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Hubert LYAUTEY
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Hubert
LYAUTEY
(Nancy,
17 novembre 1854 - Thorey,
27 juillet 1934)
Français.
Militaire
par Marc Nadaux
Quelques dates :
1891, Du rôle social de l’officier dans le service
militaire universel.
1899, nommé colonel, à quarante-cinq ans.
1903, nommé en Algérie, commandant de la subdivision
d’Ain-Sefra, dans le sud Oranais.
1912, devient le premier Résident général au Maroc.
élu à l’Académie française.
décoré de la Grand-Croix de la
Légion d’Honneur.
1914, " Une guerre entre Européens c’est une guerre
civile ! ".
1916, Aristide Briand fait appel à lui pour le
ministère de la Guerre.
1917, démissionne.
1920, concernant le Maroc, adresse au ministère des
Affaires étrangères une note, dite " du coup de barre ".
1921, élevé à la dignité de maréchal de France.
1925,
dessaisi du commandement supérieur des troupes au Maroc.
1931, organise l’’Exposition coloniale de Paris.
1934, obsèques nationales.
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Louis
Hubert Gonzalve Lyautey naît le 17 novembre 1854, à Nancy, au 10 de la rue
Girardet, dans un bel hôtel particulier voisin de la place Stanislas, où résident
ses parents. Son père, Just Lyautey, ingénieur des Ponts et Chaussée, à
l’époque chargé de construire un secteur du canal de la Marne au Rhin,
est issu d’une famille de la grande bourgeoisie franc-comtoise. L’année
précédente, il s’est uni à Laurence de Grimoult de Villemotte,
descendante d’une lignée dont les origines normandes sont attestées
depuis le XIème siècle, anoblie à la veille de la Révolution. Au mois de
mai 1856, lors d’une cérémonie militaire en l’honneur du baptême du
Prince impérial, le nourrisson est victime d’une chute. Il tombe du
premier étage du domicile familial et survit miraculeusement. Plus tard,
l’enfant se plaint de douleurs dorsales. Atteint à la colonne vertébrale,
on décide de l’opérer. Avec succès. Hubert Lyautey demeurera cependant
deux années alité, de 1859 à 1861. Toute son enfance sera faite de soins
maternels et d’isolement.
Jusqu’à l’âge de dix ans, son éducation est confiée à mademoiselle
Slavinska, une institutrice. En 1864 enfin, il est inscrit au Lycée de
Nancy. Bientôt, devant la persistance de ses douleurs lombaires, ses
parents renoncent à le scolariser et lui donnent un répétiteur. Formé
aux idées politiques et religieuses de sa famille (royaliste et
catholique), le jeune Lyautey est avide de lectures, celles qui content les
exploits militaires du passé, qui mêlent également géographie et voyages
d’exploration. Une sœur, Blanche, naît en 1867. Hubert peut bientôt
retrouver ses camarades au Lycée, pour peu de temps néanmoins puisque les
Lyautey, suite à une promotion obtenu par Just, doivent s’installer à
Dijon, dans la vieille ville, dans l’hôtel de Broin. Au Lycée de la
ville, le jeune homme crée un bataillon, animé par un journal, Le
Courier de l’Armée, alors que les forces françaises, qui doivent
lutter contre les troupes prussiennes sont battues à Sedan.
Bachelier au mois de juillet 1872, Hubert Lyautey gagne ensuite Versailles,
toujours pour suivre la carrière professionnelle de son père. Celui-ci,
caressant l’espoir que son fils suive ses traces, l’inscrit à l’école
Sainte-Geneviève, où l’adolescent doit préparer son entrée à l’École
Polytechnique. Indécis quant à son avenir, il est également reçu à
Saint-Cyr, qui accueille à l’époque nombre de jeunes gens d’illustres
familles, avides d’une carrière militaire et de revanche face à
l’ennemi allemand. Le jeune homme étouffe cependant dans le cadre strict
de la vie de caserne, avant qu’il ne fasse la rencontre du capitaine
Albert de Mun. Ce dernier le fait entrer au sein du Cercle catholique de
Montmartre, qu’anime la pensée du sociologue Frédéric Le Play. Il
s’agit ainsi pour ces fils de famille « d’aller au peuple ».
