pour connaître de tout les attentats, c’est à dire
de tout les actes attentatoires, notamment le complot, qui peuvent
compromettre la sûreté intérieure et extérieure de l’État, crimes
prévus et punis par le chapitre Ier, titre Ier,
livre III du Code pénal ;
Que restreindre la compétence de la Haute-Cour au seul cas prévu par
l’article 87 du Code pénal, ce serait la rendre incompétente pour
connaître d’actes évidemment attentatoire à la sûreté de l’État
et en particulier des crimes commis contre la sûreté extérieure de l’État ;
Cas supposé que la Cour n’eut pas reconnu les accusés coupables du
crime d’attentat tel qu’il est défini par l’article 87 du Code pénal,
et n’eut pas à ce titre à retenir les faits de complots comme
connexes, elle serait elle serait compétente à l’égard du complot
seul, lequel doit être considéré comme un des crimes attentatoires à
raison desquels le Sénat peut être constitué en Cour de justice ;
Se déclare compétente.
Vu l’article 32 de la loi du 10 avril 1889 et l’article 470 du Code
d’instruction criminelle ;
Attendu que l’instruction est conforme à la loi.
Déclare la contumace régulièrement instruite contre Boulanger, Dillon
et Rochefort ;
Et statuant à l’égard desdits contumace,
En ce qui concerne Boulanger, Dillon et Rochefort-Lucet ;
Sur le chef de complot :
Attendu qu’il résulte des pièces de l’instruction écrite que
lesdits Boulanger, Dillon et Rochefort ont conjointement, au cours des années
1886, 1887, 1888 et 1889, concertés et arrêtés ensemble un complot
ayant pour but soit de détruire ou de changer le gouvernement, soit
d’exciter les citoyens et habitants à s’armer contre l’autorité
constitutionnelle, avec cette circonstance que ledit complot a été suivi
d’actes commis ou commencés pour en préparer l’exécution ;
Sur le chef d’attentat :
En ce qui concerne Boulanger,
Attendu qu’il résulte des pièces de l’instruction écrite que ledit
Boulanger a depuis moins de 10 ans et notamment les 8 et 14 juillet 1887
à Paris, commis des attentats dont le but étaient soit de détruire ou
de changer le gouvernement, soit d’exciter les citoyens à s’armer
contre l’autorité constitutionnelle, lesquels attentats ont été
manifestés par des actes d’exécution ou des tentatives qui n’ont été
suspendues, ou n’ont manqué leur effet, que par des circonstances indépendantes
de la volonté de leurs auteurs ;
En ce qui concerne Dillon,
Attendu qu’il résulte des pièces de l’instruction écrite, qu’il
s’est rendu coupable d’avoir, aux mêmes époques et aux mêmes lieux,
avec connaissance aidé ou assisté Boulanger dans les faits qui ont préparé
l’action, et qu’il s’est ainsi rendu complice du crime d’attentat
commis par ledit Boulanger ;
En ce qui concerne Rochefort,
Attendu qu’il résulte des pièces de l’instruction écrite, qu’il a
aux mêmes époques et aux mêmes lieux, par machinations ou artifices
coupables provoqué aux crimes d’attentat ou donné des instructions
pour le commettre ;
Qu’il a, avec connaissance, aidé ou assisté Boulanger dans les faits
qui ont préparé ou facilité l’action, et qu’il s’est ainsi rendu
complice du crime d’attentat commis par ledit Boulanger ;
Sur le chef de détournement :
Attendu qu’il résulte des pièces de l’instruction écrite que ledit
Boulanger a, en 1886 et 1887, à Paris, étant Ministre de la Guerre, et
en cette qualité dépositaire ou comptable public, détourné ou
soustrait des deniers publics qui était entre ses mains en vertu de ses
fonctions, les choses détournées ou soustraites, étant d ‘une
valeur supérieure à 240.000 Frs ; avec cette circonstance que
Boulanger a commis lesdits détournement ou soustraction pour se procurer
les moyens de commettre les crimes d’attentat et de complot ci-dessus spécifiés
ou pour en faciliter l’exécution ;
Vu la connexité et les articles 226 et 227 du Code d’instruction
criminelle ;
Déclare Boulanger, Dillon et Dillon coupables du crime de complot ;
Boulanger coupable du crime d’attentat ;
Dillon et Rochefort, complices du même crime d’attentat ;
Boulanger coupable du détournement de deniers publics dont il était
comptable ;
Crimes qui sont prévus et punis par les articles 87, 88, 2, 89, 59, 60 et
169 du Code pénal, l’article 365 du Code d’instruction criminelle,
l’article du Code pénal, l’article Ier § Ier
de la loi du 16 juin 1850, l’article 2 de la loi du 31 mai 1854, dont M.
le Président Le Royer cite les textes, avant d’arriver au prononcé de
l’arrêt, ainsi conçu :
Condamne :
Boulanger
à la peine de la déportation dans une enceinte fortifiée ;
Dillon à la peine de la déportation dans une enceinte fortifiée ;
Rochefort à la peine de la déportation dans une enceinte fortifiée ;
Condamne lesdits Boulanger, Dillon et Rochefort solidairement aux frais du
procès, desquels frais la liquidation sera faite conformément à la loi,
tant pour la portion qui doit être supportée par des condamnés, que
pour celle qui doit demeurer à la charge de l’État ;
Ordonne que le présent arrêt sera exécuté à la diligence du Procureur
général près la Haute-Cour de justice, imprimé, publié et affiché
partout où besoin sera.
Fait et délibéré au Palais de la Haute-Cour, à Paris, le quatorze août
mil huit cent quatre-vingt neuf, en la Chambre du Conseil et prononcé le
même jour en séance publique, où siégeaient, M. Le Royer, Président,
M. Gustave Humbert, Vice-Président, tous les membres de la Haute-Cour qui
ont répondu à l’appel nominal fait au début de l’audience publique
- soit 207.
MINISTÈRE
DE L’INTÉRIEUR
DIRECTION DE LA
SÛRETÉ GÉNÉRALE
4° BUREAU
Police Générale
RÉPUBLIQUE
FRANÇAISE
Paris,
le 19 juillet 1889,
M. le Préfet de la Somme,
M. le Préfet, à la suite de l’ordonnance de Police qui m’a été
remise par la Chambre d’accusation de la Haute-Cour de justice contre
MM. Boulanger, Dillon et Henri Rochefort, un mandat de dépôt a été décerné
contre chacune de ces trois personnes, t ces trois mandats sont entre mes
mains.
Dans le cas où l’un quelconque des accusés tenteraient de pénétrer
sur le territoire de la République, il y aurait lieu de procéder immédiatement
à son arrestation. Je vous prie de donner des instructions précises dans
ce sens aux agents des ports débarquement situés sur le littoral de
votre département. Dans l’hypothèse d’une arrestation, vous auriez
soin de m’en avertir immédiatement et vous attendriez mes instructions.
Je vous prie de m’accuser réception de la présente lettre.
Recevez M. le Préfet l’assurance de ma considération distinguée.
Pour
le Ministre de l’Intérieur,
Le Conseiller d’État chargé de la direction de la sûreté générale.
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