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Charles Alexandre CHEDAILLE 

(Mesbrecourt, 22 février 1843 - Chauny, 30 novembre 1914)


Français.

Religieux.



par Jacques Chedaille


 

     Quelques dates :

1856, fait son entrée scolaire au petit séminaire de Saint-Léger, à Soissons.

1866,
ordonné prêtre.
1869,
vicaire à la basilique de Saint-Quentin.
1872,
curé de Beaurevoir.
1877,
nommé Supérieur de l’Institution Saint-Charles de Chauny.
1887,
curé de Saint-Gobain.
1895, curé de Chauny.


 






Charles Alexandre Chedaille naît le 22 février 1843 dans le village de Mesbrecourt, situé au voisinage de la Serre, petite rivière du département de l’Aisne et affluent de l’Oise, à quinze km au nord-ouest de Laon. Il est le deuxième enfant d’une famille qui en comptera huit. Son père, Amable Désiré, est bourrelier, originaire du même village. Sa mère, Adélaïde, née Lefevre, file la laine à la maison. Elle a épousé son cousin germain qu’elle connaissait depuis son enfance, tous deux étant nés dans le même village.

Amable fait partie de la cinquième génération  des
Chedaille à Mesbrecourt, depuis que son ancêtre Antoine, originaire d’Eppes, à six km à l’Est de Laon, s’y est installé, en octobre 1726, comme petit mercier.

La France est dirigée par Louis-Philippe 1er qui s’est octroyé le titre de roi des Français et doit faire face, dans la capitale, à des soulèvements populaires, tantôt républicains, tantôt légitimistes, tantôt bonapartistes.

Les journaux parisiens, apportés à Laon par la diligence, font état des exploits du duc d’Aumale, fils de Louis-Philippe, militaire en Algérie sous l’autorité du général Bugeaud, gouverneur depuis 1840, qui a capturé, le 16 mai 1843, la smala d’Abd El Kader, campement itinérant où sont réunis ses femmes, ses serviteurs et ses trésors. Victoria, jeune reine d’Angleterre, en voyage officiel en France, participe, le 3 septembre 1843, à l’ouverture de la ligne de chemin de fer Paris-Orléans.

Charles Alexandre a treize ans lorsque le curé du village propose à ses parents de le faire entrer au petit séminaire de Soissons. Les parents demandent un temps de réflexion, mais  la naissance du septième enfant est attendue pour fin août de cette année 1856. Après la disparition brutale de Marie-Emilie, l’avant-dernière née, à l’âge de deux ans, en 1853, il y a encore cinq enfants à élever à la maison.

La décision est prise lorsque le curé, rendant à nouveau visite aux parents, assure qu’il a obtenu de Mgr de Garcignies, évêque de Soissons, son accord pour une prise en charge des frais de scolarité de Charles au petit séminaire. Le curé met en avant les capacités intellectuelles dont l’enfant a fait preuve jusque maintenant. Il explique aux parents que se présente une occasion exceptionnelle de donner à Charles une formation scolaire et peut-être universitaire qu’ils ne pourraient lui offrir avec leurs propres moyens et qu’ils ne peuvent laisser passer cette chance.



Le premier mercredi d’octobre 1856, Charles Alexandre fait son entrée scolaire au petit séminaire de Saint-Léger, à Soissons.

Comme le précise la brochure diffusée par sa direction :

  • le Petit Séminaire a pour but de former à la Piété et aux sciences, loin du contact et de la dissipation du monde, les jeunes aspirants au Sacerdoce,

  •  les matières de l’enseignement sont conformes au programmes de l’enseignement secondaire ; elles comprennent donc, outre la série des classes : les Sciences Mathématiques et Physiques, l’Histoire avec la Géographie, l’Histoire naturelle, de telle sorte qu’à la fin de leurs études, les élèves peuvent, s’il le désirent, subir l’épreuve du Baccalauréat,

  • les élèves pourront sortir avec leurs parents, les premiers lundi de décembre, de février et de juin, mais ils devront être pris et ramenés au Séminaire,

  • aucun livre étranger à la classe ne pourra être introduit dans la maison sans l’autorisation de M. le Supérieur.

