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1871, à Civitavecchia,
auprès du pape Pie IX |
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Léon
Briot
(1827-1879),
un officier de marine dans son siècle.
1871, à Civitavecchia,
auprès du pape Pie IX.
par Marc Nadaux
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Le
19 juillet 1870, la France du Second Empire déclare la guerre à la
Prusse. Une mission de confiance est donnée à l'officier, le
commandement du
Daim, envoyé à Civita-Vecchia. Léon Briot est en effet
chargé du rapatriement des derniers soldats français présents à Rome.
Les troupes françaises évacuent le territoire pontifical, le 19 août,
avant que la cité des Papes ne soit proclamée le mois suivant capitale
de l’Italie de Victor-Emmanuel II. Quelques jours plus tard cependant,
le 30 octobre 1870, Léon Briot quitte de nouveau le port de Toulon pour
son huitième et dernier voyage, à bord cette fois-ci de l’Orénoque.
La destination : Civitavecchia de nouveau où le Pape Pie IX se
considère comme prisonnier des Italiens. Là, que faire, sinon attendre.
Et si le souverain pontife devait comme en 1848 fuir son palais… A bord
de cette frégate à vapeur, qui compte seize canons, deux cent
soixante-sept hommes d’équipage sont placés sous le commandement de
Léon Briot.
Cette mission pourrait s’avérer
périlleuse pour les Français. Et si la population italienne ne leur est
pas hostile, ceci est du, d’après l’ambassadeur auprès du Saint-Siège
" à la fermeté et à la sagesse " de Léon Briot. Le
29 juillet 1872, bien qu’ayant atteint l’ancienneté dans le service
à bord de la frégate, le ministre de la Marine et des Colonies Porthuau
décide de son maintien à ce poste. A bord, l’existence est évidemment
bien monotone, aussi, suivant une vieille tradition de la marine française,
les officiers organisent des cours à destination des hommes d’équipage,
l’enseignement portant sur les techniques de la navigation, le
fonctionnement des machines à vapeur. Au début de cette année 1874, le
2 janvier, Léon Briot
obtient sa nomination au grade de capitaine de vaisseau. Enfin, le 16
octobre suivant, l'Orénoque quitte Civita-Vecchia et appareille en
direction de Toulon. L’heure du retour a enfin sonné. En France, les
bouleversent issus du conflit perdu sont énormes.
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Civitavecchia,
le 3 Octobre 1870
Frégate
" L'Orénoque "
Ma
chère Lise,
Que je suis loin, ici ! Que je suis isolé ! et combien je maudis mon sort qui
me retient là, où je ne devrais pas être ! N'est-ce pas une chose dérisoire
vraiment que moi j'assiste passif à la grande lutte pendant que le
pacifique Charles fait l'exercice du fusil et se bat pour la défense de
Paris ? Puisque la Marine ne peut rien faire puisque voici l'hiver,
pourquoi ne pas nous faire rentrer tous et nous utiliser à la défense du
pays ? Je sais bien qu'il y a déjà beaucoup de marins dans leurs forts
extérieurs, mais il n'y en a pas assez. Tous sont d'excellents
canonniers. C'est là qu'il fallait les mettre, et puis, dans une levée,
il faut courir au plus pressé !
Je
sais qu'on craint de voir l'escadre prussienne sortir pour venir brûler
nos côtes, je sais qu'on redoute des attaques par terre de Cherbourg et
du Havre et qu'on veut protéger Toulon et Marseille.
C'est
égal, on dirait que, quoiqu'on fasse, rien ne peut changer la destinée.
Personne ne s'est plus agité que moi, lorsque j'étais à Paris, pour
obtenir un embarquement dans la Baltique ou dans le Nord. J'étais enchanté
lorsque, au lieu d'aller dans le Danube, on a désarmé mon bâtiment ; je
me croyais certain de prendre une part quelconque aux affaires. Et puis,
rien. Au moment où le marin allait partir pour Paris, mon bâtiment a été
réarmé et subitement, j'ai dû filer sur les côtes romaines assister au
départ de nos troupes et être présent à l'occupation italienne.
Je
ne m'étends pas sur ce sujet. Tu comprends tout ce qu'il y a de pénible
à voir dépouiller ce pauvre vieillard. Quelles que soient les raisons
politiques invoquées par la nation italienne, le fait brutal n'en reste
pas moins. Il est toujours triste de penser que l'humanité ne procède
que par violations et que la loi du plus fort est toujours la meilleure.
Et puis, cette Italie qui nous doit ce qu'elle est, et qui profite de ce
que nous sommes dans le malheur, fait ses coups à l'ombre de l'invasion
prussienne.
Mon
rôle dans toute cette affaire a été tout entier de prévention. J'ai
soustrait aux colères populaires les pauvres soldats Pontificaux qui, après
une résistance courte mais vive, ont cherché un refuge à bord de mon bâtiment,
en attendant une occasion d'être rapatriés. Il y avait là quatre ou
cinq mille jeunes gens de bonnes familles qui seront enchantés de marcher
à l'ennemi et auxquels on n'a qu'à fournir des armes.
Quant
au Pape, enfermé dans le Vatican, il se considère comme prisonnier des
Italiens. Il a été mis en demeure d'accepter certaines conditions et les
a refusées parce qu'en effet on comprend difficilement que son autorité
puisse s'exercer librement à coté de celle du roi Victor-Emmanuel.
