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La Charte constitutionnelle, 4 juin 1814 |
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La Charte constitutionnelle,
4 juin 1814
par Marc Nadaux
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Le 30 mars 1814, Paris qui a capitulé est
occupé par les Alliés. Le Sénat et le Corps législatif, après avoir
proclamé la déchéance de Napoléon le 2 avril, demandent à Louis XVIII
en exil outre-Manche de remonter sur le trône. Tandis que l'Empereur
signe le 6 avril à Fontainebleau son abdication, ses vainqueurs confient
au Sénateurs le soin de rédiger une nouvelle constitution. Ceux-ci
chargent une commission, dont les membres s'apparentent au courant libéral
des Idéologues, de rédiger un projet qui est adopté le 6 avril suivant.
Le texte suscite rapidement l'opposition des royalistes les plus
intransigeants. Louis XVIII, tenu de prendre position à propos des
futures modalités de son gouvernement, rejette le 2 mai à Saint-Ouen le
projet de constitution qui lui est soumis. Une nouvelle commission réunie
à sa demande s'attelle à nouveau à la tache et procède à quelque aménagements
du texte précédent utilisé comme base de travail. La Charte
constitutionnelle est enfin promulguée le 4 juin 1814.
Celle-ci s'ouvre sur un préambule rédigé dans un langage subtil qui insiste sur la légitimité
du nouveau souverain. Refermant la parenthèse révolutionnaire, Louis
XVIII consent à accorder quelques droits à ses sujets. C'est la
signification du mot "Charte", préféré à celui de
"Constitution". Le texte qui s'inspire des institutions
britanniques n'en institue pas pour autant une monarchie parlementaire. Le
roi qui détient le pouvoir exécutif n'est aucunement responsable devant
le Parlement. Celui-ci est composé de deux chambres : la Chambre des
pairs dont les membres sont nommés à vie par le roi, la Chambre des députés
élus quant à eux au suffrage censitaire. Cependant les ministres peuvent
être choisis parmi ces derniers. Cette pratique permettra de constituer
une amorce de régime parlementaire dans la France de la Restauration et
de donner parfois au nouveau régime un caractère libéral. |
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Droit public des Français
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Formes du
gouvernement du roi |
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De la
Chambre des pairs
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De la
Chambre des députés des départements |
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Des
ministres |
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De l'ordre
judiciaire
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Droits
particuliers garantis par l'État |
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Articles
transitoires |
La divine Providence, en nous rappelant dans nos États après une
longue absence, nous a imposé de grandes obligations. La paix était le
premier besoin de nos sujets : nous nous en sommes occupés sans relâche
; et cette paix si nécessaire à la France comme au reste de l'Europe,
est signée.
Une Charte constitutionnelle était sollicitée par l'état actuel du
royaume, nous l'avons promise, et nous la publions. Nous avons considéré
que, bien que l'autorité tout entière résidât en France dans la
personne du roi, ses prédécesseurs n'avaient point hésité à en
modifier l'exercice, suivant la différence des temps ; que c'est ainsi
que les communes ont dû leur affranchissement à Louis le Gros, la
confirmation et l'extension de leurs droits à Saint Louis et à Philippe
le Bel ; que l'ordre judiciaire a été établi et développé par les
lois de Louis XI, de Henri Il et de Charles IX ; enfin, que Louis XIV a réglé
presque toutes les parties de l'administration publique par différentes
ordonnances dont rien encore n'avait surpassé la sagesse.
Nous avons dû, à l'exemple des rois nos prédécesseurs, apprécier les
effets des progrès toujours croissants des lumières, les rapports
nouveaux que ces progrès ont introduits dans la société, la direction
imprimée aux esprits depuis un demi-siècle, et les graves altérations
qui en sont résultées : nous avons reconnu que le vœu de nos sujets
pour une Charte constitutionnelle était l'expression d'un besoin réel ;
mais en cédant à ce vœu, nous avons pris toutes les précautions pour
que cette Charte fût digne de nous et du peuple auquel nous sommes fiers
de commander. Des hommes sages, pris dans les premiers corps de l'État,
se sont réunis à des commissions de notre Conseil, pour travailler à
cet important ouvrage.
En même temps que nous reconnaissions qu'une Constitution libre et
monarchique devait remplir l'attente de l'Europe éclairée, nous avons dû
nous souvenir aussi que notre premier devoir envers nos peuples était de
conserver, pour leur propre intérêt, les droits et les prérogatives de
notre couronne. Nous avons espéré qu'instruits par l'expérience, ils
seraient convaincus que l'autorité suprême peut seule donner aux
institutions qu'elle établit, la force, la permanence et la majesté dont
elle est elle-même revêtue ; qu'ainsi lorsque la sagesse des rois
s'accorde librement avec le vœu des peuples, une Charte constitutionnelle
peut être de longue durée ; mais que quand la violence arrache des
concessions à la faiblesse du gouvernement, la liberté publique n'est
pas moins en danger que le trône même.
