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Mirari vos,
lettre encyclique du pape Grégoire XVI, 1832
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Mirari vos,
lettre encyclique du pape Grégoire XVI
condamnant les idées
libérales
du journal L'Avenir,
15 août 1832.
par Marc Nadaux
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Avec le journal L'Avenir, le
catholicisme libéral et ses plus illustres représentants,
Lamennais, Lacordaire et Montalembert, s'étaient dotés d'un organe de
presse susceptible de faire connaître auprès du public ses idées
politiques. Celles-ci, résumées par la devise "Dieu et la liberté",
suscite l'hostilité du Saint-Siège. Après avoir suspendu la publication
de leur journal, les trois "apôtres de la liberté" viennent
alors à Rome en mars 1832 afin de convaincre le pape Grégoire XVI de la
justesse de leur position. En vain. Celui-ci les désapprouve
officiellement quelques mois plus tard. |
LETTRE ENCYCLIQUE DE N. S. P. LE PAPE
GRÉGOIRE XVI
Mirari vos
À tous les Patriarches, Primats, Archevêques
et Évêques
GRÉGOIRE
XVI PAPE
VÉNÉRABLES FRÈRES
Salut et bénédiction apostolique.
Vous êtes sans doute étonnés que, depuis le
jour où le fardeau du gouvernement de toute l'Église a été imposé à
notre faiblesse, nous ne vous ayons pas encore adressé nos lettres comme
l'auraient demandé, soit la coutume introduite même dès les premiers
temps, soit notre affection pour vous. C'était bien, il est vrai, le plus
ardent de nos vœux de vous ouvrir tout d'abord notre cœur, et de vous
faire entendre, dans la communion de l'esprit, cette voix avec laquelle,
selon l'ordre reçu par nous dans la personne du bienheureux Pierre nous
devons confirmer nos frères ( LUC.
XXII, 32). Mais vous savez assez quels
maux, quelles calamités, quels orages nous ont assailli dès les premiers
instants de notre Pontificat, comment nous avons été lancé tout à coup
au milieu des tempêtes, ah ! si la droite du Seigneur n'avait
manifesté sa puissance, vous auriez eu la douleur de nous y voir
englouti, victime de l'affreuse conspiration des impies.
Notre cœur se refuse à renouveler, par le triste tableau de tant de périls,
la douleur qu'ils nous ont causée, et nous bénissons plutôt le Père de
toute consolation d'avoir dispersé les traîtres, de nous avoir arraché
au danger imminent et de nous avoir accordé en apaisant la plus terrible
tempête de respirer après une si grande crainte. Nous nous proposâmes
aussitôt de vous communiquer nos desseins pour la guérison des plaies
d'Israël, mais le poids énorme de soucis dont nous fûmes accablé pour
le rétablissement de l'ordre public, retarda encore l'exécution.
À ce motif de silence, s'en joignit un nouveau : l'insolence des
factieux qui s'efforcèrent de lever une seconde fois l'étendard de la rébellion.
À la vue de tant d'opiniâtreté de leur part en considérant que leur
fureur sauvage, loin de s'adoucir, semblait plutôt s'aigrir et s'accroître
par une trop longue impunité et par les témoignages de notre paternelle
indulgence, nous avons dû enfin, quoique l'âme navrée de douleur, faire
usage de l'autorité qui nous a été confiée par Dieu, les arrêter la
verge à la main (I Cor.
IV, 21), et depuis, comme vous pouvez
bien conjecturer, notre sollicitude et nos fatigues n'ont fait
qu'augmenter de jour en jour.
Mais puisque, après des retards nécessités par les mêmes causes, nous
avons pris possession du Pontificat dans la Basilique de Latran, selon
l'usage et les institutions de nos prédécesseurs, nous courons à vous
sans aucun délai, vénérables Frères, et comme un témoignage de nos
sentiments pour vous, nous vous adressons cette lettre écrite en ce jour
d'allégresse, où nous célébrons, par une fête solennelle, le triomphe
de la très sainte Vierge, et son entrée dans les cieux. Nous avons
ressenti sa protection et sa puissance au milieu des plus redoutables
calamités : Ah ! qu'elle daigne nous assister aussi dans le
devoir que nous remplissons envers vous, et inspirer d'en haut à notre âme
les pensées et les mesures qui seront les plus salutaires au troupeau de
Jésus-Christ ! C'est il est vrai, avec une profonde douleur et l'âme
accablée de tristesse, que nous venons à vous ; car nous
connaissons votre zèle pour la religion et les cruelles inquiétudes que
vous inspire le malheur des temps où elle est jetée. Nous pouvons dire
en toute vérité, c'est maintenant l'heure accordée à la puissance des
ténèbres pour cribler, comme le froment, les enfants d'élection (LUC.
