Le
voyageur allemand Barth, rentrant en Europe après son court séjour à
Tombouctou, fit le premier connaître la fameuse " histoire du
Soudan " d’Ahmet Baba et l’on put commencer à se rendre
compte que les peuples soudanais, à en juger par leur passé, devaient être
à la fois plus intéressants et plus complexes qu’on ne l’avait
imaginé tout d’abord. Notre établissement définitif sur le Moyen
Niger a permis de mieux connaître le document curieux et unique dont il
s’agit, de le contrôler, sinon de le compléter au moyen des traditions
orales recueillies sur place, et, bien qu’il n’ait pas encore put être
analysé à fond, faute d’une traduction complète et définitive, nous
avons déjà, grâce à lui, connaissance d’une série d’événements
du plus haut intérêt.
Le manuscrit d’Ahmet Baba est conçu dans un esprit qui rappelle étonnamment
celui de nos vieilles chroniques provinciales et communales. L’auteur,
fidèle enregistreur des révolutions dont l’effet s’est imposé, ne
cherche nullement à étendre ses investigations et les appréciations
qu’elles pourraient lui suggérer, au delà du cercle étroit de ses intérêts
propres, et de ceux de ses congénères.
Il fait partie de la population arabe de Tombouctou, et nous raconte ce
que celle-ci a connu des événements historiques, ce qu’elle y a gagné
ou perdu, sans plus s’attarder aux événements eux-mêmes, à leurs déterminants,
à leur signification, que ne font, par exemple , les annales des villes
hanséatiques à la politique de l’empire. Il nous renseigne
parfaitement sur les alternatives de succès et de revers subies par la
colonie arabe de Tombouctou du fait de tel ou tel événement, il nous
fait en un mot l’histoire des intérêts du nord au Soudan, mais ce
qu’il nous donne le moins, c’est l’histoire du Soudan lui-même.
Ce qui précède n’a nullement pour but de diminuer la valeur de cette
œuvre, qui seule nous apporte quelque lumière, dans l’obscur enchevêtrement
où il nous faut lire le passé et peut-être l’avenir de notre colonie.
Il a seulement paru nécessaire d’établir que les renseignements
qu’elle nous donne nous arrivent par une voie indirecte, que
l’importance et la signification des événements historiques ont pu et
dû être inconsciemment, selon les circonstances, négligées ou amplifiées,
et que notre devoir incessant est de les dégager de la perspective spéciale
sous laquelle ils se sont présentés à l’auteur.
Nous pourrons alors, appuyés sur une base solide de faits, suggérés par
de nombreux vestiges et rapprochements, essayer de concevoir l’histoire
de l’agitation de ces peuples, à défaut de leur développement, telle
qu’ont du la faire les impulsions, filles de leurs origines respectives.
Quelque variés que soient les bouleversements ethniques dont un pays se
trouve être le théâtre dans la suite des temps, ils ne manquent jamais
d’obéir tous à certaines lois inévitables
et générales, imposées nécessairement aux masses humaines par les
configurations géographiques qui déterminent elles-mêmes souvent leurs
impulsions et leurs arrêts.
Ici, ces lois dégagées de l’étude des origines, nous permettent
seules d’y rattacher l’histoire par dessus vingt siècles d’obscurité.
De tout ce qui a été vu plus haut, de la confusion que nous n’avons pu
réussir à éviter dans l’exposé des traits, des caractères, des
rapprochements, peut se dégager du moins une vision nette et simple dans
sa généralité, une notion précise, des impulsions originelles qui,
devenues maintenant des forces politiques vont s’opposer inconsciemment,
et tendre avec plus ou moins de succès à s’équilibrer.
Nous avons déjà dit plusieurs fois, en expliquant notre pensée, qu’au
Soudan, les races étaient disparues, et que les peuples ne s’étaient
pas formés.
Il est cependant resté autre chose qu’une juxtaposition d’individus ;
ce sont ces forces politiques impulsives qui chez d’autres peuples
constituent la trame où se bâtissent les nationalités, mais qui restent
ici infécondes, servant artificiellement d’idéal à des gens qui
doivent s’en contenter, dans l’impuissance où ils sont de s’en créer
un meilleur.
Une masse hétérogène, les Bantou ou les déchets asiatiques flottent un
peu partout, inassimilables au milieu des primitifs de toutes sortes ;
tous les éléments d’une civilisation sans la volonté qui l’échafaude.
Une invasion, la seule qu’on puisse appeler ainsi, celle des Berbères
ou Shasou, Cananéens et Mongols, divisée dit l’Egypte en deux branches
dont chacune progresse vers l’Ouest suivant la voie inévitable qui
s’ouvre devant elle, occupe le Nord et le Sud, et enserre les bantou
dans les pinces d’une tenaille qui veut se refermer sur eux. Il y a bien
là une volonté, mais par une fatalité irrémédiable, elle aussi est
inféconde en Afrique comme partout ailleurs, elle ne vise qu’à la
destruction sans pouvoir être créatrice, c’est une force qui ne peut
ni se décomposer, ni changer son plan d’application ; c’est un
couple qui tourbillonne sans pouvoir produire aucun travail.
Tels sont les éléments en présence. L’histoire du Soudan est toute
entière en germe dans ce court exposé. Ghanata, Mali, l’empire Songhaï
ne sont que des étiquettes, les programmes divers de chacun des actes qui
se jouent, tandis que les acteurs restent toujours les mêmes, changeant
seulement quelques fois de masque.
Nous trouvons là l’explication du fait étrange qu’aucun de ces
empires soi-disant différents n’a laissé derrière lui des traces
particulières. Après s’être étonné de leur grandeur respective, il
faut renoncer à en éveiller
le souvenir dans la mémoire des peuples, et le lecteur d’Ahmet Baba se
demande parfois si son œuvre n’est pas une féerie.
Non cependant, l’écrivain est consciencieux, donne des détails, mais
il nous décrit également, sans essayer de nous les faire comprendre, des
agitations profondes ou de surface ; il nous apprend que les chefs
ont changé, sans nous dire que les peuples sont restés les mêmes, et
nous dépeint fidèlement la situation faite aux marchands de Tombouctou
par les guerres et les révolutions, sans dégager jamais la loi
directrice de tous ces événements : la pénétration des Bantous échelonnés
de l’Aïr à l’océan par le nord et le sud, mâchoires encore séparées
de la tenaille Berbère, la lente désintégration, prolongée jusqu’à
cette extrémité de l’Afrique, les derniers restes des anciennes
civilisations de l’Orient, sous l’effort des descendants de ces
peuples nouveaux qui déterminèrent leur ruine.
