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                                                                                La crise du 16 mai 1877

 

La crise du 16 mai 1877.



Discours prononcé à Lille par Léon Gambetta,
député,
15 août 1877.



par Marc Nadaux


 





Réélu député de la Seine en 1876, Léon Gambetta lutte avec acharnement contre le maréchal de Mac-Mahon, président de la République, les conservateurs et l'Ordre moral, lors de la crise du 16 mai 1877 notamment. A Lille, le 15 août suivant, au cours d’une réunion politique, le tribun indique au Président de la République l’alternative qui s’offre à présent à lui : " Se soumettre ou se démettre ". Ceci lui vaut d'être condamné par défaut, le 10 septembre suivant, à trois mois de prison et 2.000 Francs d'amende pour " offense au chef de l'État ". Celui-ci fait le choix d’aller jusqu’au bout de son mandat, le duc de Broglie, le président du Conseil, lui quitte ses fonctions.








Discours prononcé à Lille
par Léon Gambetta, député,
 15 août 1877.




Messieurs,

 

l'Europe entière assiste avec une sympathique anxiété qui nous honore à cette suprême épreuve de la démocratie républicaine et libérale pour établir en France un gouvernement pacifique au-dehors et progressif au-dedans ; un gouvernement qui, tout en respectant les droits légitimes des citoyens et des corporations établies, se dégage de plus en plus des étreintes de l'esprit théocratique et ultramontain ; qui façonne l'administration et l'éducation nationales selon les principes de la raison moderne et fasse de l'État un agent exclusivement civil de réformes et de stabilité.

Dès l'origine du conflit, l'Europe, sans distinction de convictions politiques, monarchiques ou républicaines, s'est prononcée contre le coup de réaction du 16 Mai. Elle y a vu, comme nous, une audacieuse tentative de l'esprit clérical contre l'Europe entière. Elle a déploré de voir le crédit, l'influence que la France reprenait peu à peu dans les conseils du monde remis soudainement en question et sa voix faire défaut dans le concert européen. Elle suit attentivement, et jour par jour, les divers incidents de la lutte passionnée que le ministère du 16 Mai a entreprise contre la nation. Les graves problèmes soulevés par la question d'Orient ne l'absorbent pas au point de la distraire de nos efforts quotidiens dans la campagne électorale ouverte depuis deux mois. Les organes les plus influents et les plus autorisés de l'opinion européenne soutiennent notre démocratie de leurs encouragements et de leurs conseils.

Les peuples, comme les gouvernements, attendent avec impatience l'issue de la lutte, espérant que le dernier mot restera à la souveraineté nationale, à l'esprit de 89. Comme .le disait le ministre président du Conseil d'Italie : les gouvernements passent et les nations restent. La France, qui a promulgué le droit moderne, ne voudra pas donner à l'Évangile de 89 un démenti dont profiteraient seuls le Syllabus  et le jésuitisme.

L'Europe a fait comme la bourgeoisie ; elle a porté ses sympathies de droite à gauche ; et c'est là, pour nous, républicains et patriotes, un élément de plus de la victoire et de la stabilité qui attendent la République quand elle sera sortie des misérables difficultés que lui crée, contre tout patriotisme, la coalition des anciens partis. Les espérances du monde ne seront pas trompées. La République sortira triomphante de cette dernière épreuve, et le plus clair bénéfice du 16 Mai sera, pour l'histoire, d'avoir abrégé de trois ans, de dix ans, la période d'incertitude et de tâtonnements à laquelle nous condamnaient les dernières combinaisons de l'Assemblée nationale élue dans un jour de malheur.

Messieurs, telle est la situation. Et j'ose dire que les espérances du Parti républicain sont sûres ; j'ose dire que votre fermeté, votre union, que votre activité sont les garants de ce triomphe. Pourquoi ne le dirais-je pas, au milieu de ces admirables populations du département du Nord, qui, à elles seules, payent le huitième des contributions de la France, dans ce département qui tient une des plus grandes places dans notre industrie nationale, aussi bien au point de vue mécanique qu'agricole? N'est-il pas vrai que, dans ce pays, vous avez commencé aussi à faire justice des factions qui s'opposaient à l'établissement de la République et que vous n'attendez que l'heure du scrutin pour que tous vos élus forment une députation unanime ?

Vous le pouvez si vous le voulez, et vous savez bien ce qui vous manque : ce ne sont pas les populations disposées à voter pour des candidats républicains ; ce sont des candidats qui consentent à sortir définitivement d'une résistance dictée par des intérêts privés et comprennent qu'il s'agit aujourd'hui d'un service public et d'élections d'où dépendent les destinées de la France. Il faut que ces hommes fassent violence à leurs intérêts domestiques pour aborder la plate-forme électorale.

A ce point de vue, des adhésions significatives ont déjà été obtenues et vous avez su trouver des candidats qui vous mèneront à la victoire. Je devais plus particulièrement le dire ici, dans ce département qui, parmi les autres, tient la tête dans les questions d'affaires et de politique. Je devais le dire ici pour vous mettre en garde contre certains bruits qui ont été répandus et dont on alimente la basse presse, à savoir que si le suffrage universel dans sa souveraineté, je ne dirai pas dans la liberté de ses votes, puisqu'on fera tout pour restreindre cette liberté, mais dans sa volonté plénière, renomme une majorité républicaine, on n'en tiendra aucun compte. Ah ! tenez, messieurs, on a beau dire ces choses ou plutôt les donner à entendre, avec l'espoir de ranimer par là le courage défaillant de ses auxiliaires et de remporter ainsi la victoire : ce sont là de ces choses qu'on ne dit que lorsqu'on va à la bataille ; mais, quand on en revient et que le destin a prononcé, c'est différent ! Que dis-je, le destin ? Quand la seule autorité devant laquelle il faut que tous s'inclinent aura prononcé, ne croyez pas que personne soit de taille à lui tenir tête. Ne croyez pas que quand ces millions de Français, paysans, ouvriers, bourgeois, électeurs de la libre terre française, auront fait leur choix, et précisément dans les termes où la question est posée ; ne croyez pas que quand ils auront indiqué leur préférence et fait connaître leur volonté, ne croyez pas que lorsque tant de millions de Français auront parlé, il y ait personne, à quelque degré de l'échelle politique ou administrative qu'il soit placé, qui puisse résister.

Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, croyez-le bien, messieurs, il faudra se soumettre ou se démettre.