XXII, 53). " La terre est
vraiment dans le deuil ; elle se dissout, infectée par ses habitants ;
ils ont en effet transgressé les lois, changé la justice et rompu le
pacte éternel " (ISAI.
XXIV, 5). Nous vous parlons, vénérables
Frères, de maux que vous voyez de vos yeux, et sur lesquels par conséquent
nous versons des larmes communes. La perversité, la science sans pudeur,
la licence sans frein s'agitent pleines d'ardeur et d'insolence ; la
sainteté des mystères n'excite plus que le mépris, et la majesté du
culte divin, si nécessaire à la foi et si salutaire aux hommes, est
devenue, pour les esprits pervers, un objet de blâme, de profanation, de
dérision sacrilège. De là, la sainte doctrine altérée et les erreurs
de toute espèce semées partout avec scandale. Les rites sacrés, les
droits, les institutions de l'Église, ce que sa discipline a de plus
saint, rien n'est plus à l'abri de l'audace des langues d'iniquité. On
persécute cruellement notre Chaire de Rome, ce Siège du bienheureux
Pierre sur lequel le Christ a posé le fondement de son Église ; et
les liens de l'unité sont chaque jour affaiblis de plus en plus, ou
rompus avec violence. La divine autorité de l'Église est attaquée ;
on lui arrache ses droits ; on la juge d'après des considérations
toutes terrestres, et à force d'injustice, on la dévoue au mépris des
peuples, on la réduit à une servitude honteuse. L'obéissance due aux évêques
est détruite et leurs droits sont foulés aux pieds.
On entend retentir les académies et les universités d'opinions nouvelles
et monstrueuses ; ce n'est plus en secret ni sourdement qu'elles
attaquent la foi catholique ; c'est une guerre horrible et impie
qu'elles lui déclarent publiquement et à découvert. Or dès que les leçons
et les examens des maîtres pervertissent ainsi la jeunesse, les désastres
de la religion prennent un accroissement immense, et la plus effrayante
immoralité gagne et s'étend. Aussi, une fois rejetés les liens sacrés
de la religion, qui seuls conservent les royaumes et maintiennent la force
et la vigueur de l'autorité, on voit l'ordre public disparaître,
l'autorité malade, et toute puissance légitime menacée d'une révolution
toujours plus prochaine. Abîme de malheurs sans fonds, qu'ont surtout
creusé ces sociétés conspiratrices dans lesquelles les hérésies et
les sectes ont, pour ainsi dire, vomi comme dans une espèce de sentine,
tout ce qu'il y a dans leur sein de licence, de sacrilège et de blasphème.
Telles sont, vénérables Frères, avec beaucoup d'autres encore et peut-être
plus graves, qu'il serait aujourd'hui trop long de détailler et que vous
connaissez tous, les causes qui nous condamnent à une douleur cruelle et
sans relâche, puisque établi sur la Chaire du Prince des Apôtres, nous
devons plus que personne être dévoré du zèle de la maison de Dieu tout
entière. Mais la place même que nous occupons nous avertit qu'il ne
suffit pas de déplorer ces innombrables malheurs, si nous ne faisons
aussi tous nos efforts pour en tarir les sources. Nous réclamons donc
l'aide de votre foi, et pour le salut du troupeau sacré nous faisons un
appel à votre zèle, vénérables Frères, vous dont la vertu et la
religion si connues, vous dont l'admirable prudence et la vigilance
infatigable augmentent notre courage et répandent le baume de la
consolation dans notre âme affligée par tant de désastres. Car c'est à
nous d'élever la voix, d'empêcher par nos efforts réunis que le
sanglier de la forêt ne bouleverse la vigne et que les loups ne ravagent
le troupeau du Seigneur. C'est à nous de ne conduire les brebis que dans
des pâturages qui leur soient salutaires et où l'on n'ait pas à
craindre pour elles une seule herbe malfaisante. Loin de nous donc, nos très
chers Frères, au milieu de fléaux, de dangers si multipliés et si menaçants,
loin de nous l'insouciance et les craintes de pasteurs qui abandonneraient
leurs brebis ou qui se livreraient à un sommeil funeste sans aucun souci
de leur troupeau ! Agissons en unité d'esprit pour notre cause
commune, ou plutôt pour la cause de Dieu ; et contre de communs
ennemis unissons notre vigilance, pour le salut de tout le peuple,
unissons nos efforts.