Le lever a lieu chaque matin à 5 heures, sauf le lundi et le vendredi, lendemains de la promenade du dimanche et du jeudi, avec un lever décalé d’une demi-heure.

En l’année scolaire 1860-61, soit quatre ans après son entrée au séminaire, le jeune Charles Alexandre a l’insigne honneur, le 12 février, devant les membres de l’Académie littéraire présidée par l’abbé Hurillon, vicaire capitulaire, d’analyser l’oraison funèbre de la reine d’Angleterre. Un exercice que l’on ne peut oublier surtout lorsqu’on le pratique à l’âge de dix-sept ans.

Apparemment, le jeune séminariste a brillamment terminé son séjour au séminaire Saint-Léger, puisqu’on le retrouve en classe de philosophie au séminaire Saint-Sulpice, à Paris, dans les registres duquel il est déclaré comme entrant le 19 février 1862.

Il y est ordonné sous-diacre le samedi des Quatre Temps, le 27 mai 1865, puis diacre, le samedi de l’Avent 23 décembre 1865.

Sur demande expresse de Mgr Jean Jules Dours, évêque de Soissons, il est rappelé d’urgence à Soissons et doit quitter le séminaire Saint-Sulpice le 21 mai 1866. On peut supposer que son évêque ait jugé nécessaire qu’il soit ordonné prêtre en même temps que onze de ses confrères le samedi 26 mai 1866 en la cathédrale de Soissons.



La conséquence, pour Charles Alexandre, est qu’il ne sera pas considéré comme un sulpicien, puisque non ordonné à Saint-Sulpice, bien qu’y ayant préparé sa formation de prêtre. Difficile de dire si cette non-inscription dans l’annuaire des sulpiciens a été néfaste à son avancement dans la hiérarchie ecclésiastique, mais il n’est pas interdit de le penser tant les hommes d’église attachent d’importance aux formations, relations, coteries et recommandations comme on le verra dans la suite de cette reconstitution.

Charles Alexandre a dû tout de même se distinguer lors de son séjour à Saint-Sulpice puisqu’il figure dans une liste de vingt-cinq boursiers acceptés par le Ministre de la Justice et des Cultes pour les années 1867 et 1868 et couvrant les frais à l’École des Hautes Études Ecclésiastiques de Paris. C’est là qu’il va préparer la licence de lettres et compléter, au plus haut niveau, sa formation théologique. Cette Ecole a été instituée par Mgr Affre, en 1845, pour recevoir les prêtres appelés à entreprendre des études supérieures. On la désigne couramment par École des Carmes parce qu’elle occupe les bâtiments du Prieuré des Carmes Déchaux établi en ce lieu en 1615.

Nous sommes sous le Second Empire. Napoléon III est l’empereur des français depuis le plébiscite de 1852. Le baron Haussmann, préfet de Paris depuis 1853, transforme cette ville en un immense chantier. Le réseau ferroviaire français est en pleine extension. La loi d’Emile Ollivier, votée le 25 mai 1864, autorise le droit de grève. L’Association internationale des travailleurs met en place, à Londres, le 28 septembre 1864, la première Internationale, sous l’autorité de Karl Marx. Les journaux français relatent au bon peuple de France les exploits de ses troupes en Cochinchine, au Cambodge et en Algérie.

Après sa licence de lettres, Charles Alexandre se fait engager comme précepteur dans une riche famille aristocrate belge à Bruxelles : celle du Comte de Meeus qu’il accompagne dans un voyage en Orient. Pour une jeune prêtre frais émoulu de l’École, âgé de 25 ans, il n’est rien de plus enthousiasmant que de visiter les lieux où le Christ a vécu.

La famille de Meeus a été anoblie par diplôme décerné par Léopold 1er, roi de Belgique, le 10 décembre 1836, à Ferdinand-Philippe Meeus, en reconnaissance des services rendus au pays (la Belgique),  alors qu’il était gouverneur de la Société Générale de Belgique.

