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Loi Guizot
sur l'enseignement primaire,
1833.
Lettre adressée à chaque
instituteur.
par Marc Nadaux
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En 1833, François Guizot,
le ministre de l'Instruction publique, adresse à chaque instituteur cette lettre,
qui accompagne ainsi dans le temps la promulgation de la loi qui doit
régir désormais l'organisation de leur profession. Par ce texte, il rappelle à chacun d'entre-eux l'importance de leur mission ainsi
que la place que l’école va prendre dans la nouvelle société.
L’enseignement élémentaire vise ainsi à moraliser le peuple, à
favoriser l’essor économique et à consolider le nouvel ordre politique
et social. |
Monsieur,
Je vous transmets la loi du 28 juin dernier sur l’instruction primaire,
ainsi que l’exposé des motifs qui l’accompagnait lorsque, d’après
les ordres du Roi, j’ai eu l’honneur de la présenter le 2 janvier
dernier à la Chambre des députés.
Cette loi, monsieur, est vraiment la charte de l’instruction primaire ;
c’est pourquoi je désire qu’elle parvienne directement à la
connaissance et demeure en la possession de tout instituteur. Si vous l’étudiez
avec soin, si vous méditez attentivement ses dispositions ainsi que les
motifs qui en développent l’esprit, vous êtes assurés de bien connaître
vos devoirs et vos droits, et la situation nouvelle que vous destinent nos
institutions.
Ne vous y trompez pas, monsieur, bien que la carrière de l’instituteur
primaire soit sans éclat, bien que ses soins et ses jours doivent le plus
souvent se consumer dans l’enceinte d’une commune, ses travaux intéressent
la société tout entière, et sa profession participe de l’importance
des fonctions publiques. Ce n’est pas pour la commune seulement et dans
un intérêt purement local que la loi veut que tous les Français acquièrent,
s’il est possible, les connaissances indispensables à la vie sociale,
et sans lesquelles l’intelligence languit et quelquefois s’abrutit :
c’est aussi pour l’État lui-même et dans l’intérêt public ;
c’est parce que la liberté n’est assurée et régulière que chez un
peuple assez éclairé pour écouter en toute circonstance la voix de la
raison. L’instruction primaire et universelle est désormais une des
garanties de l’ordre et de la stabilité sociale. Comme tout, dans les
principes de notre gouvernement, est vrai et raisonnable, développer
l’intelligence, propager les lumières, c’est assurer l’empire et la
durée de la monarchie constitutionnelle.
Pénétrez-vous donc, monsieur, de l’importance de votre mission ;
que son utilité vous soit toujours présente dans les travaux assidus
qu’elle vous impose. Vous le voyez : la législation et le
gouvernement se sont efforcés d’améliorer la condition et d’assurer
l’avenir des instituteurs. D’abord le libre exercice de leur
profession dans tout le royaume leur est garanti, et le droit
d’enseigner ne peut être ni refusé, ni retiré à celui qui se montre
capable et digne d’une telle mission. Chaque commune doit, en outre,
ouvrir un asile à l’instruction primaire. A chaque école communale un
maître est promis. A chaque instituteur communal un traitement fixe est
assuré. Une rétribution spéciale et variable vient l’accroître. Un
mode de perception, à la fois plus conforme à votre dignité et à vos
intérêts, en facilite le recouvrement, sans gêner d’ailleurs la
liberté des conventions particulières. Par l’institution des caisses
d’épargne, des ressources sont préparées à la vieillesse des maîtres.
Dès leur jeunesse, la dispense du service militaire leur prouve la
sollicitude qu’ils inspirent à la société. Dans leurs fonctions, ils
ne sont soumis qu’à des autorités éclairées et désintéressées.
Leur existence est mise à l’abri de l’arbitraire ou de la persécution.
