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                                                                                La Morgue de Paris, Maxime Du Camp, 1869

 

La Morgue de Paris,

Maxime Du Camp,
1869.




par Marc Nadaux







Maxime Du Camp nous décrit ici les lieux et le fonctionnement de cette administration, dont le but est la mise à jour de l'identité des corps qui lui sont amenés. Il peut paraître curieux de nos jours que dans son ouvrage consacré à la capitale l'auteur rédige ainsi un chapitre sur la morgue et en fasse un de ses hauts-lieux. Et pourtant, à l'époque, ses locaux situés sur les quais de la Seine sont très visités par des curieux de tous âges et de toutes conditions sociales. Jusqu'en 1907 en effet, l'exposition des cadavres est publique et cette familiarité avec la mort qui a aujourd'hui disparu y amène badauds et promeneurs. Le 14 novembre 1876, ce sont 68.250 Parisiens qui vont se presser à la morgue afin d'apercevoir " la femme coupée en morceaux ", dont l'attrait tient au fait divers que relate la presse populaire. 







La Morgue était originairement le second guichet du Grand-Châtelet. On y gardait les nouveaux prisonniers pendant quelques instants, afin que les guichetiers puissent les morguer à leur aise, c'est-à-dire les dévisager attentivement et se graver leurs traits dans la mémoire. Ce fut là ensuite qu'on déposa les cadavres ramassés sur la voie publique ou dans la Seine. Plus tard, en 1804, on construisit sur le quai du Marché-Neuf, à l'angle nord-ouest du pont Saint-Michel, un bâtiment carré spécialement destiné à l’exposition des corps inconnus. L'ouverture des nouveaux boulevards a singulièrement modifié ce quartier, et la Morgue est aujourd'hui reléguée à l'extrémité de la Cité, sur cet îlot depuis longtemps réuni à la terre ferme et qu'on appelait autrefois la Motte-aux-Papelards.

La salle d'exposition, garnie d'un vaste vitrage qui permet l’observation la plus attentive, contient douze dalles sur lesquelles les corps sont étendus au-dessous d'un robinet d'eau froide qui les arrose incessamment et retarde la décomposition. A côté, sont le greffe, la salle des autopsies, la salle des morts reconnus ou inconnus qui doivent être enterrés, les magasins où des casiers séparés, numérotés, étiquetés, renferment les vêtements trouvés sur les cadavres ou simplement recueillis dans la Seine, les égouts et les canaux, enfin la salle des gardiens et leur chambre de nuit. Nul cadavre n'est reçu à la Morgue si les gens qui l'apportent ne sont munis d'un ordre de réception délivré par un commissaire de police ; le procès-verbal de la découverte du corps et le rapport du médecin sont directement envoyés au cabinet du préfet.

Le cadavre une fois admis est déshabillé, lavé et exposé. L'énumération des différentes divisions qui servent de titres au livre du greffe fera comprendre immédiatement avec quel soin méticuleux et intelligent cette lugubre comptabilité est tenue : Numéro d'ordre, - date d'entrée, - heure d'arrivée, - Noms, - sexe, - âge, - Signalement d'identité : lieu de naissance, état civil, profession. - Demeure : rue, quartier. - Vêtements. - Genre de mort. - Temps écoulé depuis la mort. - Suicide ou homicide, - causes présumées. - Envoyé par le commissaire de - Lieu où le cadavre a été trouvé. - Autopsie. - Date de l'inhumation. - Observations. Il faut naturellement qu'un corps soit reconnu pour que toutes ces questions reçoivent une réponse.

La Seine rend bien des cadavres, mais elle en garde quelques-uns ; les gens qui périssent par accident ne sont pas tous retrouvés, et il arrive très souvent que des personnes n'ayant pas vu revenir un parent ou un ami vont le chercher à la Morgue, où il n'est pas. Le greffier alors, avec une perspicacité de juge d'instruction, interroge le réclamant, et sur un registre de renseignements il inscrit la date de la disparition, les nom et prénoms, la demeure, le signalement détaillé, les vêtements, les signes particuliers, sans oublier les tatouages, la marque du linge, les anneaux d'oreilles et certains appareils chirurgicaux que les gens du peuple, accoutumés aux métiers pénibles, sont souvent obligés de porter.