Pendant ses séjours parisiens, à Saint-Sulpice puis aux Carmes, notre jeune prêtre s’est fait des relations amicales, comme il se doit. Il en est une qu’il conservera toute de sa vie et dont il essaiera de tirer quelque avantage. C’est celle développée avec l’abbé Mignot, connu dès le séminaire Saint-Léger à Soissons, retrouvé à Saint-Sulpice, puis à la basilique de Saint-Quentin, où ils seront vicaires à la même période. L’amitié qui s’installe entre les deux ecclésiastiques va se maintenir toute leur vie, malgré les voies nettement différentes suivies par chacun d’eux.

Charles Alexandre est au Caire quand lui arrive, de Saint-Quentin, une lettre qui va définir son avenir. Son ami Mignot, alors vicaire à la basilique, lui fait part de la volonté de M. Gobaille, archiprêtre à la basilique, de le nommer vicaire à Saint-Quentin, en remplacement de M. Vaillant décédé. Il n’est pas question de refuser une telle proposition qui va l’installer dans une basilique célèbre de sa région de naissance, entouré des prêtres comme Mignot, son ami, Genty, Mathieu, Prevost, Poindron et Geispitz.

Il y est  nommé le 1er mai 1869, et abandonne en conséquence sa riche famille d’accueil.



Les jeunes vicaires de la basilique ont entre vingt-six et trente ans, la tête remplie d’idées nouvelles, du temps disponible. Ils confrontent leurs opinions et, comme tous ceux de leur âge, refont le monde lors de leurs discussions nocturnes interminables. Le vicaire Mignot écrit à propos de cette époque : " notre communauté était fort unie malgré de notables divergences dans les idées. M. Mathieu et M. Prevost recevaient la blanche Union, M. Genty Le Monde, M. Poindron L’Univers, moi Le Français et
Chedaille, en sa qualité de littérateur, Le Journal des Débats ".

LUnion est  un journal légitimiste, organe de la fidélité immaculée et refuge d’écrivains du temps de la Restauration. Le Français est un quotidien du soir publié à Paris depuis le 2 août 1868, dont le rédacteur en chef est François Beslay. Le Français, qui reprendra l’administration de La Défense sociale et religieuse à partir de 1879, entend " participer avec ceux qui aiment ce siècle, malgré ses erreurs et ses fautes, au travail de réconciliation du catholicisme et des temps modernes " .

Mignot écrit encore " Le Journal des Débats était moins modéré qu’aujourd’hui et accentuait un peu trop la note rationaliste. Je vois encore la figure de M. Gobaille scandalisé que ce journal put entrer au vicariat. Il obligea M.
Chedaille à cesser son abonnement. Je ne sais pas pourquoi il ne lui défendit pas de recevoir La Revue des Deux Mondes bien plus avancée que les Débats. Il l’ignorait probablement ".

Le 17 juillet 1870, Napoléon III déclare la guerre à la Prusse. Le 2 septembre, l’empereur se laisse enfermé dans Sedan et est fait prisonnier. Le 4 septembre, à Paris, une foule, entraînée par une poignée de républicains, envahit le corps législatif et fait proclamer la déchéance de la dynastie impériale.

A Saint-Quentin, la résistance contre les Prussiens s’organise sous l’autorité du nouveau préfet qui, ne pouvant rejoindre son poste à Laon, s’installe en cette ville. Les vicaires de la basilique assistent les blessés et le jeune
Chedaille se verra remettre une décoration pour son dévouement dans les ambulances.

C’est vraisemblablement sa conduite pendant la guerre qui lui a valu sa nomination d’aumônier auxiliaire attaché à la garnison de Saint-Quentin, par décision du Ministre de la Guerre du 7 décembre 1874, sur proposition de l’évêque de Soissons et après avis favorable du Directeur de l’Administration des Cultes, M. Tardif. Cette nomination résulte de la mise en application d’une loi récente, du 20 mai 1874, qui instaure la fonction d’aumônier dans les villes de garnisons militaires.

