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                                                                                Le Carême à Rouen, 1816.

 





En dépit du rétablissement des liens entre l'Église et l'État avec le concordat de 1801 conclu entre le Pape Pie VII et le Premier Consul Bonaparte, les événements qui secouent la France depuis 1791 laissent des séquelles qui se traduisent dans les pratiques religieuses. Comme le met en évidence avec force Lamennais dès 1817, certaines d'entre-elles sont tombées en désuétude et "l’indifférence en matière de religion" est en progrès chez les Français. 

La Restauration, qui s'efforce d'affirmer "l'union du trône et de l'autel", voit se multiplier les missions destinées à revigorer la foi à la ville et dans les campagnes. A Rouen, en 1816, le Cardinal Cambacérès rappelle avec force l'obligation du Carême pour les Chrétiens. Cependant, ce rappel des usages d'un catholicisme de stricte observance, qui s'appuie sur l'autorité des Pères de l'Église, laisse à penser que le relâchement plonge ses racines dans le passé de l'Ancien Régime. 

Le Prélat invite également les curés cantonaux et autres desservants des paroisses à diminuer le nombre des dispenses. Celles-ci avaient pourtant permis aux prédécesseurs du cardinal de financer la construction de la Tour de Beurre de la cathédrale de Rouen. Cette condamnation des traditions locales prend donc un tour ultramontain.











 

ÉTIENNE -HUBERT CAMBACÉRÈS, par la grâce de Dieu et du Saint-Siége Apostolique, Cardinal-Prêtre de la Sainte-Église Romaine, du Titre de Saint-Étienne in Monte Caelio, Archevêque de Rouen, Grand-Cordon de la Légion-d'Honneur, au Clergé et aux Fidèles de notre Diocèse, SALUT et BÉNÉDiCTION.


La pénitence est la porte du Ciel. Pour aller à Dieu , nos TRÈS CHERS FRÈRES, il faut, avant tout, quitter la route qui en éloigne. Pour remplir son âme des vertus qui font la justification, le préalable indispensablement nécessaire est de la vider des vices qui s'y opposent. La pénitence est un devoir univers. Dieu ordonne aux hommes, par le ministère de son Apôtre, que tous, et en tout lieu, fassent pénitence. Aux pécheurs, le Sacrement de Pénitence est essentiel ; aux justes , la vertu de pénitence est nécessaire. Comme il n'y a personne qui puisse se juger exempt de péché, il n'y a personne qui doive se croire dispensé de la pénitence. Convaincus de cette vérité, entrons avec un saint empressement dans la carrière de pénitence que l'Église ouvre à notre pitié et peut être à nos remords. A l'exemple de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont Moïse et Elie avaient été les dignes figures clans l'ancien Testament, et qui se soumit, comme eux, pendant quarante jours, an jeune le plus rigoureux dans le désert, pour se préparer à consommer son sacrifice, la Religion a consacré, dès son origine, la même période de temps, par la loi de l'abstinence et du jeûne solennel qu'elle nous impose, pour disposer les pécheurs pénitents à célébrer avec fruit la plus grande Fête du Christianisme.

Dc toutes nos Institutions sacrées, n'est-ce pas celle du Carême qui subit, de nos jours, N.T.C.F., le plus scandaleux relâchement ? Nous gémissons sur cet abus, et nous avons résolu de faire revivre, dans notre Diocèse, la ferveur des premiers Chrétiens pour cette sainte pratique.

Nous nous adressons donc à vous, N.T.C.F., et. nous vous conjurons, par le salut de vos âmes, de faire attention que les Fidèles ont toujours gardé le jeûne du Carême comme un des principaux points de la discipline Ecclésiastique. Que peut-il y avoir de plus recommandable aux Chrétiens que le précepte  de ce jeune annuel, figuré dans l'ancien testament par l'observance de Moïse et des Prophètes, consacré dans la Loi nouvelle par l'exemple de Jésus-Christ, notre divin Maître, ordonné par les Apôtres, prescrit par les saints Canons, et religieusement observé par l'Église universelle depuis les premiers siècles Tout ce que nous pourrions vous dire sur ce sujet est infiniment au-dessous, et des éloges qu'ont donnés à cette pieuse pratique les saints Docteurs de l'Église, et des expressions dont ils se sont servis pour la recommander aux Fidèles. Écoutez avec respect ces oracles de la tradition, et tachez d'exciter dans vos cœurs les sentiments que produisaient leurs exhortations dans ceux des Chrétiens de leurs temps.