Classé 29ème sur 281 à sa sortie de Saint-Cyr en 1885, Hubert
Lyautey est admis à l’école d’État-major, où l’on forme les futurs
cadres de l’armée française. Les cours et débats qui traitent de
tactique et de technique militaire décuplent son ennui. A tel point que le
futur officier s’inscrit également aux cours de la faculté de droit. Lui
manque aussi le contact humain, celui du commandement et de l’homme de
troupe. Aussi décide t-il à deux reprises d’entreprendre une retraite
hivernale au monastère alpin de la Grande Chartreuse. , Il est nommé
lieutenant le 31 décembre 1877, après avoir été reçu 10ème sur 24 au
brevet d'état-major. Alors qu'il bénéficie d’un congé de deux mois,
son ami et camarade de promotion Prosper Keller lui propose de voyager en sa
compagnie à travers l’Algérie. Cette découverte des grandes étendues
africaines, ce style de vie le marquera à jamais.
A son retour, le jeune officier rejoint son régiment, le 20ème Chasseurs
à Cheval, dans sa garnison de Rambouillet, avant d’être muté à Châteaudun,
après avoir accomplit son stage de cavalerie. Plus près des siens, Lyautey
y passera deux années, avant de demander un congé pour raison de santé.
Le 1er août 1880 il est à Sézanne, affecté au 2ème Hussard. Puis c'est
l'Algérie, à Orléansville. Fort peu enclin à cultiver les amitiés dans
cette garnison sans relief, Lyautey apprend l’arabe et fréquente le désert
et ses populations. L’année suivante cependant, le général Baudin
l’appelle auprès de lui à Alger, en tant que chef d’état-major de la
subdivision et de la place. Ce travail de logisticien (ses fonctions
consistent à organiser les embarquements des troupes françaises de retour
en métropole), l’occupe sans le passionner, lui qui rêve de s’enfoncer
dans les grandes étendues de l’intérieur algérien. Lyautey retrouve ces
régions au mois de mai 1882, quand son escadron gagne Miliana. Lui, part
encore plus avant vers le sud, au poste avancé de Teniet-el-Haad. Quelques
mois plus tard, promu capitaine au choix (à moins de vingt-huit ans donc),
Lyautey est à Bruyères, en plein cœur des Vosges, avec le 4ème
Chasseurs. Un congé lui permet d’entreprendre un « voyage d’étude »
à Rome. Après une entrevue à Goritz, en Autriche, avec le comte de
Chambord, prétendant au trône, l’officier est reçu par le pape Léon
XIII.
De retour en France, en manœuvre avec son régiment au camp de Chalons, le
capitaine Lyautey se fait remarquer du général L’Hotte, inspecteur de la
cavalerie, qui le choisit comme aide de camp. Pendant les quatre années qui
suivent, il suit son nouveau chef dans ses tournées d’inspection. A
Commercy, puis à Tours, c’est l’occasion pour lui, au delà d’une vie
faite de mondanité et d’un travail harassant, de se familiariser avec la
tactique militaire, alors en plein renouvellement, d’étendre également
ses connaissances du milieu militaire, en visitant les garnisons, en prenant
contact avec tel ou tel chef de corps. Au mois de mai 1886, il s’installe
cette fois-ci à Paris, son supérieur étant désigné pour succéder au général
de Galliffet à la tête du Comité de cavalerie. Lyautey qui, pourtant,
regrette son entrée à Polytechnique et sa vie passée dans les couloirs
feutrés des états-majors, commence à susciter les jalousies. Il quitte
ses fonctions d’officier d’ordonnance pour être nommé le 19 novembre
1887 capitaine-commandant au 4ème Chasseurs à Cheval, à
Saint-Germain-en-Laye. Au cours de ces dernières années, Hubert Lyautey a
laissé mûrir ses convictions. Si sur le plan spirituel, il s’est laissé
gagner au scepticisme, ses ambitions ont mûri. Être du monde, voilà un
objectif en soi, car ce statut permet l’indépendance d’esprit et
d’attitude à laquelle aspire l’esthète qu’il est devenu.