A propos de la guerre de 1870, l’abbé Mignot écrit " Le gros événement qui se produisit pendant mon vicariat ce fut la guerre de 1870. Je crois avoir consigné ailleurs mes souvenirs. Je ne pris aucune note à cette époque parce que l’abbé
Chedaille ne manquait pas de le faire. Il en prit même de si exactes que Le Journal de Saint-Quentin n’osa les publier dans la crainte de blesser au vif certaines personnalités. C’est que tout le monde alors ne fit pas son devoir. Pour les coupables, il est toujours désagréable de se l’entendre dire ! ".

Après la guerre, l’abbé
Chedaille participe, le 6 octobre 1872, en tant que vicaire de Saint-Quentin, à un pèlerinage national à Lourdes, avec une vingtaine de délégués du diocèse de Soissons et Laon, parmi une foule de 30.000 pèlerins. C’est ce que rapporte le Bulletin religieux de l’Aisne, mensuel que vient de créer l’abbé Caron, curé de Chauny, lequel Bulletin n’aura que deux ans d’existence et sera remplacé par La Foi picarde, puis par La Semaine religieuse de Soissons.

Peut-être du fait de ses qualités littéraires, déjà reconnues par ses collègues de Saint-Quentin,
Chedaille sera nommé directeur de cette Semaine religieuse de 1882 à 1902. Ce sera pour lui l’occasion d’exercer une notable influence sur les catholiques du diocèse et de servir de porte-parole aux idées de son ami et collègue Mignot nommé, le 6 juillet 1872, curé de Beaurevoir, village situé à dix-huit km au nord de Saint-Quentin.

En août et septembre 1874, nos deux amis se donnent comme défi d’effectuer ensemble un voyage en Terre sainte, lieux déjà connus de Charles-Alexandre, mais encore inconnus de son ami. Ils décident de suivre un itinéraire qui leur est propre et inverse de celui habituellement adopté par les pèlerins de l’époque : Italie, avec visite de Milan et Rome, puis embarquement à Trieste ou Brindisi pour Corfou et la Grèce, puis l’Asie mineure, la Syrie, Tyr et Sidon, la Galilée et la Samarie avec Jérusalem comme ultime étape. Ils partent le dimanche soir 26 juillet 1874 et reviennent en septembre. 

Au début de l’année 1875, les 10 et 11 mars, a lieu, à Notre-Dame de Liesse, la première assemblée des Oeuvres catholique du diocèse de Soissons. La plupart des curés et vicaires du diocèse y participent parce qu’il entre dans leurs fonctions d’en faire partie. Cependant, d’après la liste publiée par le bureau diocésain, il semble qu’il y ait une volonté d’y participer pour les décisionnaires non religieux du diocèse. On y trouve le procureur de la République de Saint-Quentin, le directeur de la manufacture de Saint-Gobain, un médecin, un juge de paix, un architecte, quatre maires, un inspecteur des Chemins de fer, le receveur de l’enregistrement de Soissons, deux avocats, trois instituteurs, deux notaires, un juge d’instruction, le conservateur des hypothèques de Saint-Quentin, un libraire, un baron, un chef de bureau de la Préfecture de Laon, un cultivateur, le directeur de la manufacture de Chauny, un comte et un marquis.

Il est permis de penser que La France profonde de l’époque, essentiellement catholique, cherche à se regrouper en réaction aux pressions républicaines en faveur de la laïcité, lesquelles vont engendrer la loi de 1905 instituant la séparation de l’Église de l’État.



A trente-quatre ans, l’abbé
Chedaille est nommé Supérieur de l’Institution Saint-Charles de Chauny. Il y restera pendant huit ans, jusqu’en juillet 1885, année au cours de laquelle l’Institution sera détruite par un terrible incendie qui mobilise toutes les compagnies de sapeurs-pompiers de la région.

Auréolé par ses deux voyages en Terre sainte et devenu un notable local, l’abbé cultive ses relations, rencontre les parents de ses élèves, lesquels sont originaires de familles bien pensantes et aisées du diocèse, ainsi que les notables qu’il invite lors de l’évènement annuel phare de l’Institution : la distribution des prix. Sa facilité rédactionnelle, déjà reconnue au temps de son vicariat à la basilique de Saint-Quentin, le conduit naturellement à rédiger de pompeux discours de remise de prix, repris dans la presse religieuse locale, à savoir la Semaine religieuse du diocèse de Soissons, à laquelle sont abonnés les parents de ses élèves et les notables du diocèse également membres des Œuvres catholiques.

