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Léon TOLSTOÏ
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Léon TOLSTOÏ
(Iasnaïa Poliana, 28
août 1828 -
Astapovo, 7 novembre 1910)
Russe.
Ecrivain.
par Marc Nadaux
Quelques dates :
1852, Detstvo (Enfance).
1854, promu sous-lieutenant, est affecté à l’armée de
Crimée.
1855,
fait paraître un recueil de
nouvelles intitulé Récits de Sébastopol.
1863, Kazaki (Les Cosaques).
1865-1868, Vojna i mir (Guerre et Paix).
1875-1877, Anna Karénine.
1882, placé sous la surveillance de la police du Tzar
Alexandre III.
1886, Smet’ Ivana ll’ica (La Mort d'Ivan Ilitch).
1891, Le Royaume de Dieu est en nous.
1899, Voskresenie (Résurrection).
1901, excommunié par le Saint-Synode russe.
1908, Je ne puis me taire !, dénonce la répression
organisée par Nicolas II, à la suite de la révolution
d’octobre.
1910, la petite gare d’Astapovo devient le centre du monde.
1913, vingt-deux de ses manuscrits sont détruits sur ordre
de Nicolas II.
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Léon
Nikolaïevitch Tolstoï naît le 28 août 1828, à Iasnaïa Poliana, la
propriété familiale située dans le gouvernorat de Toula, à une centaine
de km de Moscou. Sa mère, née princesse Volkonsaia, décède deux années
plus tard, puis son père, le comte Nicolas Illitch, en 1837. L’enfant est
alors confié à ses tantes, sœurs de ce dernier, qui se chargent de sa
première éducation. En 1841, il s’installe d’ailleurs chez l’une d’entre
elles à proximité de Kazan. Dès l’âge de seize ans, l’adolescent
entre à l’université de la ville, à la Faculté des Langues orientales,
qu’il quitte en 1845 pour celle de Droit. Il lit alors Voltaire et surtout
Rousseau, qui exerce sur lui une profonde influence. L’étudiant portera
longtemps sur sa poitrine une médaille à l’effigie du philosophe
français. Dès l'âge de dix-neuf ans, Léon Tolstoï commence la
rédaction d’un journal où il critique et analyse son existence au
quotidien. Au mois d’avril 1847, il abandonne l'université et s’installe
à Iasnaïa Poliana. Après le partage de la succession familiale avec sa sœur
et ses trois frères, le domaine lui revient en effet en héritage. Le comte
Tolstoï s’attache alors à mettre en valeur ses propriétés, avec le
dessein d'être utile à ses moujiks. En 1848, il effectue un court séjour
dans la capitale. A Saint-Pétersbourg, le jeune homme fait le délice des
salons de l’aristocratie, par le charme de son verbe et de sa beauté.
Tolstoï dépense également une fortune au jeu.
Au mois d’avril 1851, après quatre années passées sans certitude, il
gagne le Caucase et rejoint dans le Terek insoumis son frère Nicolas,
officier dans les armées du Tzar. A la fin du règne de Nicolas Ier, c’est
dans cette région que la Russie fait porter son effort colonisateur.
L'annexion récente du Daguestan et de la Tchétchénie à l'Empire russe
est en effet une source permanente de conflits avec la population locale, ce
qui nécessite la présence d’une force armée. D’abord en tant que
volontaire civil, puis comme élève officier, Tolstoï participe à
plusieurs opérations contre les montagnards rebelles. Se formant peu à peu
à la vie de garnison, il s’essaie également à l’époque à la
littérature. Pendant l’été 1851, Tolstoï commence ainsi à rédiger
son autobiographie. Au mois de septembre 1852, le premier volet, sous le
titre de Detstvo (Enfance), paraît dans la revue
Sovremienik (Le Contemporain), avec l’accord de son directeur,
le poète Nicolas Nekrassov. Celle-ci publie l’année suivante un autre de ses
récits, L’Incursion, suivie par Otrocetsvo (Adolescence)
en 1854. A présent, Tolstoï, promu récemment sous-lieutenant, est
affecté à l’armée de Crimée, qui combat face aux grandes puissances
européennes, l’Angleterre et la France, toujours soucieuses de préserver
l’équilibre européen. En 1855, il fait paraître un recueil de nouvelles
intitulé Récits de Sébastopol, fruit de son expérience du
conflit. Cette publication fait sensation en Russie par la manière nouvelle
dont est présentée la guerre, avec sa cruauté et son absurdité à
travers le regard des personnages du récit.