Le jeûne, dit Saint Basile , est utile en tout temps à ceux qui le pratiquent : car les démons n'osent rien entreprendre contre ceux qui l'observent, et les saints Anges ont un besoin particulier de les défendre ; mais il doit être observé bien plus exactement clans le temps du Carême, lorsqu'il est solennellement annoncé à tout le monde. (Hom. 2 du Jeûne, N. 2.).

Saint Jean-Chrysostome annonçait à son peuple, que le jeûne fait le repos de nos âmes. Il est l'honneur des vieillards, le pédagogues de de la jeunesse, le maître de la continence et l'ornement de tous les âges et de tous les sexes. Il est pratiqué non seulement par les Magistrats, mais par les particuliers ; non seulement par les personnes libres, mais par les esclaves ; non seulement par les homes, mais par les femmes : les riches et les pauvres y sont fidèles, les grecs et les barbares. Mais, que dis-je, les Magistrats ! Les Têtes couronnées se font un devoir de se soumettre à cette Loi comme le simple peuple, et dans ce temps de Carême, il n'y a aucune différence entre la table du riche et celle du pauvre ; la frugalité est universelle (Chap. 1 de la Genèse, Hom. 2.).

Telle était, N.T.C.F., la ferveur des Chrétiens des premiers siècles à se mortifier par l'observation de la loi du jeûne. La pratique en était si exacte, que ceux même qui ne s'y seraient pas portés par un esprit de pénitence, la gardaient. Que sont devenus ces temps heureux, et que penseraient ces Saint Docteurs, s'ils voyaient la criminelle lâcheté de la plupart des chrétiens de nos jours ?

Il existait cependant alors un petit nombre de Fidèles auxquels la pénitence du Carême paraissait trop dure, et qui la pratiquait en murmurant, ou qui en adoucissaient la sévérité par des délicatesses affectées ; mais les Saint Docteurs leur ont reproché cette lâcheté, ont confondu la mollesse de ceux qui, non contents des adoucissements permis par l'Église, cherchent de vains prétextes pour s'en dispenser entièrement.

La fidélité des premiers Chrétiens a observer le Carême, l'excellence de cette salutaire pénitence et l'étroite obligation où sont les catholiques de s'y soumettre, nous porte à gémir sur le relâchement porté à l'excès, dans le sein même de l'Église, d'un grand nombre de Chrétiens peu dignes de ce nom auguste. Les uns en parlent publiquement avec mépris ; les autres pour insulter à l'Église, qui leur imposent cette obligation, multiplient dans ces jours de pénitence leurs fêtes et leurs festins. C'est su-tout dans les grandes cités que la mollesse de l'opulence et les prétextes de la pauvreté tendent à éluder l'autorité des anciens Canons. Les excès cependant de ceux qui transgressent publiquement la loi du Carême, qu'énorme et scandaleux qu'ils soient, sont du moins condamnés par ce petits nombres d'âmes religieuses qui servent Dieu dans la crainte et la simplicité de leurs cœurs. Mais nous voyons avec peine qu'on introduit une manière de violer le jeûne et l'abstinence du Carême qui étouffe les remords de la conscience par une sorte d'obéissance et de respect pour l'Église, et qui est d'autant plus dangereuse pour les âmes, qu'elles en comprennent moins l'illusion.

Nous voulons parler, N.T.C.F., de ces dispenses que de lâches Chrétiens obtiennent de l'Église sur de faux exposés ; dispenses qui ne peuvent qu'augmenter leur prévarication, en ajoutant à l'infraction du Carême la surprise et la mauvaise foi faite à l'Église.

Nous vous conjurons de faire de sérieuses réflexions sur le danger et sur l'inutilité de ces sortes de dispenses obtenues sans motif suffisant. Ne vous flattez pas : vous pouvez nous en imposez ; mais ne vous trompez point le souverain Juge, dont la vue perce dans le fond des consciences. Il faut, pour obtenir une dispenses légitime, un motif fort et pressant, qui soit capable de contrebalancer l'importance de la Loi : il faut, d'après le Concile de Tolédo, ou une nécessité inévitable, ou une maladie et une faiblesse évidente, ou une impossibilité qui provienne de l'âge.