C'est ce que vous ferez parfaitement si, comme votre charge vous en fait
un devoir, vous veillez sur vous et sur la doctrine, vous redisant sans
cesse à vous-mêmes que " toute nouveauté bat en brèche l'Église
universelle " (S. Cœlest.
PP. Ep. XXI ad Episc. Galliar.), et d'après
l'avertissement du saint pape Agathon, " rien de ce qui a été
régulièrement défini ne supporte ni diminution, ni changement, ni
addition, repousse toute altération du sens et même des paroles. "
(S. Agath. PP. Ep. ad Imp. apud
Labb. tom. XI, pag. 235. edit. Mansi)
C'est ainsi que demeurera ferme, inébranlable, cette unité qui repose
sur le Siège de saint Pierre comme sur sa base ; et le centre d'où
dérivent, pour toutes les églises, les droits sacrés de la communion
catholique, " sera aussi pour toutes un mur qui les protégera,
un asile qui les couvrira, un port qui les préservera du naufrage et un
trésor qui les enrichira de biens incalculables. " (S.
Innocent. PP. Ep. XI, apud Coustant)
Ainsi donc pour réprimer l'audace de ceux qui s'efforcent, ou d'anéantir
les droits du Saint-Siège, ou d'en détacher les églises dont il est le
soutien et la vie, inculquez sans cesse aux fidèles de profonds
sentiments de confiance et de respect envers lui, faites retentir à leurs
oreilles ces paroles de saint Cyprien : " C'est une erreur
de croire être dans l'Église lorsqu'on abandonne le Siège de Pierre,
qui est le fondement de l'Église. " (S.
Cyp. de Unitate Eccles.)
Le but de vos efforts et l'objet de votre vigilance continuelle, doit donc
être de garder le dépôt de la foi au milieu de cette vaste conspiration
d'hommes impies que nous voyons, avec la plus vive douleur, formée pour
le dissiper et le perdre. Que tous s'en souviennent : le jugement sur
la saine doctrine dont on doit nourrir le peuple, le gouvernement et
l'administration de l'Église entière appartiennent au Pontife romain,
" à qui a été confié, par Notre-Seigneur Jésus-Christ ",
comme l'ont si clairement déclaré les Pères du concile de Florence,
" le plein pouvoir de paître, de régir et de gouverner l'Église
universelle " (Conc.
Flor. sess. XXV, in definit. apud Labb. tom XVIII, col. 528. edit. Venet.).
Quant aux évêques en particulier, leur devoir est de rester
inviolablement attachés à la Chaire de Pierre, de garder le saint dépôt
avec une fidélité scrupuleuse, et de paître le troupeau de Dieu qui
leur est soumis. Pour les prêtres, il faut qu'ils soient soumis aux évêques
et " qu'ils les honorent comme les pères de leurs âmes "
(S. Hieron. Ep. 3, ad Nepot, a.
I, 24), selon l'avis de saint Jérôme ;
qu'ils n'oublient jamais qu'il leur est défendu, même par les anciens
Canons, de rien faire dans le ministère qui leur a été confié, et de
prendre sur eux la charge d'enseigner et de prêcher, " sans
l'approbation de l'évêque, à qui le soin des fidèles a été remis et
qui rendra compte de leurs âmes. " (Ex
can. Ap. XXXVIII, apud Labb. tom. I, pag. 38, edit. Mansi)
Qu'on tienne enfin pour une vérité certaine et incontestable, que tous
ceux qui cherchent à troubler en quoi que ce soit cet ordre ainsi établi,
ébranlent autant qu'il est en eux la constitution de l'Église.
Ce serait donc un attentat, une dérogation formelle au respect que méritent
les lois ecclésiastiques, de blâmer, par une liberté insensée
d'opinion, la discipline que l'Église a consacrée, qui règle
l'administration des choses saintes et la conduite des fidèles, qui détermine
les droits de l'Église et les obligations de ses ministres, de la dire
ennemie des principes certains du droit naturel, incapable d'agir par son
imperfection même, ou soumise à l'autorité civile.
Mais puisqu'il est certain, pour nous servir des paroles des Pères de
Trente, que " l'Église a été instruite par Jésus-Christ et
par ses Apôtres, et que l'Esprit Saint, par une assistance de tous les
jours, ne manque jamais de lui enseigner toute vérité " (Conc.