Ayant pris sa retraite dès le mois de novembre 1855, Léon Tolstoï est de
retour à Iasnaïa Poliana. En 1857, il fait paraître Junost’ (Jeunesse),
le dernier volume de ses souvenirs qui donnent à son auteur une place parmi
les grands écrivains de son temps. Tolstoï se préoccupe de son
développement intellectuel et moral, intimement lié aux relations avec ses
moujiks. Dans un soucis de générosité et d’équité, il offre la
liberté à ses paysans qui, inquiets de l’avenir qui les attend alors, la
refusent. Dans les années qui suivent, Léon Tolstoï effectue deux longs
voyages en Europe occidentale, séjournant notamment dans les grandes
capitales. Rejetant le matérialisme ambiant mais étonné de la liberté
sociale qui y règne, il s’attache davantage à l’observation des
systèmes éducatifs alors en vogue. Dès 1859, à nouveau en Russie, le
comte Tolstoï se chargera ainsi en personne de l’éducation des enfants
des villages environnants. Au mois de janvier 1862, il fonde d’ailleurs
une revue pédagogique, baptisée Iasnaïa Poliana, qui paraît une
année durant. Cependant, ces innovations inquiètent les autorités, à l’affût
des nouveautés, qui perquisitionnent dans le domaine. Au cours des derniers
mois, Tolstoï s’est fait de nombreux ennemis dans le voisinage. Avec l’abolition
du servage, le 19 février 1861, les paysans sont contraints de racheter
leurs lots aux propriétaires fonciers. Ces opération financières se font
sous le regard de médiateurs de paix, une fonction pour laquelle a été
désigné Tolstoï dès le mois de mai suivant et qu’il résigne
rapidement, étant accusé de favoriser les plus démunis.
Se croyant atteint de la tuberculose, Léon Tolstoï se fait soigner à
Moscou par un médecin militaire. Il fait bientôt la rencontre de la fille
de celui-ci et en tombe passionnément amoureux. Le 23 septembre 1862, l’écrivain
se marie à Sophie Andréievna Bers, alors âgée de vingt ans. Avant le
mariage cependant, le futur époux manque de casser les fiançailles en
faisant lire son journal à la jeune fille, afin qu'elle n'ignore pas son
passé amoureux. Le couple, qui partage un " effrayant
bonheur " dans les deux décennies qui suivent, aura treize
enfants. Au cours de cette période, le comte Tolstoï rationalise son
domaine agricole, procédant notamment aux rachats de parcelles dans les
environs, se préoccupant également de l’élevage. L’année suivante
enfin, paraît Kazaki (Les Cosaques), un roman auquel il
travaille depuis dix années. Là encore, dans cette nouvelle œuvre, l’écrivain
met à profit son expérience passée, puisque celle-ci raconte l’histoire
d’un jeune noble, Olénine, qui part pour le Caucase, profondément
insatisfait de la vie qu'il mène en Russie.
