Transports
Le
chemin de fer d'intérêt local,
1880-1910.
par Marc Nadaux
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Poursuivant l'œuvre de la Monarchie de
Juillet, le Second Empire a étendu les ramifications du réseau ferré à
l'ensemble du territoire français. Alors que s'installe la Troisième République,
la plupart des grandes villes sont reliées entre elles par le
chemin de fer. Celui-ci amène un bouleversement du genre de vie des Français,
une révolution lente des structures de l'économie. La présence d'une
gare à proximité est désormais un facteur indispensable du développement
de l'activité industrielle. En accélérant l'acheminement des biens et
des hommes, le chemin de fer unifie également le marché national et amène
un décloisonnement des campagnes.
Aussi est-ce une question importante pour les élus, maires et députés,
que d'équiper leur commune ou leur département. D'autant plus que dans
les années 1880 l'État s'investie dans un nouvel effort de construction
de voies ferrées. Celles-ci sont proclamées d'intérêt local et visent,
outre à permettre un voyage commode vers la grande ville, le chef-lieu,
à amener une rationalisation des communications à l'échelle du canton.
Les intrigues politiques, les pétitions et autres enquêtes
administratives diligentées par les élus se multiplient, qui sollicitent
les ministres concernés. Ainsi continue la mutation de l'espace rural, le
"grand chambardement des campagnes" pour reprendre l'expression
de Fernand Braudel. |
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Pour
avoir une gare, Le Petit Journal, 1er mai
1910. |
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Le
train à Connigis (Aisne), 1882. |
Le 6 juin 1882,
A Monsieur le
Ministre des Travaux Publics,
Le conseil
municipal de la commune de Connigis a l'honneur de vous demander de
vouloir bien ordonner que la halte dont l'établissement est projeté à
Saint-Eugène sur la ligne de la Vallée de l'Ourcq à Esternay (réseau
de l'Est), soit ouverte aux marchandises par wagons complets et que les
travaux nécessaires soient exécutés pour cela.
La halte de Saint-Eugène se trouve, en effet, située au centre d'une
production agricole et industrielle fort importante et bien que placée à
une faible distance de la station de Condé, elle sera le point naturel où
doivent arriver les produits des communes de Saint-Eugène, Connigis,
Monthurel et Courboin.
Les produits naturels de ces quatre communes s'évaluent comme suit :
1. COMMUNE DE
CONNIGIS
. Céréales :
25 tonnes
. Fruits divers : 15 tonnes
. Vin : 25 tonnes
. Pommes de terre : 25 tonnes
. Bois : 50 tonnes
. Un moulin à blé : 120 tonnes
. Une scierie : 50 tonnes
. La carrière de Bayens : 1.000 tonnes
. Une fabrique de boutons établie dans la commune peut donner
annuellement : 120 tonnes.
Enfin, sur le territoire de cette commune existent :
1. La carrière de grés de la Jute appartenant à M. Delhomme et exploitée
par une société anonyme. En 1881, cette carrière a expédié 7.200
tonnes de pavés. Tous ces pavés sont allés à Paris par la voie de la
Marne. Si la halte de Saint-Eugène n'est pas ouverte aux marchandises, la
compagnie fermière est parfaitement résolue à continuer de faire ses
expéditions par la même voie, en effet, obligée d'avoir recours au
camionnage, elle ne rétrogradera pas pour aller à Condé et par suite
forcée d'aller à Mézy où elle peut, à son choix, mettre ses
marchandises soit au chemin de fer, soit à la Marne, elle n'hésitera pas
à employer la voie d'eau qui lui coûte moitié moins cher.
Au contraire, dans le cas où elle pourrait mettre ses pavés au chemin de
fer à Saint-Eugène, il est certain qu'elle se rattacherait à la gare
d'une façon quelconque et alors, son exploitation entravée aujourd'hui
par les moyens de transports, prendrait une grande extension. Les pavés
composés d'un grès considéré par les ingénieurs de la ville de Paris
comme d'une qualité supérieure au grès de l’Yvette qui est le grès
type, atteindraient facilement une production annuelle que nous pouvons évaluer
à 20.000 tonnes.
2. Une bascule dépendant de !a Sucrerie de Château-Thierry et recevant
par an, environ 1.000.000 kg de betteraves. Si ces betteraves ne peuvent
être mises au chemin de fer à Saint-Eugène, elles iront directement par
voiture à la sucrerie.
II. COMMUNE DE
SAINT-EUGÈNE
. Céréales par
divers et principalement par les trois fermes de Saint-Eugène, Les Grèves,
La Charmoye : 90 tonnes.
. Fruits divers : 15 tonnes
. Vins : 50 tonnes
. Pommes de terre : 30 tonnes
. Bois : 50 tonnes
Le sol contient des pierres à plâtre, des pierres à bâtir et plusieurs
projets de carrières sont à l'étude et n'attendent que des moyens de
transport pour être exécutés.
III. COMMUNE DE
MONTHUREL
Céréales par
divers et par les deux fermes de Janvier et Couberchy : 55 tonnes
Carrière de pierre meulière qui, lorsque la route de Celles-les-Condé
à ReuiIly-Sauvigny sera ouverte, pourra donner un tonnage considérable
évalué à 5.000 tonnes.