Trid. sess. XIII, decr. de Eucharist in prœm.),
c'est le comble de l'absurdité et de l'outrage envers elle de prétendre
qu'une restauration et qu'une régénération lui sont devenues nécessaires
pour assurer son existence et ses progrès, comme si l'on pouvait croire
qu'elle aussi fût sujette, soit à la défaillance, soit à
l'obscurcissement, soit à toute autre altération de ce genre. Et que
veulent ces novateurs téméraires, sinon " donner de nouveaux
fondements à une institution qui ne serait plus, par là même, que
l'ouvrage de l'homme " et réaliser ce que saint Cyprien ne peut
assez détester, " en rendant l'Église toute humaine de divine
qu'elle est ? " (S.
Cyp. Ep. LII, edit. Baluz.) Mais que les
auteurs de semblables manœuvres sachent et retiennent qu'au seul Pontife
Romain, d'après le témoignage de saint Léon " a été confié
la dispensation des Canons ", que lui seul, et non pas un simple
particulier, a le pouvoir de prononcer " sur les règles
sanctionnées par les Pères ", et qu'ainsi, comme le dit saint
Gélase, " c'est à lui de balancer entre eux les divers décrets
des Canons, et de limiter les ordonnances de ses prédécesseurs, de manière
à relâcher quelque chose de leur rigueur et à les modifier après mûr
examen, selon que le demande la nécessité des temps, pour les nouveaux
besoins des églises " (S.
Gelasius PP. in Ep. ad Episcop. Lucaniæ).
Nous réclamons ici la constance de votre zèle en faveur de la Religion
contre les ennemis du célibat ecclésiastique, contre cette ligue impure
qui s'agite et s'étend chaque jour, qui se grossit même par le mélange
honteux de plusieurs transfuges de l'ordre clérical et des plus impudents
philosophes de notre siècle. Oublieux d'eux-mêmes et de leur devoir,
jouets de passions séductrices, ces transfuges ont poussé la licence au
point d'oser, en plusieurs endroits, présenter aux princes des requêtes,
même publiques et réitérées, pour obtenir l'abolition de ce point sacré
de discipline. Mais nous rougissons d'arrêter longtemps vos regards sur
de si honteuses tentatives, et plein de confiance en votre religion, nous
nous reposons sur vous du soin de défendre de toutes vos forces, d'après
les règles des saints Canons, une loi de si haute importance, de la
conserver dans toute son intégrité, et de repousser les traits dirigés
contre elle de tous côtés par des hommes que tourmentent les plus infâmes
passions.
Un autre objet appelle notre commune sollicitude, c'est le mariage des chrétiens,
cette alliance honorable que saint Paul a appelée " un grand
Sacrement en Jésus-Christ et en son Église " (Ad
Hebr. XIII, 4). Étouffons les opinions
hardies et les innovations téméraires qui pourraient compromettre la
sainteté de ses liens et leur indissolubilité. Déjà cette
recommandation vous avait été faite d'une manière toute particulière
par les Lettres de notre prédécesseur Pie VIII, d'heureuse mémoire.
Cependant les attaques de l'ennemi vont toujours croissant ; il faut
donc avoir soin d'enseigner au peuple que le mariage, une fois légitimement
contracté, ne peut plus être dissous ; que Dieu a imposé aux époux
qu'il a unis l'obligation de vivre en perpétuelle société, et que le nœud
qui les lie ne peut être rompu que par la mort. N'oubliant jamais que le
mariage est renfermé dans le cercle des choses saintes et placé par conséquent
sous la juridiction de l'Église, les fidèles auront sous les yeux les
lois qu'elle-même a faites à cet égard ; ils y obéiront avec un
respect et une exactitude religieuse, persuadés que, de leur exécution,
dépendent absolument les droits, la stabilité et la légitimité de
l'union conjugale. Qu'ils se gardent d'admettre en aucune façon rien de
ce qui déroge aux règles canoniques et aux décrets des conciles ;
sachant bien qu'une alliance sera toujours malheureuse, lorsqu'elle aura
été formée, soit en violant la discipline ecclésiastique, soit avant
d'avoir obtenu la bénédiction divine, soit en ne suivant que la fougue
d'une passion qui ne leur permet de penser ni au sacrement, ni aux mystères
augustes qu'il signifie.