Dans ces sortes d'interrogatoires, qui presque toujours s'adressent à des personnes d'une éducation restreinte et d'une instruction trop imparfaite, il faut développer une patience, une sagacité, je dirai même une astuce extraordinaire et que l'habitude peut seule donner. J'ai entendu là des dialogues inconcevables. - Quelle forme a son nez ? - Ah ! Dam ! je ne sais pas. - A-t-il le nez droit, aquilin, retroussé ? - Mais, ce pauvre homme, monsieur, il a un nez comme tout le monde. - De quelle couleur sont ses vêtements ? Ah ! je ne sais pas ; je sais seulement qu'il avait un gilet. Et de tout ainsi ; ce n'est le plus souvent qu'à force de reprendre les questions sous toutes les faces imaginables, qu'on arrive à découvrir une indication qui permettra d'entreprendre des recherches sérieuses.

Le greffier actuel de la Morgue est un homme singulièrement actif et dévoué ; il a, si je puis dire, la passion de l'identité, et il n'épargne nulle peine pour arriver à reconnaître celle des malheureux qui sont étendus sur les tristes dalles. C'est là en effet le grand but auquel la Morgue doit servir et pour lequel la préfecture de police ne mesure point ses efforts : constater l'identité des cadavres, régulariser leur état civil et donner une dernière et douloureuse satisfaction aux familles. Si les vêtements du mort contiennent des papiers, on écrit en hâte aux personnes qu'ils peuvent indiquer; si un curieux entré par hasard émet des doutes sur l'individualité des corps exposés, on lui demande de désigner la demeure, les habitudes, les relations du pauvre diable qui n'est plus, et aussitôt une enquête est commencée. C'est ainsi par induction, par interrogatoires répétés, en harcelant les gens de questions et de lettres, en passant du connu à l'inconnu qu'on par vient, après mille difficultés, à savoir précisément le nom, l'âge et la profession de la plupart de ces êtres informes que la Morgue reçoit tous les jours.

Ce dur, très dur métier, est mal rétribué, le greffier, sur qui pèse une responsabilité perpétuelle, à 2.100 francs par an; son personnel, insuffisant aujourd'hui, est composé d'un commis aux écritures, de deux garçons de salle et d'un surveillant, qui touchent chacun 1.200 francs. C'est trop peu, et un si pénible labeur devrait être récompensé plus largement; nul travail n'est plus fatigant, plus répulsif. En dehors de la besogne matérielle, qui par elle-même est horrible, il y a un inconcevable déploiement d'activité dans cette recherche permanente, qui le plus souvent ne s'appuie que sur des données incertaines, sinon inexactes. C'est à toute heure qu'il faut être prêt à répondre et à questionner, chaque nuit un homme veille pour recevoir les corps que l'on pourrait apporter. A force de manier des cadavres, les deux garçons qui sont chargés de les exposer sont arrivés à une indifférence et à une habileté sans égales.

Il faut les voir dépouiller un mort et dicter son signalement avec une précision merveilleuse : une blouse bleue raccommodée au poignet gauche avec du fil blanc, la boutonnière du collet est déchirée, une pièce plus neuve à l'épaule; une cicatrice de 2 millimètres environ au genou droit; mains calleuses et peu flexibles comme celles des gens qui travaillent à la terre. Chaque indication est sévèrement vérifiée par le greffier et inscrite au registre. De tels soins ont produit d'excellents résultats, et le nombre des morts inconnus va toujours en diminuant. II serait moins considérable encore si l'on était parvenu à détruire complètement cette vieille et sotte idée qu'il eu coûte fort cher pour reconnaître et retirer un cadavre. Tous les soins, tous les travaux de la Morgue sont gratuits, il devrait être superflu de le dire; mais bien des gens ne le savent pas encore, et ce n'est pas sans raison qu'une courte et très visible inscription peinte sur la muraille de la salle commune explique que nulle rétribution n'est jamais réclamée pour aucun des services rendus dans ce lieu. Le préjugé dure depuis longtemps, et ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on cherche à le combattre, car, le 6 décembre 1736, le lieutenant de police fit faire un cri pour proclamer l'absolue gratuité de la morgue du Châtelet et ne convainquit personne.