Tolstoï entreprend ensuite une immense épopée, qui raconte la lutte
victorieuse du peuple russe face à la Grande Armée pendant les guerres
napoléoniennes. A l’époque, l’écrivain vit en quasi-reclus à
Iasnaïa Poliana. Ses expériences pédagogiques ne lui ont apporté que des
désillusions, le faisant d’ailleurs passer pour un réactionnaire. Dans
les environs de sa propriété, ses arbitrages ont provoqué un vif
mécontentement parmi ses pairs. Léon Tolstoï s’est également éloigné
des milieux littéraires de la capitale, trop attachés à leurs querelles,
éternelles et artificielles, entre Slavophiles et Occidentalistes. Il met
donc à profit cette période de recueillement pour s’atteler à cette
tache immense. Au mois de janvier 1865, les premiers chapitres de son roman
paraissent dans Le Messager russe. Et la publication se poursuit au
rythme de la composition de Vojna i mir (Guerre et Paix), le
titre définitif de l’œuvre qui est adopté en 1867. Car Tolstoï, qui a
en tête le plan d’ensemble de sa création, est loin d’en avoir achevé
la rédaction. S’ouvrant à son propos à son ami, le poète Fet, il avait
déclaré à celui-ci qu’elle passerait inaperçu. Et pourtant, c’est un
succès sans précédent dans la vie littéraire en Russie, qui déchaîne
les passions jusqu’au terme de sa publication en feuilletons en 1868. Et
même bien au delà. Deux années plus tard, au mois de janvier 1870, une
traduction allemande paraît déjà…
En 1866, Léon Tolstoï prend encore part à une affaire qui s’est
déroulée dans un domaine voisin : le jugement du soldat Chibounine,
accusé d’avoir frappé un officier, par un tribunal militaire. Il prend
la défense de l’accusé, qui est néanmoins condamné à être fusillé.
A partir de 1873, l’écrivain travaille ensuite à Anna Karénina,
autre fresque consacrée cette fois-ci à la noblesse de son temps. Ce roman
est l’histoire de cette femme passionnée qui s'est perdue. De nouveau, on
retrouve son auteur au cœur de l’intrigue en la personne de Constantin Lévine.
Comme Tolstoï, celui-ci régit en personne son domaine, fauchant au milieu
de ses paysans. Anna Karénine paraît en feuilletons de 1875 à
1877, toujours dans la revue Le Messager. Cette œuvre rencontre un
grand succès auprès des lecteurs, que le destin de cette femme adultère
passionne. Mais la critique classe plutôt le roman dans le domaine de la
littérature mondaine, s’intéressant à la qualité de son écriture et
à l’intrigue, davantage qu’à la description de l’univers moral de
Levine. Pourtant l’écrivain à travers la création de ce personnage s’est
livré à une véritable introspection.
Léon Tolstoï traverse ensuite une profonde crise morale, analysée dans Ispoved’
(Confession) en 1879. En témoigne, le titre des essais qu’il
rédigera entre 1880 et 1886 : L’Église et l’État, Quelle
est ma foi ?, Que faire ? Dans ces écrits de combat,
Tolstoï dénonce ainsi l’égoïsme des possédants. Ne voulant plus vivre
que de son travail afin de ne pas exploiter autrui, il confie le domaine d’Iasnaïa
Poliana à sa femme et à ses enfants. Le conte Tolstoï vit désormais
habiller en moujik, cultivant lui-même la terre et vivant en ermite. En
1882, un séjour effectué à Moscou pour l’éducation de ses enfants, où
il contemple la misère du peuple, le renforce dans sa conviction. En 1891,
l’écrivain renonce d’ailleurs à ses droits d’auteur pour les œuvres
publiées après sa conversion spirituelle. Dès 1882 cependant, il est
placé sous la surveillance de la police du Tzar Alexandre III. En effet,
les discours libertaires que tient à présent le grand écrivain dénoncent
également les fondements de l’Église et l’État, la première étant
selon lui inféodée au second. De la religion, Tolstoï ne retient que les
préceptes moraux. En 1891, commence la publication de son traité intitulé
Le Royaume de Dieu est en nous, où sa pensée prend un caractère
mystique. Dans ce nouveau traité, il expose notamment ses théories sur la
" non-résistance au mal par la violence ". Considéré
à présent comme athée, Léon Tolstoï est excommunié par le Saint-Synode
russe, le 24 février 1901.