Nous venons maintenant à une cause, hélas ! trop féconde des maux
déplorables qui affligent à présent l'Église. Nous voulons dire
l'indifférentisme, ou cette opinion funeste répandue partout par la
fourbe des méchants, qu'on peut, par une profession de foi quelconque,
obtenir le salut éternel de l'âme, pourvu qu'on ait des mœurs conformes
à la justice et à la probité. Mais dans une question si claire et si évidente,
il vous sera sans doute facile d'arracher du milieu des peuples confiés
à vos soins une erreur si pernicieuse. L'Apôtre nous en avertit :
" Il n'y a qu'un Dieu, qu'une foi, qu'un baptême " (Ad
Ephes. IV, 5) ; qu'ils tremblent
donc ceux qui s'imaginent que toute religion conduit par une voie facile
au port de la félicité ; qu'ils réfléchissent sérieusement sur
le témoignage du Sauveur lui-même : " qu'ils sont contre
le Christ dès lors qu'ils ne sont pas avec le Christ " (LUC.
XI, 23) ; qu'ils dissipent misérablement
par là même qu'ils n'amassent point avec lui, et que par conséquent,
" ils périront éternellement, sans aucun doute, s'ils ne
gardent pas la foi catholique et s'ils ne la conservent entière et sans
altération " (Symb. S.
Athanas.). Qu'ils écoutent saint Jérôme
racontant lui-même, qu'à l'époque où l'Église était partagée en
trois partis, il répétait sans cesse et avec une résolution inébranlable,
à qui faisait effort pour l'attirer à lui : " Quiconque
est uni à la chaire de Pierre est avec moi " (S.
Hier. Ep. LVIII). En vain essayerait-on
de se faire illusion en disant que soi-même aussi on a été régénéré
dans l'eau, car saint Augustin répondrait précisément : " Il
conserve aussi sa forme, le sarment séparé du cep ; mais que lui
sert cette forme, s'il ne vit point de la racine ? " (S.
Aug. in Psal. contra part. Donat.)
De cette source empoisonnée de l'indifférentisme, découle cette maxime
fausse et absurde ou plutôt ce délire : qu'on doit procurer et
garantir à chacun la liberté de conscience ; erreur des plus
contagieuses, à laquelle aplanit la voie cette liberté absolue et sans
frein des opinions qui, pour la ruine de l'Église et de l'État, va se répandant
de toutes parts, et que certains hommes, par un excès d'impudence, ne
craignent pas de représenter comme avantageuse à la religion. Eh !
" quelle mort plus funeste pour les âmes, que la liberté de
l'erreur ! " disait saint Augustin (S.
Aug. Ep. CLXVI). En voyant ôter ainsi
aux hommes tout frein capable de les retenir dans les sentiers de la vérité,
entraînés qu'ils sont déjà à leur perte par un naturel enclin au mal,
c'est en vérité que nous disons qu'il est ouvert ce " puits de
l'abîme " (Apoc. IX, 3),
d'où saint Jean vit monter une fumée qui obscurcissait le soleil, et des
sauterelles sortir pour la dévastation de la terre. De là, en effet, le
peu de stabilité des esprits ; de là, la corruption toujours
croissante des jeunes gens ; de là, dans le peuple, le mépris des
droits sacrés, des choses et des lois les plus saintes ; de là, en
un mot, le fléau le plus funeste qui puisse ravager les États ; car
l'expérience nous l'atteste et l'antiquité la plus reculée nous
l'apprend : pour amener la destruction des États les plus riches,
les plus puissants, les plus glorieux, les plus florissants, il n'a fallu
que cette liberté sans frein des opinions, cette licence des discours
publics, cette ardeur pour les innovations.
À cela se rattache la liberté de la presse, liberté la plus funeste,
liberté exécrable, pour laquelle on n'aura jamais assez d'horreur et que
certains hommes osent avec tant de bruit et tant d'insistance, demander et
étendre partout. Nous frémissons, vénérables Frères, en considérant
de quels monstres de doctrines, ou plutôt de quels prodiges d'erreurs
nous sommes accablés ; erreurs disséminées au loin et de tous côtés
par une multitude immense de livres, de brochures, et d'autres écrits,
petits il est vrai en volume, mais énormes en perversité, d'où sort la
malédiction qui couvre la face de la terre et fait couler nos larmes. Il
est cependant, ô douleur ! des hommes emportés par un tel excès
d'impudence, qu'ils ne craignent pas de soutenir opiniâtrement que le déluge
d'erreurs qui découle de là est assez abondamment compensé par la
publication de quelque livre imprimé pour défendre, au milieu de cet
amas d'iniquités, la vérité et la religion. Mais c'est un crime assurément,
et un crime réprouvé par toute espèce de droit, de commettre de dessein
prémédité un mal certain et très grand, dans l'espérance que peut-être
il en résultera quelque bien ; et quel homme sensé osera jamais
dire qu'il est permis de répandre des poisons, de les vendre
publiquement, de les colporter, bien plus, de les prendre avec avidité,
sous prétexte qu'il existe quelque remède qui a parfois arraché à la
mort ceux qui s'en sont servis ?
