L'EXTINCTION DU
PAUPÉRISME
LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE
AVANT-PROPOS
Je dois dire un
mot pour expliquer le titre de cette brochure.
On trouvera
peut-être, comme un littérateur plein de mérite me l'a déjà fait
remarquer, que les mots Extinction du Paupérisme ne se rapportent pas
directement à un écrit qui a pour but le bien-être de la classe
ouvrière.
Il est vrai qu'il
y a une grande différence entre la misère qui provient d'une stagnation
forcée du travail, et la paupérisme, qui souvent est le résultat du
vice. Cependant on peut soutenir que l'un est la conséquence immédiate
de l'autre ; car, répandre dans les classes ouvrières, qui sont les plus
nombreuses, l'aisance l'instruction, la morale, c'est extirper le
paupérisme, sinon en entier, du moins en grande partie.
Ainsi, proposer
un moyen capable d'initier les masses à tous les bienfaits de la
civilisation, c'est tarir les sources de l'ignorance, du vice, de la
misère. Je crois donc pouvoir, sans trop de hardiesse, conserver à mon
travail le titre Extinction du Paupérisme.
Je livre mes
réflexions au public, dans l'espoir que, développées et mises en
pratique, elles pourront être utiles au soulagement de l'humanité. Il
est naturel, dans le malheur, de songer à ceux qui souffrent.
Louis-Napoléon
Bonaparte.
Fort de Ham, mai
1844.
Chapitre 1
La richesse d’un
pays dépend de la prospérité de l'agriculture et de l'lndustrie, du développement
du commerce intérieur et extérieur, de la juste et équitable
répartition des revenus publics.
II n'y a pas un
seul de ces éléments divers du bien-être matériel qui ne soit miné en
France par un vice organique. Tous les esprits indépendants le
reconnaissent. Ils diffèrent seulement sur les remèdes à apporter.
AGRICULTURE. Il
est avéré que l’extrême division des propriétés tend à la ruine de
l'agriculture, et cependant le rétablissement de la loi d’aînesse, qui
maintenant les grandes propriétés et favorisait la grande culture, est
une impossibilité. Il faut même nous féliciter, sous le point de vue
politique, qu'il en soit ainsi.
INDUSTRIE. L’industrie,
cette source de richesse, n'a aujourd’hui ni règle, ni
organisation, ni but. C'est une machine qui fonctionne sans régulateur ;
peu lui importe la force motrice qu'elle emploie. Broyant également dans
ses rouages les hommes comme la matière, elle dépeuple les campagnes,
elle agglomère la population dans des espaces sans air, affaiblit
l'esprit comme le corps, et jette ensuite sur le pavé. quand elle n'en
sait plus que faire, les hommes qui ont sacrifié pour l'enrichir leur
force, leur jeunesse, leur existence. Véritable Saturne du travail, l’industrie
dévore ses enfants et ne vit que de leur mort.
Faut-il
cependant, pour parer à ses défauts, la placer sous un joug de fer, lui
ôter cette liberté qui seule fait sa vie, la tuer, en un mot, parce
qu'elle tue, sans lui tenir compte de ses immenses bienfaits ? Nous
croyons qu'il suffit de guérir ses blessés, de prévenir ses blessures.
Mais il est
urgent de le faire, car la société n'est pas un être fictif ; c'est un
corps en chair et en os, qui ne saurait prospérer qu'autant que toutes
les parties qui le composent sont dans un état de santé parfaite.
II faut un
remède efficace aux maux de l'industrie : le bien général
du pays, la voix de l'humanité, l’intérêt même des gouvernement,
tout l'exige impérieusement.
COMMERCE INTÉRIEUR. Le commerce intérieur souffre, parce que l'industrie
produisant trop en comparaison de la faible rétribution qu’elle donne
au travail, et l’agriculture ne produisant pas assez, la nation se
trouve composée de producteurs qui ne peuvent pas vendre et de
consommateurs affamés qui ne peuvent pas acheter ; et le manque d’équilibre
de la situation contraint le gouvernement, ici comme en Angleterre,
d'aller chercher jusqu’en Chine quelques milliers de consommateurs en
présence de millions de Français ou d’Anglais qui sont dénués de
tout, et qui s'ils pouvaient acheter de quoi se nourrir et se vêtir plus
convenablement, créeraient un mouvement commercial bien plus
considérable que les traités les plus avantageux.
COMMERCE EXTÉRIEUR. Les causes qui paralysent nos exportations hors de France
touchent de trop près à la politique pour que nous voulions en parler
ici. Qu'il nous suffise de dire que la quantité de marchandises d’un
pays exporte, est toujours en raison directe du nombre de boulets
qu'il peut envoyer à ses ennemis quand son honneur et sa dignité le
commandent. Les événements qui se sont passés récemment en Chine sont
une preuve de cette vérité.
Parlons
maintenant de l’impôt.
IMPÔT. La
France est un des pays les plus imposés de l'Europe. Elle serait peut
être le pays le plus riche, si la fortune publique était
répartie de la manière la plus équitable.
Le prélèvement
de l’impôt, peut se comparer à l’action du soleil qui absorbe
les vapeurs de la terre pour les répartir ensuite à l'état de pluie,
sur tout les lieux qui ont besoin d’eau pour être fécondés et pour
produire. Lorsque cette restitution s’opère régulièrement, la
fertilisé s’en suit ; mais lorsque le ciel, dans sa colère,
déverse partiellement un orages, en trombes et en tempêtes, les vapeurs
absorbées, les germes de production sont détruits, et il en résulte la
stérilité, car il donne aux uns beaucoup trop et aux autres pas assez.