Nous avons enfin cherché les principes de la Charte constitutionnelle
dans le caractère français, et dans les monuments vénérables des siècles
passés. Ainsi, nous avons vu dans le renouvellement de la pairie une
institution vraiment nationale, et qui doit lier tous les souvenirs à
toutes les espérances, en réunissant les temps anciens et les temps
modernes.
Nous avons remplacé, par la Chambre des députés, ces anciennes Assemblées
des Champs de Mars et de Mai, et ces Chambres du tiers-état, qui ont si
souvent donné tout à fois des preuves de zèle pour les intérêts du
peuple, de fidélité et de respect pour l'autorité des rois. En
cherchant ainsi à renouer la chaîne des temps, que de funestes écarts
avaient interrompue, nous avons effacé de notre souvenir, comme nous
voudrions qu'on pût les effacer de l'histoire, tous les maux qui ont
affligé la patrie durant notre absence. Heureux de nous retrouver au sein
de la grande famille, nous n'avons su répondre à l'amour dont nous
recevons tant de témoignages, qu'en prononçant des paroles de paix et de
consolation. Le vœu le plus cher à notre cœur, c'est que tous les Français
vivent en frères, et que jamais aucun souvenir amer ne trouble la sécurité
qui doit suivre l'acte solennel que nous leur accordons aujourd'hui.
Sûrs de nos intentions, forts de notre conscience, nous nous engageons,
devant l'Assemblée qui nous écoute, à être fidèles à cette Charte
constitutionnelle, nous réservant d'en juger le maintien, avec une
nouvelle solennité, devant les autels de celui qui pèse dans la même
balance les rois et les nations.
A CES CAUSES - NOUS AVONS volontairement, et par le libre exercice de
notre autorité royale, ACCORDÉ ET ACCORDONS. FAIT CONCESSION ET OCTROI
à nos sujets, tant pour nous que pour nos successeurs, et à toujours, de
la Charte constitutionnelle qui suit :
Droit public des Français
Article 1. - Les Français sont égaux devant la loi, quels que soient
d'ailleurs leurs titres et leurs rangs.
Article 2. - Ils contribuent indistinctement, dans la proportion de leur
fortune, aux charges de l'État.
Article 3. - Ils sont tous également admissibles aux emplois civils et
militaires.
Article 4. - Leur liberté individuelle est également garantie, personne
ne pouvant être poursuivi ni arrêté que dans les cas prévus par la
loi, et dans la forme qu'elle prescrit.
Article 5. - Chacun professe sa religion avec une égale liberté, et
obtient pour son culte la même protection.
Article 6. - Cependant la religion catholique, apostolique et romaine est
la religion de l'État.
Article 7. - Les ministres de la religion catholique, apostolique et
romaine, et ceux des autres cultes chrétiens, reçoivent seuls des
traitements du Trésor royal.
Article 8. - Les Français ont le droit de publier et de faire imprimer
leurs opinions, en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus
de cette liberté.
Article 9. - Toutes les propriétés sont inviolables, sans aucune
exception de celles qu'on appelle nationales, la loi ne mettant aucune
différence entre elles.
Article 10. - L'État peut exiger le sacrifice d'une propriété, pour
cause d'intérêt public légalement constaté, mais avec une indemnité
préalable.
Article 11. - Toutes recherches des opinions et votes émis jusqu'à la
restauration sont interdites. Le même oubli est commandé aux tribunaux
et aux citoyens.
Article 12. - La conscription est abolie. Le mode de recrutement de l'armée
de terre et de mer est déterminé par une loi.
Formes du gouvernement du
roi
Article 13. - La personne du roi est inviolable et sacrée. Ses
ministres sont responsables. Au roi seul appartient la puissance exécutive.
Article 14. - Le roi est le chef suprême de l'État, il commande les
forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix,
d'alliance et de commerce, nomme à tous les emplois d'administration
publique, et fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l'exécution
des lois et la sûreté de l'État.
Article 15. - La puissance législative s'exerce collectivement par le
roi, la Chambre des pairs, et la Chambre des députés des départements.
Article 16. - Le roi propose la loi.
Article 17 - La proposition de la loi est portée, au gré du roi, à la
Chambre des pairs ou à celle des députés, excepté la loi de l'impôt,
qui doit être adressée d'abord à la Chambre des députés.
