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Le Sacre de Charles X, 1825 |
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Le Sacre de Charles
X,
1825.
par Marc Nadaux
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Vingt-cinq années passées dans l'émigration
ont conforté le comte d'Artois, frère du roi Louis XVIII, dans ses
convictions politiques. Selon lui, la monarchie doit s'organiser suivant
les principes de l'Ancien Régime. Alors que la Restauration évolue peu
à peu vers une ébauche de régime parlementaire, il n'affiche que mépris
pour les débats à la Chambre et le jeu des élections. S'inscrivant
comme un soutien intangible du groupe ultra, le comte d'Artois est ainsi
l'espoir et l'inspirateur de la contre-révolution.
A la mort de son frère, le
16 septembre 1824, Monsieur devient roi et hérite du trône de France, le
24 septembre suivant. Avec la cérémonie qui se déroule le 29 mai 1825
en la cathédrale de Reims, Charles X est le dernier souverain sacré
suivant la pratique de l’Ancien Régime. Le toucher des scrofuleux qui
affirme le pouvoir thaumaturge du nouveau souverain fait d’ailleurs
partie du cérémonial ! L’événement est symptomatique de la
volonté de Charles X d’imposer une politique de réaction. Le roi
souhaite ainsi " fermer les dernières plaies de la Révolution ".
Le nouveau souverain bénéficie d'ailleurs d'une réelle popularité. Au début de
son règne, domine dans l'esprit des Français sa réputation de grandeur
et de générosité. En 1825, peu après l'événement, le poète et le
chansonnier nous donne leur point de vue. |
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Le Sacre de Charles X, par
François Gérard. |
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Le Sacre de Charles X, Ode
de Victor Hugo. |
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Le Sacre de Charles le Simple, Pierre Jean de Béranger. |

par François Gérard (1827).
Le Sacre de Charles X, Ode
de Victor Hugo.
Au
mois de juin 1822, Victor Hugo publie son premier volume intitulé Odes et
Poésies diverses. Cette œuvre le fait remarquer des cercles royalistes.
Louis XVIII lui attribue une pension de mille francs, obtenue à la
demande de la duchesse de Berry. Charles X, le nouveau souverain, le fait
chevalier de la Légion d'honneur, le 29 avril 1825, alors qu'il n'est
âgé que de vingt-trois ans. La même année, l'écrivain, qui est aussi
membre de la Société royale des bonnes lettres, est choisi avec
d'autres, dont Lamartine, comme poète officiel du sacre. Il assiste à la
cérémonie, qui a lieu en la cathédrale de Reims, le 29 mai. Avec cette
ode, rédigée pour l'occasion et publiée le 18 juin suivant, il se pose
comme le chantre de l'alliance du trône et de l'autel. Cette œuvre, qui
prend place dans le recueil Odes et Ballades, lui vaut un service de table
en Sèvres ainsi qu'une entrevue avec le nouveau monarque...
LE
SACRE DE CHARLES X
Os
superbum conticescat,
Simplex
fides acquiescat
Dei
magisterio.
[Que l'orgueil se taise, que la
simple foi
contemple l'exercice du pouvoir de Dieu.]
PROSE, Prières du sacre.
I
L'orgueil
depuis trente ans est l'erreur de la terre.
C'est
lui qui sous les droits étouffa le devoir ;
C'est
lui qui dépouilla de son divin mystère
Le
sanctuaire du pouvoir.
L'orgueil
enfanta seul nos fureurs téméraires,
Et
ces lois dont tant de nos frères
Ont
subi l'arrêt criminel,
Et
ces règnes sanglants, et ces hideuses fêtes,
Où,
sur un échafaud se proclamant prophètes,
Des
bourreaux créaient l'Éternel !
En
vain, pour dissiper cette ingrate folie,
Les
leçons du Seigneur sur nous ont éclaté ;
Dans
les faits merveilleux que notre siècle oublie,
En
vain Dieu s'est manifesté !
En
vain un conquérant, aux ailes enflammées,
A
rempli du bruit des armées
Le
monde en ses fers engourdi ;
Des
peuples obstinés l'aveuglement vulgaire
N'a
point vu quelle main poussait ses chars de guerre
Du
Septentrion au Midi !
II
Qui
jamais de Clovis surpassa l'insolence,
Peuples
? dans son orgueil il plaçait son appui.
Ne
mettant que le monde et lui dans la balance,
Il
crut qu'elle penchait sous lui.
Il
bravait de vingt rois les armes épuisées ;
Des
nations s'étaient brisées
Sur
ce Sicambre audacieux ;
Sur
la terre à ses yeux rien n'était redoutable :
Il
fallut, pour courber cette tête indomptable,
Qu'une
colombe vînt des cieux !
Peuples
! au même autel elle est redescendue !