Cependant, qu’elle qu’ai été l’action bienfaisante ou malfaisante
de l’atmosphère, c'est presque toujours au bout de l’année, la même
quantité d’eau qui a été prise et rendue. La répartition seule fait
donc la différence. Équitable et régulière, elle crée l'abondance ;
prodigue et partiale, elle amène la disette.
Il en est de
même des effets d'une bonne ou mauvaise administration. Si les sommes
prélevées chaque, année sur la généralité des habitants sont
employées à des usages improductibles, comme à créer des places
inutiles, à élever des monuments stériles, à entretenir au milieu
d'une paix profonde une armée plus dispendieuse que celle qui vainquit à
Austerlitz, l'impôt, dans ce cas, devient un fardeau écrasant ; il
épuise le pays, il prend sans rendre ; mais si, au contraire, ces
ressources sont employées à créer de nouveaux éléments de production,
à rétablir l’équilibre des richesses, à détruire la misère en
activant et organisant le travail, à guérir enfin les maux que notre
civilisation entraîne avec elle, alors certainement l’impôt devient
pour les citoyens, comme l'a dit un jour un ministre à la tribune, le
meilleur des placements.
C'est donc dans
le budget qu'il faut trouver le point d'appui de tout système qui a pour
but le soulagement de la classe ouvrière. Le chercher ailleurs est une
chimère.
Les caisses d’épargne
sont utiles sans doute pour la classe aisée des ouvriers ; elles lui
fournissent le moyen de faire un usage avantageux de ses économies et de
son superflu ; mais, pour la classe la plus nombreuse, qui n'a aucun
superflu et par conséquent aucun moyen de faire des économies, ce
système est complètement insuffisant. Vouloir, en effet, soulager la
misère des hommes qui n’ont pas de quoi vivre, en leur proposant de
mettre tous les ans de côté un quelque chose qu'ils n'ont
pas, est une dérision ou une absurdité !
Qu'y a-t-il donc
à faire? Le voici. Notre loi égalitaire de la division des propriétés
ruine l'agriculture ; il faut remédier à cet inconvénient par une
association qui, employant tous les bras inoccupés, récrée la grande
culture sans aucun désavantage pour nos principes politiques.
L’industrie
appelle tous les jours les hommes dans les villes et les énerve. Il faut
rappeler dans les campagnes ceux qui de trop clans les villes, et
retremper en plein air leur esprit et leur corps.
La classe
ouvrière ne possède rien, il faut la rendre propriétaire. Elle n'a de
richesses que ses bras, il faut donner à ces bras un emploi utile pour
tous. Elle est comme un peuple d’Ilotes au milieu d'un peuple de
Sybarites, il faut lui donner une place dans la société, et attacher ses
intérêts à ceux du sol. Enfin elle est sans organisation et sans liens,
sans droits et sans avenir, il faut lui donner des droits et un avenir, et
la relever à ses propres yeux par l'association, l'éducation, la
discipline.
Chapitre 2 . Proposition
Pour accomplir un
projet si digne de l'esprit démocratique et philanthropique du siècle,
si nécessaire au bien-être général, si utile au repos de la société,
il faut trois choses : 1. une loi ; 2. Une première mise de fonds prise
sur le budget ; 3. Une organisation.
1 . LA LOI. Il y
a en France, d’après la statistique agricole officielle, 9.190.000
hectares de terres incultes qui appartiennent soit au gouvernement, soit
aux communes, soit à des particuliers. Ces landes, bruyères, communaux,
patios, ne donnent qu’un revenu extrêmement faible, 8 francs par
hectares. C’est un capital mort qui ne profite à personne. Que les
Chambres décrètent que toutes ces terres incultes appartiennent de droit
à l’association ouvrière, sauf à payer annuellement aux
propriétaires actuels ce que ceux-ci en retirent aujourd’hui ; qu’elles
donnent à ces bras qui chôment, ces terres qui chôment également, et
ces deux capitaux improductifs renaîtront à la vie l’un par l’autre.
On aura trouvé le moyen de soulager la misère tout en enrichissant le
pays. Afin d’éviter le reproche d’exagération, nous supposeront que
les deux tiers de ces neuf millions d’hectares puissent être livrés à
l’association, et que l’autre tiers soit indéfrichable ou occupé par
des bâtiments, les ruisseaux, canaux… , il resterait 6.127.000 hectares
à défricher. Ce travail serait rendu possible par la création de
colonies agricoles qui, répandues sur toutes la France, formeraient les
bases d'une seule et vaste organisation dont tous les ouvriers pauvres
seraient membres sans être personnellement propriétaires.
2 . LA MISE DE
FONDS. Les avances nécessaires à la création de ces établissements
doivent être fournies par l'État. D'après nos estimations, ce sacrifice
s'élèverait à une somme d'environ 500 millions payés en quatre ans ;
car à la fin de ce laps de temps, ces colonies, tout en faisant vivre un
grand nombre d'ouvriers, seraient déjà en bénéfice. Au bout de dix
ans, le gouvernement pourrait y prélever un impôt foncier d’environ 8
millions sans compter l'augmentation naturelle des impôts indirects dont
les recettes augmentent toujours en raison de la consommation, qui s’accroît
elle-même avec l'aisance générale.