Il s’en est cependant fallu de peu que la masse des Bantou ne parvint à
former un peuple. Duveyrier qui reste encore, pour tout ce qui concerne le
Sahara, l’autorité la moins contestée, et qui apporte une si grande
prudence dans l’énoncé de ses jugements, a acquis une conviction
profonde qu’il exprime ainsi (P. 280) : " Mon but
principal est de constater que des nègres dont quelques uns sont encore
sur place, ont occupé le Sahara avant tout autre race (?), et qu’ils y
ont atteint un degré de civilisation qui n’a jamais été dépassé
depuis par leurs successeurs. "
Duveyrier se garde
bien de commettre l’erreur classique, si souvent reproduite, où
semblent devoir tomber d’abord tous ceux qui commencent à s’occuper
de ces contrées, parce qu’elle naît simplement et naturellement
d’une observation superficielle, et qu’un ouvrage récent de grand mérite
essaye encore d’accréditer ; Duveyrier ne confond pas les traces
de la civilisation nègre avec celles des colonies provenant de l’action
directe Egyptienne (Lybi-Egyptiens).
Il distingue la première comme l’œuvre d’une race qu’il nomme
" Sub-Ethiopienne ou Garamantique " n’ayant pas les
moyens de la rattacher au tronc Bantou.
Les développements concernant cette identification ont déjà trouvé
leur place ailleurs. Il suffit de rappeler que la forme du nom :
Garama est à elle seule un certificat d’origine.
Le nom de Ghana, Ghanata est de la même famille, et nous savons que le
Tagant
, l’ancien Gangari ou Onangara, le pays des Onakoré ou Onangaraouas
contient des restes de villes bâties en pierre, des vestiges de
constructions, qui auraient peut-être pu, s’il les avait vus, rappeler
à Duveyrier, les ruines du Quecir-el-Watwat.
Ainsi donc dans des temps reculés, des nationalités bantou : Onakorés
et garamantes ont failli s’agglomérer autour des empires de Ghanata et
Garama, soutenues par le travail de ces déchets asiatiques pour lesquels
l’Egypte n’avait été qu’un séjour temporaire.
En présence d’une telle constatation, il est permis de se demander
quelle impulsion, quel élément nouveau a pu déterminer ce commencement
de progrès, faire sortir un moment de leur apathie stérile ces peuples
que nous connaissons si bien.
Les conclusions de Duveyrier, si elles sont justes comme il y a tout lieu
de le croire, ce que nous savons de Garama par Hérodote et les Romains,
de Ghanata par Ahmet-Baba, nous indiquent bien qu’à une époque indéterminée,
les Bantou ont occupé tout le Sahara.
Si l’arrivée de peuples nouveaux dans le nord de l’Afrique a dû déterminer
chez eux ce mouvement de recul dont parle Duveyrier, il se peut que
certains éléments les aient assez pénétrés pour
leur fournir le plan d’un progrès rapide, pour leur donner subitement
le lustre et la grandeur propres à ces croissances trop hâtives, qui,
chez les peuples restés longtemps immobiles, sont souvent les avant-coureurs
d’une ruine prochaine.
Ces éléments civilisateurs ont-ils pu être apportés par l’invasion
septentrionale Berbère ? C’est bien invraisemblable. Nous avons
noté le défaut de puissance créatrice qui a caractérisé à toutes les
époques ce mélange de Cananéens et de Mongoloïdes. Il faut donc
chercher ailleurs parmi les " peuples de la mer " débarqués
dans l’Afrique du nord à des époques pourtant bien postérieures.
Les ruines de monuments que Duveyrier attribue à la race " sub-Ethiopienne
ou Garamantique " peuvent nous donner une indication précieuse.
Ces échantillons de l’ancienne architecture saharienne, en tout cas antérieurs
à l’invasion des arabes, nous présentent des cintres et des voûtes.
(Duveyrier fig. de la page 279, p 251)
Un tel caractère, à cette époque, est de la plus haute importance.
Il est reconnu que les arabes n’ont du leurs coupoles et leurs ogives
qu’aux artistes de l’Iran qui les accompagnèrent partout ;
l’antériorité prouvée des ruines Sahariennes permet d’attribuer
encore plus certainement leurs voûtes et leurs cintres à une influence
d’origine iranienne.
L’on ne peut s’empêcher de penser au passage célèbre de Salluste, où
s’appuyant sur les traditions numides et les livres puniques du roi
Hiempsal il affirme " qu’après la mort d’Hercule, en
Espagne, son armée composée de Perses, Mèdes et Arméniens se répandit
dans le nord de l’Afrique. " L’on a fait remarquer ,
pour réfuter cette assertion, que certaines similitudes fortuites de noms
propres devaient avoir induit Salluste en erreur. Des similitudes de noms
ne prouvent en effet pas grand chose en faveur d’une simple hypothèse,
mais elles prouvent encore moins contre elle, surtout quand elles ne
l’ont pas déterminée. Car Salluste ne présente pas ce renseignement
comme une opinion personnelle, il se borne à citer ce que croyaient
savoir des gens établis depuis longtemps dans le pays ; alors même
qu’il ne faudrait voir dans la légende d’Hercule que les voyages du
Melkarth de Tyr, rien ne s’opposerait à ce qu’une partie de ses
compagnons n’eussent été
des ariens de l’Asie mineure " ce petit Iran qui s’élève
au sein de trois murs ". Cette supposition serait au
contraire d’autant plus vraisemblable, qu’elle aurait trouvé
naissance dans les affirmations des Phéniciens eux-mêmes. Quoi qu’il en soit, Iraniens ou autres,
les initiateurs des civilisations sahariennes ont existé, et les raisons
que l’on peut avoir de supposer qu’ils arrivèrent par mer dans le
Garb marocain se trouvent singulièrement fortifiées par une constatation
des plus faciles. Le merveilleux épanouissement de la civilisation
musulmane en Espagne fut plutôt l’œuvre des anciennes populations du
Maroc que des Arabes eux-mêmes qui n’arrivèrent
à en réaliser une semblable nulle part ailleurs. Les Almoravides
étaient pour la plupart frères de ces Sonhadja qui occupent une si
grande place dans les généalogies de nos Sahariens actuels.
Le sang Berbère plus abondant a depuis réussi à dominer partout, et il
ne reste plus de traces des aristocraties probablement ariennes
d’origine, qui, pour ne s’être pas montrées, ainsi que leurs sœurs
de l’Inde, farouches gardiennes de la pureté de leur sang, virent s’éteindre
la force qui les animait, et sombrer dans la barbarie, leurs œuvres les
plus merveilleuses.
Que sont devenues les civilisations Sahariennes, les grands empires
Bantous ? Garama est un moment entré en contact avec les Romains qui
l’ont aidé à combattre le sud, en gens adroits à s’immiscer dans
les affaires particulières. Septimius Flaccus et plus tard Julius
Maternus arrivèrent ainsi jusque dans l’ " Agisymba
regio " qui était l’Aïr ou Azbeen d’aujourd’hui. Ghanata, plus inaccessible à cause du désert, plus excentrique
dans le monde des anciens, resta inconnu d’eux, et ne se révèle à
nous que par des traditions très vagues et le manuscrit d’Ahmet Baba.