Dans la capitale, le capitaine Lyautey fréquente à présent la haute société,
et ses salons réputés. Il se lie avec le tout-Paris littéraire et
artistique. Auprès du colonel Donop, le jeune officier est enfin à la tête
d’une troupe, un escadron. Se souciant du confort des soldats, il crée un
foyer, une pièce de réunion et de lecture à leur disposition. A ses
subordonnés, il impose d’être au contact des hommes, de les connaître.
Cette entreprise de régénération de la vie militaire reste confinée à
l’intérieur du cadre du régiment, au moment pourtant où elle apparaît
comme étant indispensable dans l'ensemble de l'armée. Réapparaît en
effet à cette époque un certain anti-militarisme de littérature, qui se
nourrit notamment de l’expérience du service militaire qu’ont connue
les auteurs. Citons entre autres Le Cavalier Miserey, ce récit de la
déchéance morale d’un homme dont la cause directe est la vie
abrutissante qui est la sienne en caserne. « L’Arche sainte »,
« l’instrument de la Revanche » ne fait donc plus l’unanimité
chez les Français, alors que se profile à l’horizon le spectre de
l’Affaire.
Sous la demande d’Hubert-Melchior de Vogue, un critique littéraire de
talent, Hubert Lyautey fait paraître dans la Revue des Deux Mondes
un article écrit de sa main, mais non signé (car l’officier est en
activité de service), au titre évocateur : « Du rôle
social de l’officier dans le service militaire universel ».
Publié dans le numéro du 15 mars 1891, ce texte fait grand bruit, car il
prône l’action sociale dans l’armée. Au delà d’une formation
purement militaire, Lyautey recommande, suivant son propre exemple, une
action éducatrice au sein de la caserne et à destination de la jeunesse
française, appelée à faire partie de la communauté des citoyens. Si la
presse est élogieuse, il faudra cependant attendre le siècle suivant et
les initiatives du général André, pour voir les recommandations du
capitaine de cavalerie mises en pratique. On reconnaît bientôt sa plume et
Lyautey est convoqué dans le bureau du ministre de la Guerre, Charles
Freycinet. Celui-ci le réprimande sévèrement. Les éloges d’Albert de
Mun le touchent davantage. Il reçoit également un courrier abondant, ainsi
que des fonds substantiels qui permettent d’équiper les bibliothèques
des régiments demandeurs. Le voilà promu conférencier, multipliant également
les réunions au sein des milieux intellectuels parisiens.
La battage fait autour de cet article fondateur, la grande visibilité de
l’officier ne nuiront pas à sa carrière. Nommé chef d'escadrons au
printemps 1893, il est affecté au 12ème Hussards, à Gray, en Haute-Saône.
Avant de rejoindre son régiment, Lyautey tire profit d’un congé de trois
mois pour effectuer un voyage en Orient, après dix années passées en
France. Quelques mois après son retour et sur la demande du général
Jacquemin, il rejoint l’état-major de la 7e division de
cavalerie à Meaux, puis l’état-major des troupes du Tonkin. Le voici
satisfait. Il avait en effet adressé à ses supérieurs une demande
d’affectation en Indochine. A Hanoi, au mois de novembre 1894, Lyautey
occupe les fonctions de chef du 2ème bureau de l’état-major et a donc
autorité sur les quatre provinces du Tonkin. Celles-ci à l’époque sont
infestées de bandes de pirates chinois, avec qui lesquelles gouvernement
français est en négociations.
Lors des cérémonies d‘inauguration du chemin de fer de Langson, il fait
la connaissance de l’illustre colonel Gallieni. L’amitié naît entre
les deux hommes, qui s’estiment mutuellement. Ensemble, ils effectuent au
début de l’année 1895 une tournée d’inspection du Haut-Tonkin. A son
retour, Hubert Lyautey se voit confiée mission d’importance. A la tête
d’une colonne de 4.000 hommes et toujours aux côtés de Gallieni, il doit
réduire Ké-Tuong, la place forte du chef pirate Baky. Le succès de
l’entreprise lui permet de recevoir la Légion d’Honneur le 1er janvier
1896. De juillet à décembre 1895, Lyautey assume ensuite les fonctions de
chef d’état-major par intérim des forces d’occupation en Indochine,
avant d’occuper le poste de chef du bureau militaire du gouverneur
Rousseau. Ceci l’oblige à de fréquents voyages aux cotés de ce dernier
à travers l’Annam, le Siam et le Cambodge. Entre temps, il est de nouveau
sollicité pour une campagne de pacification, dans la région de Ha-Giang
cette fois-ci. C’est d’ailleurs ce type d’action, mêlant occupation
et administration, et non les vastes opérations militaires et répressives
sans grand résultat, qu’il défend auprès du ministre des Colonies André
Lebon, avant d’être appelé à Madagascar auprès de Gallieni, devenu général.