Cette avance de
300 millions ne serait donc pas un sacrifice, mais un magnifique
placement. Et l'État, en songeant à la grandeur du but, pourrait-il
se refuser à cette avance, lui qui dépense annuellement un 46 millions
pour prévenir ou punir les attaques dirigées contre la propriété, qui
sacrifie tous les ans 300 millions pour façonner le pays au métier des
armes, qui propose aujourd’hui 120 millions pour construire de nouvelles
prisons ? Enfin le pays qui, sans périr, a donné deux milliards aux
étrangers qui ont envahi la France, qui sans murmurer, a
payé un milliard aux émigrés, qui, sans s'effrayer, dépense deux ou
trois cents millions aux fortifications de Paris, ce pays là, dis-je,
hésiterait-il â payer 300 millions en quatre ans pour détruire le
paupérisme, pour affranchir les communes de l'immense fardeau que leur
impose la misère, pour augmenter enfin la richesse territoriale de plus d’un
milliard.
3 . L’ORGANISATION.
Les masses sans organisation ne sont rien sorts rien ; disciplinées,
elles sont tout. Sans organisation, elles ne peuvent ni parler ni se faire
comprendre ; elles ne peuvent même ni écouter ou recevoir une impulsion
commune.
D'un coté, la
voix de 20 millions d'hommes éparpillés sur un vaste territoire se perd
sans échos ; et de l'autre, il n'y a pas de parole assez forte et assez
persuasive pour aller d'au point central porter dans 20 millions de
consciences, sans intermédiaires reconnus, les doctrines toujours
sévères du pouvoir.
Aujourd’hui, le
règne des castes est fini : on ne peut gouverner qu'avec les masses ; il
faut donc les organiser pour qu'elles puissent formuler leurs volonté, et
les discipliner pour qu'elles puissent être dirigées et éclairées sur
leurs propres intérêts.
Gouverner, ce
n'est plus dominer les peuples par la force et la violence ; c'est les
conduire vers un meilleur avenir, en faisant appel à leur raison et à
leur cœur.
Mais comme les
masses ont besoin d'être instruites et moralisées, et qu'à son tour
l'autorité a besoin d'être contenue et même éclairée sur les
intérêts du plus grand nombre, il est de toute nécessité qu'il y ait
dans la société deux mouvements également puissants : une action du
pouvoir sur la masse et une réaction de la masse sur le pouvoir. Or, ces
deux influences ne peuvent fonctionner sans choc qu'au moyen
d'intermédiaires qui possèdent à la fois la confiance de ceux qu'ils
représentent, et la confiance de ceux qui gouvernent. Ces intermédiaires
auront la confiance des premiers dès qu'ils seront librement élus par
eux ; ils mériteront, la confiance des seconds dès qu'ils rempliront
dans la société une place importante, car on peut dire, en général,
que l'homme est ce que la fonction qu'il remplit l'oblige d'être.
Guidé par ces
considérations, nous voudrions qu'on créât, entre les ouvriers et ceux
qui les emploient, une classe intermédiaire jouissant de droits
légalement reconnus et élue par la totalité des ouvriers. Cette classe
intermédiaire serait le corps des prud’hommes.
Nous voudrions qu’annuellement
tous les travailleurs ou prolétaires s’assemblassent dans les communes,
pour procéder à l’élection de leurs représentant ou prud'hommes, à
raison d'un Prud'hommes pour dix ouvriers. La bonne conduite serait la
seule condition d’éligibilité. Tout chef de fabrique ou de ferme, tout
entrepreneur quelconque, serait obligé par une loi, dès qu'il
emploierait plus de dix ouvriers, d'avoir un prud'homme pour les diriger,
et de lui donner un salaire double à celui des simples ouvriers.
Ces prud'hommes
rempliraient, dans la classe ouvrière, le même rôle que les
sous-officiers remplissent dans l'armée. Ils formeraient le premier
degré de la hiérarchie sociale, stimulant la louable ambition de tous,
en leur montrant une récompense facile à obtenir. Relevés à leurs
propres yeux par les devoirs mêmes qu'ils auraient à remplir, ils
seraient forcés de donner l'exemple d'une bonne conduite. Par ce moyen,
chaque dizaine d'ouvriers renfermerait en elle un germe de
perfectionnement. Ce qui améliore les hommes, c'est de leur offrir
toujours devant les. yeux un but à atteindre, qui soit honorable et
honoré !
Pour l'impulsion
à donner à la masse pour l'éclairer, lui parler, la faire agir, la
question se trouve simplifiée dans le rapport de 1 à 10 : en supposant
qu'il y ait 25 millions d'hommes qui vivent au jour le jour de leur
travail, on aura deux millions et demi d’intermédiaires auxquels on
pourra s'adresser avec d'autant plus de confiance qu'ils participent à la
fois des intérêts de ceux qui obéissent et des idées de ceux qui
commandent. Ces prud'hommes seraient divisés en deux parties. Les uns
resteraient dans l'industrie privée, les autres seraient employés aux
établissements agricoles. Et, nous le répétons, cette mission serait le
résultat du droit de l’élection directe attribuée à tous
travailleur.
Chapitre 3 . Colonies agricoles
Supposons que les
trois mesures précédentes soient adoptées ; les vingt-cinq millions de
prolétaires actuels ont des représentants, et le quart de l'étendue du
domaine agricole de la France est leur propriété.
Dans chaque
département, et d'abord là où les terres incultes sont en plus grand
nombre, s'élèvent des colonies agricoles offrant du pain, de l’instruction,
de la religion, du travail à tous ceux qui en manquent, et Dieu sait si
le nombre en est grand en France.
