Alors que le parti dreyfusard semble définitivement
vaincu, le nouveau ministre de la Défense du cabinet Brisson, Godefroy
Cavaignac, demande communication du dossier secret, le 28 juin 1898, afin
de prendre connaissance des pièces citées lors du procès Zola. Le 13 août
suivant, le capitaine Cuignet, attaché à son cabinet, découvre la
falsification du " faux Henry ", ce qui confirme les
déclarations du lieutenant-colonel Picquart dans la presse. Cette pièce
a en effet été fabriquée au mois d'octobre 1896 par le
lieutenant-colonel Henry, devenu par la suite chef du service de
renseignements, afin d'accabler Dreyfus. Le 30 août, celui-ci avoue au
ministre de la Guerre sa culpabilité et est emprisonné le jour même au
mont Valérien.
Henry se suicide le lendemain et est présenté comme un héros par
Charles Maurras. Au mois de décembre 1898, La Libre Parole d'Édouard
Drumont publie la première liste d'une souscription ouverte afin de
permettre à sa veuve de poursuivre en justice le journaliste Joseph
Reinach pour diffamation. En moins d'un mois, 25.000 souscriptions
apportent 131.000 francs ! Cependant, la disparition de ce
personnage clé de l'Affaire pour l'accusation et le parti antidreyfusard
relance le débat sur la culpabilité du capitaine Dreyfus. Le 29 octobre
de la même année, la chambre criminelle de la Cour de Cassation déclare
recevable l'examen de la demande de révision du procès Dreyfus. "
La vérité est en marche..."
L'AFFAIRE HENRY
LE SUICIDE DU COLONEL
HENRY
Le drame commencé avant-hier par les aveux et
l'arrestation du colonel Henry s'est terminée dans la soirée par le
suicide de cet officier.
Le colonel Henry s'est tué dans sa cellule du Mont-Valérien.
L'Agence Havas, qui nous apprend chaque nuit un nouveau coup de théâtre,
nous en a apporté cette nuit, à minuit 45, la nouvelle dans les termes
suivant :
On annonce
en dernière heure que le lieutenant-colonel Henry s'est suicidé, ce
soir, au Mont-Valérien.
Il s'est coupé la gorge.
L'Agence nationale ajoute ce détail :
On annonce
en dernière heure que le lieutenant-colonel Henry s'est donné la mort en
se coupant la gorge avec un rasoir qu'il avait apporté dabs sa valise.
Le ministère de la guerre en a été aussitôt informé par le commandant
d'armes.
C'est à neuf heures du soir que le suicide a été
connu dans la prison du Mont-Valérien. On croit qu'il s'était produit
vers cinq heures de l'après-midi.
DÉMISSION DU GÉNÉRAL DE BOISDEFFRE
Dans l'après-midi, M. le général de Boisdeffre a
écrit au ministre de la guerre la lettre suivante :
Paris, 31 août
Monsieur le
ministre,
Je viens
d'acquérir la preuve que ma confiance dans le lieutenant-colonel Henry,
chef du service de renseignements, n'était pas justifiée. Cette confiance,
qui était absolue, m'a amené à être trompé et à déclarer vraie une
pièce qui ne l'était pas, et à vous la présenter comme telle.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, j'ai l'honneur de vous demander
de bien vouloir bien me relever de mes fonctions.
Boisdeffre.
Le ministre a répondu :
Paris, 31 août
Mon cher
général,
Il me
parait nécessaire que vous présidiez vous-même à la répression des
actes qui ont entraîné l'erreur commise par vous dans votre loyauté.
C'est seulement ensuite, si vous persistez dans vos intentions, que je
pourrai résoudre la question que vous me soumettez.
Agréez, je vous prie, l'assurance de mes sentiments affectueux.
Cavaignac.
" Le général de Boisdeffre, ajoute l'Agence
Havas, qui nous communique ces documents, a exprimé au ministre sa
reconnaissance pour le témoignage rendu à sa loyauté et lui a demandé
en l'assurant de son plus respectueux dévouement, la permission de
persister dans sa demande."
Le pays tout entier regrettera la détermination que ce vaillant général
a cru devoir prendre, et qui aura le plus douloureux retentissement.
Le général de Boisdeffre sera remplacé par le général Renouard.