Elle
vient, échappée aux profanations,
Comme
elle a de Clovis fléchi l'âme éperdue,
Vaincre
l'orgueil des nations.
Que
le siècle à son tour comme un roi s'humilie.
De
la voix qui réconcilie
L'oracle
est enfin entendu ;
La
royauté, longtemps veuve de ses couronnes,
De
la chaîne d'airain qui lie au ciel les trônes
A
retrouvé l'anneau perdu.
III
Naguère
on avait vu les tyrans populaires,
Attaquant
le passé comme un vieil ennemi,
Poursuivre,
sous l'abri des marbres séculaires,
Le
trésor gardé par Remy.
Du
pontife endormi profanant le front pâle,
De
sa tunique épiscopale
Ils
déchirèrent les lambeaux ;
Car
ils bravaient la mort dans sa majesté sainte ;
Et
les vieillards souvent s'écriaient, pleins de crainte :
"
Que leur ont donc fait les tombeaux ? "
Mais,
trompant des vautours la fureur criminelle,
Dieu
garda sa colombe au lys abandonné.
Elle
va sur un roi poser encor son aile :
Ce
bonheur à Charles est donné !
Charles
sera sacré suivant l'ancien usage,
Comme
Salomon, le roi sage,
Qui
goûta les célestes mets,
Quand
Sadoch et Nathan d'un baume l'arrosèrent,
Et,
s'approchant de lui, sur le front le baisèrent,
En
disant : " Qu'il vive à jamais ! "
IV
Le
vieux pays des Francs, parmi ses métropoles,
Compte
une église illustre, où venaient tous nos rois,
De
ce pas triomphant dont tremblent les deux pôles,
S'humilier
devant la Croix.
Le
peuple en racontait cent prodiges antiques :
Ce
temple a des voûtes gothiques,
Dont
les saints aimaient les détours ;
Un
séraphin veillait à ses portes fermées ;
Et
les anges du ciel, quand passaient leurs armées,
Plantaient
leurs drapeaux sur ses tours !
C'est
là que pour la fête on dresse des trophées.
L'or,
la moire et l'azur parent les noirs piliers,
Comme
un de ces palais où voltigeaient les fées,
Dans
les rêves des chevaliers.
D'un
trône et d'un autel les splendeurs s'y répondent ;
Des
festons de flambeaux confondent
Leurs
rayons purs dans le saint lieu ;
Le
lys royal s'enlace aux arches tutélaires ;
Le
soleil, à travers les vitraux circulaires,
Mêle
aux fleurs des roses de feu.
V
Voici
que le cortège à pas égaux s'avance.
Le
pontife aux guerriers demande CHARLES DIX.
L'autel
de Reims revoit l'oriflamme de France
Retrouvée
aux murs de Cadix.
Les
cloches dans les airs tonnent ; le canon gronde ;
Devant
l'aîné des rois du monde
Tout
un peuple tombe à genoux ;
Mille
cris de triomphe en sons confus se brisent ;
Puis
le roi se prosterne, et les évêques disent :
"
Seigneur, ayez pitié de nous !
"
Celui qui vient en pompe à l'autel du Dieu juste,
C'est
l'héritier nouveau du vieux droit de Clovis,
Le
chef des Douze Pairs, que son appel auguste
Convoque
en ces sacrés parvis.
Ses
preux, quand de sa voix leur oreille est frappée,
Touchent
le pommeau de l'épée,
Et
l'ennemi pâlit d'effroi ;
Lorsque
ses légions rentrent après la guerre,
Leur
marche pacifique ébranle encor la terre :
Ô
Dieu ! prenez pitié du Roi !
"
Car vous êtes plus grand que la grandeur des hommes !
Nous
vous louons, Seigneur, nous vous confessons Dieu !
Vous
nous placez au faîte, et dès que nous y sommes,
À
la vie il faut dire adieu !
Vous
êtes Sabaoth, le Dieu de la victoire !
Les
chérubins, remplis de gloire,
Vous
ont proclamé Saint trois fois ;
Dans
votre éternité le temps se précipite ;
Vous
tenez dans vos mains le monde qui palpite
Comme
un passereau sous nos doigts ! "
VI
Le
Roi dit : " Nous jurons, comme ont juré nos pères,
De
rendre à nos sujets paix, amour, équité ;
D'aimer,
aux mauvais jours comme en des temps prospères,
La
Charte de leur liberté.
Nous
vivrons dans la foi par nos aïeux chérie.
Des
Ordres de chevalerie
Nous
suivrons le chemin étroit.
Pour
sauver l'opprimé nos pas seront agiles.