Les traditions nous le montrent habité par les Onakoré qu’on appelle
aussi quelques fois Sonanikés ou Sébés.
Nous sommes déjà renseignés sur ce peuple. La forme du nom :
Onakoré ou Onangaraoua a déjà été discutée. Sébé ne suggère aucun
rapprochement, quant à Souaniké c’est très probablement comme
ailleurs Songho, Shongaï, la corruption de Sonhadja prononcé par un
gosier nègre. La prononciation médiane d’Azanaghes ou Zenaga, si
voisine de Soninké, fait apparaître clairement le mécanisme de toutes
ces variations sur les quelles nous aurons à revenir, car l’histoire du
Soudan est remplie de ces noms dont les aspects multiples peuvent être
rapprochés à coup sûr en classant leurs formations diverses d’après
des lois très simples.
Les Soninkés d’aujourd’hui qui affirment bien venir du pays de
Gangara ou Onangara (le Tagant) ont encore un autre nom, celui de
Sarakhollé. " C’est simplement disent-ils, le nom par
lequel nous désignent les Ouolofs . " Il y a là une
contradiction car ce mot n’est pas de formation Ouolof. Il appartient
exclusivement à la langue
Soninké ou Saré-Khollé veut dire homme blanc. Dans le sud
où, ainsi que nous le verrons tout à l’heure, subsistent de petits
groupes parlant la langue Soninké, anciennes colonies venues du Ghanata,
le terme de " Sarakhollé " désigne des catégories
spéciales d’individus, presque une aristocratie parmi les Soninkés. Il y a lieu de remarquer que, dans le manuscrit rapporté par
Denham et Clapperton, Bello lorsqu’il énumère les peuples qui habitent
les bords du Sénégal, insiste à plusieurs reprises sur ceux, qui
dit-il, sont des " Sarankali ou Persans ".
Il y a là un rapprochement qui s’impose ; la tradition Soudanaise,
rapportée par Bello est d’accord avec Salluste. On ne peut d’ailleurs
en tirer aucune conclusion, sinon que l’étude des peuples Soudanais
peut encore donner matière à des recherches fructueuses dans
l’histoire et les vocabulaires des anciens peuples orientaux.
L’empire de Ghanata n’a t-il laissé au Soudan même aucune trace qui
puisse donner la mesure de son développement et de sa grandeur ?
Dans ce pays où le fonds survit toujours à la forme, les vestiges ne
manquent pas, au contraire, pour nous renseigner sur le premier des
empires Soudanais connus, nous faire toucher du doigt sa véritable raison
d’être, qui fut aussi celle de tous les autres, le secret
même de sa vie, et, parmi ces causes permanentes que nous évoquions
plus haut, qui donnent à l’histoire d’un pays, malgré les
changements de personnes, une orientation continue, celle-ci est sans
contredit, la plus influente, puisqu’elle agit sur le plan concret des
intérêts matériels, et aussi la plus instructive pour nous, qu’amènent
en ces pays, des desseins pour le moment surtout économiques.
On trouve aujourd’hui des Soninkés principalement dans le Fouta-Toro,
le Gangaran, le Gadiaja, le Guidimaka, le Kaarta, le Bakormou ,
le Ouagadou.
On sait autant par la tradition que par la présence encore constatée
aujourd’hui de petits groupes de cultivateurs, qu’ils ont occupés la
vallée moyenne du Niger approximativement de Ségou à Tombouctou. Les
limites sud et sud-est du Ghanata sont
donc à peu près délimitées, mais son influence s’étendait
beaucoup plus loin, et il avait sans doute senti la nécessité absolue et
vitale qui lui était imposée de pénétrer dans le sud pour en tirer les
matières premières , éléments de sa richesse. L’on retrouve en effet
les jalons de sa pénétration dans les deux directions principales qui
s’imposent encore de nos jours : l’une conforme aux projets
modestes d’une puissance coloniale naissante ; la ligne de la
Faleuré puis de la haute Gambie vers le Fouta-Djallon, l’autre, faite
à la mesure des projets grandioses que justifie pour un immense empire la
possession du Sénégal et du Niger, traçant dans les directions
de Sikasso, Bobo-Dioulasso, Kong, Ouagadougou, les voies d’accès,
rayons de l’étoile gigantesque dont Djenné fut le centre, mailles du
filet que Ghanata fut le premier à jeter sur les riches contrées que
circonscrit le grand fleuve.
Ainsi s’expliquent la propension reconnue des Soninkés à faire du
commerce au loin sous forme de colportage, la présence de quelques
colonies souvent non musulmanes, fixées dans le Niani, le nord du
Fouta-Djallon, les rivières du sud, et aussi l’existence de ces Markas
répandus dans toute la boucle du Niger jusqu’à la côte de Guinée,
qui ont perdu l’usage de leur langue propre, mais se rappellent leur
origine et qui furent les créateurs de ces routes commerciales obligées
où la réglementation du passage des caravanes conférait avec prudence
aux populations qu’elles traversaient, certains droits qui se sont
conservés jusqu’à nos jours. La création de Djenné et son importance commerciale sont donc évidemment
attribuables au Ghanata, si on a attribué Djenné à l’empire Songhaï,
c’est parce que l’architecture de Djenné, qui a pu faire penser aux
constructions Egyptiennes, était la seule base
que l’on put utiliser pour l’édification voulue du système
qui voit dans les Songhaïs des Egyptiens. On a du supposer
alors Djenné fondée par les Songhaïs, puis séparée d’eux,
puis reprise, sans que l’on puisse s’expliquer pourquoi. C’est
invraisemblable. L’architecture de Djenné est simplement et plus généralement
orientale. Elle rappelle l’Egyptienne, c’est vrai, mais tout aussi
bien les architectures asiatiques antérieures à la brique et au cintre ;
les frises en dentelures seraient même plutôt Assyriennes. Encore
certains procédés de construction des bords du Niger semblent-ils
impliquer la connaissance ancienne de la brique qui serait alors imputable
aux " peuples de la mer ".
Nous avons déjà pu rapprocher les procédés funéraires du nord-ouest
de l’Afrique, de ceux que nous révèle l’ancien cimetière de Djenné.
Mais le véritable indice qui permet
de rattacher
sûrement Djenné au Ghanata est dans sa position géographique, en
face de Bakomou. Il fut pour l’empire Onakoré le point de convergence
obligé de son rayonnement tandis que Gogo fut évidemment celui des
" Djerimans " ou Songhaïs descendants des Garamantes
du Fezzan et de l’Aïr. Les deux anciens empires Bantous Soudanais
eurent ainsi chacun leur comptoir, correspondant à leur situation
respective occidentale ou orientale, jusqu’à ce que l’empire des
Askia leur succédant à tous deux, eût son grand entrepôt au sommet de
la boucle, à Tombouctou, qui réduisit Djenné et Gogo au rang de
succursales.
Djenné appartient donc bien au Ghanata s’il n’est pas Ghana lui-même.
