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                                                                                 Le duel Déroulède-Clemenceau, 1892

 

Institutions et pratiques politiques


Le duel Déroulède-Clemenceau,
Le Figaro, 23 décembre 1892.



par Marc Nadaux

 





Au moment où éclate le scandale de Panama, Paul Déroulède, fondateur de la Ligue des Patriotes, compromet Clemenceau en l'accusant d'avoir reçu des fonds de la part de l'affairiste Cornages Hertz. En échange, le patron de presse lui aurait permis de recevoir la Légion d'Honneur. " Vous avez menti ", affirme l'éditorialiste de La Justice. La confrontation sur le pré est dès lors inévitable. 

Les mœurs de nos hommes politiques ont bien changé. A la fin du siècle, les joutes oratoires devant la Chambre pouvaient parfois  trouver leur prolongement sur le pré. Poursuivant une tradition que les décrets royaux de l'Ancien Régime n'ont pas fait disparaître, MM. Déroulède et Clemenceau doivent donc en découdre suivant la logique du point d'honneur et en respectant un rituel codifié. Cependant depuis Richelieu et les Trois mousquetaires, le pistolet a remplacé peu à peu l'épée. Le duel crée toujours l'événement et les journaux s'empressent d'en relater le déroulement parfois dramatique.

Malgré cette preuve de courage, le député du Var cependant ne put regagner son siège et fut battu lors des élections organisées l’été suivant.















Cette rencontre, dans laquelle il y aurait pu y avoir mort d'homme étant donné la force des tireurs, n'a donné aucun résultat.
    Nous avons dit hier, à propos du duel de MM. Déroulède et Clemenceau, que les quatre témoins avaient réclamé l'arbitrage du général Saussier.
    Le général Saussier, en raison de sa situation officielle, a décliné cette offre.
    M. Féry d'Esclands, choisi comme arbitre, a rendu alors la décision suivante :
 
    MM. Gaston Thomson et Ménard-Dorian, témoins de M. Clemenceau, et MM. Dumonteil et Barres, témoins de M. Déroulède, à la suite de pourparlers et de lettres qui ont été rendus publics, ayant émis, au sujet du projet de duel entre MM. Déroulède et Clemenceau, des avis qui n'ont pu aboutir à une solution pratique, sont tombés d'accord pour demander à M. Féry d'Esclands une solution.
    L'opinion de M. Féry d'Esclands a été que la lettre par laquelle M. Déroulède, parlant de M. Clemenceau, s'est exprimé dans les termes suivant : " il veut le choix des armes, qu'il le prenne. J'attends ", donnait aux témoins de ce dernier le droit de son choix du pistolet dans les conditions ordinaires, ou de l'épée.
     Paris, le 21 décembre 1892.
 
    Les témoins se réunirent pour arrêter les conditions du combat.
 
    L'arme indiquée par MM. Ménard-Dorian et Thomson a été le pistolet.
    Ces messieurs ont demandé que le duel eut lieu dans les conditions suivantes : au visé, avec un nombre de balles indéterminé en poursuivant jusqu'à ce que l'un des adversaires fût atteint.
    La distance entre les combattants laissée au choix des témoins de M. Déroulède.
    Les témoins de M. Déroulède ont répondu qu'ils ne laissaient de côté la qualité d'offensé généreusement sacrifiée par leur client que pour s'en tenir expressément à la sentence arbitrale de M. Féry d'Esclands, qui laisse à M. Clemenceau le choix des armes, et notamment du pistolet " dans les conditions ordinaires ", c'est à dire, suivant  leur opinion, quatre balles au commandement à vingt-cinq pas.
    La proposition de MM. Ménard-Dorian et Thomson ne leur parait pas d'accord avec la sentence arbitrale.
    MM. Thomson et  Ménard-Dorian ont fait observer que l'affaire avait un caractère particulier de gravité, et après avoir demandé l'échange de huit balles au commandement à vingt-cinq pas, ils ont proposé six balles dans les mêmes conditions ou quatre balles au visé.
    Les quatre témoins sont tombés d'accord sur six balles au commandement à vingt-cinq mètres, au pistolet de tir. Il a été entendu que le duel aurait lieu à l'étranger.
 
    Conformément au procès-verbal ci-dessus, six balles ont été échangées sans résultat.
 
                                                                 Paris, le 22 décembre 1892.
 
 
    Pour M. Déroulède, L. Dumontiel, Maurice Barres
    Pour M. Clemenceau, Gaston Thomson, P. Ménard-Dorian.
 
 
 
    Le duel a eu lieu dans le champ de courses de Saint-Ouen, où trois cent personnes s'étaient rendus, gênant à plusieurs reprises et interrompant les témoins et les combattants.
    M . Déroulède était assisté des docteurs Devillers et Paulin-Méry, M. Clemenceau du chirurgien Terrillon, médecin des hôpitaux.
    Sur le terrain, avant la répartition des armes, M. Déroulède, s'approchant de ses témoins, leur demanda de faire constater aux témoins de son adversaire qu'il tenait " à réserver son droit " de continuer, dès le lendemain, ses attaques au Parlement, parce qu'il considérait ses attaques comme l'expression de la vérité.
    Ce duel ne termine donc pas la polémique soulevée devant la Chambre.
    Aussi, après la rencontre, n'y a-t-il eu aucun échange de poignées de main.
    Un dernier détail, peu important d'ailleurs  : M. Clemenceau avait gardé son chapeau sur la tête, M. Déroulède était tête nue.