Enfin la approbation de leurs supérieurs légitimes encouragera leur
bonne conduite et constatera leurs succès ; et quelquefois même une
récompense brillante, à laquelle leur modeste ambition ne prétendait
pas, peut venir leur attester que le gouvernement du Roi veille sur leurs
services et sait les honorer.
Toutefois, monsieur, je ne l’ignore point : la prévoyance de la
loi, les ressources dont le pouvoir dispose ne réussiront jamais à
rendre la simple profession d’instituteur communal aussi attrayante
qu’elle est utile. La société ne saurait rendre, à celui qui s’y
consacre, tout ce qu’il fait pour elle. Il n’y a point de fortune à
faire, il n’y a guère de renommée à acquérir dans les obligations pénibles
qu’il accomplit. Destiné à voir sa vie s’écouler dans un travail
monotone, quelquefois même à rencontrer autour de lui l’injustice et
l’ingratitude de l’ignorance, il s’attristerait souvent et
succomberait peut-être s’il ne puisait sa force et son courage ailleurs
que dans les perspectives d’un intérêt immédiat et purement
personnel. Il faut qu’un sentiment profond de l’importance morale de
ses travaux le soutienne et l’anime, et que l’austère plaisir
d’avoir servi les hommes et secrètement contribué au bien public
devienne le digne salaire que lui donne sa conscience seule. C’est sa
gloire de ne prétendre au delà de son obscure et laborieuse condition,
de s’épuiser en sacrifices à peine comptés de ceux qui en profitent,
de travailler enfin pour les hommes et de n’attendre sa récompense que
de Dieu.
Ainsi voit-on que, partout où l’enseignement primaire a prospéré, une
pensée religieuse s’est unie, dans ceux qui le répandent, au goût des
lumières et de l’instruction. Puissiez-vous, monsieur, trouver dans de
telles espérances, dans ces croyances dignes d’un esprit sain et d’un
cœur pur, une satisfaction et une constance que peut-être la raison
seule et le seul patriotisme ne vous donneraient pas !
C’est ainsi que les devoirs nombreux et divers qui vous sont réservés
vous paraîtront plus faciles, plus doux et prendront sur vous plus
d’empire. Il doit m’être permis, monsieur, de vous les rappeler. Désormais,
en devenant instituteur communal, vous appartenez à l’instruction
publique ; le titre que vous portez, conféré par le ministre est
placé sous sa sauvegarde. L’Université vous réclame ; en même
temps qu’elle vous surveille, elle vous protège et vous admet à
quelques-uns des droits qui font de l’enseignement une sorte de
magistrature. Mais le nouveau caractère qui vous est donné m’autorise
à vous retracer les engagements que vous contractez en le recevant. Mon
droit ne se borne pas à vous rappeler les dispositions des lois et règlements
que vous devez scrupuleusement observer, c’est mon devoir d’établir
et de maintenir les principes qui doivent servir de règle morale à la
conduite de l’instituteur, et dont la violation compromettrait la dignité
du corps auquel il pourra appartenir désormais. Il ne suffit pas, en
effet, de respecter le texte des lois ; l’intérêt seul y pourrait
contraindre, car elles se vengent de celui qui les enfreint ; il faut
encore et surtout prouver par sa conduite qu’on a compris la raison
morale des lois, qu’on accepte volontairement et de cœur l’ordre
qu’elles ont pour but de maintenir, et qu’à défaut de l’autorité
on trouverait dans sa conscience une puissance sainte comme les lois et
non moins impérieuse.
