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1844,
à l'École navale de Brest, à bord du Borda |
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Léon
Briot
(1827-1879),
un officier de marine dans son siècle.
1844,
à l'École navale de Brest,
à bord du Borda.
par Marc Nadaux
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Après
quelques études effectuées non loin de Saint-Hippolyte, c’est auprès
de son frère Charles que Léon poursuit son apprentissage intellectuel,
à partir de 1841. A Orléans, sous son influence, l’adolescent prépare
le concours d’entrée à l'École navale. L’épreuve est ardue,
notamment en mathématiques, mais il a « l’esprit vif et éveillé »
et « jouit d’une santé florissante ». C’est du moins
l’avis de l’enseignant. Léon Briot fait donc un candidat idéal pour
la Royale. Admis au mois d’octobre 1843, au cinquante-quatrième rang
sur quatre-vingt dix, Léon Briot est à Brest un mois plus tard, logé à
bord du
Borda, le navire-école, un ancien vaisseau de 1er rang à trois
ponts.
Commence pour le franc-comtois cette existence si particulière des élèves-officiers.
Il lui faut en effet faire l’apprentissage de la vie en collectivité,
dans le cadre contraignant du règlement de l’École. La punition
menace, la sélection y est drastique et les examens fréquents. La marine
exige en effet une haute qualification pour ses cadres. La camaraderie,
l’émulation à l’intérieur de sa promotion aident le jeune homme qui
réussit brillamment sa première année. Le 1er novembre 1844, Léon
Briot est promu élève-aspirant de 2ème classe. L'année suivante, ce
dernier se trouve bientôt classé deuxième de sa promotion. |
A
bord du Borda
15 juin 1844
Mon
cher Père,
Si
j'ai tant tardé à vous écrire c'est que j'avais beaucoup d'ouvrage et
surtout à présent que nous approchons des vacances, époque à laquelle
nous subissons un examen général pour élève de seconde année, et il
ne s'agit pas ici d'être fruit sec. J'ai conservé mon rang dans ce
second classement, j'ai même monté de deux rangs, je suis à présent
neuvième. Tout ce que je désire, c'est conserver ce rang jusqu'à ma
sortie de l'École, car le rang de sortie est toujours bon pour
l'avancement. Vous devez avoir reçu le bulletin du Commandant qui vous
donne mon rang et mes notes. Je dois avoir 3 ou 4 vigies, mais c'est bien
peu de chose, il est si facile d'en attraper ; aussi n'allez pas croire
que c'est une bien grave punition; tout au contraire. Quelquefois j'avais
envie de me faire punir rien que pour aller faire une vigie au bout du
mat, là où il y a beaucoup d'air et un air aussi bon que celui de
St-Hyppolite. Vous imaginez sans doute qu'avec un air pareil, un appétit
très grand et des exercices nombreux, je dois me porter on ne peut mieux.
J'espère, mes chers parents, qu'il en est de même de votre santé. Le
temps est beau à Brest, même trop beau car on se plaint de la sécheresse
de la terre et que rien ne pousse. La terre des environs de Brest est
actuellement très sèche parce qu'autrefois cette terre ayant été
couverte par la mer, en a conservé les herbes marines qui étouffent les
semences, de sorte que le sol de cette partie de la Bretagne ressemble
assez à des landes et il faudrait pour les rendre fertiles les labourer
beaucoup, les défricher comme on fait chez nous, mais les Bretons sont
trop paresseux pour cela.
La mer n'a pas été mauvaise depuis cet hiver; aussi tous les jeudis et
les dimanches allons nous en mer avec notre corvette. C'est nous qui manœuvrons
et il y a avec nous un lieutenant de vaisseau qui commande la corvette.
Car vous saurez que le Borda est un grand vaisseau de 90 canons qui ne
bouge jamais. Nous voyageons sur un autre petit vaisseau de 20 canons. Il
ne m'est arrivé aucun malheur. Vous voyez donc que la Marine n'est pas si
terrible que vous le croyez. Il est vrai que je ne suis pas encore allé
ce qui s'appelle en mer, mais du moment qu'on sait se guider avec la
boussole et principalement qu'on sait manœuvrer, on ne risque rien. J'espère
bien que ma bonne mère est revenue de ces folles idées qu'on se fait de
la Marine quand on ne la connaît pas. Charles m'a écrit qu'il serait
probablement nommé à Besançon si toutefois on y crée une Faculté des
Sciences, avec son ami Bouquet. Il sera plus rapproché de la famille et,
dans quatorze mois, vous verrez, mon cher père, toute votre famille réunie
autour de vous. C'est bien long quatorze mois ! et pourtant j'ai tout ce
temps à faire à l'École sans vous voir. C'est un des désagréments de
ma position future ; néanmoins il faut s'y résoudre ; quelle carrière
n'a pas les siens. C'est vraiment dommage que la Franche-Comté soit si éloignée
de la mer. Martin m'a proposé de m'embarquer avec lui sur la "Belle
Poule". Je ne sais pas encore si je me déciderai, car elle restera
peut être encore longtemps dans l'escadre de la Méditerranée et c'est
ennuyeux : d'abord on est exposé à dépenser beaucoup plus d'argent
qu'en mer et ensuite j'aimerai mieux faire un beau voyage de trois ans en
Chine. Cependant l'escadre de Toulon a son bon côté ; c'est que là on
apprend bien à manœuvrer en escadre et c'est une bonne chose pour nous
lorsque, dans nos examens, nous pouvons briller un peu en tactique navale.
Au reste, j'ai encore le temps d'y réfléchir et je tacherai de demander
au Commandant, quand l'occasion s'en présentera, son avis sur cette
question.
Le Prince de Joinville est venu nous voir à l'École et nous avons manœuvré
devant lui et tiré un salut sous voile.
Adieu, mon cher père, écrivez-moi aussitôt que vous pourrez, embrassez
bien ma mère, ma soeur Lisette et mes frères pour moi.
Votre
fils
Léon BRIOT
Bien
des choses de ma part à la tante Jobart et à ce bon vieux Mr le Curé.
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