Ces institutions
charitables, au milieu d'un monde égoïste livré à la féodalité de
l'argent, doivent produire le même effet bienfaisant que ces monastères
qui vinrent au Moyen Age, planter au milieu des forets, des gens de guerre
et des serfs, des germes de lumière, de paix, de civilisation.
L’association
étant une pour toute la France, l'inégale répartition des terrains
incultes, et même le petit nombre de ces terrains dans certains
départements ne seraient point un obstacle. Les familles pauvres d’un
département qui ne posséderait point dans le principe de colonie
agricole se rendraient dans l'établissement le plus voisin, le grand
bienfait de la solidarité étant surtout de répartir également les
secours, de soulager toutes les misères, sans être arrêté, par cette
considération qui aujourd’hui excuse toutes les inhumanités :
Il
n'est point de ma commune.
Les colonies
agricoles auraient deux buts â remplir. Le premier, de nourrir un grand
nombre de familles pauvres, en leur faisant cultiver la terre, soigner les
bestiaux, etc. Le second, d'offrir un refuge momentané à cette masse
flottante d'ouvriers auxquels la prospérité de l'industrie donne une
activité fébrile, et que la stagnation des affaires ou l'établissement
de nouvelles machines plonge dans la misère le plus profonde.
Tous les pauvres,
tous !es individus sans ouvrage trouveraient dans ces lieux à utiliser
leur force et leur intelligence au profit de toute la communauté.
Ainsi il y aurait
dans ces colonies, au-delà du. nombre strictement nécessaire d’hommes,
de femmes et d’enfants pour faire les ouvrages de ferme, un grands
nombre d’ouvriers sans cesse employés, soit à défricher de nouvelles
terres, soit à bâtir de nouveaux établissements pour les infirmes et
les vieillards ; les avances faites à l'association ou ces bénéfices
ultérieurs, lui permettraient d'employer tous les ans des capitaux
considérables à ces dépenses productives.
Lorsque
l'industrie privée aura besoin de bras, elle viendra les demander à ces
dépôts centraux qui, par le fait, maintiendront toujours les salaires au
taux rémunérateur ; car il test clair que l’ouvrier, certain de
trouver dans les colonies agricoles une existence assurée, n'acceptera de
travail dans l'industrie privée, qu’autant que celle ci lui offrira des
bénéfices au-delà de ce strict nécessaire que lui fournira toujours l’association.
Pour stimuler ces
échanges comme pour exciter l'émulation des travailleurs, on prélèvera
sur les bénéfices de chaque établissement une somme destinée à créer
pour chaque ouvrier une masse individuelle. Ce fonds constituera une
véritable caisse d'Épargne qui délivrera à chaque ouvrier, au moment de
son départ, en sus de sa solde, une action dont le montant sera réglé
d'après ses jours de travail, son zèle et sa bonne conduite. De sorte
que l’ouvrier laborieux pourra, au moyen de six masse individuelle,
s'amasser, au bout de quelques années, une somme capable d'assurer son
existence pour le reste de ses jours, même hors de la colonie.
Pour mieux
définir notre système, nous aurons recours à une comparaison. Lorsqu’au
milieu d'un pays coule un large fleuve, ce fleuve est une cause générale
de prospérité ; mais quelquefois la trop grande abondance de ses eaux ou
leur excessive rareté amène ou l'inondation ou la sécheresse. Que
fait-on pour remédier à ces deux fléaux ? On creuse, le Nil nous en
fournit l’exemple, de vastes bassins, où le fleuve déverse le surplus
de ses eaux quant il en a trop et en reprend au contraire quand il n’en
a pas assez ; et de cette manière on assure aux flots cette
égalité constante de niveau d’où nait l’abondance. Eh bien !
Voilà ce que nous proposons pour la classe ouvrière, cet autre fleuve
qui peut être à la fois une source de ruine ou de fertilité suivant la
manière dont on tracera son cours. Nous demandons pour la masse flottante
des travailleurs de grands refuges où l'on s’applique à développer
leurs forces comme leur esprit, lorsque l'activité générale du pays se
ralentira, conserveront le surplus des forces non employées pour les
rendre ensuite au fur et à mesure au mouvement général. Nous demandons
en un mot de véritables déversoirs de la population, réservoirs
utiles du travail, qui maintiennent toujours à la hauteur cet autre
niveau de la justice divine qui veut que la sueur du pauvre reçoive sa
juste rétribution.
Les prud’hommes,
c’est à les représentants des ouvriers, seront les régulateurs de cet
échange continuel. Les prud’hommes de l’industrie privée, au fait de
tout les besoins de leurs subordonnés, partageront avec les maires des
communes le droit d’envoyer aux colonies agricoles ceux qu'ils ne
pourront pas employer. Les prud’hommes des colonies, au fait de la
capacité de chacun, chercheront à placer avantageusement dans
l'industrie privée tous ceux dont celle-ci aurait besoin. On trouvera
peut être quelques inconvénients pratiques à cet échange ; mais
quelle est l’institution qui n’en offre pas dans ces
commencements ? Celle-ci aura l’immense avantage de multiplier l’instruction
du peuple, de lui donner un travail salubre et de lui apprendre l’agriculture ;
elle rendra générale cette habitude que l’industrie du sucre de
betterave et même l’industrie de la soie ont déjà introduite, de
faire passer alternativement les ouvriers du travail des champs à celui
des ateliers.
Les prud’hommes
seront au nombre de un sur dix, comme dans l’industrie privée.
Au-dessus des
prud’hommes, il y aura des directeurs chargés d’enseigner l’art de
la culture des terres.