L’on peut remarquer à ce sujet que la transformation Ghana-Djenné est
absolument analogue à celle de Garama-Djerma qui n’est pas contestée,
tandis que Ghan-Onalata rappelle uniquement les étymologies de Ménage.
Dans les anciens auteurs, l’assimilation est continuelle entre Ghana,
Guinée, Djenné. Le passage de Léon l’Africain est caractéristique,
et ferait encore foi, si l’on prenait la peine de remarquer que les réfutations
du commentateur anglais de Mingo Park, sont aujourd’hui sans valeur. Les Arabes et berbères
appellent ce pays " Gheneoa, ses propres habitants
l’appellent Djenné, les Portugais et autres Européens l’appellent
Djinéa ou Ghinéa. Iil étend son influence jusqu’à l’endroit où le
Niger se jette dans l’océan… Le Ghinéa proprement dit est pendant
les inondations entouré des eaux du Niger, et forme une espèce d’île. "
On comprend dès lors d’où venaient les marchandises précieuses que drainaient les colonies Phéniciennes et autres de la côte méditerranéenne ;
les empires Sahariens maîtres des riches vallées du Soudan septentrional
étaient les véhicules obligés du grand courant commercial qui montait
du sud dans le nord. Leur situation géographique médiane entre les lieux
de production et les points d’exportation en faisait nécessairement des
intermédiaires et aussi des industriels ; de là leur fortune
magnifique et celle de leurs successeurs sur le même terrain.
Mais la prospérité excite les convoitises. Ce rideau qui cachait le Nord
au Sud et le Sud au Nord eut à lutter contre leurs assauts répétés ;
le Nord qui y puisait la vie voulait aller à la source même, le Sud
incapable de comprendre que toutes ces forces sortaient de lui, était
attiré par le spectacle de leur épanouissement.
Nous verrons dans la suite chacun d’eux tenir à son tour le succès,
et, comprenant plus ou moins bien les avantages à en tirer, s’efforcer
de tuer la poule aux œufs d’or ou de la faire produire. Car c’est
bien là la grande loi qui a principalement déterminé les réactions
historiques dans le Soudan occidental depuis ces époques reculées
jusqu’à nos jours ; et les mouvements de peuples, les guerres, les
empires vont pouvoir se montrer sous leur jour véritable, comme les œuvres
multiformes de causes permanentes.
Nous avons vu que l’arrivée dans le Nord de l’Afrique de masses
envahissantes : les Berbères par
l’est, puis les Tamahou par Gibraltar et les " peuples de la
mer ", avait vu déterminer en même temps par des causes différentes,
le mouvement de recul des Bantou vers le Sud et le développement des
empires Sahariens. Nous venons de voir quel fut celui-ci. Si les éléments
civilisateurs à qui ils furent dû perdirent leurs forces et disparurent,
il n ‘en fut pas de même de l’impulsion Berbère la plus
ancienne comme la plus durable. Depuis les époques les plus reculées où
Ahmet Baba puisse se reporter, jusqu’à l’arrivée de l’islamisme,
il nous montre le Ghanata en lutte contre eux avec des alternatives de
fortune et de revers. Mais il a pour lui l’action dissolvante du désert,
où l’éloignement des points d’eau et leur pauvreté interdit la
concentration des masses pour l’action en commun. Aussi Ghanata subsiste
toujours lorsqu’ arrivent dans le Nord, les Arabes Mahométans.
Le monde antique oriental s’était vu deux fois près de disparaître
devant le " tablier de cuir " des Sassamides, et sous
les pieds des légions Romaines. Il avait même forgé pour les ariens
envahisseurs l’arme qui leur manquait, en donnant à la nuageuse métaphysique
arienne, la forme concrète qui devint le christianisme ; mais il
semblait, n’avait pas su tirer parti pour lui-même de ses tendances
nouvelles à matérialiser l’abstraction.
Cependant, dans ce mélange, de plus en plus intime de races diverses, des
facultés latentes s’échangeaient, créant des impulsions et des
aspirations, auxquelles il ne manquait que d’être réalisées aux yeux
de tous dans le Verbe d’un homme de génie. Le " Livre "
de Mahomet est bien la formule définitive
d’un idéal particulier, le canevas de l’épanouissement
d’une race nouvelle.
L’esprit Touranien, orienté vers la centralisation, la concentration
s’était approprié les anciennes abstractions réalisées dans les
divinités locales, et, mesurant la conception nouvelle à la grandeur de
ses ambitions, en avait fait le monothéisme Sémitique ; et
maintenant le peuple initiateur, qui avait su allier l’unité dans la
force à l’unité dans l’idée, portait dans toutes les terres
conquises autrefois par ses ancêtres, la découverte précieuse à ses
parentés éloignées.
Unité dans la force, unité dans l’idée, la guerre sainte et le "
Livre " voilà leur drapeau, leur devise. Mais cette conception
si forte est à courtes vues, car leur guerre sainte ignore le but final,
le progrès humain ; et la stérilité fatale des impulsions
tourainiennes condamne tous ceux qui les portent à travers le monde, à
ne puiser dans le " Livre " que l’idéal religieux, en y
laissant incompris l’idéal moral.
Dans
le désert la force s’émiette, et seul arrivera au Soudan l’idéal
religieux, de ceux qui apportaient le " Llivre ".Ceux pour
qui ces missions venaient ne s’y trompèrent pas ; les parentés se
pressentirent malgré les séparations séculaires, et chacun pouvant aisément
se persuader qu’il descendait de Mahomet, se trouva prêt à accepter la
formule.
Presque ce que tout le monde Bantou, composé en grandes parties de
primitifs, contenait de sang oriental, devait être retrouvé dans les
castes.
Les castes d’artisans, représentants des plus anciennes civilisations,
étaient trop vieilles pour comprendre ce développement nouveau, prêtes
cependant à le propager par intérêt et par calcul.
Les castes de guerriers presque toutes d’origine
berbère virent avec hostilité cette force nouvelle qui pouvait entrer en
compétition avec la leur, et, encore aujourd’hui, affectent pour la
plupart de n’être pas musulmanes.
Au contraire les castes immigrées à une époque relativement plus récente
, magistrats, politiques de métier, prêtres de cultes divers,
descendants d’Himyarites, d’Hébreux, de Sémites, de toutes sortes
devinrent naturellement les instruments d’une propagande qu’elles étaient
d’ailleurs seules capables de mener à bien et qui devait servir leur
ambition. Elles formèrent ainsi les castes de Marabouts dont l’une, les
Torodo, devait par la suite jouer un rôle considérable.
Le Ghanata se trouva donc converti tout d’un coup
du moins dans ses cadres, sinon dans la grande masse des primitifs, Peulhs
et autres ; et cela se fit sans révolution, sans choc d’aucune
sorte. Le grand empire Onakoré était un terrain préparé d’avance
pour la culture de l’islamisme.. Cette religion était pour lui le développement
normal, une de ces phases tellement attendues et nécessaires que les
peuples voient une émanation de Dieu dans ceux qui les déterminent. Le
Ghanata put se convaincre que cette religion
était faite pour lui, à ce point qu’il n’eut pas l’idée de
la porter ailleurs.