Une réflexion puérile d’un élève de Saint-Charles, lors de la visite de la société de gymnastique de Saint-Quentin à Chauny, est à l’origine d’échanges épistolaires assez vifs entre les journaux locaux républicains et l’encadrement de Saint-Charles, mené par son Supérieur. Ces échanges illustrent la tension existant, en 1873, entre les mondes laic et religieux dans une petite ville de province.

L’année 1883 est vraiment celle au cours de laquelle notre abbé acquiert une notoriété diocésaine. On le retrouve au pélérinage à Notre-Dame de Liesse, le 8 septembre, où il prononce un discours. Il s’émeut, dans la Semaine du 27 octobre, de la naissance d’un nouveau journal local intitulé le Journal de Chauny. Son évêque le remarque surtout lors d’un Avent prêché avec beaucoup de prestance dans la cathédrale de Soissons, en décembre, suivi d’un sermon le jour de Noël. La conséquence en est la diffusion d’une lettre épiscopale du 26 décembre 1883, nommant chanoines honoraires en la cathédrale de Soissons les abbés Mignot et
Chedaille qui sont installés officiellement le samedi 5 janvier 1884, veille de l’Epiphanie.

Notre jeune chanoine participe activement à la vie de la Société académique de Chauny en y présentant un cylce de conférenes tirées de ses deux séjours au Moyen-Orient. Les sujets en sont :

  •  le 13 novembre 1884 : monuments, religion et littérature de l’ancienne Egypte,

  •  le 12 février 1885 : la Palestine, sa Terre, ses Hommes, ses Monuments,

  •  le 10 decembre 1885 : voyage à Athènes.

Des comptes-rendus en sont faits dans la Semaine religieuse de Soissons, dont il est le Directeur, le Journal de l’Aisne et le Bulletin de la Société académique de Chauny.

La télévision et les agences de voyages ne sont pas encore nées. Les grands voyageurs sont rares et leurs conférences très prisées : elles répondent au besoin naturel de connaissance du monde exprimé par les sociétés dites savantes.

Après l’incendie de Saint-Charles, notre chanoine ne peut rester sans affectation. L’évêché le nomme, en octobre 1887, curé de Saint-Gobain, paroisse de 2.346 habitants, siège de la Compagnie de Saint-Gobain qui finance les écoles libres de Chauny et a fait construire, en 1865, une chapelle sur le terrain de son usine de Chauny.



Comme l’abbé Mignot est, en 1887, ancien doyen de La Fère, dont dépend Saint-Gobain, et vicaire capitulaire pendant la vacance du siège épiscopal, c’est naturellement lui qui installe son ami de longue date, l’abbé
Chedaille, dans sa nouvelle paroisse, en octobre 1887. C’est aussi vraisemblablement lui qui a insisté auprès de l’évêque de Soissons pour que le poste soit attribué à notre chanoine. Comme dans les administrations ou chez les anciens élèves des grandes écoles, les relations sont très importantes dans le clergé. Toutes les cures ne se valent pas et autant réserver les confortables aux amis sûrs.

Charles Alexandre
Chedaille se montrera à la hauteur de la situation : une visite pastorale effectuée en 1893 révèle que l’église, la chaire et les confessionnaux sont en parfait état, le linge blanchi et racommodé en temps utile, le presbytère est neuf et ses jardins sont très bien entretenus, tout comme la chapelle située dans la Manufacture des Glaces. Pas de difficultés, l’entretien est assuré par le personnel de la Compagnie. La bonne du chanoine, madame veuve Legrand, âgée de cinquante-neuf ans, est une personne de bonne moralité et très active.

La vie à Saint-Gobain a été une période très sereine pour le chanoine. Le 24 mai 1890, il participe à la bénédiction de deux cloches à Tergnier et le Journal de l’Aisne en rend compte en ces termes : " aux derniers accords qui résonnent harmonieusement sous les voûtes sonores, M. le chanoine
Chedaille monte en chaire. Nous ne ferons pas ici l’éloge de l’orateur. Disons qu’il s’est tout simplement surpassé " .