Ces directeurs
seront élus par les ouvriers et les prud’hommes réunis. Pour qu’ils
soient éligibles, on exigera d’eux des preuves de connaissances
spéciales en agriculture. Enfin au dessus de ces directeurs, de ces prud’hommes,
de ces ouvriers, il y aura un directeur par colonie. Ce gouverneur sera
nommé par les prud’hommes et les directeurs réunis.
L’administration se composera
du gouverneur et d’un comité formé d'un tiers de directeurs et de deux
tiers de prud’hommes.
Chaque année les
comptes seront imprimés, communiqués à l'assemblée générale des
travailleurs et soumis au conseil général du département, qui devra les
approuver et aura le droit de casser les prud'hommes ou directeurs qui
auraient montré leur capacité. Tous les ans les gouverneurs des colonies
se rendront à Paris, et là, sous la présidence du ministre de l’intérieur,
ils discuteront le meilleur emploi à faire des bénéfices dans l’intérêt
de l'association générale.
Tout commencement
est pénible ; ainsi nous n'avons pas trouvé les moyens de créer ces
colonies agricoles économiquement, sans établir des espèces de camp où
les ouvriers seront baraqués comme nos troupes, pendant les premières
périodes. Il va sans dire que dès que les recettes surpasseront les
dépenses, on remplacera ces baraques par des maisons saines bâties d’après
un plan mûrement médité. On construira allures des bâtiments
accessoires pour donner aux membres de la colonie et aux enfants l’instruction
civile et religieuse. Enfin on formera de vastes hôpitaux pour les
infirmes, pour ceux que l’âge aurait mis dans l’impossibilité de
travailler.
Une discipline
sévère régnera dans ces colonies ; la vie y sera salutaire, mais
rude ; car leur but n’est pas de nourrir des fainéants, mais d’ennoblir
l’homme par un travail sain et rémunérateur et par une éducation
morale. Les ouvriers et les familles occupés dans ces colonies y seront
entretenus le plus simplement possible. Le logement, la solde, la
nourriture, l’habillement seront réglés d’après le tarif de l’armée,
car l’organisation militaire est la seule qui soit basée à la fois sur
le bien-être de tous ses membres et sur la plus stricte économie.
Cependant ces
établissements n’auraient rien de militaire, ils emprunteraient à l’armée
son ordre admirable, et voilà tout.
L’armée est
simplement une organisation, la classe ouvrière formerait une association.
Ces deux corps auraient donc un principe et un but tout différents.
L’armée est
une organisation qui, devant exécuter aveuglément et avec promptitude
l'ordre du chef, doit avoir pour base une hiérarchie qui parle d'en haut.
La classe des
travailleurs formant une association, dont les chefs auraient d'autre
devoirs que de régulariser et exécuter la volonté générale, sa
hiérarchie doit être le produit de l'élection. Ce que nous proposons
n'a donc aucun rapport avec les colonies militaires.
Afin de rendre
notre système plus palpable, nous allons présenter un aperçu des
recettes et dépenses probables d'une colonie agricole. Ces calculs sont
basés sur des chiffres officiels. Cependant tout le monde comprendra la
difficulté d'établir un semblable budget. Il n'y a rien de moins exact
que l'appréciation détaillée des revenus de la terre. Nous ne
prétendons pas avoir tout prévu. La meilleure prévision, dit
Montesquieu, est le songer qu'on ne peut tout prévoir. Mais si nos
chiffres peuvent prêter à diverses interprétations, nous ne saurions
admettre qu’il en soit ainsi du système en lui-même. Il est possible
que, malgré le soin que nous avons apporté dans nos évaluation, nous
ayons omis quelques dépenses ou même quelques recettes, ou bien compté
à un taux trop élevé les rendements de la terre ; mais ces
omissions ne nuisent en rien à l'idée fondamentale que nous croyons
juste, vraie, féconde en bons résultats ; le simple raisonnement
qui suit le prouvera.
Dans nos
fermes-modèles, la classe ouvrière aura pour elle seule ces trois
produits ; elle sera à la fois travailleur, fermier,
propriétaire ; ses bénéfices seront donc immenses, et cela d’autant
plus que, dans une association bien établie, les dépenses seront
toujours moindres que dans les exploitations particulières. La première
partie fera vivre dans une modeste aisance un grand nombre de familles
pauvres ; la seconde partie servira à établir les masses
individuelles dont nous avons parlé ; la troisième partie donnera
les moyens, non seulement de bâtir des maisons de bienfaisance, mais d’accroître
sans cesse le capital de la société en achetant
de nouvelles terres.
C’est là un
des plus grands avantages de notre projet. Car tout système qui ne
renferme pas en lui un moyen d'accroissement continuel est défectueux. Il
peut bien momentanément amener quelques bons résultats, mais lorsque les
fait qu’il devait produire et réalisé, le malaise qu'il a voulu
détruire se renouvelle, c'est comme si on n'avait rien fait. La loi des
pauvres en Angleterre, les Workhouses en offrent des exemples frappant.
Ici, au
contraire, lorsque les colonies agricoles seront en plein rapport, elles
auront toujours la facilité d'étendre leur domaine, de multiplier leurs
établissements, afin d'y placer de nouveaux travailleurs. Le seul cas qui
viendra arrêter momentanément cet accroissement sera celui où
l'industrie privée aura besoin de bras et pourra les employer plus
avantageusement. Alors les terres cultivées ne seront pas abandonnées
pour cela ; le nombre excédant d'ouvriers dont nous avons parlé rentrera
dans le domaine public jusqu’à ce qu'une nouvelle stagnation la renvoie
de nouveau à la colonie agricole.
