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1852, à Tahiti |
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Léon
Briot
(1827-1879),
un officier de marine dans son siècle.
1852,
à Tahiti.
par Marc Nadaux
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Léon
Briot accepte avec empressement la proposition du commandant Page, nommé,
en 1851, gouverneur de Tahiti et commandant de la division navale de l'Océanie.
Il sera son aide de camp. A ses côtés, au moment où la France se
substitue par sa présence dans ces îles lointaines à l’Angleterre,
l’Enseigne de vaisseau, qui à bord fait fonction d’officier en
second, est occupé pendant les trois années à des tâches délicates.
Quelques mois après son arrivée à Tahiti en effet, malgré son jeune âge,
le commandant Page lui confie la direction des affaires indigènes, le
« Bureau indigène », ainsi que le commandement de la milice
tahitienne. Il prend ainsi le commandement de la garde d’honneur de la
reine Pomaré IV, celle-là même qui, en 1842, avait décidé de placer
Tahiti sous le protectorat français.
Léon Briot se découvre également un talent caché, une aptitude
particulière pour l’apprentissage des langues étrangères. Il acquiert
assez vite une connaissance de la langue tahitienne, qui lui permet
notamment de s’occuper de la publication d’un journal local, bilingue,
français et tahitien. Te Vea No Tahiti (Le Messager de Tahiti) se fera le
rapporteur de l’effort législatif et administratif des autorités. Ces
contacts au sein de la population tahitienne à Papeete lui permettent
aussi de s’attacher au développement des chantiers maritimes de Faré-Uté,
sur l’initiative du commandant Page. Celui-ci ambitionnait ainsi
d’augmenter le trafic du port et de développer l’économie de l’île.
Voici en attendant ces taches futures, quelques lignes à destination de
Lise, sa sœur, où Léon Briot décrit la société indigène et ses mœurs.
Un autre " Supplément au voyage de Bougainville
"... |
TAITI,
Papeete
le 16 Novembre 1852
Ma
chère Lise,
Je t'écris aujourd'hui bien vite afin que vous sachiez tous que jamais
l'oubli ne s'est logé dans mon cœur. Je me porte parfaitement et je
pense que vous allez tous aussi bien.
...
Je
n'ai pas un instant de repos dans ce diable de pays. Comme je crois te
l'avoir déjà dit, j'habite à terre et suis dispensé des quarts de nuit
et de la fatigue de la mer. En revanche, je suis attaché dans mon bureau
comme un vrai bureaucrate du matin jusqu'au soir. A peine si, par ci par là,
je trouve un moment pour courir et reprendre la vie active qui convient à
ma nature habituée au grand air. Je suis directeur du Bureau Indigène
et en contact tous les jours avec les gens du pays. J'ai une assez grande
peine à apprendre leur langue sauvage, cependant depuis cinq mois que
nous sommes arrivés, je ne m'en tire déjà pas trop mal. Ne vas pas
croire que là se bornent mes fonctions. Je cumule aux précédentes
celles de gérant de deux journaux, l'un en langue taitienne l'autre en
langue française. J'en garde une collection pour rire à mon retour. Je
suis en outre Capitaine des Gardes de sa Majesté la Reine Pomaré. Cette
garde est composée de 60 hommes indiens élevés suivant la discipline
militaire avec un uniforme particulier et qui servent de factionnaires à
Pomaré quand elle parait en public devant son peuple. Tout ceci, je
t'assure, est fort drôle et ne manque pas d'un certain cachet
d'originalité. Pomaré, dont le nom a eu tant de retentissement en
Europe, est une femme de 40 ans, assez intelligente, vivant tranquillement
dans une immense case d'architecture canaque et s'occupant assez peu de la
marche des affaires qu'elle abandonne aux soins du Gouverneur.
Ce
peuple est vraiment un des plus curieux à observer que j'aie jamais
rencontrés. Doux, aimables, ces hommes manquent des deux qualités qui élèvent
l'homme au dessus de tous les autres êtres de la création :
reconnaissance et amitié de longue durée. Ce qui prouve combien peu ils
ressentent ces deux sentiments, c'est que, dans leur langue, ils n'ont même
pas l'équivalent de ces deux mots. A part cela ce sont de grands enfants
faciles à gouverner, toujours gais et rieurs parce qu'ils n'ont à
craindre ni la faim ni la misère. Les arbres donneront toujours assez de
fruits pour leur repas frugal. L'arbre à pain, cet ennemi du travail mais
aussi ce préservatif contre la misère et la faim, est là produisant
deux fois par an et deux fois cueilli par les enfants de Taïti qui
remercient Dieu à leur manière d'avoir été si prodigue de ses
bienfaits envers eux. Si, dans sa toute puissance, l'Éternel avait daigné
répandre sur notre terre de France une petite portion des dons qu'il a
jeté à pleines mains sur les terres tropicales, nous aurions moins de
luttes à soutenir et nos yeux ne seraient pas attristés par le spectacle
de la misère.
Tu vois de St
Hippolyte la manière de vivre de ces gens là. Ils mangent lorsqu'ils ont
faim, ils courent dans la montagne sur les crêtes escarpées, au fond des
ravins et des grandes forêts pour chercher le feï, les bananes etc... nécessaires
à leur nourriture pendant une dizaine de jours. Ils mettent à l'eau
leurs petites pirogues et chaque matin, au soleil levant, une escadrille
de ces frêles esquifs creusés dans le tronc d'un arbre s'éloigne de la
côte et revient bientôt après rapportant des poissons qui peuplent ces
plages lointaines. S'ils ont rapporté plus qu'il ne leur faut pour leur
consommation, alors ils consentent à vendre, mais toujours à des prix très
élevés. Quelque fois, au contraire, pour pouvoir contenter un désir
manifesté devant eux, ils iront pendant plusieurs jours courir les monts
ou battre la mer et ne voudront en échange qu'un verre d'eau de vie
qu'ils aiment d'une passion frénétique et dont l'abus ne tarderait pas
à causer la mort de cette race. On est obligé de prendre les arrêtés
les plus sévères pour interdire la vente de cette boisson aux indigènes.
Pendant
les premiers mois de notre séjour ici, les affaires étaient dans le désordre
le plus complet. Le Gouverneur PAGE a été forcé de déployer une grande
énergie. Maintenant tout est rentré dans l'ordre. Il est craint et, par
suite, ponctuellement obéi. Nous avons à craindre ici les intrigues des
Anglais et un soulèvement des Indiens en leur faveur, par cela même
que ces gens sont faciles à gouverner et peuvent être influencés en mal
et nous causer de grands embarras à cause du peu de troupes que nous
avons pour occuper l'île. J'espère que nous vivrons avec eux en parfaite
intelligence.
...
Ma
pauvre sœur, ce pays est beau mais il est triste; il est trop loin de la
France, il est trop pauvre en nouvelles. Quelques rares fois, des lettres
viennent s'égarer jusqu'à nous pour nous rappeler qu'une main amie a écrit
ces mots en pensant à nous. Après avoir traîné sur toutes les tables
du globe, un journal, tout surpris de se trouver si loin, nous apprend que
tout semble tranquille dans notre pauvre pays. Bientôt certes ou dans
quelques a.1nées, nous pourrons encore nous promener dans la vallée du
Doubs.
...
Tout à toi,
Ton
frère,
L. Briot
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