IV. - COMMUNE DE
COURBOIN
. Les. six fermes
pourraient donner en céréales : 400 tonnes.
. Fruits : 25 tonnes
. Vins : 100 tonnes
. Bois : 50 tonnes
. Carrière pierre meulière : 2.000 tonnes
TOTAL GENERAL :
30.480 tonnes.
La Compagnie des
chemins de fer de l'Est a un intérêt évident à accueillir un trafic
aussi considérable. Les travaux à exécuter pour ouvrir cette halte aux
expéditions de marchandises par wagons complets seraient peu importants,
il suffirait d'ajouter à la halte projetée une voie de garage et une
bascule.
Les membres du
conseil municipal de Connigis au complet :
J. Naudet, Taillefert, Moreau, Plateau. Bourgogne, Picot,
Hervier, Hébert, Bouché, Desprez.
Le 24 octobre 1882,
Monsieur le Préfet,
Vous avez
transmis à mon administration le 2 août dernier, avec le rapport de MM.
Les Ingénieurs du contrôle des demandes formées par les conseils
municipaux des communes de Saint-Eugène, Courboln, Connigis et Monthurel,
à l'effet d'obtenir que la halte de Connigis - Saint-Eugène (ligne de la
Vallée de l'Ourcq à Esternay) soit ouverte aux marchandises par wagons
complets.
Les pétitionnaires allèguent l'importance agricole et industrielle de la
contrée et l'intérêt qu'aurait la Compagnie de l'Est elle-même à
recueillir un trafic qui serait considérable.
MM. les Ingénieurs du contrôle rappellent dans leur rapport que les
projets soumis à l'enquête des stations ne prévoyaient pas de halte
entre les gares de Condé-en-Brie et Artonges dont les emplacements ont été
approuvés par décision du 8 mars 1880. et qu'au cours de cette enquête,
les conseils municipaux des diverses communes consultées avaient reconnu
que les emplacements proposés par la Compagnie pour l'établissement des
stations étalent convenablement choisis et que le nombre en était
suffisant, mais que toutefois des habitants des communes de Saint-Eugène.
Connigis, Monthurel et Courboin ayant réclamé la création d'une halte
au territoire de Connigis, près du chemin vicinal N°2, une décision du
30 août 1880 prescrivit, malgré l'opposition de la Compagnie, l'établissement
de cette halte, eu égard au peu de frais qu'occasionnerait cet établissement,
par suite de l'existence en ce point de la ligne d'un palier et d'un
passage à niveau avec maison de garde. Mais il n'en serait pas de même
si l'on devait y faire les installations d'un service de marchandises. MM.
les Ingénieurs ajoutent que la halte de Connigis – Saint-Eugène n'étant
éloignée que de 2.817 m. de la station de Condé-en-Brie, les
installations seraient sans utilité sérieuse pour le public. La
Compagnie consultée, déclare d'ailleurs ne pouvoir accepter la
transformation de la halte en station. Enfin, aucun fait nouveau ne s'est
produit; aucune industrie ne s'est créée dans le pays depuis l'enquête
des stations. MM. les Ingénieurs du contrôle concluant, en conséquence,
au rejet pur et simple des demandes présentées.
De votre côté, Monsieur le Préfet, sans contester la valeur des considérations
développées par MM. les Ingénieurs du contrôle, vous croyez devoir
faire remarquer que sur les lignes du Cateau à Laon et de Laon à Mézières,
construites il est vrai par l'État, l'administration, en présence de vœux
analogues, a consenti à annexer aux haltes un port sec pour recevoir ou
expédier des marchandises par wagons complets. Vous me demandez
d'examiner si cette faveur ne pourrait pas être également accordée pour
la halte de Connigis - Saint-Eugène.
La question a été soumise au conseil général des Pont et Chaussées (3ème
Section), lequel, après en avoir délibéré,
Considérant que, si l'État, constructeur des chemins de fer du Cateau à
Laon et de Laon à Mézières a pu consentir, dans l'intérêt des contrées
industrielles traversées par ces deux lignes, à l'établissement, dans
certaines haltes, de ports secs pour service de marchandises par wagons
complets réclamés par les populations au cours de l'enquête, ce précédent
ne saurait être invoqué en faveur de la halte de Connigis - Saint-Eugène,
placée à 2.817 m. seulement de la station .de Condé-en-Brie, dans un
pays à peu prés exclusivement agricole, et dont l'utilité, même comme
simple arrêt pour les voyageurs, n'avait pas été signalée lors de
l'enquête des stations et avait au contraire été formellement contestée
par la Compagnie ;
Et adoptant en conséquence les conclusions de MM. les ingénieurs du
Contrôle,
A émis l'avis qu'Il n'y avait pas lieu de donner suite aux demandes présentées.
Après examen de l'affaire, cet avis m'a paru devoir être adopté et j'y
al donné mon approbation par décision de ce jour.
Je vous prie de notifier
cette décision à M. l'Ingénieur en chef de Quartery ainsi qu'à MM. les
Maires des communes intéressées, dès que vous en aurez reçu les
autographies.
J'en informe directement la Compagnie.
Recevez, Monsieur le Préfet,
l'assurance de ma considération la plus distinguée.
Le Ministre des
Travaux publics,
Pour le Ministre et par autorisation
Le Directeur de la Construction des Chemins de fer,
signé : J. Lax.