Du reste, l’idéal religieux seul lui était parvenu. Il ne détermina
ici aucun mouvement de conquête, même aucun prosélytisme dans le sud
barbare. L’étude du coran, qui fut très approfondie dans cet empire si
bien préparé, eût peut-être pu lui faire découvrir l’idéal moral,
en faire le seul lieu de la terre où les masses eussent réellement
compris le prophète, mais l’isolement indispensable était impossible
à réaliser et l’heure du progrès s’annonçait à peine, que vers le
sud s’apprêtait à l’engloutir, la marée montante des peuples
barbares.
Vers 1230, nous dit Ahmet Baba, le Ghanata est conquis par les hordes
sauvages des Sousous. Ce sont les pillards qui forment l’avant garde de
l’invasion des Berbères du sud.
Dans la progression lente et inconsciente
qu’ils poursuivaient de l’est à l’ouest, à travers les siècles,
ils s’étaient heurtés à la barrière de montagnes que leur opposait
le Fouta-Djallon peuplé de primitifs. Une partie d’entre eux l’avait
contournée par le sud et par le nord ,et, maintenant l’ancienne
direction, étaient arrivés à la côte en deux groupes séparés, qui
devinrent les Sousous de Sierra-Léone, les Sosés de Casamance, Gambie et
du pays Cérère.
Mais la plus grande masse avait du obliquer vers le nord, et, utilisant
toutes les voies d’accès, tomber sur le Ghanata. On ne trouve plus
trace de leur passage le long du Niger, spectacle de tant de révolutions
ultérieures, mais, sur la Falémé, se trouvent encore des Sosés, et les
Sousokhos (nom de famille) sont nombreux parmi les Kassoukés et les
Bambaras d'aujourd'hui. Ils étaient, dit Ahmet Baba, parents des
Malinkés ; ceux-ci arrivaient en effet derrière ,
parfaitement organisés, hiérarchisés, et conduits par les Keïtas.
Alors survient un coup de théâtre que l’historien de Tombouctou
mentionne sans l’expliquer. Les chefs du Mali fondent leur empire sur
les débris du Ghanata, mais ils chassent les Sousous qui sont pourtant de
leur race.
Ces fétichistes du sud ont pris en main l’étendard de l’islam,
ramassé dans les ruines de l’empire Onakoré et vont faire du prosélytisme.
L’un d’eux se rendra même à La Mecque.
Que penser de tant de contradictions ? L’explication surgit
d’elle-même si on se reporte aux origines. Les aristocrates mandingues
et leurs chefs, dont nous avons analysé l’impulsion dans le premier
chapitre, se sont trouvés tout à coup en présence de la civilisation
Bantou. Ils ont vu la proie facile, mille fois plus précieuse que leurs
bandes disciplinées, propres seulement à la conquête destructrice,
toutes ces nouveautés si propres à devenir des instruments
d’oppression : l’organisation déjà ébauchée, le Mahométisme.
Eux aussi ont reconnu dans ce dernier quelque chose qui leur appartenait,
et dont le Ghanata n’avait eu que faire ; l’instinct touranien
qui préside aux conquêtes, et la forme nouvelle sous laquelle il se présente ;
le fanatisme irraisonné, le prosélytisme pour qui l’idéal religieux
n’est qu’un prétexte, qui ne veut au fond que dominer partout, dut-il
ne s’étendre qu’en élargissant le désert.
Aussi se contentent-ils d’accaparer cette succession si belle, et pour
la première fois, se manifeste dans l’histoire l’absence
extraordinaire de tout lien réel entre les chefs mandingues et les
peuples qu’ils entraînent ;
ils ne songent maintenant qu’à se débarrasser des masses gênantes qui
les ont amené jusque là.
Et l’on comprend dès lors pourquoi l’on cherche vainement sur le Sénégal
et surtout le Niger, les vestiges particuliers de l’empire de Mali. Il
est l’empire de Mali, mais non pas un empire Malinké. Il ne tient de
cette race que ses maîtres. C’est toujours le Ghanata, seulement avec
une autre étiquette, une orientation différente. Bien que ses anciens
chefs soient maintenant souverains du Nord, la race de Mali est toujours
soigneusement confinée par eux dans le Sud. L’on s’est hâté de
chasser les Sousou dès la première heure, les païens du Mossi, un
instant maîtres de Tombouctou, sont aussi repoussés. Tous ces gens du
sud sont des païens, des ignorants (" diohal " d’où
l’on fera " dioula ") et pendant qu’à Tombouctou l’on construit la mosquée de Djinguer Ber, que les
empereurs vont à la Mecque, on tente de convertir leurs anciennes bandes,
qui voient arriver chez elles ces familles de nouveaux missionnaires, les
Cissé, les Touré, Haïdra, Makasouba.
En 1352, Ibn Batouta visite Tombouctou et est pénétré d’admiration.
Il semble cependant que les empereurs de Mali n’aient su qu’accaparer
à leur profit et exploiter les richesses antérieurement accumulées,
sans en faire produire de nouvelles. En tout il ne purent durer, l’équilibre
économique était rompu entre le Sud et le Nord. Les deux cent ans de
domination des " Mansa " Malinkés ne furent que la
mise au pillage d’un entrepôt.
Pendant que dans l‘ancien empire d’Occident conquis par le Sud, les
Onakorés, menés avec une vigueur jusqu’alors inconnue, donnaient le
dernier effort dont ils devaient mourir, le Nord se préparait à prendre
sa revanche en agissant sur la branche orientale du Niger.
Le parallélisme de formation des deux empires dus à la race « Sub-Ethiopienne
ou Garamantique » de Duveyrier, Ghanata et Garama a déjà était étudié
à propos du premier d’entre eux. Il est sans doute inutile de revenir
ici sur leur formule ethnique et de faire encore le tableau de cette société
composée en grande partie de primitifs, mais animée par le « sang
bleu » des castes originaires d’Asie.
Les Garamantes durent, comme les Onakorés, reculer devant l’influence
du Nord.
La présence des Romains dans l’Aïr à certaine époque montre même ,
combien ils étaient exposés à l’action directe des peuples
septentrionaux, beaucoup plus que le Ghanata , qui grâce
au désert fut
toujours ignoré par les anciens. D’autres part, les Garamantes en s’établissant
sur le Niger, entraient en contact plus direct avec le Sud. Toutes
ces conditions influèrent sur la destinée et la physionomie particulière
du peuple que nous appelons Songhaï, Songhoï ou Songo.
Tout d’abord nous devons y reconnaître les anciens Garamantes, non
seulement parce qu’en raison des considérations ethnographiques, géographiques
et politiques énoncées dans le premier chapitre ci-dessus, il ne peut en
être autrement, mais aussi parce qu’ils nous l’affirment eux- mêmes
sans qu’il soit possible de s’y tromper.