Hubert Lyautey débarque à Tamatave, le 7 mars 1897. A cette époque, alors
que la France tente d’imposer son protectorat sur les populations de l’île,
celle-ci est dans une situation de complète anarchie. L’officier, promu
lieutenant-colonel, le 7 septembre suivant, se voit confier au cours des
deux années qui suivent l’ouest de Madagascar, qu’il parvient à
pacifier. Son commandement est aussi fait de tentatives de modernisation de
l’île grâce à des constructions de routes (celle de Majunga notamment)
ou des essais de plantation dans les zones marécageuses. A partir du mois
de mai 1899 il obtient un congé, pendant lequel il est nommé colonel, le 6
février 1899. Il a quarante-cinq ans. A Paris, quelques mois plus tard, il
prononce une conférence sur la pacification en cours au Tonkin et à
Madagascar devant les très influents membres de l’Union Coloniale. Le
texte de son discours sera publié dans la Revue des Deux Mondes avec
cette fois-ci l’autorisation de son ministre de tutelle, le général de
Gallifet, sous le titre de « Du Rôle colonial de l’Armée ».
Celle-ci se voit de nouveau attribuer un rôle social par l’orateur,
puisqu’il s’agit rien moins que d’entreprendre une transformation
complète des structures de la société indigène et des pays sous autorité
française.
Au printemps 1900, le colonel Lyautey est de retour à Madagascar. Pour la
deuxième fois, il va se trouver éloigné de la France au moment où
l’armée est au cœur d’une crise politique qui divise l’opinion. Après
l’Affaire Dreyfus, celle des fiches. Lyautey reçoit cette fois-ci la
responsabilité du sud de Madagascar, une région non encore occupée. De
Fianarantsoa, siège de son gouvernement, il prépare une expédition
militaire vers les zones forestières à pacifier. Là, il doit adapter les
directives qui lui sont données et composer avec les populations rencontrées,
leurs organisations et leurs mœurs. S’appuyant ainsi sur les groupes
ethniques qui sont attachés à un territoire, il leur impose son autorité,
oubliant le verbiage administratif et diplomatique. Le 1er janvier 1902,
fort de la soumission des principaux chefs, il décide d’imposer un désarmement
complet dans cette région de Madagascar. Au mois de juillet suivant, Hubert
Lyautey est de retour en France. Avant son départ, il laisse quelques
consignes au général Gallieni, qu’il quitte après sept années de
fructueuses collaborations, demandant notamment à ce dernier d’adapter la
législation française au degré d’occidentalisation des habitants de
Madagascar.
Suivant les conseils du général de Galliffet, Lyautey accepte le
commandement du 14ème Hussards, basé à Alençon. Il lui faut en
effet reprendre goût au commandement en métropole, celui de « ces
800 sabres qui ne sabreront jamais rien ». L’horizon de l’armée
lui apparaît désormais comme étant bien étroit. Il se consacre alors à
la rédaction d’un gros volume, que publie Lavauzelle au mois de mai 1903,
Dans le Sud de Madagascar : Pénétration militaire, Situation
politique et économique. Peu de temps plus tard, il est nommé en Algérie,
commandant de la subdivision d’Ain-Sefra, dans le sud Oranais. Dans cette
région frontalière d’avec le Maroc, la situation s’est dégradée pour
l’occupant français. Des convois ont été attaqué, ainsi que le poste
de Taghit. Les populations sont en ébullition, sans que l’on sache
comment ramener le calme. Le colonel Lyautey, à qui l’on donne les étoiles
de général de brigade, apparaît alors comme l’homme de la situation.