Les premiers de vos devoirs, monsieur, sont envers les enfants confiés à
vos soins. L’instituteur est appelé par le père de famille au partage
de son autorité naturelle ; il doit l’exercer avec la même
vigilance et presque tout entière. En ce qui concerne l’enseignement
proprement dit, rien ne vous manquera de ce qui peut vous guider. Non
seulement une École Normale vous donnera des leçons et des exemples ;
non seulement les comités s’attacheront à vous transmettre des
instructions utiles, mais encore l’Université même se maintiendra avec
vous en constante communication. Le Roi a bien voulu approuver la
publication d’un journal spécialement destiné à l’enseignement
primaire. Je veillerai à ce que le Manuel général répande partout,
avec les actes officiels qui vous intéressent, la connaissance des méthodes
sûres, des tentatives heureuses, les notions pratiques que réclament les
écoles, la comparaison des résultats obtenus en France ou à l’étranger,
enfin tout ce qui peut diriger le zèle, faciliter le succès, entretenir
l’émulation.
Mais quant à l’éducation morale, c’est en vous surtout, monsieur,
que je me fie. Rien ne peut suppléer en vous la volonté de bien faire.
Vous n’ignorez pas que c’est par là, sans aucun doute, la plus
importante et la plus difficile partie de votre mission. Vous n’ignorez
pas qu’en vous confiant un enfant, chaque famille vous demande de lui
rendre un honnête homme et le pays un bon citoyen. Vous le savez :
les vertus ne suivent pas toujours les lumières, et les leçons que reçoit
l’enfance pourraient lui devenir funestes si elles ne s’adressaient
qu’à son intelligence. Que l’instituteur ne craigne donc pas
d’entreprendre sur les droits des familles en donnant ses premiers soins
à la culture intérieure de l’âme de ses élèves. Autant il doit se
garder d’ouvrir son école à l’esprit de secte ou de parti, et de
nourrir les enfants dans des doctrines religieuses ou politiques qui les
mettent pour ainsi dire en révolte contre l’autorité des conseils
domestiques, autant il doit s’élever au-dessus des querelles passagères
qui agitent la société, pour s’appliquer sans cesse à propager, à
affermir ces principes impérissables de morale et de raison sans lesquels
l’ordre universel est en péril, et à jeter profondément dans de cœurs
ces semences de vertu et d’honneur que l’âge et les passions n’étoufferont
point. La foi dans la Providence, la sainteté du devoir, la soumission à
l’autorité paternelle, le respect dû aux lois, au prince, aux droits
de tous, tels sont les sentiments qu’il s’attachera à développer.
Jamais par sa conversation ou son exemple, il ne risquera d’ébranler
chez les enfants la vénération due au bien : jamais, par des
paroles de haine ou de vengeance, il ne les disposera à ces préventions
aveugles qui créent pour ainsi dire, des nations ennemies au sein de la même
nation. La paix et la concorde qu’il maintiendra dans son école
doivent, s’il est possible, préparer le calme et l’union des générations
à venir.
Les rapports de l’instituteur avec les parents ne peuvent manquer d’être
fréquents. La bienveillance y doit présider : s’il ne possédait
la bienveillance des familles, son autorité sur les enfants serait
compromise, et le fruit de ses leçons serait perdu pour eux. Il ne
saurait donc porter trop de soin et de prudence dans cette sorte de
relations. Une intimité légèrement contractée pourrait exposer son indépendance,
quelquefois même l’engager dans ces dissensions locales qui désolent
souvent les petites communes. En se prêtant avec complaisance aux
demandes raisonnables des parents, il se gardera bien de sacrifier à
leurs capricieuses exigences ses principes d’éducation et la discipline
de son école. Une école doit être l’asile de l’égalité c’est-à-dire
de la justice.
Les devoirs de l’instituteur envers l’autorité sont plus clairs
encore et non moins importants. Il est lui-même une autorité dans la
commune ; comment donc donnerait-il l’exemple de
l’insubordination ? Comment ne respecterait-il pas les magistrats
municipaux, l’autorité religieuse, les pouvoirs légaux qui
maintiennent la sécurité publique ? Quel avenir il préparerait à
la population au sein de laquelle il vit si, par son exemple ou par des
discours malveillants, il excitait chez les enfants cette disposition à
tout méconnaître, à tout insulter, qui peut devenir dans un autre âge
l’instrument de l’immoralité et quelquefois de l’anarchie !
