CIRCULAIRE DU
MINISTRE DE L’INTÉRIEUR
AUX COMMISSAIRES GÉNÉRAUX DES DÉPARTEMENTS.
Citoyen
Commissaire,
La circulaire qui vous est parvenue et qui a été publiée traçait vos
devoirs. Il importe que j'entre avec vous dans quelques détails, et que
je précise plus nettement ce que j'attends de votre patriotisme,
maintenant par vos soins, la République est proclamée.
Dans plusieurs département, on m'a demandé quels étaient vos pouvoirs.
Le citoyen ministre de la guerre s'en est inquiété en ce qui touche vos
rapports avec les chefs militaires. Plusieurs d'entre vous veulent être
fixés la ligne de conduite à suivre vis-à-vis de la magistrature; enfin
la garde nationale et les élections, les élections surtout, doivent erre
l'objet de votre constante préoccupation.
§ 1er.
Quels sont vos pouvoirs ?
Il sont illimités.
Agent d'une autorité révolutionnaire, vous êtes révolutionnaire. La
victoire du peuple vous a imposé le mandat de faire clamer, de consolider
son œuvre. Pour l'accomplissement de cette tache, vous êtes investi de
sa souveraineté, voua ne relevez que de votre conscience, vous devez
faire ce que les circonstances exigent pour le salut public
Grâce à nos mœurs, cette mission n’a rien de terrible. Jusqu’ici
vous n’avez eu à briser aucune résistance sérieuse, et vous avez pu
demeurer calme dans votre force; il ne faut cependant pas vous faire
illusion sur l'état du pays. Les sentiments républicains y doivent être
vivement excités, et pour cela il faut confier toutes les fonctions
politiques à des hommes sûrs et sympathiques. Partout les préfets et
sous-préfets doivent être changés ; dans quelques localités on réclame
leur maintien ; c'est à vous de faire comprendre aux populations qu'on ne
peut conserver ceux qui ont servi un pouvoir dont chaque acte était une
corruption. La nomination des sous-commissaires remplaçant ces sous-préfets
vous appartient. Vous m'en référerez toute les fois que vous éprouverez
quelque hésitation. Choisissez de préférence des hommes appartenant au
chef-lieu; vous ne les prendrez dans l'arrondissement même que lorsque
vous les saurez dégagés d'esprit de coterie; n'écartez pas les jeunes
gens. L'ardeur et la générosité sont le privilège de cet age, et la République
a besoin de ces belles qualités.
Vous pourvoirez aussi au remplacement des maires et des adjoint. Vous les
désignerez provisoirement, en les investissant du pouvoir ordinaire. Si
les conseils municipaux sont hostiles, vous les dissoudrez, et, de concert
avec les maires, vous constituerez une municipalité provisoire; mais vous
n'aurez recours à cette mesure que dans un cas de rigoureuse nécessité.
Je crois que la grande majorité des conseils municipaux peut être
conservée, en mettant à leur tête des chefs nouveaux.
§ 2. Vos
rapports avec les chefs militaires.
Vous exercez les
pouvoirs de l'autorité exécutive; la force armée est donc sous vos
ordres. Vous la requérez, vous la mettez en mouvement; vous pouvez même,
dans les cas graves, suspendre un chef de corps, en m'en référant immédiatement.
Mais vous devez apporter de grands ménagement à cette partie de vos
fonctions. Tout ce qui, de votre part, blesserait la susceptibilité des
chefs de corps ou du soldat, serait une faute inexcusable. J'ai appris que
dans plusieurs départements les commissaires n’ont pas établi
sur-le-champ un lien entre eux et l'autorité militaire; je m'en étonne,
et vous invite à ne pas manquer à ces règles si simples de bonne
politique et de convenance. L'armée a montré dans ces derniers événements
sa vive sympathie pour la cause républicaine; il faut se la rattacher de
plus en plus. Elle est peuple tomme nous, elle est la première barrière
qui s’opposerait à une invasion. Elle va entrer pour la première fois
en possession de droits politiques. Honorez-la donc, et conciliez-vous les
bons sentiments de ceux qui la commandent; n’oubliez pas non plus que
vos pouvoirs ne sauraient toucher à la discipline. lis se rhument en ces
deux mots: Vous servir de la force militaire ou la contenir; et la gagner
par des témoignages d’estime et de Cordialité.
§ 3. Foi
rapports avec la magistrature.
La magistrature
ne relève de l’autorité exécutive que dans le cercle précis tracé
par les lois. Vous exigerez des parquets un contours dévoué : partout où
vous ne le rencontrerez pas, vous m’en avertirez, en m’indiquant le
nom de ceux que recommandent leur droiture et leur fermeté. J’en ferai
immédiatement part au Ministre de la Justice. Quant à la magistrature
inamovible, vous la surveillerez, et si quelqu’un de aux membres se
montrait publiquement hostile, vos pourriez user du droit de suspension
que vous confère votre autorité souveraine.
§ 4. La garde
nationale.
Vous recevrez de
moi des instructions détaillées sur l’organisation de la milice
civique. J’ai taché d’y prévoir et d’y résoudre toutes les
difficultés que vous pouvez rencontrer. Celles qui naîtront
d’obstacles imprévus et locaux seront levées par votre patriotisme. En
faisant procéder aux élections vous vous conformerez aux décrets du
Gouvernement, c’est-à-dire que par dérogation à la loi de 1831, vous
ferez nommer tous les officiers sans exception par les gardes nationaux,
en commençant par les grades supérieur. Vous surveillerez soigneusement
l’action des sous-commissaires et des municipalité, et vous les
obligerez à vous rendre un compte exact de leurs opérations.
§ 5. Les élections.
Les élections
sont votre grande œuvre; elles doivent être le salut du pays. C’est de
la composition de l’assemblée que dépendent nos destinées. Il faut
qu’elle soit animée de l’esprit révolutionnaire, sinon nous marchons
à la guerre civile et à l’anarchie. A ce sujet, mettez-vous en garde
contre les intrigues des hommes à double visage qui, après avoir servi
la royauté, se disent les serviteurs du peuple. Ceux-là vous trompent,
et vous devez leur refuser votre appui. Sachez-bien que pour briguer
l’honneur de siéger à l’Assemblée nationale, il faut être pur des
traditions du passé. Que votre mot d’ordre soit partout ; des hommes
nouveaux, et autant que possible sortant du peuple.
Les travailleurs, qui sont la force vive de la nation, doivent choisir
parmi eux ceux que recommandent leur intelligence, leur moralité, leur dévouement:
réunis à l’élite des penseurs, ils apporteront à la discussion de
toutes les grandes questions qui vont s’agiter l’autorité de leur expérience
pratique. Ils continueront la révolution et la contiendront dans les
limites du possible et de la raison. Sans eux, elle s’égarerait en
vaines utopies, ou serait étouffée sous l’effort dune faction rétrograde.
Éclairez les électeurs et répétez-leur sans cesse que le règne des
hommes de la monarchie est fini.
Vous comprenez combien ici votre tache est grande. L’éducation du pays
n’est pas faite : c’est à vous de le guider. Provoquez sur tous les
points de votre département la réunion de comités électoraux, examinez
sévèrement les titres des candidats. Arrêtez-vous à ceux-là seulement
qui paraissent présenter le plus de garanties à l’opinion républicaine,
le plus de chances de succès. Pas de transactions, pas de complaisance.
Que le jour de l’élection soit le triomphe de la révolution.
Le Membre du
Gouvernement provisoire, Ministre de l’Intérieur,
LEDRU-ROLLIN.