L’accueil qu’il reçoit de ses supérieurs est des plus froids, à la
différence de celui que lui réserve le gouverneur général Jonnart.
Lyautey a en effet demandé au ministère une complète liberté de manœuvre.
Davantage qu’avec son ministère de tutelle, c’est avec Théophile
Delcassé, le ministre des Affaires étrangères qu’il a à lutter.
Celui-ci voit en effet d’un mauvais œil l’arrivée dans cette région
sensible de ce militaire à la trop forte personnalité, alors qu’il est
en train de négocier la conclusion et la reconnaissance d’un nouveau
protectorat français en Afrique du Nord, celui sur le Maroc. Pourtant leurs
deux démarches, pour être différentes, n’en sont pas moins complémentaires.
Le général Lyautey s’attache en effet à assurer la sécurité des
routes commerciales en établissant une ligne de postes militaires, celui de
Berguent notamment, en levant des goums (des troupes auxiliaires d’origine
indigène) comme le lui autorisent les conventions de 1903 conclues avec le
sultan du Maroc Abd-el-Aziz. Cette pacification militaire, faite de la
multiplication des contacts avec les chefs de tribus, s’accompagne de
projets civils, comme la construction d’un ligne de chemin de fer entre
Beni-Ounif et Colomb-Béchar ou la création de lieux de marché dans les
oasis. Au cours de ces mois d’activité et de voyage à travers le sud
Oranais, Hubert Lyautey retrouve le père Charles de Foucault, ancien
chasseur à cheval devenu ermite.
Au mois d’octobre 1906, un opposant de l’expansion coloniale, Georges
Clemenceau, est appelé à la présidence du Conseil. Il ne peut cependant
revenir sur le mouvement engagé par la France de la Troisième République
depuis trois décennies. Au Maroc où s’achève la conférence
internationale d’Algerisas, les Français sont désormais placés sous la
surveillance des autres grandes puissances européennes, de l’Allemagne de
l’empereur Guillaume II notamment. Malgré l’opposition de son ministre
de tutelle, le général Picquart, qui lui est hostile, le général Lyautey
obtient le commandement par intérim de la division d’Oran, autrement dit
de toutes la région frontalière avec l’Algérie. Il quitte donc son
quartier général d’Ain-Sefra et gagne Oran et le Château-Neuf, qui sera
sa résidence pendant les trois années qui suivent. Nommé divisionnaire,
il foule pour la première fois le sol marocain et va à Rabat avec
Regnault, ministre de France à Tanger pour une mission diplomatique. Le
gouvernement s’est en effet décidé à agir devant la multiplication des
incidents au Maroc, que l’anarchie menace, et des exactions commises sur
les ressortissants français. Après une première intervention contre la
tribu des Beni-Snassen, Lyautey est convoqué à Paris par Georges
Clemenceau au mois de février 1908. Ayant convaincu le président du
Conseil qui souhaitait auparavant le muter à Perpignan, l’officier général
est envoyé en inspection à Casablanca, auprès du général d’Amade, son
ami et camarade de Saint-Cyr. Ayant séduit le Tigre par sa vue claire des
événements marocains, Lyautey apparaît de plus en plus comme l’homme de
la situation, qu’il considère néanmoins comme un « bourbier ».