Le 3 juin 1890, le Journal Officiel diffuse la décision du Président de la République, Sadi Carnot, nommant, sur le rapport d’Armand Fallières, garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Cultes, Euxode Mignot, vicaire général du diocèse de Soissons, à l’évêché de Fréjus en remplacement de M. Oury, transféré à l’évêché de Dijon.

Pendant toutes les manifestations liées à la nouvelle fonction de Mignot, les deux comparses ne vont pas se quitter. Le chanoine utilise la Semaine religieuse comme caisse de résonance de l’évènement. Il est invité à l’installation de Mignot à Albi et y reste quelque temps, suffisamment pour s’imprégner de l’atmosphère locale et en tirer un papier qui sera publié dans son hebdomadaire. Mignot va le nommer rapidement chanoine honoraire à la cathédrale d’Albi, titre purement honorifique qui satisfait momentanément l’intéressé, comme l’avait satisfait la même nomination à la cathédrale de Soissons en 1884.

A partir de 1893, Charles Alexandre, âgé de cinquante ans, apparemment en bons termes avec son nouvel évêque, en charge de la revue officielle de l’évêché, en pleine santé semble-t-il, va consacrer l’essentiel de son temps libre à deux activités qu’il juge primordiales : faire triompher les idées modernes de son ami Mignot en le supportant au maximum à travers la Semaine religieuse, et surtout se faire attribuer la crosse épiscopale.

Le chanoine affable, érudit, à l’aise dans le monde, coqueluche des dames patronnesses, va se faire dévorer par l’homme d’âge mûr, ambitieux inassouvi, qui espérera toujours, à chaque décès d’un évêque en place, pouvoir se faire désigner pour le remplacer. 

Le nombre d’évêchés, en France, est stable depuis longtemps et les nouveaux évêques sont désignés par le ministre des Cultes. Les places sont chères et il va falloir manœuvrer pour se faire nommer. 

La première occasion qui se présente est celle de l’évêché de Chambéry laissé vacant suite au décès de Mgr Leuilleux en 1893. Il en est fait mention dans la longue lettre du 14 mai 1893 adressée par notre chanoine à Mgr Mignot. Il y est question de faire intervenir, par écrit, le notable local, M. Henrivaux, directeur de la Glacière de la Compagnie de Saint-Gobain, auprès de Dumay, Directeur des Cultes auprès du Ministre de l’Éducation nationale et des Cultes, pour proposer sa candidature à Chambéry. Une telle intervention serait plus percutante si elle était supportée par un évêque en place comme Mignot. Cette première tentative d’influence échouera.

Le 29 mai 1895, l’ambitieux Charles Alexandre doit abandonner pour quelques jours ses intrigues littéraires, la recherche d’un évêché, ses ouailles et ses ripailles : son père Amable Désiré Chedaille vient de mourir, âgé de quatre-vingts ans, dans son village natal, à Mesbrecourt, laissant une veuve et cinq enfants, sans aucun bien en héritage, seulement ses habits et linges à son usage, pour une valeur estimée de vingt francs, comme il ressort de la déclaration de succession n° 238 du 5 novembre 1895, enregistrée au bureau de Crécy-sur-Serre. 

Les cinq enfants encore en vie sont :

  • Arthur Léopold, cultivateur à Monceau-le-Neuf,

  • Adélina, femme LOUVAIN Joseph, cultivateur à Lisy, commune d’Anizy,

  • Julie, femme PELLETIER Lucien, chef de culture à Aulnois,

  • Adélaïde, femme PRUDHOMME Désiré, cultivateur à Beautor,

  • Alexandre Charles, curé de N.D. de Chauny.


 

Pas le temps de s’éterniser sur ce deuil pour la vie à toute vapeur de l’abbé Chedaille, selon sa propre expression dans sa lettre à Mignot du 14 mai 1893 !

Tel qu’on le connaît maintenant, on a de bonnes raisons de penser que cette vie turbulente est sa raison de vivre, sa motivation. 

