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Thomas Appoline
dit,

Ismaÿl URBAIN 

(Cayenne, Guyane, 31 décembre 1812 -
Alger, Algérie, 27 janvier 1884)


Français.

Homme politique.



par
Karine Siméon


 

     Quelques dates :

1832, admis dans la maison de Ménilmontant où vit la communauté des Saint-simoniens.
1833, en Syrie, choisit de se convertir à l’Islam.
         prend le nom d’Ismaÿl Urbain.
1837, nommé interprète auprès de l’armée d’Afrique.
1839, Lettres sur la race noire et la race blanche.

1843, auprès du duc d’Aumale, participe à la prise de la Smala d’Abd el-Kader.
1845, rejoint le premier bureau de la Direction des affaires d’Algérie.
1858, au Bureau des affaires militaires et maritimes du ministère de l’Algérie et des colonies.
1861, sous le pseudonyme de Georges Voisin, L’Algérie aux Algériens.
1862, L’Algérie française. Indigènes et immigrants.


 






Thomas Appoline, plus connu sous le nom d’Ismaÿl Urbain, naît à Cayenne le 31 décembre 1812. Il est le huitième enfant d’une famille guyanaise, lui-même pouvant être considéré comme un quarteron. Sa mère, Appolline, est la fille d’une mulâtresse affranchie et son père, Urbain Brue, un négociant. Originaire de la Ciotat, ce dernier s’y était déjà marié, aussi ne reconnut-il pas son fils Thomas. De naissance illégitime, l’enfant est tour à tour appelé Urbain ou Thomas, les deux prénoms lui servant de patronyme aux yeux de l’administration. Urbain Brue, veillant à ce que cette paternité soit ignorée de sa famille légitime, ira même jusqu’à falsifier les actes d’états civils, faisant ainsi de ses enfants, ceux d’un certain Urbain, charpentier de profession…

Il se soucie néanmoins de l’éducation de son fils qui l’accompagne à Marseille. Dans la cité phocéenne, celui-ci y effectue ses études secondaires. A l’âge de dix-huit ans, ayant achevé sa rhétorique au lycée de la ville, Thomas Urbain part tenter sa chance à Cayenne, sur la demande de son père. Le patrimoine familial ne lui permettant pas d’espérer un avenir brillant, le jeune homme s’en retourne bientôt vers la métropole. De retour à Marseille en juillet 1831, le nouveau Code maritime lui impose cependant un long séjour au lazaret. Cette quarantaine s’avérera cependant être décisive pour la suite de son existence. En effet, c’est là que, grâce à un ami, il s’initie aux écrits saints-simoniens et s’éloigne de ses amis républicains.



Le 20 avril 1832, Urbain lit dans le Globe l’appel du père Enfantin, convoquant à Paris " tous les hommes et toutes les femmes qui nous aiment et qui mettent en nous leur espoir ". Il se décide alors à partir et arrive à Paris, accompagné de son ami Casimir Cayol, le 15 juillet 1832. Admis dans la maison de Ménilmontant où vit à cette époque la communauté saint-simonienne, il y trouve une famille d’adoption. Gustave d’Eichthal, un riche banquier d’origine israélite, ethnologue et philosophe, est le premier à le remarquer. Si différents soient-ils, ils connaissent tous deux l’opprobre et l’injustice, d’Eichthal utilisant même, à leur sujet, la formule " le Juif et le nègre, les deux proscrits ". [1]

Au mois d’avril 1833, Urbain, à la demande d’Emile Barrault, porte-parole d’Enfantin et fondateur des " Compagnons de la femme ", suit le Groupe des Douze à Istanbul, puis Alexandrie afin de trouver la Femme-Messie, prophétisée par Enfantin et sensée assurer la réconciliation de l’Orient et de l’Occident. Rapidement déçus, beaucoup d’entre eux, rentrent en France. Urbain, lui, demeure en Egypte avec Prosper Enfantin qui forme le projet de persuader le pacha Méhémet Ali d’entreprendre le percement de l’isthme de Suez.

Sur ses instructions, Urbain part à Damiette pour y enseigner le français dans une école militaire. Il s’éprend alors d’une égyptienne qui décède rapidement. Celle-ci est en effet atteinte de la peste, une épidémie qui sévit alors au Moyen-Orient. Abandonné par Enfantin qui était parti vers la Haute-Egypte et accablé de malheurs, Urbain choisit de se convertir à l’Islam et s’en expliquera à deux reprises : en 1839 dans les Lettres sur la race noire et la race blanche, puis dans un article que publie en juillet 1852 La Revue de Paris. Ainsi il avoue : « j’ai obéi à une impulsion provenant de mon origine qui me rattache à la race noire », proposant également à la lecture des Français quelques pages audacieuses, voire idéalistes, sur l’union des races. A cette époque, fraîchement converti, il prend le nom d’Ismaÿl Urbain.