Mais l’inaction des autorités française le désespère. A tel point
qu’il songe à demander son retour en métropole et une affectation dans
sa Lorraine natale. D’autant que son esprit aventureux est à présent
occupé à d’autres horizons, ceux des sentiments cette fois-ci. Sur le
bateau qui le ramène de Casablanca à Oran, Hubert Lyautey a fait la
connaissance d’Inès Fortoul, veuve du colonel Fortoul et mère de deux
enfants. S’étant revus à plusieurs reprises (elle dirigea une équipe
d’infirmières de la Croix-Rouge en Afrique du Nord), ils décident bientôt
de se marier. La cérémonie a lieu au mois d’octobre 1909, en l’église
Sainte-Clotilde, à Paris. Inès désormais accompagnera l’officier dans
son existence quotidienne, à Oran comme lors de ses chevauchées à travers
le désert saharien. Après le décès de son ami Vogue, il est enfin rappelé
en métropole, non sans avoir auparavant réussi à mettre la main sur les
rives du fleuve Moulouya, à 350 kilomètres à l’ouest d’Ain-Sefra. Après
avoir pris quelques repos à Vichy au cours de l’été, le général
Lyautey, qui s’est vu confier le commandement de la division de Rennes,
fait son entrée dans la ville le 2 janvier 1911. Restant au fait des événements
parisiens, l’instabilité ministérielle des années qui suivent le rend
amer, d’autant plus que le 30 mars 1912, par le traité de Fez, le
gouvernement Poincaré conclu enfin un protectorat avec le Maroc, ce qui déclenche
l’insurrection d’une partie de la population. Lyautey, lui, regarde à
présent à l’est, convoitant un commandement militaire en Loraine où la
guerre qui ne manquera pas d’éclater contre l’Allemagne voisine (il en
est convaincu) portera bientôt les combats. Cependant, il est de nouveau
sollicité en Afrique du Nord. Suivant les vœux d’Alexandre Millerand,
nouveau ministre de la Guerre (dont le chef de cabinet n’est autre que le
fils de son ami Armand Rousseau, l’ancien gouverneur d’Indochine), le général
Lyautey devient le premier Résident général au Maroc.
Arrivé à Casablanca le 13 mai 1912, Lyautey, qui s’est attaché les
services du colonel Gouraud, est contraint de faire face à une situation préoccupante.
Il doit gagner Fez, menacée par la rébellion des tribus du Rif et du Moyen
Atlas. Dans la ville encerclée et qui menace également de s’insurger, il
lutte bientôt avec ses hommes contre les 20.000 assaillants, pied à pied
dans la Médina. L’aide de Gouraud, qui sera bientôt nommé général,
lui est précieuse. Au cours de ces trois semaines, Lyautey transmet à ses
subordonnés un peu de son calme et de son assurance. Il gagne également
les élites de la ville par ses talents de diplomate. Ayant évalué ses
forces et leurs dispositions, l’officier français choisit d’implanter
ses troupes dans les régions littorales et stratégiques. La conquête du
Maroc intérieur, en effet, reste à faire, et notamment celle de ces régions
montagneuses aux mains des tribus berbères. Peut-être aurait-il mieux valu
procéder suivant son exemple, en gagnant progressivement les différentes
tribus du désert à l’autorité des Français, par la confiance que
ceux-ci inspirent, la force qu’ils déploient ?
Après l’abdication de Moulay-Afid, le 12 mai 1912, Moulay-Youssef devient
sultan. Plus pondéré et plus pieux que son frère, celui-ci est un atout
pour le Résident général, qui songe en effet à s’appuyer sur son
autorité et sur l’Islam afin de gouverner conjointement le pays. Le
souverain entreprend un voyage triomphal qui le mène dans les principales
villes du Maroc. Lyautey reçoit les principaux cadis, des chefs de guerre,
dans son palais du Dar Beida, leur exposant ses projets de développement
futur. Pendant les deux années qui suivent et grâce à des officiers de
valeur (qui ont pour nom d’Espèrey, Mangin, Gouraud, Henrys...), la
pacification progresse, la diplomatie se substituant de plus en plus aux
moyens militaires. En parallèle, Hubert Lyautey s’investit
personnellement dans l’œuvre coloniale. Ayant choisit Rabat pour
capitale, il impose également le choix de Casablanca pour lieu de création
d’un grand port. Le Résident, qui se refuse à être freiné dans son
entreprise par les lenteurs administratives de la métropole, utilise les crédits
militaires afin de moderniser le réseau des routes principales, en
attendant les voies ferrées. Le 19 mars 1913, un projet de réorganisation
de la justice au Maroc est soumis au Parlement. Soucieux qu’il est de préserver
la culture marocaine, Lyautey oblige à ce que les travaux d’urbanisme
soient soumis à l’approbation de son Service des Beaux-Arts.
Auréolé de cette réussite incontestable et jouissant à présent d’un
grand prestige dans l’opinion, Hubert Lyautey est élu à l’Académie
française, le 12 novembre 1912, suivant les instances d’Albert de Mun.