Ainsi que nous l’apprend Raffenel, et que l’on peut encore facilement
le constater sur place, leur " diamou " collectif,
c’est à dire leur nom de peuple traditionnel est " Djiriman "
(Garama-Djirma) le seul qu’aient connu les anciens voyageurs, Caillé, Mungo
Park, Raffenel. Aucun d’eux ne nous parle des Songhaïs, ce n’est que
depuis la découverte par Barth du manuscrit d’Ahmet Baba que ce dernier
nom leur a été appliqué.
Pour
ce qui est de son origine, elle peut être expliquée de deux façons qui
sont peut-être toutes les deux vraies, car, dans les créations de
nouveaux noms propres, les rapprochements de deux formes analogues quoique
absolument étrangères, source de véritables jeux de mots, jouent
souvent un rôle considérable.
Songhaï peut venir de Sonhadja, comme il a déjà été expliqué, ou
bien se rattacher au nom de riverains primitifs du Niger qu’il faudrait
retrouver dans les Songos ou Sommos de la Volta, Samokhos, Samos, Somonos,
et qui auraient contribué à la formation des Songhaïs actuels. Le nom
propre pourrait donc assez vraisemblablement prétendre aux mêmes
origines que le peuple qu’il désigne.
L’architecture des Songhaïs est la même que celle de Djenné, dont
nous avons déjà parlé ; caractéristique par l’absence de voûtes,
et, comme les architectures de l’Asie mineure et de la Grèce, par
l’inclinaison des profils vers l’axe vertical intérieur.
Le culte ancien du poisson, si souvent invoqué pour justifier l’hypothèse
d’une origine purement Egyptienne est bien plus Chaldéen
qu’Egyptien.(représentations d’Anou, de Bel).
Quant aux traditions qui relatent des exodes partis de l’Yémen et de
l’Egypte, ou des descendances de Mahomet, nous savons
comment il faut les apprécier. Elles sont probablement toutes vraies, en
tout cas très vraisemblables, étant donné le mode de formation des
peuples Bantou, mais le fait même qu’elles se rencontrent dans tout le
Soudan chez les peuples les plus divers montrent bien qu’elles se
souviennent seulement de l’origine de certaines castes, certaines
familles, et qu’elles ne peuvent s’appliquer aux peuples eux-mêmes.
D’ailleurs le mirage auquel on se laisse prendre en voulant reconnaître
positivement un peuple ancien déplacé dans un moderne, est des plus
trompeurs. Un peuple n’est lui-même qu’en un seul lieu. Son esprit
seul peut se déplacer, porté par les énergies individuelles qui vont se
grouper sous de nouvelles formes, suivant l’action des forces qui résultent
du choc des éléments disparates.
Quoiqu’il en soit, l’origine principale des Songhaïs actuels n’est
pas douteuse, non plus que l’influence prédominante du Nord, à
laquelle les destinait leur situation géographique.
Vers 1430, l’empire de Mali décline sans raison apparente, simplement
victime de l’épuisement des ressources amassées qui l’on fait vivre
deux siècles.
La domination des souverains de Mali sur le grand marché Bantou s’est
montrée impuissante. Elle l’a doué d’une forte organisation, mais
elle n’a pas su le faire vivre. Pourtant s’il n’a pas été
complètement submergé par l’invasion brutale des peuples du
sud, c’est bien grâce aux Mansas Malinkés, qui voulant garder la proie
pour eux seuls s’attachèrent surtout à en écarter ceux qui la leur
avaient conquise.
Mais maintenant ils vont disparaître, n’ayant pas su ménager les équilibres
nécessaires, politique et économique, et, lorsque l’ancienne impulsion
acquise s’éteint, en même temps que s’épuise la réserve de
richesse, la réaction septentrionale, de sens opposé, se produit, aussi
puissante qu’inéluctable.
Il y a en effet une succession à prendre, et, après le sud qui s’est
ruiné lui-même, le nord va tenter l’entreprise. Lui aussi a des bandes
indisciplinées qui frappent le premier coup, et des chefs qui depuis
longtemps se préparent un instrument de conquête, organisent une armée :
le peuple Songhaï. Et alors, les événements se précipitent. Les Berbères
s’emparent de Tombouctou, où les remplace bientôt le roi Songhaï qui
parti de Gogo devait arriver à Djenné à la mort de Sonni Ali ; le
grand " empire intermédiaire " est crée ;
Garama et Ghanata se sont joints.
En dépit de la crise qu’il vient de subir, le vieux monde Bantou
n’a pas changé. Les lois qui dirigent sa destinée sont toujours les mêmes,
et paraissent être cette fois comprises par ceux qui sont appelés à y
présider.
Mohammed ben abou Békir Askia réalise l’équilibre politique. Il fait
des expéditions sur le Haut-Niger, dans l’intérieur de la boucle, vers
Agadès, et contient ainsi à la fois le nord et le sud. L’équilibre économique
en résulte immédiatement.
La fusion de ce qui reste des anciens empires, oriental et occidental a
diminué l’importance de leurs marchés particuliers. Djenné et Gogo ne
sont plus que des succursales de Tombouctou devenu le principal entrepôt,
le centre de tout, le résumé, l’expression visible de l’antique
raison d’être de cet empire qui depuis des siècles survit aux formes
variées que les fluctuations diverses lui imposent.
La richesse revient ; c’est une époque bénie pour les marchands,
et Ahmet Baba ne peut contenir l’expression de ses louanges.
Malheureusement, cet équilibre parfait sur lequel le grand Askia a su réédifier
l’ancienne prospérité des empires intermédiaires, ses successeurs
vont se montrer incapables de le maintenir. Ce n’est pas qu’il porte
en lui-même la source de sa faiblesse, comme l’œuvre des Mansa Malinkés,
mais il est instable comme tout ce qui est humain, et a besoin pour se
maintenir du génie humain appliqué à un travail incessant.
Or les successeurs de Mohammed Askia, en le forçant à abdiquer après un
règne de trente-six ans, ont détruit la force et la sûreté de sa dynastie. Leur instabilité dérivera à priori de la
sienne, et, absorbés par des luttes intestines ; ils seront
incapables de faire face aux éventualités imprévues, à l’entrée en
ligne d’un élément nouveau qui menace de détruire l’équilibre si
laborieusement et si complètement réalisé.
A propos de l’empire de Ghanata, nous avons exposé déjà la situation
favorable faite aux empires Bantou du côté du Nord-Ouest ;
l’action exercée sur les hordes Berbères par les conditions
climatiques ; le désert , ne permettant que l’échange des idées,
s’opposant au passage des forces brutales. Cependant cet obstacle
infranchissable va cesser de l’être, parce que rien n’est impossible
à une volonté raisonnée, et qu’il s’est crée aussi une empire là-bas
dans le Garb, habité par les descendants de ceux qui furent les
almoravides, créateurs de l’unique civilisation arabe en Espagne,
parents des créateurs inconnus de la civilisation Saharienne.