Ainsi, tandis que
d'un côté; par une loi égalitaire les propriétés se divisent de pins
en plus, l’association ouvrière reconstruira la grande propriété et
la grande culture.
Tandis que l’industrie
appelle sans cesse la population dans les villes, les colonies la
rappelleront dans les campagnes.
Quand il n’y
aura plus de terres à assez bas prix en France, l’association établira
des succursales en Algérie, en Amérique même ; elle peut un jour
envahir le monde ! car partout où il y aura un hectare à défricher
et un pauvre à nourrir, elle sera là avec ses capitaux, son armée de
travailleurs, son incessante activité.
Et qu'on ne nous
accuse pas de rêver un bien impossible ; nous n’aurons qu’à
citer l'exemple de la fameuses compagnie anglaise des Indes
orientales : qu'était-ce ? sinon une association comme celle
que nous proposons, mais dont les résultats, quoique surprenants, ne
furent pas aussi favorables à l'humanité que celle que nous appelons de
tous nos vœux.
Avant de pénétrer
si loin dans l'avenir, calculons les recettes et les dépenses probables
de ces établissements.
Chapitre 4 . Recettes et dépenses
D'après notre
supposition, l'association ouvrière aurait à défricher les 2/3 de
9.190.000 hectares de terres, aujourd'hui incultes, c'est-à-dire
6.127.000 hectares.
Pour savoir
combien ces hectares rapporteraient s’ils étaient soumis à une culture
habile, sans jachères, nous avons fait le calcul suivant :
Le nombre
d'hectares des cultures de la France entière est de
: 19.314.741
Celui des
prairies tant naturelles qu'artificielles
:
5.774, 745
Étendues en
hectares. Total. : 25.089.486
La valeur du
produit brut de ces terrains est :
Pour les cultures
: 3.479.583.005
Pour les prairies : 666.363.412
Produit total,
francs : 4.145.946.417
Le produit moyen
par hectare de terres ensemencées ou mises en prairie s’élève donc à
165 francs.
D’un autre
coté, il y a en France 51.568.845 animaux domestiques de toutes espèce,
qui donnent un produit brut de 767.251.851 francs. L’une dans l’autre,
chaque tête de bétail rapporte donc 15 francs, et comme ces bestiaux
sont nourris sur environs 26 millions d’hectares, cela fait environ deux
têtes de bétail par hectare. En moyenne, on peut dire que chaque hectare
produit 195 francs, dont 165 pour le revenu de la terre et 30 francs pour
le revenu des bestiaux.
Nos 6.127.000
hectares, mis en culture et en prairies, rapporteront donc :
Pour le produit
de la terre
: 1.010.955.000
Et pour le
produit des animaux : 183.810.000
Total en francs : 1.194.654.600
Retranchant de ce
nombre ce que ces hectares produisent aujourd’hui d’après la
statistique, c’est-à-dire les 2/3 de 82.064.046 francs, on a
54.709.364.
La richesse
territoriale se sera accrue de : 1.140.055.636
Voyons maintenant
qu'elle serait la dépense. Pour faciliter nos calculs, supposons que les
terres à défricher soient également réparties par chaque division
politique de la France. Nous aurons 6.127.000 hectares à diviser par 86,
ce qui nous donnera par département 71.241 hectares. En fixant un terme
de vingt ans au bout duquel toutes les terres devront être mises en
cultures, il y aura par ans, par département, 3.562 hectares à
défricher.
Le nombre de bras
nécessaires pour ce travail peut se fixer ainsi : un ouvrier défriche en
terme moyen trois hectares par an. Mais, comme il faut compter les
malades, et qu'ensuite, dès la seconde année, ces ouvriers seront
obligés de donner une partie de leurs soins à la culture de terres
déjà défrichées, et d'aider les familles agricoles qui seront
appelées annuellement de surcroît, nous ne supposerons qu’un travail
de deux hectares par an. Il faudra donc 1781 ouvriers pour accomplir cette
tache en vingt ans, et comme chaque année il y aura 8.562 hectares
annuellement défrichés, la colonie accueillera tous les ans 120 familles
pour aider à la culture des terres défrichées et pour soigner les
bestiaux, puisque nous avons aussi compté, d’après le relevé
général de la France deux bestiaux par hectare. La colonie achèterait
donc tous les ans, à partir de la fin de la première apnée, deux fois
autant de bestiaux qu'elle aurait défriché d'hectares dans l'année
précédente. Ainsi, pendant vingt ans, la colonie aurait des recettes et
des dépenses qui suivraient une progression croissante.
Les recettes,
sans compter les premières avances du gouvernement se composeront de
l'augmentation annuelle de la valeur de ces hectares. Car, en admettant
que chaque hectare donne un produit de 195 fr., les terres ne rapporteront
cette somme qu'au bout de trois ans de culture et quatre années de
travail. C'est-à-dire que la première année après son défrichement,
chaque hectare rapportera 65 fr., la seconde année 130 fr., et les
années suivantes 195 fr.
Quant aux
dépenses, à part les premiers frais d'établissement, il y aura chaque
année des dépenses qui se renouvelleront sans cesse, telles que la solde
de 1781 ouvriers et de 120 familles, l’intérêt des terrains
appartenant aux communes ou aux particuliers, la dépense des
ensemencements, des écuries, des frais d’administration, de 7,124,
nouveaux bestiaux à acheter ; de plus, il y aura chaque année un
accroissement régulier qui consistera dans l'entretien de 120 nouvelles
familles, plus la construction des baraques pour les loger.