L’année suivante, le 30 septembre, à Rambouillet, il est décoré de la
Grand-Croix de la Légion d’Lonneur, des mains du résident de la République
Léon Poincaré. Le 27 juillet 1914 cependant, le ministre de la Guerre
Adolphe Messimy lui donne l’ordre de rapatrier vers la France la
quasi-totalité des troupes française et indigènes présentes sur le
territoire marocain. Quelques jours plus tard en effet, la guerre est déclarée
à l’Allemagne. « Une guerre entre Européens c’est une guerre
civile ! C’est la plus monumentale ânerie que le monde ait jamais
faite ! », s’exclame Lyautey. Au Maroc, celui-ci, fort dépité
que son ami Joffre ne l’appelle pas auprès de lui à l’état-major,
meurtri également de la destruction du château familial de Crévic,
poursuit son œuvre de pacification et de développement. Le Résident général
encourage l’artisanat local, la renaissance des foires et autres marchés
urbains. Peu enclin à l’établissement de colons, un mouvement
d’ailleurs freiné avec le déclenchement du conflit, Lyautey préside à
l’établissement d’un cadastre des terres agricoles. En ville, il
favorise la création de lycées et d’écoles primaires supérieures à
destination des populations européennes et de la bourgeoise marocaine,
futurs cadres du pays en devenir.
Au mois de juillet 1915, le Résident général est en France, sur le front,
où il visite la division marocaine. C’est l’occasion pour lui de
critiquer avec vigueur la manière dont gouvernants et militaires mènent la
guerre. Hubert Lyautey dénonce ainsi les offensives à répétitions qui
saignent l’armée française. Il faut selon lui être plus économe des
hommes. Une plus grande concertation entre les armées alliées est nécessaire,
de même que la concentration du pouvoir politique, afin de répondre à
cette situation d’urgence. Le 10 décembre 1916, Aristide Briand fait
appel à lui pour le ministère de la Guerre du nouveau cabinet dont il est
le président. Sans pour autant avoir répondu par l’affirmative, le général
Lyautey, qui souhaite auparavant une réforme au plus haut niveau de l’État
et de l’armée, est nommé. Briand a agi avec légèreté, d’autant plus
que le général Nivelle a remplacé Joffre sans que le nouveau ministre
n’ait été consulté. Dès son arrivée à Paris, le 22 décembre 1916,
le nouveau général en chef lui annonce son plan d’une grande offensive
sur le chemin des Dames. Même s’il considère tout ceci comme étant bien
mal engagé, Lyautey ne peut peser sur les événements. Après avoir averti
Poincaré, Briand et Nivelle de ses craintes, il se voit répondre que tout
ceci n’est pas de son ressort. Le ministre s’aperçoit en fait, mais un
peu tard, qu’il est placé au centre d’une combinaison politique. A la
Chambre enfin, le 14 mars 1917, ayant eu connaissance des multiples fuites
parvenues à l’ennemi concernant les préparatifs de l’offensive du 16
avril, il refuse aux députés l’exposé des dispositions liées à
l’organisation de l’aviation. Ceux-ci crient au scandale et Hubert
Lyautey, qui se sent depuis longtemps manipulé par un Aristide Briand
soucieux avant tout de se maintenir à la tête de l’État, démissionne.
Reconduit dans ses fonctions de Résident général au Maroc, il est de
nouveau à Rabat au mois de mai 1917.
Davantage préoccupé par les événements européens, les différents
gouvernements qui se succèdent après l’armistice de 1918, le pressent de
demeurer au Maroc. Lyautey, lui, songe à prendre sa retraite. La
disparition de proches parents au cours du conflit l’a profondément ébranlé.
De plus, la conclusion d’une paix entre belligérants, œuvre notamment de
Clemenceau et de Foch, ne lui inspire aucune confiance en l’avenir.