Le maire est le chef de la commune ; il est à la tête de la
surveillance locale ; l’intérêt pressant comme le devoir de
l’instituteur est donc de lui témoigner en toute occasion la déférence
qui lui est due. Le curé ou le pasteur ont aussi droit au respect, car
leur ministère répond à ce qu’il y a de plus élevé dans la nature
humaine. S’il arrivait que, par quelque fatalité, le ministre de la
religion refusât à l’instituteur une juste bienveillance, celui-ci ne
devrait pas sans doute l’humilier pour la reconquérir, mais il
s’appliquerait de plus en plus à la mériter par sa conduite, et il
saurait l’attendre. C’est au succès de son école à désarmer des préventions
injustes ; c’est à sa prudence à ne donner aucun prétexte à
l’intolérance. Il doit éviter l’hypocrisie à l’égal de l’impiété.
Rien d’ailleurs n’est plus désirable que l’accord du prêtre et de
l’instituteur ; tous deux sont revêtus d’une autorité morale ;
tous deux peuvent s’entendre pour exercer sur les enfants, par des
moyens divers, une commune influence. Un tel accord vaut bien qu’on
fasse, pour l’obtenir, quelques sacrifices, et j’attends de vos lumières
et de votre sagesse que rien d’honorable ne vous coûtera pour réaliser
cette union sans laquelle nos efforts pour l’instruction populaire
seraient souvent infructueux.
Enfin, monsieur, je n’ai pas besoin d’insister sur vos relations avec
les autorités spéciales qui veillent sur les écoles, avec l’Université
elle-même ; vous trouverez là des conseils, une direction nécessaire,
souvent un appui contre des difficultés locales et des inimitiés
accidentelles. L’administration n’a point d’autres intérêts que
ceux de l’instruction primaire, qui au fond sont les vôtres. Elle ne
vous demande que de vous pénétrer de plus en plus de l’esprit de votre
mission. Tandis que de son côté elle veillera sur vos droits, sur vos
intérêts, sur votre avenir, maintenez, par une vigilance continuelle, la
dignité de votre état ; ne l’altérez point par des spéculations
inconvenantes, par des occupations incompatibles avec l’enseignement ;
ayez les yeux ouverts sur tous les moyens d’améliorer l’instruction
que vous dispensez autour de vous. Les secours ne vous manqueront pas :
dans la plupart des grandes villes, des cours de perfectionnement sont
ouverts ; dans les Écoles Normales, des places sont ménagées aux
instituteurs qui voudraient venir y retremper leur enseignement. Il
devient chaque jour plus facile de vous composer à peu de frais une
bibliothèque suffisante à vos besoins. Enfin, dans quelques
arrondissements, dans quelques cantons, des conférences ont déjà été
établies entre les instituteurs ; c’est là qu’ils peuvent
mettre leur expérience en commun, et s’encourager les uns les autres en
s’aidant mutuellement.
Au moment où, sous les auspices d’une législation nouvelle, nous
entrons tous dans une nouvelle carrière, au moment où l’instruction
primaire va être l’objet de l’expérience la plus réelle et la plus
étendue qui ait encore été tentée dans notre patrie, j’ai dû,
monsieur, vous rappeler les principes qui guident l’administration de
l’instruction publique et les espérances qu’elle fonde sur vous. Je
compte sur tous vos efforts pour faire l’œuvre que nous entreprenons en
commun : ne doutez jamais de la protection du gouvernement, de sa
constante, de son active sollicitude pour les précieux intérêts qui
vous sont confiés. L’universalité de l’instruction primaire est à
ses yeux l’une des plus grandes et des plus pressantes conséquences de
notre Charte : il lui tarde de la réaliser. Sur cette question comme
sur toute autre, la France trouvera toujours d’accord l’esprit de la
Charte et la volonté du Roi.
Recevez, etc…..
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