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                                                                                La doctrine du journal L'Avenir, 1830

 

Des idées novatrices :
la doctrine du journal L'Avenir,
7 décembre 1830.



par Marc Nadaux


 





Le journal L'Avenir est fondé en octobre 1830 par Lamennais et ses amis Lacordaire et Montalembert. Pendant quelques mois, il devient l'organe du catholicisme libéral, ce courant de pensée novateur qui cherche à concilier la foi chrétienne et les idéaux de 1789. Sa devise, "Dieu et la liberté" symbolise l'action qu'entendent mener ses rédacteurs. Ceux- ci, comme le stipule cet article, militent pour l'instauration de la liberté de la presse, d'enseignement et d'association. Ils souhaitent également l'avènement du suffrage universel pour les élections communales. D'autres part, ils se prononcent en faveur de l'abolition du concordat de 1801 qui place l'Église sous l'autorité du gouvernement et militent en faveur de la séparation de l'Église et de l'État. Ces idées sont novatrices mais la lutte menée par ceux qui les professent est un combat d'avant garde. Les doctrines de L'Avenir seront condamnées par le pape Grégoire XVI lui-même le 15 août 1832 avec l'encyclique Mirari vos.








Quelques personnes n'ayant pas compris et d'autres affectant de ne pas comprendre quelles sont les doctrines de L'Avenir, il nous paroît utile de les exposer de nouveau avec toute la netteté dont nous sommes capables, et dans un ordre qui permette d'en saisir facilement l'ensemble. Nous n'avons rien à cacher, rien à dissimuler : ce que nous sommes, nous le disons hautement. Nous nous présentons devant la France, forts de notre franchise et de notre loyauté, non certes avec l'espoir de ramener à tous nos sentimens les esprits entraînés par tant d'opinions diverses, mais avec la confiance certaine d'obtenir l'estime de ceux mêmes qui nous combattroient, et sûrs, quelles que soient les dissidences qui existent entre eux et nous, d'être encore unis dans le même attachement à l'ordre et à la liberté, comme dans l'impérissable amour de notre patrie commune.

Catholiques sincères, nous tenons par le fond de nos entrailles à l'unité, qui est le caractère essentiel, indélébile de notre église et de notre foi, abhorrant de toute notre âme la plus légère apparence et l'ombre même du schisme. Nous tenons dès-lors non moins fortement à l'antique et sainte hiérarchie, qui conserve l'unité du dogme, l'unité de culte et de gouvernement ; de ce gouvernement spirituel fondé par Jésus-Christ, et totalement distinct des gouvernemens temporels qui régissent les peuples dans l'ordre politique et civil. Nous sommes en conséquence pleinement soumis d'abord au souverain pontife, vicaire de Jésus-Christ en terre, chef visible de l'église et docteur de tous les chrétiens ; secondement aux évêques qui, en communion avec le pasteur suprême, gouvernent, sous son autorité, les églises particulières, et jamais rien au monde ne nous détachera d'eux ni de celui que Dieu a établi leur chef et le nôtre. Adhérant universellement et sans la moindre restriction aux doctrines du saint-siége, pure expression du christianisme à qui le monde doit tout ce qu' il possède de civilisation et de liberté, nous repoussons avec dégoût les opinions qu'on appelle gallicanes ; parce qu'opposées à la tradition, réprouvées par l'autorité la plus haute qui existe parmi les chrétiens, elles consacrent l'anarchie dans la société spirituelle, et le despotisme dans la société politique : opinions également odieuses et basses, qui, rendant la conscience même complice de la tyrannie, font de la servitude un devoir, et de la force brutale un droit indépendant de la justice.

Pour nous, au contraire, la justice est le fondement nécessaire du droit, et seule elle constitue la légitimité du pouvoir, bien qu'il doive être encore légal, c' est-à-dire déterminé dans sa forme et dans son mode de transmission par des lois positives humaines. D'où il résulte que si la légitimité est invariable comme la justice même, la légalité, arbitraire en soi, peut varier et varie de fait selon les temps, les lieux et les conjonctures ; car elle ne crée qu'un droit relatif et subordonné, droit qui cesse à l'instant où il se trouve en opposition fondamentale avec le droit immuable, éternel dont il dérive, en un mot avec la justice qui constitue, nous le répétons, la seule vraie légitimité. Et parce qu' aucune société ne sauroit subsister sans elle, elle demeure toujours comme la racine impérissable de tout ce qui est ordonné parmi les hommes ; et aux époques de révolution, lorsque nul ordre légal n' est affermi, elle devient l' unique loi, l' unique barrière contre les horreurs de l'anarchie : de sorte que, privés de leurs anciennes institutions et les institutions nouvelles n' offrant rien que de provisoire et de chancelant, les peuples passent momentanément sous l' empire de la pure et simple légitimité. Nous croyons qu' on doit alors non seulement soumission, mais encore aide et secours à la force prépondérante qui, dans ces circonstances extrêmes, garantit la sûreté des personnes et des propriétés, et se présente comme protectrice des droits acquis à tous et des libertés communes.