Concernant le Maroc, le 18 novembre 1920, il adresse au ministère une note
(dite « du coup de barre »). Celle-ci pose la question de
la nature du protectorat. Pour la Résident général, celui-ci demeure en
effet indispensable à la stabilité et au développement du pays, même si
le sultanat est nécessaire au maintien de l’autorité française. Lyautey
estime également que les populations ont vocation à être indépendantes,
une émancipation qui doit selon lui s’accomplir avec lenteur. Dans ses
administrations d’ailleurs, de plus en plus de jeunes cadres marocains
sont présents aux cotés des fonctionnaires français.Ces vues personnelles
tranchent avec le devenir de l’Algérie voisine, devenue colonie de
peuplement.
Élevé en 1921 à la dignité de maréchal de France, il fait aussi
l’objet de la sollicitude du peuple marocain, quand, au mois de février
1923, de violentes douleurs au foie, l’obligent à demeurer alité, entre
la vie et la mort. Des prières publiques sont alors prononcées en son
honneur. Après deux interventions chirurgicales en France, le Résident général
apparaît fatigué. Malgré la venue au pouvoir de ses amis Paul Deschanel
et Alexandre Millerand, tous deux élus successivement aux plus hautes
fonctions de l’État, il voit ses troupes militaires diminuer en effectif,
au moment où l’émir Abd el-Krim menace les provinces du Sud marocain.
Celui-ci est bientôt vaincu et repoussé au loin. Mais les événements ont
alerté le gouvernement qui dépêche au Maroc le maréchal Pétain pour une
mission d’inspection. Avec la complicité du président du Conseil,
Maurice Painlevé, celui-ci décide d’une vaste offensive militaire, sans
que Lyautey n’ait donné son aval. Le Résident général est d’ailleurs
dessaisi du commandement supérieur des troupes au Maroc le 22 août 1925.
Il sent l’heure venue pour lui de quitter le Maroc et adresse à Painlevé
et une lettre de démission un mois plus tard. Embarqué à Casablanca sur
un paquebot d’une ligne régulière, seuls des torpilleurs anglais et
espagnols rendront au maréchal de France les honneurs dus à son rang et à
l’ampleur de son œuvre... Pauvre Cartel des gauches, pauvre état-major !
De retour en France, Hubert Lyautey s’installe dans son château lorrain
de Thorey. C’est là qu’il reçoit, le 18 juillet 1826, la visite du
sultan du Maroc. La même année, il prononce quelques conférences au sujet
du Maroc et de l’entreprise coloniale, notamment à l’occasion du
trentenaire de l’Union Coloniale à Paris. Le maréchal s’investit également
dans la vie locale et provinciale de cette terre qui lui est chère, étant
membre de la Chambre de commerce de Nancy, présidant à de multiples œuvres.
Le grand agnostique retrouve d’ailleurs la foi et communie dans l’église
de Thorey le jeudi saint de l’année 1930.
Enfin, un projet d’envergure l’occupe au cours de ces années,
l’organisation de l’Exposition coloniale qui se tient à Paris, au bois
de Vincennes, en 1929 et en 1931. Le gouvernement Poincaré l’avait en
effet nommé commissaire général de cette gigantesque manifestation, le 27
juillet 1927. Son but : montrer la cohésion et la richesse de
l’Empire, cette « plus grand France », et faire connaître aux
Français ces cultures issues d’autres continents. L’exposition, où le
visiteur peut admirer une reconstitution du temple d’Angkor Vat, est un
immense succès, qui est aussi celui du maréchal. Enfin ce dernier peut
recevoir le témoignage massif de l’estime que lui porte ses
contemporains.
Le maréchal Hubert Lyautey s’éteint le 27 juillet 1934, à Thorey. Après
une messe célébrée dans l’église du lieu, son corps est déposé dans
le caveau des ducs de Loraine, à l’église des Cordeliers de Nancy, et
veillé par des officiers de l’armée française, sabre au clair. Des obsèques
nationales sont ensuite célébrées. Un an plus tard, suivant ses vœux et
ceux du sultan Sidi Mohammed Ben Youssef, le cercueil du maréchal Lyautey,
après avoir traversé la Méditerranée escorté par une escadre
internationale de plus de trente navires de guerre, est inhumé à Rabat,
dans un mausolée construit près du parc de la Résidence. Depuis le 10 mai
1961, son corps repose dans la chapelle de l’Hôtel des Invalides, à
Paris.
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