Lorsqu'un cadavre est resté exposé pendant les trois jours réglementaires ou qu'on a pu constater son identité, le greffier fait ce qu'en langage administratif on appelle le nécessaire, c'est-à-dire l'acte de décès, puis il demande un permis d'inhumation. La justice est souvent forcée de regarder de près à la Morgue, aussi c'est à elle qu'on s'adresse d'abord. Si elle n'a aucun intérêt à faire conserver le cadavre, l'autorisation est ainsi formulée : " Le procureur impérial près le tribunal de première instance de la Seine, vu le procès-verbal dressé le …… par ….. constatant la mort ….. n'empêche pas qu'il soit procédé à l'inhumation ". Cette indispensable formalité étant remplie, le permis définitif est accordé en ces termes par le préfet sur le verso de l'ordre de réception délivré dans le principe par un commissaire de police : " M. le greffier de la Morgue est autorisé à faire inhumer le corps désigné d'autre part ". Le cadavre placé dans une bière est conduit sur un corbillard spécial au cimetière des hôpitaux, où il est enterré après que le concierge en a donné un reçu. Pour l'ensevelissement et le transport, la Morgue reçoit 6 fr. 50 c. par corps ; le fossoyeur 1 fr. 50 c. pour l'inhumation. Avant la révolution, le soin d'inhumer les noyés ou les morts inconnus trouvés sur la voie publique appartenait exclusivement aux sœurs de l'hôpital Sainte-Catherine, dont le couvent était situé rue Saint-Denis, à l'angle de la rue des Lombards, et qu'on appelait vulgairement les Catherinettes.

Les registres de la Morgue qui, surtout depuis quelques années sont tenus avec un ordre parfait, sont extrêmement curieux à parcourir. Sous leur aridité apparente, ils cachent les notions les plus intéressantes. Parfois, dans la colonne des observations, on rencontre des naïvetés touchantes, celle-ci entre autres, quoiqu'elle soit écrite en un français douteux. A la date du 9 juillet 1828, à coté de la description détaillée d'un corps de noyé, un feuillet séparé est attaché, sur lequel on lit au recto : " J'apartien à une famille honnette. Je vous prie par raport à eux ne pas donner mon signalement ". Et au verso, de la main sans doute de quelque sergent de ville : " Ce petit livre appartient à un particulier que les vêtements ont été reconnus pour être logé en garnie et être un marchant forain de la Bourgogne ". Ces registres rappellent d'une façon vivante les batailles de nos révolutions et de nos émeutes; à certains jours les colonnes sont chargées outre mesure, l'écriture du greffier est rapide, on voit qu'il est pressé et qu'il fait une besogne inaccoutumée; si le 27 juillet 1830, il n'a enregistré que 3 corps, dont 2 noyés, le 28, il en a eu 18 ; le 29, 101, tous suivis de l'indication : Coup de feu. En février 1848, le 23, 10 ; le 24, 43; le 25, 16. L'insurrection de juin arrive : le 25, 43; le 26, 101 ; le 27, 36. Le reste est de l'histoire trop moderne pour trouver sa place ici.

Un fait douloureux et que l'état civil de la Morgue constate avec une brutalité saisissante, c'est que le nombre des morts y augmente dans une proportion extraordinaire; il a doublé depuis dix ans. L'annexion de la banlieue n'y est pour rien, comme on pourrait le croire, puisque le service de la Morgue embrasse tout le département de la Seine; certes cela tient en partie à ce que les recherches sont plus actives, plus fréquentes, mieux faites, plus encouragées qu'autrefois; mais la vraie cause est autre, elle est morale et plus profonde.