D'après ces principes et dans ces limites, nous reconnoissons le gouvernement actuel de la France, tel que la charte l'a établi, et nous lui obéirons, et nous le défendrons tant qu'il obéira lui-même à la charte qui l'a créé, et qu'il respectera les droits que cette même charte nous donne. Nous voulons, en un mot, son exécution loyale et complète, décidés à ne pas souffrir qu'on nous abuse par de vaines promesses, et prêts, s'il le falloit, et à combattre et à mourir, pour arracher au pouvoir aveugle qui oseroit trahir ses sermens la liberté qui nous appartient, égale pour tous, entière pour tous. Et afin qu'il ne reste aucun nuage sur notre pensée, nous demandons premièrement la liberté de conscience ou la liberté de religion, pleine, universelle, sans distinction comme sans privilège ; et par conséquent, en ce qui nous touche, nous catholiques, la totale séparation de l'église et de l'état, séparation écrite dans la charte, et que l'état et l'église doivent également désirer, par les raisons déjà plusieurs fois exposées dans L' Avenir. cette séparation nécessaire, et sans laquelle il n'existeroit pour les catholiques nulle liberté religieuse, implique, d'une part, la suppression du budget ecclésiastique, et nous l'avons hautement reconnu ; d'une autre part, l'indépendance absolue du clergé dans l'ordre spirituel : le prêtre restant d'ailleurs soumis aux lois du pays, comme les autres citoyens et dans la même mesure.

 En conséquence, la charte étant la première loi, et la liberté de conscience le premier droit des français, nous tenons pour abolie et nulle de fait toute loi particulière en contradiction avec la charte et incompatible avec les droits et les libertés qu'elle proclame ; et dès-lors nous croyons qu'il est du devoir du gouvernement de s'entendre avec le pape, et cela sans aucun retard, pour résilier de concert le concordat devenu légalement inexécutable depuis que, grâces à Dieu, la religion catholique a cessé d'être religion d' état. Le pouvoir, placé en dehors de toutes les communions, n'a d' autorité sur aucune d' elles, et les protége toutes également. Elles doivent être pleinement libres dans leurs doctrines, leur enseignement, leur culte, leur régime intérieur, sans quoi, au lieu d'être une vérité, la charte seroit le plus odieux mensonge. Nous ne pouvons donc en aucune sorte consentir à ce que le gouvernement exerce sur le choix de nos évêques une influence inconstitutionnelle et qui nous inquiète justement, puisqu'il en résulte, entre autres conséquences, que nos premiers pasteurs nous seroient donnés par des hommes dont la foi peut être opposée à la nôtre, par des hommes qui peuvent n'être pas même chrétiens. Nous protestons de toutes nos forces contre une prétention de cette nature, qui créeroit pour nous une servitude exceptionnelle, et en général contre toute intervention quelconque du pouvoir dans les choses de la religion, parce qu'une pareille intervention ne sauroit être désormais qu'illégale et tyrannique. De même qu' il ne peut y avoir aujourd'hui rien de religieux dans la politique, il ne doit y avoir rien de politique dans la religion. C'est le voeu et l'intérêt de tous, c'est la charte.

Nous demandons, en second lieu, la liberté d'enseignement, parce qu'elle est de droit naturel et, pour ainsi dire, la première liberté de la famille ; parce qu'il n'existe sans elle ni de liberté religieuse, ni de liberté d'opinions ; enfin, parce qu'elle est expressément stipulée dans la charte. Nous regardons en conséquence le monopole universitaire comme une violation de cette même charte, et nous le repoussons de plus comme illégal, les privilèges, odieux en soi, de l'université ne reposant sur aucune loi, ainsi que l'a plusieurs fois reconnu le gouvernement lui-même. Fidèles aux principes de notre droit public, tel que l'ont consacré les solennelles déclarations faites à la France au mois d'août dernier, principes que nous opposions, en de semblables circonstances, à l'ancien pouvoir, nous ne voulons pas être replacés sous le régime des ordonnances ; et c'est pourquoi nous engageons les chefs d'établissemens contre lesquels on voudroit mettre à exécution celles du mois de juin 1828, à se défendre avec énergie devant les tribunaux, persuadés qu' en résistant ainsi légalement à des actes illégaux, ils mériteront l'approbation de tous les vrais français et serviront très utilement la glorieuse cause de la liberté commune.