Article 18. - Toute la loi doit être discutée et votée librement par la
majorité de chacune des deux chambres.
Article 19. - Les chambres ont la faculté de supplier le roi de proposer
une loi sur quelque objet que ce soit, et d'indiquer ce qu'il leur paraît
convenable que la loi contienne.
Article 20. - Cette demande pourra être faite par chacune des deux
chambres, mais après avoir été discutée en comité secret : elle ne
sera envoyée à l'autre Chambre par celle qui l'aura proposée, qu'après
un délai de dix jours.
Article 21. - Si la proposition est adoptée par l'autre Chambre, elle
sera mise sous les yeux du roi ; si elle est rejetée, elle ne pourra être
représentée dans la même session.
Article 22. - Le roi seul sanctionne et promulgue les lois.
Article 23. - La liste civile est fixée pour toute la durée du règne,
par la première législature assemblée depuis l'avènement du roi.
De la Chambre des pairs
Article 24. - La Chambre des pairs est une portion essentielle de la
puissance législative.
Article 25. - Elle est convoquée par le roi en même temps que la Chambre
des députés des départements. La session de l'une commence et finit en
même temps que celle de l'autre.
Article 26. - Toute assemblée de la Chambre des pairs qui serait tenue
hors du temps de la session de la Chambre des députés, ou qui ne serait
pas ordonnée par le roi, est illicite et nulle de plein droit.
Article 27. - La nomination des pairs de France appartient au roi. Leur
nombre est illimité ; il peut en varier les dignités, les nommer à vie
ou les rendre héréditaires, selon sa volonté.
Article 28. - Les pairs ont entrée dans la Chambre à vingt-cinq ans, et
voix délibérative à trente ans seulement.
Article 29. - La Chambre des pairs est présidée par le chancelier de
France, et, en son absence, par un pair nommé par le roi.
Article 30. - Les membres de la famille royale et les princes du sang sont
pairs par le droit de leur naissance. Ils siègent immédiatement après
le président ; mais ils n'ont voix délibérative qu'à vingt-cinq ans.
Article 31. - Les princes ne peuvent prendre séance à la Chambre que de
l'ordre du roi, exprimé pour chaque session par un message, à peine de
nullité de tout ce qui aurait été fait en leur présence.
Article 32. - Toutes les délibérations de la Chambre des pairs sont secrètes.
Article 33. - La Chambre des pairs connaît des crimes de haute trahison
et des attentats à la sûreté de l'État qui seront définis par la loi.
Article 34. - Aucun pair ne peut être arrêté que de l'autorité de la
Chambre, et jugé que par elle en matière criminelle.
De la Chambre des députés
des départements
Article 35. - La Chambre des députés sera composée des députés par
les collèges électoraux dont l'organisation sera déterminée par des
lois.
Article 36. - Chaque département aura le même nombre de députés qu'il
a eu jusqu'à présent.
Article 37. - Les députés seront élus pour cinq ans, et de manière que
la Chambre soit renouvelée chaque année par cinquième.
Article 38. - Aucun député ne peut être admis dans la Chambre, s'il
n'est âgé de quarante ans, et s'il ne paie une contribution directe de
mille francs.
Article 39. - Si néanmoins il ne se trouvait pas dans le département
cinquante personnes de l'âge indiqué, payant au moins mille francs de
contributions directes, leur nombre sera complété par les plus imposés
au-dessous de mille francs, et ceux-ci pourront être élus concurremment
avec les premiers.
Article 40. - Les électeurs qui concourent à la nomination des députés,
ne peuvent avoir droit de suffrage s'ils ne paient une contribution
directe de trois cent francs, et s'ils ont moins de trente ans.
Article 41. - Les présidents des collèges électoraux seront nommés par
le roi et de droit membres du collège.
Article 42. - La moitié au moins des députés sera choisie parmi les éligibles
qui ont leur domicile politique dans le département.
Article 43. - Le président de la Chambre des députés est nommé par le
roi, sur une liste de cinq membres présentée par la Chambre.
Article 44. - Les séances de la Chambre sont publiques ; mais la demande
de cinq membres suffit pour qu'elle se forme en comité secret.
Article 45. - La Chambre se partage en deux bureaux pour discuter les
projets qui lui ont été présentés de la part du roi.
Article 46. - Aucun amendement ne peut être fait à une loi, s'il n'a été
proposé ou consenti par le roi, et s'il n'a été renvoyé et discuté
dans les bureaux.
Article 47. - La Chambre des députés reçoit toutes les propositions
d'impôts ; ce n'est qu'après que ces propositions ont été admises,
qu'elles peuvent être portées à la Chambre des pairs.
