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                         1856, à San Francisco, au temps de la Ruée vers l'or

 

Léon Briot
(1827-1879),
 un officier de marine dans son siècle.



1856, à San Francisco,
au temps de la Ruée vers l'or.


par Marc Nadaux


 





De retour en France, Léon Briot est promu au grade de lieutenant de vaisseau, le 7 juin 1855. Des éloges émanant de son supérieur hiérarchique, le bilan d’une action efficace menée à Tahiti, dressent le portrait d’un jeune officier dynamique à l’Amirauté. Aussi Léon Briot ambitionne d’être affecté sur une de ces nouvelles frégates en acier et à vapeur à destination de la Mer noire, les fameuses " batteries flottantes " de l’ingénieur Dupuy de Lôme, qui vont bientôt révolutionner la tactique navale et dire ce que sera désormais la guerre moderne.

Alors qu’en Crimée s’ouvre l’ère du cuirassé, c’est à bord de l’
Alcibiade, un brick de 1er rang commandé par M. Marye de Marigny, qu’est affecté le jeune lieutenant de vaisseau. A la déception s’ajoute la lassitude, celle qui naît de l’éloignement des siens. Le voici de nouveau sollicité pour une campagne en Océanie, comme officier en second. Celle-ci dure deux années, au cours duquel Léon Briot aborde à Tenerife, à Rio de Janeiro, puis Honolulu, aux îles Sandwitch (Hawaii), à Lima, et enfin à San Francisco, où la Ruée vers l’or bat son plein.








Alcibiade
San Francisco
4 septembre 1856


Chère Lisette,


...

Me voici de nouveau à San Francisco, le pays de l'Or où il y a bien des malheureux qui bêchent la terre sans succès. Il faut voir quel mouvement, quelle intrépidité ont les Américains, la rapidité et la constance avec lesquelles ces gens travaillent, c'est fabuleux. J'ai en ce moment devant les yeux une cité de 60 à 70.000 âmes là où, il y a à peine dix ans, il n'y avait qu'une seule maison. Des monuments, des églises, des théâtres s'élèvent partout comme par enchantement. Mais le revers de la médaille est que rien, pas même la vie des individus, n'est garanti. Chacun vit comme il l'entend, aucune police n'assure la vie du passant, aucun gendarme pour arrêter les criminels, aussi, dans la rue, personne ne circule sans être muni d'un de ces pistolets à cinq coups qui paraissent avoir été inventés précisément pour ce pays-ci. Les mines sont à une vingtaine de lieues à l'intérieur. On les exploite par Sociétés ou individuellement, mais cette dernière manière est très pénible et un pauvre mineur isolé court grand danger de mourir de faim et d'être exterminé par les indiens nomades qui habitent l'intérieur, sans parler de la compagnie désagréable des ours qui sont énormes et très nombreux. Tous les jours on en vend sur le marché de San Francisco à un prix un peu plus élevé que la viande de boucherie. J'ai eu l'occasion de manger plusieurs beefsteaks d'un de ces animaux qu'on a tué la semaine dernière aux environ de la ville. Il pesait 1500 livres. La viande en est extrêmement délicate et tient le milieu pour le goût entre le bœuf et le porc. Oserai-je t'avouer aussi qu'aux îles Sandwich j'ai plusieurs fois mangé du chien, mais du jeune chien, comme qui dirait un chien de lait. Ce plat national, à Honolulu se sert sur toutes les tables de chef dans les grands dîners. La première fois où j'en mangeai, c'était à un dîner qui nous fut donné par le Roi et, par attention pour nous en même temps que pour nous jouer une farce, il nous en fit manger malgré nous. Comme il y avait un cochon et un chien cuits à la Kanak, il fit coudre la tête du chien sur le corps du cochon et celle du cochon sur le corps du chien en sorte que tout le monde pensant manger du cochon avala sans sourciller du chien qu'on trouva excellent; et ce ne fut qu'à la fin du dîner qu'il nous avoua la ruse. Si j'ai le malheur d'aller à la Nouvelle Calédonie je suis capable de devenir cannibale.
...


Ton frère,

L. Briot