Le Maroc qui a vécu et s’est développé nourri par le Soudan, désire
lui aussi boire à la source même. Il envoie de véritables armées, non
plus des bandes sans disciplines ; ce qu’il désire
n’est pas tant le pillage que l’organisation préparée d’une
colonie. L’empire Songhaï est cette fois en présence d’un péril
inconnu ; il n’a plus comme pour ses luttes contre le sud païen,
un auxiliaire dans la religion ; le désert combat bien pour lui, est
même vainqueur une fois, mais finit par s’avouer impuissant. La première
armée Marocaine désorganisée par la traversée des sables échoue. La
seconde réussit, subjugue les Songhaïs et colonise. Et, pour la troisième fois,
encore, les mêmes causes produisent des effets analogues ; nous
avons déjà vu Mali repoussant
dans le sud les Malinkés, les empereurs Songhaïs refoulent les Berbères ;
nous voyons maintenant les colons marocains se rendre indépendants du
Maroc. Mais ici le résultat est déplorable, et la déchéance commence
tout de suite. Dans les deux exemples précédents, c’était la volonté
qui s’affranchissait de l’instrument, pensant en avoir trouvé un
meilleur. Mais cette fois, la volonté avait agi à distance, prétendant
faire une colonie, non un empire, et l’instrument, après avoir détruit
les volontés antérieures et s’être affranchi de celle qui l’animait
ne put qu’assister impuissant à l’invasion définitive des Barbares
dans cet antique monument de richesse tant de fois réédifié.
Le Nord et le Sud, Foulbés et Bambaras attaquent ensemble. Leurs lignes
d’invasion, orientées vers des directions opposées, se longent sans se
rencontrer, créant seulement une double muraille entre les tronçons désunis
de l’ancien empire que les mâchoires enfin refermées de la tenaille
Berbère viennent de couper en deux.
Les Foulbés, peuples primitifs associés au mouvement de retrait vers le
sud du Ghanata, avaient commencé depuis longtemps à fuir eux aussi le désert,
émigrant par petits groupes, portant pacifiquement ailleurs leurs mœurs
pastorales ; mais les plus lents à se retirer s’étaient mélangés
aux Berbères, et l’esprit de la race en avait été modifié au point
que c’était maintenant un peuple guerrier et fanatique, qui passait de
la rive gauche sur la rive droite du Niger, s’emparait du Massina, et
coupait Tombouctou de ses communications avec le sud, le laissant à la
merci des Touaregs.
Ces derniers n’auraient-ils pas existé que la ruine n’en aurait pas
été moins complète ; les peuples du nord installés dans la boucle
du Niger et la séparation politique et économique du centre et du sud
accomplie, c’en était assez pour que le désert put proclamer sa
victoire, pour que le pas formidable qu’il venait de faire en avant fut,
s’il ne survenait aucun changement avant deux siècles, définitif et
irrémédiable.
Pendant le même temps, d’énormes masses hétérogènes, composées en
grande partie de primitifs qu’on appelait Bamanaos ou Bambaras,
disciplinées et mises en mouvement par les Malinkés Kouloubalis,
descendaient le Niger. Les Bambaras durent, tant à cause de la présence
des Foulbés sur le fleuve que par suite de la révolte d’une partie
d’entre eux à Ségou, obliquer vers le Nord-Ouest et tenter de
descendre le Sénégal. Ils occupèrent le Bélédougou, le Kâarta, se
heurtèrent à l’ouest aux Soninkés, et, achevant d’user leur
impulsion contre le désert qui les bornait au nord, ils se fixèrent sur
place.
L’unité dans " l’empire intermédiaire " était
morte pour un temps. Aucun équilibre n‘existait plus que celui qui résulte
forcément de l’opposition inintelligente des éléments dissociés.
Cependant, parmi ceux-ci, certains groupements subsistaient, dont il est
intéressant d’étudier la formation et les tendances, parce que ce sont
eux que nous avons trouvé dans le pays, et que leur passé intéresse
directement notre avenir.
Nous avons vu que Tombouctou fut l’expression la plus parfaite
où put se manifester cet équilibre économique que l’empire
Songhaï entraîna dans sa chute.
Elle se trouva ainsi naturellement, seule dépositaire des traditions et
des souvenirs, seule capable de lutter encore pour revivre la vie
d’autrefois.
Mais les conditions étaient bien changées ; les Foulbés venus du
nord-ouest l’avaient coupée de ses communications avec le Sud ;
Tombouctou était captive du Sahel et la limite du désert devait être
reculée encore de trois cent kilomètres.
Un homme remarquable : El Bakay essaya bien de réédifier pour un
temps l’indépendance de la ville en réalisant un équilibre secondaire
et artificiel par l’opposition des Foulbés, maintenant maîtres du sud,
et des Touaregs du nord ; mais ce n’était plus le plan
d’autrefois ; le Sud véritable, la source de toute richesse était
hors d’atteinte, et la dernière trace d’un passé glorieux continua
à souffrir de cette maladie de langueur dont rien ne semblait plus désormais
pouvoir la guérir, lent acheminement vers la ruine définitive,
l’effacement intégral où s’endorment depuis des siècles , l’une
après l’autre, les antiques capitales du désert.
Djenné, unique vestige de l’antique Ghana devait à sa situation plus méridionale
de pouvoir vivre encore. Le mouvement de recul général ne la laissait
pas entièrement abandonnée , après avoir été la porte du Sud
dans le Ghanata, elle pouvait maintenant espérer rester la porte du Nord.
Bien loin, dans l’Ouest des deux villes, séparés d’elles par la
double muraille humaine des Barbares, les anciens éléments dissociés du
Ghanata, secondés par la politique clairvoyante de Faidherbe s’échelonnent
le long du Sénégal qu’ils s’efforcent avec notre appui de défendre
contre les incursions des nomades du nord. Les Soninkés s’absorbent
dans la contemplation de l’idéal entrevu, qui fait d’eux le seul
peuple réellement musulman dans le Soudan, tandis qu’à côté d’eux
les métis des Peulhs primitifs préparent l’avenir en lui créant une réserve
d’énergies nouvelles.
Nous avons parlé ailleurs déjà des Peulhs primitifs, la seule
collection d’individus qui, au Soudan, puisse être appelée une race,
de leur inaptitude à comprendre une existence autre que la leur, de leur
attachement aux mœurs pastorales. En fait l’histoire de ce peuple ;
quoique intimement liée à celle des Bantous, ne se confond jamais avec
elle. Il aurait été impossible de la faire entrer dans le plan général,
où elle ne commence à intervenir qu’avec l’irruption des Foulbés
dans le Massina. C’est une histoire " à côté ",
dont l’étude ne peut être qu’un appendice, jusqu’à ce qu’elle
devienne, avec l’étonnante expansion de l’aristocratie Torodo,
l’histoire même de l’Afrique Occidentale.