Chaque ouvrier
recevra la solde du soldat, et chaque famille la solde de trois ouvriers.
L'habillement doit être bien meilleur marché pour les ouvriers que pour
des soldats ; nous le calculerons cependant au même taux, afin de ne rien
changer aux prix établis. Chaque homme coûtera donc par an , tout
compris 318 francs.
Les prud'hommes
recevront la solde des sous-officiers, les directeurs recevront la solde
d'officiers, le gouverneur la solde de colonel.
Jusqu'à. ce que
la colonie ait donné des bénéfices, tous les ouvriers seront logés
dans des baraques construites comme celles de nos camps
militaires. Ces baraques, vastes et saines, contiennent ordinairement
douze hommes. Nous ne voudrions mettre qu'une escouade de dix hommes avec
leur prud'homme lorsqu'ils ne seraient pas mariés. Dans le cas contraire,
il y aurait une famille par baraque et ces baraques seraient construites
sur une plus petite échelle.
Dans plusieurs
départements, il y a des baraques semblables prés des fabriques de
sucre.
En faisant les
calculs que nous avons mis à la fin de la brochure, on trouve qu'avec une
avance de 311 millions, les recettes et dépenses des colonies seraient,
au bout de vingt-trois ans, de :
Recettes
annuelles : 1.194.694.800
Dépenses
:
378.622.278
Le profit pour
l'association serait de : 816.972.522
206.400 familles,
153.166 ouvriers de la classe pauvre seraient entretenus. La France serait
enrichie de 12 millions de nouveaux bestiaux. Enfin le gouvernement
prélèverait sur le revenu brut, d'après le taux actuel, près de 37
millions de francs.
Chapitre 5 . Résumé
Dans l’aperçu
sommaire que nous avons présenté des bénéfices, nous sommes restés
bien en deçà de la vérité, car l’exploitation du quart du
domaine agricole aujourd’hui stérile, non seulement augmenterait d’un
quart la valeur du revenu brut de la France, mais cet accroissement
de richesse donnerait à toutes les branches du travail national une
activité immense qu'il est plus facile de comprendre que d'expliquer dans
tous ses détails. Non seulement ces colonies empêcheraient au bout de
vingt ans plus d'un million d’êtres de languir dans la misère, non
seulement elles feraient vivre une foule d'industries annexes à
l'agriculture, mais ce bénéfice annuel de 800 millions échangés dans
le pays contre d'autres produits augmenterait dans le même rapport la
consommation et le commerce intérieur. Ce bénéfice offrirait à tous
les fruits du travail un débouché plus considérable que ne
pourraient le faire les traités de commerce les plus avantageux, puisque
cette valeur de 800 millions dépasse de 156 millions la valeur de toutes
nos exportations hors de France qui s'est élevée, en 1842, à 644
millions.
Pour rendre ce
raisonnement plus saisissant, et pour montrer toute l'importance du
commerce intérieur, supposons que ces colonies agricoles fussent non
enclavées dans le territoire, mais séparées du continent par un bras de
mer et une ligne de douane, et que cependant elles fussent obligées à
n'avoir de rapports commerciaux qu'avec la France. Il est clair que si
leur production agricole leur donnait un bénéfice de 800 millions, cette
somme serait échangée contre des produits continentaux, soit
manufacturés, soit du sol même, mais de différentes natures.
Nous croyons donc
que l'accroissement dé la consommation intérieure, favorisée par cet
accroissement de richesse et d'aisance, remédierait plus que tout autre
chose au malaise dont se plaignent certaines industries, et surtout qu’il
ferait cesser en partie les maux dont souffrent les cultivateurs de la
vigne, tout en rendant le pain et la viande meilleur marché.
En effet, il est
présumable que par la nature de leur sol, ces colonies produiraient des
céréales et des bestiaux, mais pas de vin. Or, en augmentant par leur
production la quantité de blé et de viande, elles diminueraient le prix
de ces denrées de première nécessité, ce qui tendrait à en augmenter
la consommation en permettant à la classe pauvre d'en manger ; et,
d'un autre coté l’accroissement d’aisance augmenterait le nombre de
ceux qui peuvent boire du vin, et par conséquent la consommation
générale.
II est facile
d'expliquer par les chiffres officiels le malaise de nos viticoles.
La
France produit 36.783.223 hectolitres de vins sans compter des
eaux-de-vie.
Elle en consomme
: 23.578.248
Elle en exporte
: 1.351.677
Total de la
consommation intérieure et extérieure : 24.929.925
Retranchant celte
somme de la production, il reste 11.853.298 hectolitres sans emploi.
Ces chiffres
montrent et la cause du malaise et les moyens d'y remédier ; ils prouvent
la supériorité du marché national sur l'exportation ; car si, par les
moyens que nous avons indiqués, l'activité donnée au commerce
intérieur augmentait seulement la consommation de 1/10, ce qui n'est pas
hors des probabilités, l'augmentation serait donc de 2.857.824
hectolitres, ce qui est près du double de toutes nos exportations.
D'un autre
côté, si la politique de nos gouvernements parvenait, ce que nous sommes
loin de prévoir, à augmenter nos exportations de 2/5, ce qui serait un
résultat immense, cet accroissement serait de 270.334 hectolitres.