Nous demandons, en troisième lieu, la liberté de la presse, c' est-à-dire, qu' on la délivre des entraves nombreuses encore qui en arrêtent le développement, et en particulier des entraves fiscales par lesquelles on semble avoir voulu gêner surtout la presse périodique. Nous pensons qu' une crainte trop grande de l'abus qu'on peut faire de cette liberté engendre une certaine susceptibilité ombrageuse qui conduit à la licence, par les obstacles qu' elle oppose à la manifestation légitime des opinions, et quelquefois à la défense des droits les plus sacrés. La presse n'est à nos yeux qu'une extension de la parole ; elle est comme elle un bienfait divin, un moyen puissant, universel, de communication entre les hommes, et l'instrument le plus actif qui leur ait été donné pour hâter les progrès de l'intelligence générale. On peut en abuser sans doute ; qui ne le sait ? Mais on abuse aussi de la parole, et le premier de ces abus n'est pas, quoi qu'on en dise, plus à redouter que l'autre, et peut-être moins. Ayons foi dans la vérité, dans sa force éternelle, et nous réduirons de beaucoup et ces précautions soupçonneuses et ces vengeances contre la pensée, qui n'ont jamais étouffé aucune erreur, et qui souvent ont perdu le pouvoir en l'endormant dans une niaise confiance et dans une fausse sécurité.

Nous demandons, en quatrième lieu, la liberté d'association, parce que partout où il existe soit des intérêts, soit des opinions, soit des croyances communes, il est dans la nature humaine de se rapprocher et de s'associer ; parce que c'est là encore un droit naturel ; parce qu'on ne fait rien que par l'association, tant l'homme est foible, pauvre et misérable tandis qu'il est seul : voe soli ! parce que là où toutes classes, toutes corporations ont été dissoutes, de sorte qu'il ne reste que des individus, nulle défense n'est possible à aucun d'eux, si la loi les isole l'un de l'autre et ne leur permet pas de s'unir pour une action commune. L'arbitraire pourra les atteindre tour-à-tour ou tous à la fois, avec une facilité qui amènera bientôt la destruction complète des droits ; car il y a toujours dans le pouvoir, même le plus juste et le plus modéré, une tendance à l'envahissement, et la liberté ne se conserve que par un perpétuel combat. Aujourd'hui d' ailleurs les gouvernemens devant suivre l'opinion publique, il faut que l'opinion publique ait en dehors d' eux un moyen de se former et de se manifester avec un caractère de puissance qui ne permette en aucun cas de la mépriser ou de la méconnoître ; et cela même est une garantie, et la plus forte garantie, dans l'état présent de l'Europe, de la stabilité des gouvernemens.

Nous demandons, en cinquième lieu, qu'on développe et qu'on étende le principe d'élection, de manière à ce qu'il pénètre jusque dans le sein des masses, afin de mettre nos institutions d'accord avec elles-mêmes, et d'affermir tout à la fois et le pouvoir et l'ordre public. Car le désir, le besoin de l'ordre n'existe nulle part autant que dans les masses, et rien ne crée au pouvoir un si grand nombre d'ennemis que les places mêmes qu'il distribue, puisque entre des milliers de solliciteurs qui se disputent le même emploi, force lui est, pour en satisfaire un, de mécontenter tous les autres. Qu'il laisse les grandes et petites ambitions démêler leurs querelles avec d'autres que lui, il y gagnera du repos et, ce qui vaut mieux encore, un respect désintéressé qui est aussi de la puissance.

Nous demandons, en sixième lieu, l' abolition du système funeste de la centralisation, déplorable et honteux débris du despotisme impérial. Tout intérêt circonscrit a, selon nos principes, le droit de s'administrer lui-même, et l'état ne sauroit pas plus légitimement s'immiscer dans les affaires propres de la commune, de l'arrondissement, de la province, que dans celles du père de famille. Seulement il en doit surveiller l'ensemble, afin de prévenir les collisions qui pourroient avoir lieu entre les intérêts divers. Nous appelons de tous nos voeux une loi qui organise sur cette large base de liberté les administrations communales et provinciales. Et comme nous nous défions extrêmement de toutes les créations législatives uniformes et à priori ; comme les différences de lieux, d'habitudes et de moeurs nécessitent bien souvent, pour effectuer le bien général qu'on se propose, des différences analogues dans les institutions particulières de ce genre, nous pensons qu'il seroit mieux de beaucoup de laisser, au moins en grande partie, aux communes et aux provinces le soin de s'organiser elles-mêmes administrativement. La variété qui en résulteroit ne rendroit que plus forte l'unité politique de l'état ; car la similitude absolue, contraire à la liberté parce qu'elle est contraire à la nature, ne forme qu'une unité apparente et matérielle, et détruit la véritable unité vitale, qui résulte de la vie propre, intime, énergique de chaque partie du corps social.

Telles sont les doctrines de L'Avenir, et nous avons la ferme espérance qu'elles dissiperont peu à peu beaucoup de préjugés, calmeront beaucoup de passions, rapprocheront des cœurs long-temps divisés et qui n'ont besoin que de s'entendre, que de croire les uns aux autres pour s'aimer. Ne l'oublions jamais, l'union seule nous sauvera, l'union qui naît de la confiance, comme la confiance elle-même naît du respect des droits mutuels. Heureux si nos efforts que rien ne découragera, parce qu'ils ont leur principe dans des sentimens qui sont notre âme même, pouvoient contribuer à hâter cette union fraternelle, et à fonder, d'une manière inébranlable, l'ordre et la liberté dans notre belle patrie !