La première partie nous intéresse seule , en tant qu’évolution
d’une race et création de forces nouvelles.µ
Il est impossible de dire à quelle époque a pu commencer l’exode des
Peulhs fuyant le désert. Ont-ils été entraînés par les Onakorés dans
leur mouvement de recul ? Avaient-ils commencé avant eux ?
Cette dernière supposition est la plus probable. En tout cas leur exode
s’est effectué peu à peu pendant
une période de temps si considérable, que nous avons pu voir les
derniers d’entre eux arriver dans le Massina en conquérants n’ayant
plus de commun avec les premiers
que le langage.
Pendant une longue suite de siècles, il y eut donc des Peulhs dans le
sud, le centre et le nord, soumis aux influences les plus diverses.
Les premiers émigrants ouvrirent sans doute au Ghanata ses deux voies
principales de pénétration vers le sud. Les uns allèrent dans le
Fouta-Djallon où les conditions climatiques exceptionnelles leur
permirent de prospérer .Les montagnes, en outre, les protégèrent
suffisamment, pour qu’ils puissent en maint endroit conserver leur race
à peu près pure. Ils constituèrent ainsi un terrain tout préparé pour
les quelques Foulbés et Torodos émigrés du Massina, " Peulhs
nouveaux " dirait Bello, qui vinrent établir un pouvoir théocratique,
amenant avec eux leurs instincts guerriers, leur fanatisme religieux et
aussi toute la litanie des traditions Bantou, Berbères et Arabes , l’Yémen,
l’Egypte, les Sehabat ,
voire Mahomet. D’autres s’enfoncèrent dans la boucle du Niger ;
quelques uns devaient aller jusque
dans le Haoussa et le Sokoto, d’autres se fondirent dans les populations
noires, aborigènes et Mandingues contribuant à la formation des futurs
Bambaras et Onassouloukés. Ici l’absorption fut si complète qu’ils
perdirent jusqu’à leur langue particulière d’ordinaire si vivace.
Cependant leurs noms de famille ne firent que se modifier et eux mêmes
nous affirment la synonymie de : Dial ou Kan et Diallo, Diara ;
Ba et Diakité ;
Sô et Sidibé ;
Bari et Sankaré.
Dans les centres, sur les bords du Sénégal, les Hassoukés nous montrent
les produits du croisement de Peulhs venus du Nord à une époque récente
et des restes de l’invasion des Sousou. Le " diannou "
Sousokho est en effet très fréquent chez eux et leur langue se rapproche
beaucoup du pur dialecte mandingue que parlent les Sosés du sud.
Non loin d’eux et venus bien avant eux sur les bords du fleuve, se sont
groupés et transformés ceux que nous appelons les " Toucouleurs ".
Rassemblés en un corps de nation par des castes Bantou
qui conservent encore aujourd’hui certains privilèges, ils ont subi
l’invasion Mandingue et se sont transformés par de nombreux métissages
sous la domination de représentants de Mali qu’ils appelaient les Déniankés,
puis, affranchis de nouveau par la caste des Torodos, imbus de son esprit
et de son fanatisme, absorbés par elle, ils ont pu fournir des
aristocraties à tous les peuples, donner naissance à la race des grands
conquérants : Othman, Dan Fodié qui rétablit l’empire d’orient
dans le Sokoto, El Hadj Omar qui rêve de renverser la double barrière
des Barbares et de réaliser
une fois de plus l’unité du grand " Empire intermédiaire ".
Mais ce dernier effort était inutile car les Français s’avançaient déjà
vers le Niger, renversant indistinctement tout ce qui gênait leur marche,
conscients et sûrs de leur mission, décidés à la conquête intégrale
de ces pays bouleversés, seuls capables de rétablir ensuite leur prospérité
disparue en réédifiant dans un tout harmonieux, l’ancien équilibre déterminé
par les lois immuables.
Approuvé :
Kayes ; le 30 avril 1897
Le Colonel Commandant Supérieur des Troupes
Lieutenant Gouverneur du Soudan Français,
Signé : de
Trentinian.
Ta-ganet. Le préfixe Ta n’a en Berbère que l’importance qu’aurait
ailleurs une désinence féminine. La racine est Ganet, Ghanata qui se
retrouve encore dans Tadza-cantes nom d’une tribu importante de maures
zenaga
Vivien de Saint Martin, Le nord de l’Afrique, p.173 et sqq .
Curtins. La plupart des mots qui nous restent des langues anciennes de
l’Asie Mineure se ramènent à la souche arienne. Les mythes et la
religion des peuples sont apparentés de plus près aux mythes de la Grèce
qu’aux religions sémitiques.
Le cimetière du quartier Phénicien à Memphis a fourni un certain nombre
de stèles araméennes d’époque persanne. (Brugsch)
L’on peut constater dans les inscriptions rupestres du Sahara la présence
fréquente de la Swastika, l’emblème
mystique (dessin de la croix gammée) qui a toujours été considéré
comme la marque la plus sûre de l’influence arienne, dont il détermine
en quelque sorte la zone d’extension. De plus, l’alphabet Touareg, le
même que celui des inscriptions rupestres, ressemble beaucoup aux
premiers alphabets ariens dérivés du phénicien, l’alphabet
archaïque de Théra, les alphabets étrusques.
Marin de Tyr, Ptolémée, Duveyrier.
Niani, Gambie, Casamance, où il n’y a d’ailleurs pas de Ouolofs.
Les Soninkés appellent les Maures et Peulhs, non pas " Saré-Khollé "
hommes blancs mais " Saré-Dombé " hommes rouges. On
pourrait en induire que s’ils ont jamais existé, les hommes blancs dont
le nom seul subsiste, étaient visiblement d’une autre race que les
Peuhls, les Berbères et les Sémites.
Ou Ba-Ghena. Toujours la même racine (Ghana)
Crozat, chez les Bobos.
Léon l’Africain
Les Bakiris (Soninkés) peut-être aussi les véritables " Sarakhollés "
du sud. Ceux-ci, du moins certains d’entre eux, sont les seuls noirs
vraiment matérialistes que l’on puisse rencontrer. Ils exposent
d’ailleurs très judicieusement leurs convictions négatives. Ce caractère
est peut-être le plus important qui permette de croire à la présence
ancienne d’un élément arien au Soudan, car le matérialisme pur est
exclusivement arien et les spéculations métaphysiques les plus élevées
des Brahmes ont elles-mêmes pour base un matérialisme.
Ref.
Amhet
Baba.
Voir 1er chap. Les origines.
Ibid.
Raffenel et 1er Chap. Les origines.
Ref. Ahmet Baba.
Ref. Note de la page 22 , 1er
Chap.
Ibid.
Parmi les Sehabat, celui dont on préfère ordinairement descendre, est
naturellement Okba ibn Nafa el Fahri, le grand conquérant de l’Afrique
du Nord, dont le nom revient fréquemment dans les traditions, le plus
souvent incomplet et presque méconnaissable.
Raffenel, Légende des six castes.