De retour à Paris en mai 1836, Urbain retrouve d’Eichthal et écoute avec enchantement ses idées sur la réconciliation de l’Orient et de l’Occident, une réconciliation que devra permettre la conquête de l’Algérie. Cependant, Ismaÿl Urbain rêve alors d’une carrière parisienne, tandis que d’Eichthal lui conseille un emploi militaire en Algérie. Urbain collabore quelques temps avec quelques titres de la presse parisienne puis, grâce à l’appui de l’ancien saint-simonien Michel Chevalier, il est nommé au mois de mars 1837 interprète auprès de l’armée d’Afrique. Ismaÿl Urbain se met ainsi au service de la Monarchie du Juillet et du général Bugeaud qui commande les troupes stationnées à Oran.

L’année 1838 voit se développer en France le débat sur l’abolition de l’esclavage. D’Eichthal, alors très occupé par ses recherches concernant la " race noire ", décide d’exposer ses idées à Urbain à travers toute une correspondance, nourrie et suivie, un ensemble de lettres qu’il publiera par la suite en 1839 sous le titre de Lettres sur la race noire et la race blanche. Dans ces lignes, D’Eichthal fixe la vocation de son ami : il sera le représentant de la race métisse, la race nouvelle qui doit régénérer le monde et réconcilier les hommes, en libérant les Noirs et les femmes, une " vocation " qu’Urbain n’accepta qu’en partie et essentiellement pour ne pas blesser son ami. Il se voulait bien plus " Français musulman " que " Noir musulman ".



En septembre 1839, Ismaÿl Urbain prend ses fonctions auprès du prince d’Orléans. A ses cotés, il participe au mois de novembre à l’expédition des Portes de fer. L’interprète repart peu après à Constantine, où il est nommé interprète à la Commission scientifique. L’année suivante, Urbain rencontre Djeyhmouma Bent Messaoud Ez Zebeiri et l’épouse le 28 mars 1840. Le couple aura une fille, Beïa, née en 1843.

De retour en France en 1841, Urbain est chargé de rédiger un rapport devant servir de base à l’organisation de la province de Constantine. Il occuppe également des fonctions d’interprète remplaçant, étant l’espace de quelques mois attaché au Ministère de la Guerre. Toujours très proche de d’Eichthal qui voulait lui faire mener une action en faveur des Noirs, Ismaÿl Urbain choisit de poursuivre sa carrière militaire, celle-ci lui permettant de jouer un rôle politique en Algérie. De retour dans ce pays en 1842 et en attente d’une affectation, il y développe ses idées et prend nettement partie en faveur d’un système d’administration dirigé par des militaires français n’appliquant que les lois respectant les usages de l’Algérie.

Affecté auprès du duc d’Aumale en 1843, il participe, le 16 mai 1843, à la prise de la Smala d’Abd el-Kader, l’émir commandant la guérilla anti-française. De retour à Paris, le duc d’Aumale présente Urbain à Louis-Philippe, son père. Tous deux sont de retour en Algérie où le duc d’Aumale doit à présent administrer la province de Constantine. Proche du prince qui lui remet les insignes de chevalier de la Légion d’honneur en 1844, Urbain cherche alors à faire appliquer ses idées sur l’Algérie.



Après le départ du duc d’Aumale, Ismaÿl Urbain s’emploie à préserver son héritage et oeuvre en faveur d’une Algérie dirigée par des militaires français qui seraient proches des Arabes par la langue, et même par la conversion à l’Islam, étape indispensable pour faire accepter de nouvelles règles de sociétés sans bouleversements inutiles. 

Se trouvant rapidement en désaccord avec les généraux, principaux acteurs de la colonisation en cours de l’Algérie, Urbain rentre en France en 1845. Il rejoint alors le premier bureau de la Direction des affaires d’Algérie, chargé notamment de l’organisation du gouvernement et de l’administration civile. Ismaÿl Urbain se voit lui attribué les taches qui se rapportent aux affaires arabes et aux interprètes militaires. Tout en se tenant informé de l’évolution de la situation en Algérie, il se voit également confier quelques missions d’importance et notamment l’accueil de l’ambassadeur du Maroc. La France ambitionnait à cette époque en effet détacher l’empereur de la cause d’Abd el-Kader. 

