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Paul DESCHANEL
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Paul DESCHANEL
(Bruxelles, 13
février 1855 - Paris,
28 avril 1922)
Français.
Homme
politique.
par
Eric Labayle
Quelques dates :
1877, sous-préfet de
Dreux.
1885, élu député
d'Eure-et-Loir.
1898, président de
l'Assemblée Nationale.
1899, élu à l'Académie
française.
1912, président de
l'Assemblée Nationale.
1920, élu président de
la République.
donne sa démission.
1921, élu
sénateur d'Eure-et-Loir.
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S'il est des hommes qui ont joué leur réputation et leur
passage à la postérité sur un seul événement, une anecdote ou un ragot,
Paul Deschanel est bien de ceux-là. Comme son prédécesseur Félix Faure
(et sa célèbre "connaissance"),
il a laissé le souvenir d'un fait unique, qui doit beaucoup plus à la
rumeur populaire et aux médisances d'opposants politiques qu'à la
stricte vérité historique...
Paul Deschanel est né le 13 février 1855 à Bruxelles. Son père, ardent
républicain et ancien acteur de la révolution de 1848, y vivait alors en
exil, proscrit depuis le coup d'État du 2 décembre 1851.
Très jeune, il entame une carrière politique qui s'annonce vite
prometteuse : à vingt-deux ans, il devient sous-préfet de Dreux !
Quelques années plus tard, il est élu député d'Eure-et-Loir, mandat
qu'il conservera jusqu'en 1919, au fil des réélections. Rapidement, il
se fait remarquer comme tenant et théoricien du progressisme, aux côtés
de Raymond Poincaré, dont il partagera en partie le destin. Son aura et
ses qualités d'homme consensuel lui permettent d'accéder au
" perchoir ". Il est en effet président de l'Assemblée Nationale
à deux reprises, de 1898 à 1902, puis de 1912 à 1920. C'est donc lui
qui assuma cette lourde tâche pendant les heures tragiques de la Grande
Guerre. Entre temps, il avait été élu à l'Académie française en
1899, à l'âge de 45 ans ! Un tel parcours en dit long sur la valeur de
cet homme qui, pour n'avoir sans doute pas fait l'unanimité parmi la
classe politique de son temps, n'en est pas moins resté à l'écart des
scandales et des crises diverses qui brisèrent bien des carrières à l'époque.
Après l'armistice, c'est sur sa personne que s'est faite l'union des
opposants à Clemenceau. Le 18 janvier 1920, Deschanel était élu président
de la République à la place du " Tigre ", dont il ruinait
ainsi l'ultime ambition.
Très vite, le nouveau Président
surprend par son style peu conventionnel. Il montre avec effusions son
attachement au souvenir des anciens Poilus de la " Der des Ders ".
Au cours d'un voyage officiel à Bordeaux, en mars 1920, il témoigne
d'une affection sans bornes pour une " Gueule Cassée " venu
l'accueillir. Un tel comportement, on s'en doute, sort des conventions du
genre. Deschanel n'a ni le prestige distant ni le sens du protocole d'un
Poincaré. Toujours lors de sa visite à Bordeaux, il abandonne les
officiels pour prendre un bain de foule, déclame deux fois le même
discours, quitte un banquet avant la fin du repas, etc. Son attitude
intrigue, dérange et commence à inquiéter le monde politique.
Devenir président de la République
fut à la fois une belle consécration et une grande désillusion pour
Paul Deschanel. Les hautes ambitions qu'il nourrissait avant son élection
se sont vite évanouies après celle-ci. Ses projets de réformes se sont
un à un trouvés réduits à néant. Il faisait l'apprentissage de
l'impuissance du Président face au régime parlementaire de la Troisième
République. Désabusé, il s'est lui-même défini comme un " rouage
inerte " de la république... Cette désillusion, associée à une
grande fatigue physique, nerveuse et intellectuelle, est sans conteste à
l'origine d'une série de mésaventures qui scellèrent pour longtemps son
sort politique et historique.
Le 23 mai 1920, le Président
prend le train en gare de Lyon. Il doit se rendre à Montbrison pour
l'inauguration d'un monument à la mémoire d'un sénateur mort à la
guerre. Il est grippé et très fatigué. Peu avant minuit, il ouvre la
fenêtre de son compartiment, bascule dans le vide et tombe sur la voie.
Il n'a pas de mal, mais se retrouve seul dans la nuit et en pyjama dans
une région qu'il ne connaît pas. Il est recueilli par André Radeau (un
cheminot) et sa femme, qui avertissent immédiatement les autorités. Mais
dans le train présidentiel, on croit que ces nouvelles sont sans
fondement. Le Président dort et il ne faut pas le réveiller. Ce n'est
que le 24 mai, après 7 heures du matin, que l'on se rend à l'évidence :
le chef de l'État a bel et bien disparu ! Et si l'inconnu recueilli par
le couple Radeau était bien Monsieur Deschanel ? Une délégation revient
le chercher. Madame Radeau, quant à elle, avait vite compris qu'elle
avait affaire à un personnage haut placé : son hôte " avait les
pieds si propres "...
Dès que l'incident fût clos, le président Deschanel reprit une activité
tout à fait normale. Le 25 mai, il présidait comme à l'accoutumée le
conseil des Ministres. Mais la rumeur s'est vite emparée de l'affaire.
Des chansonniers la mettent en musique, des ragots circulent, la vérité
est amplifiée, déformée et contrefaite. La chute qui, médicalement,
serait la conséquence d'un syndrome " d'Elpenor ", sert de prétexte
à une véritable campagne de calomnie, à laquelle Georges Clemenceau ne
reste pas étranger. Très vite, un mot est lâché : la folie. Dès lors
les bruits les plus fous circulent : le Président aurait tenté de
grimper à un arbre lors d'une promenade dans le parc du château de
Rambouillet, en compagnie de deux députés ; en septembre 1920, il aurait
été retrouvé pataugeant dans le bassin du parc de Rambouillet ; il
aurait reçu une délégation diplomatique entièrement nu, seulement vêtu
de son écharpe de grand-croix de la Légion d'Honneur ; il aurait signé
des décrets du nom de Napoléon, etc., etc., etc.
Il serait vain d'essayer de démêler le vrai du faux dans tout cela.
Aucun témoignage tangible, aucune archive, ni aucune preuve digne de foi
n'ont pu être retrouvés pour être mis au crédit de cette légende
malveillante. Mais il y a pire : un certain nombre d'historiens ou d'écrivains,
la prenant pour argent comptant, l'ont " officialisée " dans
leurs écrits. La cause est entendue depuis longtemps : Paul Deschanel est
un fou. Point à la ligne. Comment ne pas imaginer la jubilation de
Clemenceau, face à cette destruction en règles de la notoriété de
celui qui lui avait ravi la magistrature suprême ? Son implication dans
l'établissement puis la propagation des rumeurs n'est pas évidente à établir,
mais de toute évidence celles-ci ont bien servi sa cause.
Le 21 septembre 1920, c'est un Paul Deschanel fatigué, désabusé et miné
par la calomnie qui donne sa démission. Après un trimestre de repos, il
reprend une activité politique. Le 9 janvier 1921, il est élu sénateur
d'Eure-et-Loir. Les personnes qui le côtoient à cette époque ne relèvent
pas le moindre signe de démence. Au contraire. C'est un homme en pleine
possession de ses moyens intellectuels qui commence une seconde carrière.
Mais celle-ci n'est que de courte durée, puisqu'il meurt subitement le 28
avril 1922, sans avoir pu faire oublier une légende noire qui le poursuit
jusqu'à nos jours...
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