 Telles sont, N.T.C.F., les règles inviolables de l'Église, qu'un grand Docteur a renfermé dans ces courtes paroles : la dispense doit être fondée sur la nécessité et accordée par l'autorité ecclésiastique. En un mot, l'obligation du jeûne est si étroite, qu'à moins d'une véritable impossibilité, elle ne peut être compensée par aucune œuvre, pas même par l'aumône. S'il est impossible de jeûner, dit Saint Césaire, l'aumône peut compenser l'observation du jeûne, mais il faut que le jeûne soit impossible.

Que ce langage unanime des saints Docteurs et des Conciles ne vous échappe pas, N.T.C.F., pour qu'"une dispense du jeûne soit légitime, et qu'elle mette la conscience en sûreté, il faut qu'une véritable impossibilité et une nécessité réelle forcent le Supérieur ecclésiastique à relâcher la sévérité du précepte : ce point de discipline est indubitable. Nous en trouvons une loi expresse dans le corps du droit canon, qui sera toujours une barrière invincible au relâchement des Chrétiens de nos jours. L'Archevêque de Prague ayant consulté Innocent III, sur le sujet que nous traitons, ce grand Pape lui répondit sans hésiter qu'il devait accorder la dispense de l'observance du Carême lorsqu'une pressante nécessité l'exigeait. Pesez les termes de cette décision ; nous ne devons vous accordez cette dispense que pour une pressante nécessité. Cessez donc de nous alléguer une impossibilité qui, sans aucun risque pour la vie et sans altérer la santé, ne produit d'autres effets que de mortifier la chair. Car si cette salutaire pratique ne doit que faire souffrir et crucifier ce corps malheureux qui a tant de fois servi à l'iniquité, loin que cette souffrance puisse être une raison de vous en dispenser, elle doit être pour vous un motif pressant y assujettir, qui est à Jésus Christ, doit avoir crucifié sa chair avec ses vices et ses convoitises.

Nous ne prétendons cependant pas, N.T.C.F., condamner toute dispense. L'Église est une mère tendre qui n'impose point à ses enfants un joug insupportable ; mais il est juste d'user de ces dispenses d'une manière qui puisse édifier l'Église, afin que ce qu'elle accorde à la faiblesse de ses enfants ne tendent point  au relâchement de sa discipline. Nous ne vous prescrirons rien sur ce sujet, que ce qui a été ordonné par les saints Conciles, par les plus grands Hommes que l'Église ait eus dans ces derniers siècles , et particulièrement par Saint Charles, le modèle des Pasteurs, que nous souhaiterions pouvoir imiter.

A CES CAUSES, 1°. nous permettons , dans notre Diocèse , l'usage des œufs, pendant le Carême prochain , depuis le Mercredi des Cendres inclusivement, jusqu'au Jeudi Saint exclusivement.
2°. Nous accordons à MM. les Curés, Desservants des Succursales et Chapelles Communales, Vicaires d'Annexes et Directeurs des Oratoires autorisés, la faculté de dispenser de l'obligation de faire maigre toutes les personnes de leurs Paroisses qui leur paraîtront hors d'état d'y satisfaire.
3°. Nous recommandons aux Fidèles, qui useront de ces permissions, de suppléer par l'aumône aux pratiques de pénitence que leur situation ou leurs infirmités les empêcheront de s'imposer.
4°. Cette aumône est seulement applicable à notre Séminaire. MM. les Desservants remettront l'aumône de leurs Paroissiens à MM. les Curés de Canton, qui la déposeront à notre Secrétariat ou la remettront au Supérieur de notre Séminaire, le plutôt possible après Pâques.

Sera, notre présent Mandement, lu et publié dans notre Église Métropolitaine, aux Prônes de toutes les Églises de notre Diocèse, le Dimanche de la Quinquagésime, et affiché clans l'intérieur des Églises.

Donné à Rouen , sous notre seing , le contre-seing de notre Secrétaire , le 16 Janvier 1816.


Le Cardinal CAMBACÉRÈS, Archevêque de Rouen.


PAR SON ÉMINENCE

CHEVANNE