Mais bien différente a été la discipline de l'Église pour l'extinction
des mauvais livres, dès l'âge même des Apôtres. Nous lisons, en effet,
qu'ils ont brûlé publiquement une grande quantité de livres (Act.
Apost. XIX). Qu'il suffise, pour s'en
convaincre, de lire attentivement les lois données sur cette matière
dans le Ve Concile de Latran et la Constitution publiée peu
après par Léon X, notre prédécesseur d'heureuse mémoire, pour empêcher
" que ce qui a été heureusement inventé pour l'accroissement
de la foi et la propagation des arts utiles, ne soit perverti en un usage
tout contraire et ne devienne un obstacle au salut des fidèles "
(Act. conc. Lateran. V. sess. X,
ubi refertur Const. Leonis X. Legenda est anterior Constitutio Alexandri
VI, Inter multiplices, in qua multa ad rem).
Ce fut aussi l'objet des soins les plus vigilants des Pères de Trente ;
et pour apporter remède à un si grand mal, ils ordonnèrent, dans le décret
le plus salutaire, la confection d'un Index des livres qui contiendraient
de mauvaises doctrines (Conc.
Trid. sess. XVIII et XXV). " Il
faut combattre avec courage ", disait Clément XIII, notre prédécesseur
d'heureuse mémoire, dans sa lettre encyclique sur la proscription des
livres dangereux, " il faut combattre avec courage, autant que
la chose elle-même le demande, et exterminer de toutes ses forces le fléau
de tant de livres funestes ; jamais on ne fera disparaître la matière
de l'erreur, si les criminels éléments de la corruption ne périssent
consumés par les flammes " (Lit.
Clem. XIII, Christianæ, 25 nov. 1766.)
Par cette constante sollicitude avec laquelle, dans tous les âges, le
Saint Siège Apostolique s'est efforcé de condamner les livres suspects
et dangereux et de les arracher des mains des hommes, il apparaît
clairement combien est fausse, téméraire, injurieuse au Siège
Apostolique, et féconde en grands malheurs pour le peuple chrétien, la
doctrine de ceux qui, non contents de rejeter la censure comme trop
pesante et trop onéreuse, ont poussé la perversité, jusqu'à proclamer
qu'elle répugne aux principes de la justice et jusqu'à refuser
audacieusement à l'Église le droit de la décréter et de l'exercer.
Nous avons appris que, dans des écrits répandus dans le public, on
enseigne des doctrines qui ébranlent la fidélité, la soumission due aux
princes et qui allument partout les torches de la sédition ; il
faudra donc bien prendre garde que trompés par ces doctrines, les peuples
ne s'écartent des sentiers du devoir.
Que tous considèrent attentivement que selon l'avertissement de l'Apôtre,
" il n'est point de puissance qui ne vienne de Dieu ; et
celles qui existent ont été établies par Dieu ; ainsi résister au
pouvoir c'est résister à l'ordre de Dieu, et ceux qui résistent
attirent sur eux-mêmes la condamnation " (Ad.
Rom. XIII, 2). Les droits divins et
humains s'élèvent donc contre les hommes, qui, par les manœuvres les
plus noires de la révolte et de la sédition, s'efforcent de détruire la
fidélité due aux princes et de les renverser de leurs trônes.
