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                                                   Discours prononcé par Victor Hugo au Congrès de la paix

 

Discours prononcé par Victor Hugo
au Congrès de la paix,
21 août 1849.




par Marc Nadaux







Alors qu'il vient d'être élu député de Paris à l'Assemblée nationale, Victor Hugo est désigné pour présider le Congrès international de la Paix qui se tient à Paris du 21 au 24 août 1849. Celui-ci s'est réuni à l'initiative de la Société des Amis de la Paix. C'est en 1847 que l'anglais Richard Cobden fonde cette organisation oeuvrant pour le rapprochement des peuples et l'établissement de la paix perpétuelle. La tenue de vastes congrès internationaux, si elle ne débouche sur aucune mesure concrète prise à l'initiative des gouvernements, contribue néanmoins, grâce à une importante médiatisation, à la formation d'une opinion publique dépassant les limites des États et des continents. 

En 1849, lors de l'ouverture du Congrès, Victor Hugo prononce un discours court et concis, véritable éloge de la paix, qui a rapidement un grand retentissement, tant en France qu'en Europe. Son thème n'est pas sans rappeler ceux qui seront abordés par d'autres orateurs pacifistes, quatre-vingts ans plus tard, après la première guerre mondiale, à la tribune de la S.D.N. Ce discours reste toutefois très ancré dans son époque, dont il constitue un bon témoignage : pour l'écrivain, la paix et le progrès technique semblent indissociables ; le bonheur à venir ne peut passer que par le développement de l'urbanisation, de l'économie et des grands travaux, ou par l'universalité d'une certaine idée de la "civilisation".







Il résulte des statistiques et des budgets comparés que les nations européennes dépensent tous les ans, pour l'entretien de leurs armées, une somme qui n'est pas moindre de deux milliards et qui, si l'on y ajoute l'entretien du matériel des établissements de guerre, s'élève à trois milliards. Ajoutez-y encore le produit perdu des journées de travail de plus de deux millions d'hommes, les plus sains, les plus vigoureux, les plus jeunes, l'élite des populations, produit que vous ne pouvez pas évaluer à moins d'un milliard, et vous arriverez à ceci que les armées permanentes coûtent annuellement à l'Europe quatre milliards.

Messieurs, la paix vient de durer trente-deux ans, et en trente-deux ans la somme monstrueuse de cent vingt-huit milliards a été dépensée pendant la paix pour la guerre ! (réactions de sensation)

Supposez que les peuples d'Europe, au lieu de se défier les uns des autres, de se jalouser, de se haïr, se fussent aimés ; supposez qu'ils se fussent dit qu'avant même d'être Français ou Anglais ou Allemand, on est homme, et que, si les nations sont des patries, l'humanité est une famille ; et maintenant, cette somme de cent vingt-huit milliards, si follement et si vainement dépensée par la défiance, faites-la dépenser par la confiance !

Ces cent vingt-huit milliards donnés à la haine, donnez-les à l'harmonie ! Ces cent vingt-huit milliards donnés à la guerre, donnez-les à la paix ! (applaudissements) Donnez-les au travail, à l'intelligence, à l'industrie, au commerce, à la navigation, à l'agriculture, aux sciences, aux arts, et représentez-vous le résultat.

Si, depuis trente-deux ans, cette gigantesque somme de cent vingt-huit milliards avait été dépensée de cette façon, l'Amérique, de son côté, aidant l'Europe, savez-vous ce qui serait arrivé ? La face du monde serait changée ! Les isthmes seraient coupés, les fleuves creusés, les montagnes percées, les chemins de fer couvriraient les deux continents, la marine marchande du globe aurait centuplé, et il n'y aurait plus nulle part ni landes, ni jachères, ni marais ; on bâtirait des villes là où il n'y a encore que des solitudes ; on creuserait des ports là où il n'y a encore que des écueils ; l'Asie serait rendue à la civilisation, l'Afrique serait rendue à l'homme ; la richesse jaillirait de toutes parts, de toutes les veines du globe sous le travail de tous les hommes, et la misère s'évanouirait ! Et savez-vous ce qui s'évanouirait avec la misère ? Les révolutions.(bravos prolongés)

Oui, la face du monde serait changée ! Au lieu de se déchirer entre soi, on se répandrait pacifiquement sur l'univers ! Au lieu de faire des révolutions, on ferait des colonies ! Au lieu d'apporter la barbarie à la civilisation, on apporterait la civilisation à la barbarie !
(nouveaux applaudissements).