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"
La vérité est en marche ".
La Cour de
cassation décide la révision
de l'arrêt du Conseil de Guerre du 22
décembre 1894,
3 juin 1899.
par Marc Nadaux
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Le 16 novembre 1898, Alfred Dreyfus apprend à l'île
du Diable que la révision de son procès est imminente. Après cinq années
d’exil, il est de retour en France à bord du Sfax, le 30 juin 1899. En
France, le mouvement de protestation en faveur de la révision du procès
d’Alfred Dreyfus prend de l’ampleur et accule les conjurés de la
Section de Statistiques et de l’État-Major. Le suicide du lieutenant
colonel Henry, le 31 août 1898, dans sa cellule du mont Valérien,
accable à présent les conjurés du service de renseignement et de l'Etat-major.
Le 3 juin 1899, la Cour de Cassation annule la sentence du 22 décembre
1894 : le capitaine Dreyfus est renvoyé devant le Conseil de guerre.
Un deuxième procès s'ouvre pour lui à Rennes, une ville choisit en
raison de sa tranquillité, le 7 août 1899. C’est un homme très diminué
physiquement et moralement qui apparaît alors à la barre. Condamné de
nouveau le 9 septembre suivant, mais avec des " circonstances atténuantes
", un verdict absurde, Alfred Dreyfus se pourvoit en révision.
La Cour,
Oui M. le président Ballot-Beaupré dans son rapport, M. le
procureur général Manau dans ses réquisitions, et Me Mornard, avocat de
Mme Dreyfus, es qualité intervenant en ses conclusions ;
Vu l'article 445 modifié par la loi du Ier mars 1899 ;
Vu l'arrêt du 29 octobre 1898 par lequel la Chambre
criminelle a ordonné une enquête et à déclaré recevable en la forme
la demande tendant à la révision proposée du procès d'Alfred Dreyfus,
condamné le 22 décembre 1894 à la peine de la déportation dans une enceinte
fortifiée et à la dégradation militaire pour crime de haute trahison ;
Vu les procès-verbaux de ladite enquête, lesquels sont
joints au dossier.
Sur le moyen tiré de ce que la pièce secrète, cette
canaille de D. ..." aurait été communiquée au Conseil de guerre :
Attendu que cette communication est prouvée à la fois par
la déposition du Président Casimir-Perier et par celles celles des
généraux Mercier et de Boisdeffre eux-mêmes ;
Que, d'une part, le Président Casimir-Perier a déclaré
tenir du général Mercier qu'on avait mis sous les yeux du Conseil de
guerre la pièce contenant les mots : " Cette canaille de D.
..." regardés alors comme désignant Dreyfus ;
Que, d'autre part, les généraux Mercier et Boisdeffre, invités
à dire s'ils savaient que la communication avait eu lieu, ont refusé de
répondre et qu'ils l'ont ainsi reconnu implicitement ;
Attendu que, par la révélation, postérieurement au
jugement, de la communication au juge d'un document qui a pu produire sur
leurs esprits une impression décisive et qui est aujourd'hui considéré
comme inapplicable au condamné, constitue un fait nouveau de nature
à établir l'innocence de celui-ci.
Sur le moyen concernant le bordereau :
Attendu que le crime reproché à Dreyfus consistait dans le
fait d'avoir livré çà une puissance étrangère, ou à ses agents, des documents
intéressants la défense nationale, confidentiels ou secrets, dont
l'envoi avait été accompagné d'une lettre missive, ou bordereau, non
datée, non signée et écrite sur un papier pelure filigrané au canevas
après fabrication de rayures au quadrillage de quatre millimètres en
chaque sens ;
Attendu que cette lettre, base de l'accusation dirigée
contre lui, avait été successivement soumise à cinq experts chargés de
comparés l'écriture avec la sienne, et que trois d'entre eux, Charavay,
Tessonnière et Bertillon, la lui avait attribué.
Que l'on avait d'ailleurs ni découverte en sa possession, ni
trouvé qu'il eut employé aucun papier de cette espèce et que les
recherches faites pour en trouver du pareil chez un certain nombre de
marchands en détail avait été infructueuse ;
Cependant, qu'un échantillon semblable, bien que de format
différent avait été fourni par la maison Marion, marchand en gros,
cité Bergère, où l'on avait déclaré que le modèle n'était plus courant
dans le commerce ;
Attendu qu'en novembre 1898, l'enquête a révélé
l'existence et amené la saisie de deux lettres sur papier pelure
quadrillé, dont l'authenticité n'est pas douteuse, datées l'une du 17
avril 1892, l'autre du 17 août 1894, celles-ci contemporaines de l'envoi
du bordereau, toutes deux émanant d'un autre officier qui, en décembre
1897, avait expressément nié s'être servie de papier calque ;
Attendu, d'une part, que trois experts commis par la Chambre
criminelle, les professeurs de l'École des Chartes, Meyer, Giry, Molinier,
ont été d'accord pour affirmer que le bordereau été écrit de la même
main que les deux lettres sus visées et qu'à leurs conclusions Charavay
s'est rattaché, après examen de cette écriture qu'en 1894 il ne
connaissait pas ;
Attendu, d'autre part, que trois experts également commis,
Putois, Choquet, Président honoraire de la Chambre syndicale du papier et
des industries qui le transforme, et Marion, marchand en gros, ont
constaté que, comme mesure extérieure et mesures de quadrillages, comme
nuance, épaisseur, transparence, poids et collage, comme matières
premières employées à la fabrication, le papier du bordereau présenté
les caractères de la plus grande similitude avec celui notamment de la
lettre du 18 août 1894 ;
Attendu que ces faits, inconnus du Conseil de Guerre qui a
prononcé la condamnation, tendent à démonter que le bordereau n'aurait
pas été écrit par Dreyfus ;
Qu'ils sont de nature, par suite, à établir l'innocence du condamné ;
Qu'ils rentrent dès lors dans les cas prévus par le paragraphe 4 de
l'art. 443, et qu'on ne peut les écarter en invoquant des faits
également postérieurs au jugement, comme les propos tenus le 5 janvier
1895 par Dreyfus devant le capitaine Lebrun-Renaud ;
On ne saurait, en effet, voir dans ces propos un aveu de
culpabilité, puisque, non seulement ils débutent par une protestation
d'innocence, mais qu'il n'est pas possible d'en fixer le texte exact et
complet par suite des différences existantes entre les déclarations
successives du capitaine Lebrun-Renaud et celles des autres témoins ; -
il n'y a pas lieu de s'arrêter davantage à la déposition de Depert,
contredite par celle du directeur du Dépôt qui, le 5 janvier 1895,
était près de lui ;
Et attendu que, par application de l'art. 445, il doit être
procédé à de nouveaux débats oraux ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les
autres moyens,
Casse et annule le jugement de condamnation rendu le 22
décembre 1894 contre Alfred Dreyfus par le Ier Conseil de guerre du
gouvernement militaire de Paris, et renvoi l'accusé devant le Conseil de
Rennes, à ce désigner par délibération spéciale prise en Chambre du Conseil
pour être jugé sur la question suivante :
" Dreyfus est-il coupable d'avoir, en 1894,
provoqué des machinations ou entretenu des intelligences avec une puissance
étrangère ou un de ses agents, pour l'engager à commettre des
hostilités ou entreprendre la guerre contre la France ou pour lui en
procurer les moyens, en lui livrant les notes et documents renfermés dans
le bordereau " ;
Dit que le présent arrêt sera imprimé et transcrit sur des
registres du premier Conseil de guerre du gouvernement militaire de Paris,
en marge de la décision annulée.
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