Les sources publiées
ici sont des inventaires après décès. Un inventaire est une opération
qui consiste à énumérer et à décrire les éléments composant
l’actif et le passif d’une communauté, d’une succession.
L’inventaire après décès fait l’état des fortunes à la mort
d’une personne. Ces documents sont établis par un notaire, ici Maîtres
Jouguet, père et fils, notaires à Messei, et signés par des témoins.
Entre archives publiques et archives privées, les archives notariales
constituent une source inépuisable de documents. Elles ont un caractère
public du fait que le notaire est un officier ministériel, investi par
l’État, et que leur conservation est d’intérêt public pour les
preuves. Les archives deviennent communicables après un certain délai
mais toujours avec autorisation du notaire dont la propriété exclusive
est reconnue depuis 1304. Ces archives sont tirées des
registres-protocoles qui ont l’avantage de fournir une documentation
suivie. Elles témoignent la situation des fortunes à Messeï durant la période
1884-1900. Messei (61440), situé à proximité de Flers, est un chef lieu
de canton de l’Orne, autrefois connu par son château du moyen âge et
son activité sidérurgique. Aucune étude historique ne porte encore sur
ce petit bourg rural qui tenait pourtant une place importante dans l’économie
locale des XVIIIème et XIXème siècles.
Ces documents
sont tous rédigés de la même manière. Il est fait mention :
.
de la date, de l’heure, du lieu
(ville et domicile) où se déroule l’inventaire,
. de la personne qui a demandé
que l’inventaire soit effectué et des raisons pour lesquelles elle est
habilitée à le faire,
. des témoins, du notaire et du greffier,
. des conditions dans
lesquelles va se dérouler l’inventaire.
L’inventaire
comprend une récapitulation :
.
du mobilier du ménage du défunt,
. des objets de la vie
courante du défunt,
. des papiers du ménage et
du défunt.
L’inventaire
peut être effectué en plusieurs journées.
Chaque objet est évalué. Le calcul de la fortune totale est effectué.
Le document est signé par le notaire et les témoins. Il est alors fait
mention de la date et du lieu de l’enregistrement de l’acte. Chaque
recto porte le cachet du notaire et est signé par les témoins.
Les inventaires
après décès sont des sources rares. Un inventaire n’est pas
automatiquement effectué après chaque décès. Il l’est seulement si
un héritier est ou mineur ou absent ou s’il en fait la demande.
L’exemple de l’année 1897 est révélateur. En 1897, on compte
vingt-deux décès à Messei. Seulement quatre inventaires sont effectués
pour Messei sur un total de six sur l’année. Même si on peut supposer
que certains inventaires ont été effectués par d’autres notaires,
cela montre leur relative rareté et leur intérêt. Les inventaires édités
dans cette étude concernent les années :
.
1885 : 1
. 1886 : 1
. 1889 : 1
. 1891 : 1
. 1892 : 2
. 1897 : 2
. 1898 : 1
. 1900 : 1
Ils répertorient
la fortune :
. d’un boucher (1885)
. d’un aubergiste (1886)
. d’un propriétaire rentier (1819)
. d’une propriétaire et maîtresse d’hôtel (1891)
. d’un propriétaire, ancien receveur buraliste (1892)
. d’un agent royer (1892)
. d’une propriétaire rentière (1897)
. d’une épouse de journalier (1897)
. d’un cultivateur (1898)
. d’un propriétaire-cultivateur (1900).
La stabilité du
franc au XIXème siècle permet des comparaisons faciles sans
avoir à effectuer de correction monétaire. Une hiérarchie de fortune se
dégage. Le propriétaire-cultivateur (1900) possède davantage de
mobilier, de vaisselle que le simple cultivateur (1899). Il paraît également
mieux outillé pour son travail : il dispose notamment d’une
voiture à foin. Le prix de sa carriole est estimé à quarante-cinq
francs. Celle du cultivateur, avec " deux équipages de limon ",
" une paire de traits ", " deux mauvais
colliers ", " une mauvaise paronne " et un
licol, est estimée à trente francs. L’exploitant doit faire face à
plusieurs types de dépenses : les charges fiscales, les fermages et
les dépenses d’entretien. Il bénéficie des recettes des cultures et
de l’élevage.
La fortune matérielle
du boucher (1885) paraît bien modeste comparée à celle de
l’aubergiste. L’ameublement de l’hôtel est plus important que celui
de la boucherie. L’aubergiste dispose également de davantage de vêtements
et dans des étoffes plus riches. Le capital vêtement du boucher est
estimé à vingt-six francs, celui de l’aubergiste à soixante-cinq
francs. L’aubergiste possède également une montre à boîtier estimée
à quinze francs. La fortune matérielle de l’aubergiste est elle-même
très inférieure à celle de la maîtresse d’hôtel (1882). Il est rare
en Normandie qu’une femme possède plus d’une douzaine de chemises or
la maîtresse d’hôtel en possède plus d’une vingtaine. Le nombre
mais également le degré d’usure sont des indicateurs de fortune.
Les documents
montrent la composition de la fortune rurale. Les richesses immobilières
diminuent, les fortunes mobilières augmentent, les actifs monétaires et
financiers se développent. Les créances se divisent en trois groupes :
. sommes dues à des marchands et artisans, souvent de faible valeur
. arrérages de fermage dus
au moment du décès du propriétaire
. dettes.
De nouveaux types
de placements apparaissent : rentes, actions et obligations. C’est
l’étude des papiers qui permet d’établir la hiérarchie des
fortunes. Le boucher est très endetté. L’aubergiste possède
finalement une fortune supérieure à celle de la maîtresse d’hôtel grâce
aux créances.
On estime que,
pour l’ensemble de ma France, la fortune :
. de la petite bourgeoisie varie de 18.000 F à 46.000 F
. du peuple aisé de 9.000 F
à 18.000 F
. du bas peuple de 2.000 F
à 9.000 F.
Ce qui donne la
hiérarchie de fortunes suivante :
1 . médecins,
pharmaciens
2 . propriétaires, rentiers
3 . professions libérales
4 . marchands - négociants
5 . alimentation, hôtellerie
6 . cultivateurs
7 . services administratifs
8 . ecclésiastiques
9 . bâtiments
10 . artisans divers
11 . transports
12 . domestiques
13 . ouvriers
14 . journaliers.
Il est possible
de comparer ce tableau avec celui établi à partir des dix fortunes éditées :
1 .
propriétaire rentier (1889)
2 . agent royer (1892)
3 . aubergiste (1886)
4 . propriétaire et maîtresse
d’hôtel (1891)
5 . propriétaire vivant de
ses revenus (1897)
6 . cultivateur (1898)
7 . épouse de journalier
(1897)
8 . propriétaire-cultivateur
(1900)
9 . propriétaire, ancien
receveur buraliste (1892)
10 . boucher (1885).
Ces documents
aident à prendre conscience que ce qui est pour nous du passé était du
présent pour ceux qui l’ont vécu.
Un nombre infini de questions se posent face à ces textes :
. ces fortunes sont-elles représentatives de leur époque ?
. représentent-elles les diverses conditions sociales qui vivent dans les
campagnes ? Messei même ?