C'est sûrement pour cette raison et pour ne pas se couvrir d'une pareille
honte, que malgré les plus violentes persécutions, les anciens chrétiens
ont cependant toujours bien mérité des empereurs et de l'empire ;
ils l'ont clairement démontré, non seulement par leur fidélité à obéir
exactement et promptement dans tout ce qui n'était pas contraire à la
religion, mais encore par leur constance et par l'effusion même de leur
sang dans les combats. " Les soldats chrétiens, dit Saint
Augustin, ont servi l'empereur infidèle; mais s'agissait-il de la cause
du Christ ? Ils ne reconnaissaient plus que celui qui habite dans les
cieux. Ils distinguaient le Maître éternel du maître temporel, et
cependant à cause du Maître éternel, ils étaient soumis au maître même
temporel " (S. Aug. in
Psalm. CXXIV, n. 7). Ainsi pensait
Maurice, l'invincible martyr, le chef de la légion thébaine, lorsqu'au
rapport de saint Eucher, il fit cette réponse à l'empereur : " Prince,
nous sommes vos soldats ; mais néanmoins nous le confessons
librement, les serviteurs de Dieu... Et maintenant ce péril extrême ne
fait point de nous des rebelles ; voyez, nous avons les armes à la
main, et nous ne résistons point, car nous aimons mieux mourir que de
tuer " (S. Eucher. apud
Ruinart. Act. SS. MM. de SS. Maurit. et soc. n. 4).
Cette fidélité des anciens chrétiens envers les princes apparaît plus
illustre encore, si l'on considère, avec Tertullien, que la force du
nombre et des " troupes ne leur manquait pas alors, s'ils
eussent voulu agir en ennemis déclarés. Nous ne sommes que d'hier,
dit-il lui-même, et nous remplissons tout, vos villes, vos îles, vos
forteresses, vos municipes, vos assemblées, les camps eux-mêmes, les
tribus, les décuries, le palais, le sénat, le forum... À quelle guerre
n'eussions-nous pas été propres et disposés même à forces inégales,
nous, qui nous laissons égorger avec tant de facilité, si par la foi que
nous professons il n'était pas plutôt permis de recevoir la mort que de
la donner ? Nombreux comme nous le sommes, si, nous étant retirés
dans quelque coin du monde, nous eussions rompu avec vous, la perte de
tant de citoyens, quel qu'eût été leur caractère, aurait certainement
fait rougir de honte votre tyrannie. Que dis-je ? Cette seule séparation
eût été votre châtiment. Sans aucun doute, vous eussiez été saisis
d'effroi à la vue de votre solitude... Vous eussiez cherché à qui
commander ; il vous fût resté plus d'ennemis que de citoyens ;
mais maintenant vos ennemis sont en plus petit nombre, grâce à la
multitude des chrétiens. " (Tertull.
In Apolog. Cap. XXXVII)
Ces éclatants exemples d'une constante soumission envers les princes,
tiraient nécessairement leur source des préceptes sacrés de la religion
chrétienne ; ils condamnent l'orgueil démesuré, détestable de ces
hommes déloyaux qui, brûlant d'une passion sans règle et sans frein
pour une liberté qui ose tout, s'emploient tout entiers à renverser et
à détruire tous les droits de l'autorité souveraine, apportant aux
peuples la servitude sous les apparences de la liberté.
C'était vers le même but, aussi, que tendaient de concert les
extravagances coupables et les désirs criminels des Vaudois, des Béguards,
des Wicléfistes et d'autres semblables enfants de Bélial, la honte et
l'opprobre du genre humain, et pour ce motif il furent, tant de fois et
avec raison, frappés d'anathème par le Siège Apostolique. Si ces
fourbes achevés réunissent toutes leurs forces, c'est sûrement et
uniquement afin de pouvoir dans leur triomphe se féliciter, avec Luther,
d'être libres de tout ; et c'est pour l'atteindre plus facilement et
plus promptement qu'ils commettent avec la plus grande audace les plus
noirs attentats.
Nous ne pourrions augurer des résultats plus heureux pour la religion et
pour le pouvoir civil, des désirs de ceux qui appellent avec tant
d'ardeur la séparation de l'Église et de l'État, et la rupture de la
concorde entre le sacerdoce et l'empire. Car c'est un fait avéré, que
tous les amateurs de la liberté la plus effrénée redoutent par dessus
tout cette concorde, qui toujours a été aussi salutaire et aussi
heureuse pour l'Église que pour l'État.
Aux autres causes de notre déchirante sollicitude et de la douleur
accablante qui nous est en quelque sorte particulière au milieu du danger
commun, viennent se joindre encore certaines associations et réunions,
ayant des règles déterminées. Elles se forment comme en corps d'armée,
avec les sectateurs de toute espèce de fausse religion et de culte, sous
les apparences, il est vrai, du dévouement à la religion, mais en réalité
dans le désir de répandre partout les nouveautés et les séditions,
proclamant toute espèce de liberté, excitant des troubles contre le
pouvoir sacré et contre le pouvoir civil, et reniant toute autorité, même
la plus sainte.
