Le
manifeste du comte de Chambord,
5 juillet 1871.
Français,
Je suis au milieu de vous.
Vous m'avez ouvert les portes de la France, et je n'ai pu me refuser le
bonheur de revoir ma patrie.
Mais je ne veux pas donner, par ma présence prolongée, de nouveaux
prétextes à l'agitation des esprits, si troublés en ce moment.
Je quitte donc ce Chambord que vous m'avez donné, et dont j'ai porté
le nom avec fierté, depuis quarante ans, sur les chemins de l'exil.
En m'éloignant, je tiens à vous le dire, je ne me sépare pas de vous,
la France sait que je lui appartiens.
Je ne puis oublier que le droit monarchique est le patrimoine de la
nation, ni décliner les devoirs qu'il m'impose envers elle.
Ces devoirs, je les remplirai, croyez-en ma parole d'honnête homme et
de roi.
Dieu aidant, nous fonderons ensemble, et quand vous le voudrez, sur
les larges assises de la décentralisation administrative et des
franchises locales, un gouvernement conforme aux besoins réels du pays.
Nous donnerons pour garantie à ces libertés politiques auxquelles
tout peuple chrétien à droit, le suffrage universel honnêtement pratiqué
et le contrôle des deux Chambres, et nous reprendrons, en lui restituant
son caractère véritable, le mouvement national de la fin du dernier
siècle.
Une minorité révoltée contre les vœux du pays en a fait le point de
départ d'une période de démoralisation par le mensonge et de
désorganisation par la violence. Ses criminels attentas ont imposé la
révolution à une nation qui ne demandait que des réformes, et l'ont, dès
lors, poussée vers l'abîme où hier elle eut péri, sans l'héroïque effort
de notre armée.
Ce sont les classes laborieuses, ces ouvriers des champs et des
villes, dont le sort a fait l'objet de mes plus vives préoccupations et
de mes plus chers études qui ont le plus souffert de ce désordre social.
Mais la France, cruellement désabusée par des désastres sans exemple,
comprendra qu'on ne revient pas à la vérité en changeant d'erreur ;
qu'on n'échappe pas par des expédients à des vérités éternelles.
Elle m'appellera, et je viendrai à elle tout entier, avec mon
dévouement, mon principe et mon drapeau.
A l'occasion de ce drapeau, on a parlé de conditions que je ne dois
pas subir.
Français !
Je suis
prêt à tout pour relever mon pays de ses ruines et à reprendre son rang
dans le monde ; le seul sacrifice que je ne puis lui faire, c'est celui
de mon honneur.
Je sus et je veux être de mon temps ; je rends un sincère hommage à
toutes ses grandeurs , et, quelle que fut la couleur du drapeau sous
lequel marchaient nos soldats, j'ai admiré leur héroïsme, et rendu grâce
à Dieu de tout ce que leur bravoure ajoutait au trésor des gloires de la
France.
Entre vous et moi, il ne doit subsister ni malentendu ni
arrière-pensée.
Non, je ne laisserai pas, parce que l'ignorance ou la crédulité
auront parlé de privilèges, d'absolutisme et d'intolérance, que sais-je
encore ? de dîme, de droits féodaux, fantômes que la plus odieuse
mauvaise foi essaie de ressusciter à vos yeux, je ne laisserai pas
arracher de mes mains l'étendard d'Henri IV, de François Ier et de
Jeanne d'Arc.
C'est avec lui que s'est faite l'unité nationale, c'est avec lui que
vos pères, conduits par les miens, ont conquis cette Alsace et cette
Lorraine dont la fidélité sera la consolation de nos malheurs.
Il a vaincu la barbarie sur cette terre d'Afrique, témoin des
premiers faits d'armes des princes de ma famille ; c'est lui qui vaincra
la barbarie nouvelle dont le monde est menacée.
Je le confierai sans crainte à la vaillance de notre armée ; il n'a
jamais suivi, elle le sait, que le chemin de l'honneur.
Je l'ai reçu comme un dépôt sacré du vieux Roi mon aïeul, mourant en
exil ; il a toujours été pour moi inséparable du souvenir de la patrie
absente ; il a flotté sur mon berceau, je veux qu'il ombrage ma tombe.
Dans les plis glorieux de cet étendard sans tache, je vous apporterai
l'ordre et la liberté.
Français,
Henri V ne peut abandonner le drapeau blanc d'Henri IV.
Henry.
Chambord, 5 juillet 1871.