Tant de gens viennent à Paris maintenant, comme vert Eldorado certain, et n'y rencontrent que des déceptions ; tant d'exemples de fortunes beaucoup trop rapidement acquises ont entraîné des hommes faibles à des spéculations hasardeuses dont ils ne soupçonnaient pas le danger ; l'absinthe a abruti tant d'intelligences et atrophié tant de forces musculaires ; l'insouciance du lendemain, la hâte de jouir, l'impérieux besoin de s'amuser à tout prix et quand même, ont fait tant de progrès depuis quelque temps, qu'il n'est pas surprenant que les dalles de la Morgue ne soient plus jamais libres. Aussi la foule curieuse se presse dans la galerie extérieure; les gamins, qui y viennent comme à un spectacle, appellent les corps exposés, les artistes ; lorsque par hasard la salle d'exposition est vide, ils disent : Il y a relâche.

La constante et douloureuse progression des réceptions ressort surtout de la comparaison des chiffres pris à différentes époques correspondantes ; l'année 1848 envoie à la Morgue 302 cadavres, dont 257 hommes, 45 femmes, plus 78 nouveau-nés et les fragments ; en 1856, l'augmentation se fait déjà sentir : 312 hommes, 50 femmes, 113 nouveau-nés, 11 portions de corps ; en1866,les réceptions arrivent au total énorme de 733, qui se décompose de la manière suivante : hommes 488, femmes 86, nouveau-nés et fœtus 146, débris 15. Cette sinistre proportion ne se ralentit pas ; 1867 donne 744 corps ou parties de corps qui se divisent ainsi : hommes 513, femmes 65, nouveau-nés 89, fœtus 58, débris 21. Ainsi qu'on le voit, les femmes sont bien moins nombreuses que les hommes.

Cela se conçoit; elles sont plus patientes que nous ; l'espèce d'infériorité sociale qui pèse encore sur elles les a, dès l'enfance, façonnées à la résignation ; et puis, dans la bataille de la vie, quoiqu'elles aient souvent la plus mauvaise part, elles n'ont qu'une responsabilité singulièrement limitée qui leur enlève ces grands périls moraux où l'homme le mieux doué succombe parfois. Quant aux nouveau-nés et à ces êtres embryonnaires qui n'ont encore eu qu'une existence interne et problématique, ils sont nombreux ; produits de la misère et aussi de la débauche, leur entrée à la Morgue correspond invariablement aux dates du carnaval et de la mi-carême.

Si du total général nous retranchons ces tristes avortons (c'est le vrai mot qui leur convient) et les méconnaissables fragments humains, il restera 578 adultes (dont 448 ont été reconnus), qui tous ont péri, presque toujours violemment, par des causes diverses dont je citerai quelques-unes : 163 suicides, 135 hommes, 28 femmes ; 16 homicides, 12 hommes, femmes. La majeure partie de ces malheureux a été repêchée dans la Seine ; 312 en tout, dont 34 femmes et 278 hommes. D'autres se sont pendus, 30 hommes ; se sont brûlé la cervelle, 6 hommes ; se sont frappés d'une arme blanche, 3 hommes ; se sont asphyxiés par la vapeur de charbon, 3 hommes, 4 femmes ; se sont empoisonnés, 5 hommes, 2 femmes ; ont été écrasés par des voitures, 14 hommes, 1 femme ; par des wagons de chemin de fer, 7 hommes, 1 femme ; sont tombés du haut des échafaudages ou se sont jetés parla fenêtre, 21 hommes, 4 femmes. Chose horrible à penser ! Dans Paris, dans ce Paris où l'argent coule à flots, un homme et une femme sont morts de misère et de faim en 1867, dans cette année même où l'Exposition universelle attirait au milieu de nous les richesses du monde entier. Parmi les suicides reconnus, on a constaté qu'il y avait 76 célibataires, 22 veufs et 49 personnes mariées.