C'est avec un cœur déchiré, mais plein de confiance en Celui qui
commande aux vents et rétablit le calme, qui nous vous écrivons ainsi, vénérables
Frères, pour vous engager à vous revêtir du bouclier de la foi, et à déployer
vos forces en combattant vaillamment les combats du Seigneur. À vous
surtout, il appartient de vous opposer comme un rempart à toute hauteur
qui s'élève contre la science de Dieu.
Tirez le glaive de l'esprit, qui est la parole de Dieu, et donnez la
nourriture à ceux qui ont faim de la justice. Choisis pour cultiver avec
soin la vigne du Seigneur, n'agissez que dans ce but et travaillez tous
ensemble à arracher toute racine amère du champ qui vous a été confié,
à y étouffer toute semence de vices et à y faire croître une heureuse
moisson de vertus. Embrassez avec une affection toute paternelle ceux
surtout qui appliquent spécialement leur esprit aux sciences sacrées et
aux questions philosophiques : exhortez-les et amenez-les à ne pas
s'écarter des sentiers de la vérité pour courir dans la voie des
impies, en s'appuyant imprudemment sur les seules forces de leur raison.
Qu'ils se souviennent que c'est " Dieu qui conduit dans les
routes de la vérité et qui perfectionne les sages " (Sap.
VII, 15), et qu'on ne peut, sans Dieu,
apprendre à connaître Dieu, le Dieu qui, par son Verbe, enseigne aux
hommes à le connaître (S. Irenæus,
lib. IV, cap. X). C'est à l'homme
superbe, ou plutôt à l'insensé de peser dans des balances humaines les
mystères de la foi, qui sont au-dessus de tout sens humain, et de mettre
sa confiance dans une raison qui, par la condition même de la nature de
l'homme, est faible et débile.
Au reste que les Princes nos très chers fils en Jésus-Christ favorisent
de leur puissance et de leur autorité les vœux que nous formons avec eux
pour la prospérité de la religion et des États ; qu'ils songent
que le pouvoir leur a été donné, non seulement pour le gouvernement du
monde, mais surtout pour l'appui et la défense de l'Église ; qu'ils
considèrent sérieusement que tous les travaux entrepris pour le salut de
l'Église, contribuent à leur repos et au soutien de leur autorité. Bien
plus, qu'ils se persuadent que la cause de la foi doit leur être plus chère
que celle même de leur empire, et que leur plus grand intérêt, nous le
disons avec le Pape saint Léon, " est de voir ajouter, de la
main du Seigneur, la couronne de la foi à leur diadème ". Établis
comme les pères et les tuteurs des peuples, ils leur procureront un
bonheur véritable et constant, l'abondance et la tranquillité, s'ils
mettent leur principal soin à faire fleurir la religion et la piété
envers le Dieu qui porte écrit sur son vêtement : " Roi
des rois, Seigneur des seigneurs ".
Mais pour que toutes ces choses s'accomplissent heureusement, levons les
yeux et les mains vers la très sainte Vierge Marie. Seule elle a détruit
toutes les hérésies ; en elle nous mettons une immense confiance,
elle est même tout l'appui qui soutient notre espoir (Ex
S. Bernardo, Serm. de Nat. B.M.V., § 7).
Ah ! que dans la nécessité pressante où se trouve le troupeau du
Seigneur, elle implore pour notre zèle, nos desseins et nos entreprises
les plus heureux succès. Demandons aussi, par d'humbles prières, à
Pierre, prince des Apôtres, et à Paul l'associé de son apostolat, que
vous soyez tous comme un mur inébranlable, et qu'on ne pose pas d'autre
fondement que celui qui a été posé. Appuyé sur ce doux espoir, nous
avons confiance que l'auteur et le consommateur de notre foi, Jésus-Christ,
nous consolera tous enfin, au milieu des tribulations extrêmes qui nous
accablent, et comme présage du secours céleste, nous vous donnons avec
amour, vénérables Frères, à vous et aux brebis confiées à vos soins,
la bénédiction apostolique.
Donné à Rome, à Sainte-Marie-Majeure, le 18 des calendes de septembre,
le jour solennel de l'Assomption de cette bienheureuse Vierge Marie, l'an
1832 de l'incarnation de Notre Seigneur, de notre Pontificat le deuxième.
GRÉGOIRE XVI, PAPE
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