Ainsi
nous le jurons sur les saints Évangiles :
Que
Dieu soit en aide au bon droit ! "
Montjoie
et Saint-Denis ! - Voilà que Clovis même
Se
lève pour l'entendre ; et les deux saints guerriers,
Charlemagne
et Louis, portant pour diadème
Une
auréole de lauriers ;
Et
Charles sept, guidé par Jeanne encor ravie ;
Et
François premier, dont Pavie
Trouva
l'armure sans défaut ;
Et
du dernier Martyr l'héroïque fantôme,
Ce
Roi, deux fois sacré pour un double royaume,
À
l'autel et sur l'échafaud !
Devant
ces grands témoins de la grandeur française,
Le
Saint-Chrême de Charle a rajeuni les droits.
Il
reçoit, sans faiblir, cette couronne où pèse
La
gloire de soixante rois.
L'Archevêque
bénit l'Épée héréditaire,
Et
le Sceptre, et la Main austère
Dont
nul signe n'est démenti ;
Puis
il plonge à leur tour dans le divin calice
Ces
Gants, qu'un roi jamais n'a jetés dans la lice,
Sans
qu'un monde en ait retenti !
VII
Entre,
ô peuple ! - Sonnez, clairons, tambours, fanfare !
Le
prince est sur le trône ; il est grand et sacré !
Sur
la foule ondoyante il brille comme un phare
Des
flots d'une mer entouré.
Mille
chantres des airs, du peuple heureuse image,
Mêlant
leur voix et leur plumage,
Croisent
leur vol sous les arceaux ;
Car
les Francs, nos aïeux, croyaient voir dans la nue
Planer
la Liberté, leur mère bien connue,
Sur
l'aile errante des oiseaux.
Le
voilà Prêtre et Roi ! - De ce titre sublime
Puisque
le double éclat sur sa couronne a lui,
Il
faut qu'il sacrifie. Où donc est la Victime ? -
La
Victime, c'est encor lui !
Ah
! pour les Rois français qu'un sceptre est formidable !
Ils
guident ce peuple indomptable,
Qui
des peuples règle l'essor ;
Le
monde entier gravite et penche sur leur trône ;
Mais
aussi l'indigent, que cherche leur aumône,
Compte
leurs jours comme un trésor !
VIII
PRIÈRE
Ô
Dieu ! garde à jamais ce roi qu'un peuple adore !
Romps
de ses ennemis les flèches et les dards,
Qu'ils
viennent du couchant, qu'ils viennent de l'aurore,
Sur
des coursiers ou sur des chars !
Charles,
comme au Sina, t'a pu voir face à face !
Du
moins qu'un long bonheur efface
Ses
bien longues adversités.
Qu'ici-bas
des élus il ait l'habit de fête.
Prête
à son front royal deux rayons de ta tête ;
Mets
deux anges à ses côtés !
Le Sacre de Charles le Simple, Pierre Jean de Béranger.
Sur
un tout autre registre,
le sacre du nouveau souverain est brocardé par le
chansonnier. A bien des égards d'ailleurs, la cérémonie apparaît aux
contemporains comme anachronique. Les rites ancestraux sont soigneusement
conservés, y compris le toucher des scrofuleux.
Français,
que Reims a réunis,
Criez: " Montjoie et Saint-Denis ! "
On a refait la sainte ampoule
Et, comme au temps de nos aïeux,
Des passereaux lâchés en foule
Dans l'église volent joyeux.
D'un joug brisé ces vains présages
Font sourire Sa Majesté.
Le peuple crie : " Oiseaux, plus que nous soyez sages ;
Gardez bien, gardez bien votre liberté " (bis)
Chamarré de vieux oripeaux
Ce roi, grand avaleur d'impôts,
Marche entouré de ses fidèles,
Qui tous, en des temps moins heureux,
Ont suivi les drapeaux rebelles
D'un usurpateur généreux.
Un milliard les met en haleine
C'est peu pour la fidélité.
Le peuple crie : "Oiseaux, nous payons notre chaîne ;
Gardez bien, gardez bien votre liberté " (bis)
Aux pieds de prélats cousus d'or,
Charles dit son Confiteor.
On l'habille, on le baise, on l'huile,
Puis au bruit des hymnes sacrés,
II met la main sur l'Évangile.
Son confesseur lui dit : " Jurez !
Rome, que l'article concerne,
Relève d'un serment prêté. "
Le peuple crie : "Oiseaux, voilà comme on gouverne ;
Gardez bien, gardez bien votre liberté " (bis)
Oiseaux, ce roi miraculeux
Va guérir tous les scrofuleux.
Fuyez, vous qui de son cortège,
Dissipez seuls l'ennui mortel
Vous pourriez faire un sacrilège
En voltigeant sur cet autel.
Des bourreaux sont les sentinelles
Que pose ici la piété.
Le peuple crie : " Oiseaux, nous envions vos ailes ;
Gardez bien, gardez bien votre liberté " (bis)
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