Le travail qui
créé l’aisance et l’aisance qui consomme, voilà les véritables
bases de la prospérité d’un pays. Le premier devoir d'un
administrateur sage et habile est donc de s’efforcer, par l’amélioration
de l'agriculture et du sort du plus grand. nombre, d'augmenter la
consommation intérieure qui est loin d’être arrivée à son apogée.
Car, statistiquement parlant, en France, chaque habitant consomme
par an, en moyenne : de froment, méteil, seigle 2,71 hectolitres, ce
qui fait 328 rations ; de pain par individu par an ; de viande, 20
kilog. ; de vin, 70 litres ; de sucre , 3,4 kilog. Ce qui veut dire,
humainement parlant, qu'il y a en France plusieurs millions
d'individus qui ne mangent ni pain, ni viande, ni sucre, et qui ne boivent
point de vin. Car tous les gens riches consomment bien au delà de cette
moyenne, c’est-à-dire 3555 rations de pain, au lieu de 328 ; 180
kilog. De viande au lieu de20 kilog. ; 363 litres de vin au lieu de
70, et 50 kilog. De sucre au lieu de 3 et 2/5.
Nous ne
produisons pas trop, mais nous ne consommons pas assez.
Au lieu d'aller
chercher des consommateur en Chine, qu'on augmente donc la richesse
territoriale, qu'on emploie tous les bras oisifs au profit de toutes les
misères et de toutes les industries ; ou plutôt qu'on fasse l'un et
l'autre si l'on peut, mais surtout qu'on n'oublie. pas qu'un pays comme la
France, qui a été si richement doté du ciel, renferme en lui-même tous
les éléments de sa propriété, et que c'est une honte pour notre
civilisation de penser qu'au 19ème siècle, le dixième au moins de la
population est en haillons et meurt de faim en présence de millions de
produits manufacturés qu'on ne peut vendre, et de millions de produits du
sol qu'on ne peut consommer !
En résumé, le
système que nous proposons est la résultante de toutes les idées, de
tous les vœux émis par les économistes les plus compétents depuis un
demi-siècle.
Dans le rapport
au roi de M. Gouin, qui se trouve en tête de la statistique officielle
agricole, le ministre déclare qu'un des plus grands progrès à obtenir
est le défrichement de ces terres qui ne rapportent que 8 francs par
hectare. Notre projet réalise cette pensée.
Tous les hommes
qui se sentent animés de l'amour de leurs semblables réclament pour
qu'on rende enfin justice à la classe ouvrière, qui semble déshéritée
de tous les biens que procure la civilisation ; notre projet lui
donne tout ce qui relève la condition de l'homme, l'aisance,
l'instruction, l'ordre, et à chacun la possibilité de s'élever par son
mérite et son travail. Notre organisation ne tend à rien moins qu’à
rendre, au bout de quelques années, la classe la plus pauvre aujourd'hui,
l'association la plus riche de toute la France.
Aujourd’hui la
rétribution du travail est abandonnée au hasard ou à la violence. C’est
le maître qui opprime l’ouvrier qui se révolte. Par notre système,
les salaires sont fixés comme les choses humaines doivent être
réglées, non par la force mais par un juste équilibre entre le besoins
de ceux qui travaillent et les nécessités de ceux qui font travailler.
Aujourd’hui
tout afflue à Paris, le centre absorbe à lui seul toute l’activité du
pays ; notre système, sans nuire au centre reporte la vie vers les
extrémités, en faisant agir 86 nouvelles individualités, travaillant
sous la haute direction du gouvernement dans un but continuel de
perfectionnement.
Et que faut-il
pour réaliser un semblable projet ? une année de solde d l’armée,
quinze fois la somme qu'on a donnée à l'Amérique, une dépense égale
à celle qu'on emploie aux fortifications de Paris.
Et cette avance
rapportera, au bout de vingt ans, à la France un milliard, à la classe
ouvrière 800 millions, au fisc 37 millions !
Que le
gouvernement mette à exécution notre idée, en la modifiant de tout ce
que l'expérience des hommes versés dans ces matières compliquées peut
lui fournir de renseignements utiles, de lumières nouvelles ;
qu'il prenne à cœur tous les grands intérêts nationaux, qu'il
établisse le bien-être des masses sur des bases inébranlables, et il
sera inébranlable lui-même. La pauvreté ne sera plus séditieuse
lorsque l'opulence ne sera plus oppressive, les oppositions disparaîtront
et les prétentions surannées qu'on attribue à tort ou à raison à
quelques hommes, s’évanouiront comme les folles brises qui rident la
surface des eaux sous l’équateur, et s’évanouissent en présence d’un
vent réel qui vient enfler les voiles et faire marcher le navire.
C’est une très
grande et sainte mission bien digne d'exciter l’ambition des hommes, que
celle qui consiste à apaiser les haines, à guérir les rassures, à
calmer les souffrances de l’humanité en réunissant tous les citoyens
d'un même pays dans un intérêt commun et en accélérant un avenir que
la civilisation doit amener tôt ou tard.
Dans
l'avant-dernier siècle, La Fontaine émettait cette sentence trop souvent
vraie, et cependant si triste, si destructive de toute société, de tout
ordre, de toute hiérarchie ! " Je vous le dis en bon
Français, notre ennemi c'est notre maître ! ".
Aujourd’hui le but de
tout gouvernement habile doit être de tendre par des efforts à ce qu’on
dise bientôt : le triomphe du christianisme a détruit l’esclavage ;
le triomphe de la révolution française a détruit le servage ; le
triomphe des idées démocratiques a détruit le paupérisme !