Les mois les plus fertiles pour cette lamentable récolte sont les mois d'été; c'est le moment où l'on se baigne, où l'on fait des parties de canot et, il faut bien le reconnaître aussi, où le soleil, échauffant les têtes, détermine souvent des congestions cérébrales et des accès d'aliénation. Les premières haleines du printemps sont troublantes et malsaines ; la sève monte aux arbres, la vie nerveuse envahit le cerveau, et le mois d'avril donne un contingent de 82 morts; décembre, où l'on attend avec espérance la nouvelle année qui s'approche, janvier qui est un mois de charité, de bienfaisance et de cadeaux, tombent à 39 et à 38.

Paris est fort inégal, et selon ses zones diverses, il fournit à cette sinistre statistique des éléments différents. En 1867, le Xe arrondissement, celui du faubourg Saint-Martin, a eu 35 de ses habitants exposés à la Morgue; puis vient le Ve, le quartier Latin, pays des amours éphémères, des trahisons faciles, des désespoirs de jeunesse, qui est représenté par 30; le XIIe et le XIXe, le faubourg Saint-Antoine et la Petite-Villette, donnent chacun 23. Aussitôt après on retombe assez bas et l'on arrive enfin au IIe arrondissement, quartier riche et remuant groupé autour de la Bourse, qui n'a exposé que 2 cadavres à la funèbre logette de la Cité. D'habitude, c'est le XVIe arrondissement qui, peuplé des petits rentiers paisibles, prudents et rangés de Passy, fournit les chiffres les moins élevés à cette triste nomenclature; mais en 1867, il ne se présente qu'en avant-dernière ligne, car il est inscrit pour 5 morts sur les registres de la Morgue.

Ce chiffre de 744 morts apportés à la Morgue pendant l'année 1867 parait d'autant plus considérable que le total de 1848, malgré la révolution de février, malgré l'insurrection de juin, n'a été que de 631 ; mais, sans aucun doute, il serait bien plus excessif encore si la préfecture de police par ses encouragements, ses notes publiques et officielles, ses récompenses, ses médailles, n’excitait sans cesse une précieuse émulation parmi les hommes que leur métier attache plus particulièrement aux bords de la Seine et des canaux. Pour tout cadavre repêché elle donne une prime de 15 fr., et une prime de 25 fr. pour tout individu sauvé. Ainsi les 312 noyés qui en 1867 ont été transportés à la Morgue, ont coûté 4,680 fr. à la préfecture ; dans le cours de la même année, 145 sauvetages accomplis dans la Seine n'ont grevé le budget que de la somme insignifiante de 2,925 fr., car 28 sauveteurs ont délicatement refusé la prime à laquelle ils avaient droit et qui leur était offerte. Les mêmes mois qui voient le plus de morts par submersion, voient naturellement le plus grand nombre de sauvetages ; les mois de fortes chaleurs, juin, juillet, août, septembre, comptent 14, 20, 21, 15 sauvetages ; décembre n'en a que 6 et janvier 1 seul. Non contente de remettre une prime à ceux qui rendent à la société le service de sauver un de ses membres en péril, la préfecture de police distribue tous les ans des récompenses honorifiques à ceux des sauveteurs qui se sont distingués par des actes renouvelés de courage et d'humanité ; en 1867, pour sauvetages opérés dans la Seine, elle a accordé vingt-six médailles, dont sept en or et dix-neuf en argent.

Cette race vaillante qui habite les ports et les quais n'a du reste guère besoin d'émulation ; elle renferme des hommes intrépides et dévoués, dont le grand et principal souci est de sauver la vie de leurs semblables. Ces mariniers, ces patrons de bateaux à lessive, ces maîtres de bains, ces débardeurs jouent avec la rivière ; ils l'ont en quelque sorte apprivoisée; ils en connaissent le secret et les périls, qu'ils ne redoutent plus. Au premier cri d'alarme ils sont à l'eau, et il faut des chances défavorables bien exceptionnelles pour que le malheureux qui se noie ne soit pas sauvé. II est peu de ces hommes qui ne soient décorés de médailles civiques. Sans eux, sans leur abnégation, leur vigilance, leur courage, la Morgue serait trop petite et il faudrait en augmenter les dimensions.


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