|
A voir et à lire
sur
19e.org,
et ailleurs.
|
|
| |
sur 19e.org |
|
|
|
Vous êtes ici :
1860,
à bord de l'Aigle, le yacht impérial |
|
Léon
Briot
(1827-1879),
un officier de marine dans son siècle.
1860,
à bord de l'Aigle,
le yacht impérial.
par Marc Nadaux
|
|
A
son retour à Brest, après ces trois années passées à Tahiti, les
honneurs attendent l'officier de marine. Le 30 décembre 1858, Léon Briot
est nommé chevalier de la Légion d’honneur. Son commandant, le
capitaine de vaisseau Page, fort satisfait de son second, le désigne également
au choix du commandant Dupouy pour faire partie de l'état-major du yacht
impérial l'Aigle. Celui-ci, qui vient d’être lancé le 23 décembre
1859, doit être le fleuron de la flotte de guerre française, le pendant
du
Victoria-and-Albert, le yacht de la reine Victoria. A bord du navire,
une corvette à vapeur, l’officier côtoie à présent la famille impériale,
qu’il conduit de Toulon, à Valence puis à Alger pendant l’été
1860.
|
L'Aigle,Toulon
Mercredi 26 septembre 1860
Ma
chère Lise,
Voici notre tournée finie. Elle a été rapidement exécutée, comme tu le
vois, et très heureusement du point de vue de la navigation car, à
part quelque peu de mauvais temps, tout s'est parfaitement passé. Nous
avons vu successivement tous les points mentionnés dans le programme. Du
reste les journaux sont remplis des faits et gestes de L.M.M. Les récits
des fêtes, des bals, des banquets et des réjouissances publiques sont
trop au long dans les journaux pour que je t'en parle.
La
rapidité de notre voyage, les occupations incessantes de notre service
nous ont empêchés personnellement de voir toutes ces belles choses. Leur
multiplicité et la fatigue inhérente à la privation de sommeil (car
nous étions toujours de nuit à la mer) nous rendaient médiocrement
enthousiastes. Je me suis souvent demandé comment l'Impératrice et ses
Dames pouvaient tenir à cette existence qui réduirait les hommes les
plus robustes.
Nos
départs s'effectuaient généralement au sortir des bals, c'est-à-dire
vers minuit. Nos passagers dormaient peu ou point à cause du mal de mer.
Le matin, dès 8 heures, ils descendaient à terre et là, commençaient
les présentations, les discours, les visites aux Églises, aux Établissements
publics etc... Les soirées finissaient en banquets suivis
de bals. Ils étaient donc heureux de pouvoir retrouver le bateau comme
leur maison. Il faut leur rendre cette justice : ils sont simples et pas gênants.
L'Empereur est, comme tu sais, froid et calme comme un marbre, causant
cependant volontiers et d'une façon intéressante. Quant à l'Impératrice,
c'est l'opposé : vive, gaie, toujours en mouvement, particulièrement
gracieuse, elle répand l'animation partout où elle se trouve. Les plus
difficiles à satisfaire, comme toujours, sont les valets, femmes de
chambre et autres dont le nombre était considérable. Quelques Généraux,
3 ou 4 aides de camp, 3 Dames d'honneur composaient la suite de
l'Empereur. Le reste : bagages, voitures, cent gardes et autres étaient
pris par d'autres navires qui nous suivaient partout. Nous étions six
navires naviguant ensemble et, parmi nous une nouvelle frégate bardée
d'une cuirasse de fer de 12 centimètres d'épaisseur qui met hommes et
navire à l'abri du boulet. Les cris d'enthousiasme, les ovations
populaires, tout ce qui peut faire monter à la tête l'enivrant orgueil
se sont produits dans ce voyage ; mais tout parait glisser sur la nature
calme et inexplicable de notre Empereur ! Quel homme étrange !
A
partir d'Alger, notre voyage est devenu fort triste par suite des
nouvelles reçues par l'Impératrice de l'état de santé de sa sœur,
celle-là même que nous avions amenée il y a quelques mois de
Valence à Marseille. Le séjour à Alger a été raccourci et, dans
l'espoir de la retrouver vivante, nous sommes revenus au plus vite,
contrariés par une mer violente. Nous sommes allés à Port-Vendres, près
de Perpignan, débarquer tous nos passagers.
Aujourd'hui
nous voici de retour à Toulon où nous devons passer l'hiver. J'aurais
mieux aimé Cherbourg où j'ai des connaissances et mes habitudes. Enfin !
on dit que le climat du midi est délicieux l'hiver, qu'il pleut peu ou
point et que le temps y est doux, c'est toujours quelque chose. Seulement
je crains de ne pouvoir aussi facilement qu'à Cherbourg, obtenir une
permission qui me permette d'aller vous embrasser. On verra bien ! Les
nouvelles complications italiennes sont pour beaucoup dans la décision
qui nous retient ici. Qui sait si, un de ces jours, nous n'irons pas
offrir au Pape de le transporter vers une autre Patrie ? Si cela est, je
te promets beaucoup de reliques et de chapelets bénis ; ils n'en seront
que meilleurs puisque le pauvre Pape est; en quelque sorte., un martyr des
événements. L'armée de Rome a été renforcée et il y a ici des
navires prêts à partir pour porter des troupes françaises à Rome qu'on
est décidé à défendre jusqu'au dernier moment. Ainsi Garibaldi fera
bien de n'y point toucher.
...
Adieu, tout à toi.
L. Briot
|