On a dit qu'il avait l'intention de quitter Rome. Les Anglais voudraient
qu'il aille chez eux à Malte, les Prussiens font des offres superbes pour
qu'il vienne dans une de leurs villes catholiques : Cologne ou
Aix-la-Chapelle ou tout autre ; l'Autriche a offert un endroit
dans le Tyrol. Nous nous n'avons rien offert, mais on m'assure que, sans
ce qui se passe chez nous, c'est en France que le Pape aurait voulu se
retirer. On a dit qu'il avait pensé à la Corse. Une partie de son entourage
lui conseille fermement de rester quoiqu'il arrive. C'est aussi mon
opinion, le mieux est qu'il reste à Rome, dût‑il en souffrir et y
avoir des tiraillements.
Je
reste donc ici dans une expectative qui ne cessera que le jour où le
Saint-Père aura pris une décision définitive, car alors il se
pourrait que je sois appelé à l'accompagner là où il voudra aller. Si
cela doit être, je souhaite que ce soit en France. Mais en vérité, un
homme de cet âge, un vieillard, ne pourrait‑on le laisser mourir en
repos. Les peuples avec leurs caprices ont des exigences bien cruelles et
je suis persuadé que le Gouvernement Italien ne s'est décidé à cette
occupation que parce qu'il a craint un mouvement républicain en corrélation
avec celui de la France. Nous verrons ce qu'il en adviendra. Je tâcherai
d'aller dans quelques jours à Rome, de voir le Saint-Père, je lui
demanderai sa bénédiction pour toi.
En
attendant, nous sommes à l'affût de toutes les nouvelles. Nous en
recevons bon nombre qui viennent par la Suisse et par l'Autriche.
...
Je
t'embrasse tendrement.
L. Briot
Civita
Vecchia le 5 juillet 1871
" Orénoque "
Ma
chère Lise,
Voici longtemps que je ne t'ai écrit. Je n'ai pas répondu à ta dernière
lettre au sujet de la situation du Pape. Il est difficile d'expliquer en
quelques mots comment, à la suite de l'entrée des Italiens à Rome, il a
été amené à ne pouvoir sortir du Vatican. En réalité, personne ne
lui défend de paraître en public, dans les rues comme un simple
particulier ; mais en fait, s'il s'y hasardait, il n'est pas douteux qu'il
serait exposé aux injures et peut-être aux agressions de 30 ou 40.000
canailles de Mazzinistes ou de Garibaldiens qui font la loi dans Rome et
qui, si le gouvernement italien n'y fait pas attention, pourraient bien
faire comme les communeux de Paris. Les quelques individus restés auprès
de lui vivent au Vatican sans en sortir ; ce sont pour la plupart des
cardinaux.
Les
fonctions du Pontife sont suspendues. Il n'est pas allé une seule fois,
pas même pour le 25ème anniversaire, dans la basilique Saint-Pierre. Les
Italiens ont tout pris. Rome était le centre de tous les ordres
religieux. Il y avait des quantités de couvents de tous les ordres dont
les supérieurs sont comme les Conseillers ou les Ministres d'un Chef d'État.
Les Italiens qui sont maîtres en l'état de voleurs ont tout pris.
Il
y a dans cette Ville Éternelle bâtie par les Chrétiens 966 églises.
C'est une ville de Temples, une ville sacrée fondée sur les ruines du détestable
Empire Romain, en commémoration des martyrs dont les ossements
remplissent encore les catacombes.
Si
les Italiens voulaient le temporel du Pape, il fallait le lui prendre ;
mais il fallait laisser Rome, respecter la Ville Sainte qui appartient à
tous et dont les monuments ont été payés par l'argent du Monde
Catholique. Sans compter que cette ville est très incommode pour en faire
une capitale moderne.
Quel
que soit le droit qui a poussé les Italiens et quelque peu intéressé
que je sois au Pouvoir Temporel, il est une chose que la morale et l'honnêteté
ne peuvent accepter, c'est que les Italiens ont volé Rome au moment où
les Français tombaient à Sedan, et cela de connivence avec la Prusse.
Nous avons fait l'Italie à Magenta, ils auraient dû gagner Rome honnêtement
en venant combattre la Prusse avec nous. Ce sont des canailles que je méprise.
Que Rome leur soit léger !
Notre
situation ici est des plus pénibles. Je ne sors qu'avec mon revolver dans
ma poche. Ces gueux-là nous croient abattus pour toujours et ils détestent
les Français. Mes matelots sont attaqués et assassinés en pleine rue.
La Police laisse faire et je réclame que justice soit faite, mais en vain
!
Nous
vivons donc en ne communiquant que rarement avec la terre. Ma mission est
simple : protéger nos concitoyens et ils sont en grand nombre car nous
avons protégé 22 ans ce pays, et puis me tenir à la disposition du Pape
et de l'Ambassadeur pour le cas ou des violences seraient commises ou pour
le cas où le Pape voudrait quitter Rome pour se réfugier soit en France,
soit en Corse. Les Cardinaux sont d'avis qu'il doit partir, lui seul résiste
toujours en disant qu'avant tout il est Évêque de Rome et qu'il ne peut
mieux faire que d'imiter l'exemple qui lui a été donné par l’Archevêque
de Paris : mourir à son poste. Malgré son grand âge, il est aussi
actif, aussi alerte et a l'intelligence aussi vive qu'à 20 ans. C'est
vraiment merveilleux !
...
Embrasse
tout le monde et donne-moi de vos nouvelles.
L.
Briot
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