Quant aux œuvres littéraires que publient l’écrivain à l’époque,
elles se font toujours plus sombres. En 1886, Smet’ Ivana ll’ica
(La Mort d'Ivan Ilitch) conte ainsi l’histoire d’un
fonctionnaire, à l'article de la mort, qui réalise combien son existence a
été futile, combien l’attachement de ses proches à sa personne n’est
qu’illusion ou intérêt. Cinq années plus tard, dans Krejcerova
sonata (La Sonate à Kreutzer), l’écrivain se fait le critique
du mariage, qui fausse les sentiments, et de l’amour charnel. Avec D’javol
(Le Diable), c’est cette fois-ci un homme marié qui se suicide
afin d’échapper à la tentation. Léon Tolstoï travaille ensuite pendant
plusieurs années à un nouveau roman, Voskresenie (Résurrection).
Celui-ci est publié en 1899, mais avec de nombreuses coupures exigées par
la censure impériale. Il conte l’histoire d’une rédemption, celle du
noble Nekhlioudov, qui séduit puis abandonne une jeune fille, Katioucha
Maslova. Après une descente aux enfers, celle-ci cherchera son salut
auprès de Nekhlioudov, un révolutionnaire qui a retrouvé la foi.
Depuis longtemps, à Iasnaïa Poliana, les problèmes se multiplient entre
le comte Léon Tolstoï et sa famille, avec son épouse notamment.
L'influence spirituelle de celui-ci est devenue immense et des disciples se
pressent auprès de lui afin de vivre suivant ses préceptes. Des
communautés de " tolstoïens " se forment également un peu
partout en Russie. En 1901, à la suite d’une grave maladie, l’écrivain
se rend en Crimée, afin de trouver le calme nécessaire à sa
convalescence. Il rencontre alors Anton Tchékhov et Maxime Gorki. En 1908,
Léon Tolstoï, investi à présent d’une immense autorité morale, prend
encore publiquement la parole pour dénoncer la terrible répression
organisée par Nicolas II, à la suite de la révolution d’octobre. Dans
un opuscule intitulé Je ne puis me taire !, il pousse alors un
cri de révolte contre les abus de l’autoritarisme. L’écrivain
cependant, s’il a toujours été partisan du partage des terres entre les
paysans, est réticent à leur accorder les libertés politiques, qu’il
qualifie de " pervertissantes ".
Un nouveau conflit
intérieur le tourmente maintenant. Poussé par sa philosophie libératrice,
Léon Tolstoï est désireux de s’affranchir définitivement de toutes les
entraves. Depuis 1894, il songe ainsi à s’éloigner de sa famille, son
dernier point d’attache. L’écrivain est également excédé et épuisé par le
culte qui s’est développé autour de sa personne. Aussi, le 28 octobre
1910, au petit matin, Tolstoï fuit secrètement Iasnaïa Poliana,
accompagnée d’une de ses filles et de son médecin. Afin de mettre sa vie
en accord avec sa pensée, il compte ainsi finir
ses jours dans le Caucase, qu’il a encore de chanter dans Hadji Mourat,
une nouvelle publiée en 1903. Cependant l’écrivain tombe gravement
malade alors qu’il se trouve dans une gare de campagne, dans le
gouvernement de Riazan. L’espace de quelques jours, la petite station d’Astapovo
devient alors le centre du monde. Allongé sur un lit de fer dans le bureau
du chef de gare, Léon Nikolaïevitch Tolstoï décède le 7 novembre 1910,
terrassé par la fièvre. Le surlendemain, ses funérailles civiles, qui se
déroulent dans la propriété familiale, se transforment en une
manifestation nationale, réunissant des dizaines de milliers de ses
admirateurs russes venus du pays tout entier. Trois années après sa
disparition, les vingt-deux de ses manuscrits, conservés après l’incendie
qui a ravagé Iasnaïa Poliana, seront détruits sur ordre de la police de
Nicolas II, le 21 novembre 1913.
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