Article 48. - Aucun impôt ne peut être établi ni perçu, s'il n'a été
consenti par les deux Chambres et sanctionné par le roi.
Article 49. - L'impôt foncier n'est consenti que pour un an. Les
impositions indirectes peuvent l'être pour plusieurs années.
Article 50. - Le roi convoque chaque année les deux Chambres ; il les
proroge, et peut dissoudre celle des députés des départements ; mais,
dans ce cas, il doit en convoquer une nouvelle dans le délai de trois
mois.
Article 51. - Aucune contrainte par corps ne peut être exercée contre un
membre de la Chambre, durant la session, et dans les six semaines qui
l'auront précédée ou suivie.
Article 52. - Aucun membre de la Chambre ne peut, pendant la durée de la
session, être poursuivi ni arrêté en matière criminelle, sauf le cas
de flagrant délit, qu'après que la Chambre a permis sa poursuite.
Article 53. - Toute pétition à l'une ou l'autre des Chambres ne peut être
faite et présentée que par écrit. La loi interdit d'en apporter en
personne et à la barre.
Des ministres
Article 54. - Les ministres peuvent être membres de la Chambre des
pairs ou de la Chambre des députés. Ils ont en outre leur entrée dans
l'une ou l'autre Chambre, et doivent être entendus quand ils le
demandent.
Article 55. - La Chambre des députés a le droit d'accuser les ministres,
et de les traduire devant la Chambre des pairs qui seule a celui de les
juger.
Article 56 . Ils ne peuvent être accusés que pour fait de trahison ou de
concussion. Des lois particulières spécifieront cette nature de délits,
et en détermineront la poursuite.
De l'ordre judiciaire
Article 57. - Toute justice émane du roi. Elle s'administre en son nom
par des juges qu'il nomme et qu'il institue.
Article 58. - Les juges nommés par le roi sont inamovibles.
Article 59. - Les cours et tribunaux ordinaires actuellement existants
sont maintenus. Il n'y sera rien changé qu'en vertu d'une loi.
Article 60. - L'institution actuelle des juges de commerce est conservée.
Article 61. - La justice de paix est également conservée. Les juges de
paix, quoique nommés par le roi, ne sont point inamovibles.
Article 62. - Nul ne pourra être distrait de ses juges naturels.
Article 63. - Il ne pourra en conséquence être créé de commissions et
tribunaux extraordinaires. Ne sont pas comprises sous cette dénomination
les juridictions prévôtales, si leur rétablissement est jugé nécessaire.
Article 64. - Les débats seront publics en matière criminelle, à moins
que cette publicité ne soit dangereuse pour l'ordre et les mœurs ; et,
dans ce cas, le tribunal le déclare par un jugement.
Article 65. - L'institution des jurés est conservée. Les changements
qu'une plus longue expérience ferait juger nécessaires, ne peuvent être
effectués que par une loi.
Article 66. - La peine de la confiscation des biens est abolie, et ne
pourra pas être rétablie.
Article 67. - Le roi a le droit de faire grâce, et celui de commuer les
peines.
Article 68. - Le Code civil et les lois actuellement existantes qui ne
sont pas contraires à la présente Charte, restent en vigueur jusqu'à ce
qu'il y soit légalement dérogé.
Droits particuliers
garantis par l'État
Article 69. - Les militaires en activité de service, les officiers et
soldats en retraite, les veuves, les officiers et soldats pensionnés,
conserveront leurs grades, honneurs et pensions.
Article 70. - La dette publique est garantie. Toute espèce d'engagement
pris par l'État avec ses créanciers est inviolable.
Article 71. - La noblesse ancienne reprend ses titres. La nouvelle
conserve les siens. Le roi fait des nobles à volonté ; mais il ne leur
accorde que des rangs et des honneurs, sans aucune exemption des charges
et des devoirs de la société.
Article 72. - La Légion d'honneur est maintenue. Le roi déterminera les
règlements intérieurs et la décoration.
Article 73. - Les colonies sont régies par des lois et des règlements
particuliers.
Article 74. - Le roi et ses successeurs jureront, dans la solennité de
leur sacre, d'observer fidèlement la présente Charte constitutionnelle.
Articles transitoires
Article 75. - Les députés des départements de France qui siégeaient
au Corps législatif lors du dernier ajournement, continueront de siéger
à la Chambre des députés jusqu'à remplacement.
Article 76. - Le premier renouvellement d'un cinquième de la Chambre des
députés aura lieu au plus tard en l'année 1816, suivant l'ordre établi
entre les séries.
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