De retour à Alger en 1846, toujours auprès du duc d’Aumale, Urbain prend une nouvelle fois part à des expéditions militaires. Rapidement attaqué parce qu’il propose la création d’une université musulmane et, alors que le duc d’Aumale est rappelé en France, Urbain choisi à son tour de repartir pour Paris où il est nommé à la Direction de l’Algérie en qualité d’interprète principal. Oeuvrant toujours pour l’application de ses idées sur l’Algérie, ayant consolidé son assise sociale, Urbain accueille d’autant plus mal la révolution de 1848 qu’elle l’empêche de retourner en au delà de la Méditérranée, de mettre en œuvre la politique arabe qu’il a élaborée. 

Malgré tout, Urbain devait rester l’inspirateur de la politique indigène de la France, tandis que sa notoriété et sa connaissance de l’Algérie devaient lui permettre de diffuser ses idées auprès des plus hautes sphères politiques. Il est ainsi envoyé plusieurs fois en mission auprès d’Abd el-Kader, avec lequel il développe des relations cordiales. En outre, il afferme sa notoriété en rédigeant divers articles pour des journaux tels La Revue de Paris ou La Revue de l’Orient et de l’Algérie



Affecté en 1858 au Bureau des affaires militaires et maritimes du ministère de l’Algérie et des colonies, Ismaÿl Urbain voit avec joie le souverain Napoléon III s’intéresser à l’Algérie après son premier voyage en 1860. En accord avec les préoccupations de l’Empereur pour les indigènes, Urbain fait publier en 1861, sous le pseudonyme de Georges Voisin, sa brochure intitulée L’Algérie aux Algériens. Véritable plaidoyer en faveur d’une association entre les Musulmans d’Algérie et les Français, Urbain y démontre la nécessité et les conditions de cette association. Il publie ensuite, en 1862, L’Algérie française. Indigènes et immigrants, sans nom d’auteur.

Enthousiasmé par ces idées, Napoléon III les reprend dans la lettre sur le « royaume arabe » – lettre qui sera publiée - et qu’il adresse au Maréchal Pélissier. Elle condamne ainsi le cantonnement, affirme la nécessité de prendre des mesures pour rassurer les intérêts des indigènes et insiste sur l’indispensable collaboration des Indigènes et des colons pour assurer la prospérité de l’Algérie. Urbain voit également ses efforts récompenser par le vote du sénatus-consulte du 23 avril 1863 qui reconnaît aux tribus " la propriété des territoires dont elles ont la jouissance permanente et traditionnelle ". La presse et le parti " arabophobe " en profitent quant à eux pour reprendre leurs attaques à son encontre.

En 1865, l’empereur fait d’Ismaÿl Urbain son interprète lors de son second voyage en Algérie. Pendant les cinq semaines que dure ce séjour, il est auprès de Napoléon III et reçoit même la rosette de la Légion d’honneur. A son retour à Paris, l’empereur des Français le charge d’annoter la lettre sur la politique française en Algérie qu’il destine au maréchal Mac-Mahon. Dans les années qui suivent, Urbain se heurte cependant à l’hostilité du nouveau gouverneur de la colonie. Ce dernier le tiendra constamment à l’écart des affaires.



Après la chute du Second Empire, Urbain se voit encore reprocher son arabophilie et son bonapartisme. Menacé d’arrestations par les acteurs de la commune d’Alger en 1870, il quitte précipitamment l’Algérie et s’établit à Marseille. Il ne cesse, pourtant, de s’intéresser à l’Algérie et défend encore ses idées par la correspondance, des rapports et des articles dans La Liberté et Le journal des Débats. De retour à Alger en 1882, il y décède le 27 janvier 1884. 

Le gouverneur général Tirman lui-même se chargea de l’organisation de ses obsèques. A cette occasion, les différents chefs de service de l’administration française, ainsi que les soldats du 50ème régiment de ligne lui rendirent hommage. La presse, quant à elle, demeura partagée au sujet de l’œuvre, des opinions et de la mémoire d’Urbain, le converti.

A l’hommage des uns, s’opposait l’opprobre des autres, comme La République Française, qui stigmatisa une dernière fois le bonapartisme, le renégat, le flétrisseur de la colonisation. Urbain avait donc passé sa vie à défendre le principe d’association, principe qui découlait d’une foi dans l’égalité des hommes et dans le progrès et qui exprimait la nécessité absolue d’un respect des différences entre les peuples mis en contact par la conquête coloniale.






[1]. Lettre de d’Eichthal à Enfantin, 8 novembre 1832, ARSMS 13741/2.