Sa nomination comme curé de Notre Dame de Chauny en remplacement de l’abbé Jardinier, décédé, confirmée par décret du nouveau Président de la République, Jean Casimir-Périer, du 26 octobre 1895, a dû le remplir de joie.

A cette époque où l’Église est totalement sous la dépendance de l’État, aucune affectation ne peut se faire sans accord du ministre des cultes. La proposition de l’évêque est adressée au ministre, qui demande l’avis du préfet quant au comportement républicain du candidat, et confirme ensuite l’affectation si l’avis du préfet est positif.

Chedaille revient à la ville qu’il connaît bien, où il a encore beaucoup de relations, en tant qu’ecclésiastique local n° 1, avec une population de 9.208 habitants, alors que Saint-Gobain n’en compte que 2.346.

A cinquante-deux ans, gras comme un chanoine selon l’expression populaire, il doit continuer à déplorer, dans son for intérieur, de ne pas être encore nommé évêque, à l’image de son plus fidèle ami.

Les intrigues vont donc continuer.

Le 3 novembre 1895, le Conseil de fabrique de l’église Notre Dame de Chauny procède, en présence du maire, à l’installation de son curé par une réunion formelle dont le compte-rendu figure à son Registre. 

A l’époque, le Conseil de Fabrique est constitué des marguilliers, fidèles élus chargés de gérer les biens de l’église, les dons et legs qui lui sont faits ainsi que l’entretien des édifices religieux. Quand la fabrique compte, dans son Conseil, un représentant des usines locales de la Manufacture des Glaces de Saint-Gobain, elle est à peu près sûre de ne pas avoir de soucis financiers pour la gestion de ses biens !

Puis, don du ciel, l’évêque de Mende, Mgr Baptifolier, décède en 1900. Compte tenu du nombre limité d’évêques et du grand nombre de postulants aux postes vacants, il convient de déclencher au plus tôt les grandes manœuvres pour placer le chanoine. Pas question d’attendre que le Seigneur souffle sa grâce divine dans l’esprit de ceux qui sont chargés de pourvoir au remplacement du défunt. Comme c’est le gouvernement qui doit désigner le successeur, autant frapper directement au plus haut niveau. C’est ainsi que Mgr Mignot se permet, par lettre du 22 octobre 1900, de recommander son ami Chedaille au Président du Conseil en place, Pierre Waldeck-Rousseau. Si la recommandation est acceptée, son application sera avantageuse aussi bien pour Mignot, qui disposera d’un suffragant sûr, que pour Chedaille qui satisfera son ambition. Rappelons que, dans la hiérarchie ecclésiastique, suffragant se dit d’un évêque dépendant d’un archevêque, lequel a autorité sur plusieurs évêchés.

Nous sommes en octobre 1900. La France se divise à propos de l’affaire Dreyfus, depuis la cassation du procès initial et son renvoi, le 3 juin 1899, devant le Conseil de Guerre de Rennes. Paris est en pleine effervescence avec son Exposition universelle et internationale qui va durer du 15 avril au 12 novembre 1900.

Mignot a quelque peu péché par omission en affirmant, dans sa lettre à Waldeck-Rousseau, que Chedaille était d’une parfaite intégrité de vie sacerdotale. Il était vicaire général à Soissons lorsque la presse locale a diffusé la lettre perdue par Chedaille dans laquelle un ami lui déconseillait la rencontre d’une sœur dans un couvent. Qu’importe, le Seigneur comprendra bien qu’il faut parfois avoir la mémoire courte pour le bien servir.

Chedaille s’est par ailleurs déplacé à Paris, le 18 du même mois, pour y rencontrer, Charles Dumay, Directeur des Cultes auprès du ministre et lui faire part de son intérêt pour l’évêché de Mende. S’il avait pu avoir un espion dans la place, notre chanoine se serait rendu compte que ses chances étaient pratiquement nulles pour cette candidature. Le bulletin de visite à remplir par chaque visiteur auprès de la Direction des Cultes mentionne en effet que Dumay a reçu Chedaille mais il précise, au crayon " Vu, commun, impression douteuse ".

Il semble que Dumay, bien que peu favorable à Chedaille, ait joué le jeu en demandant l’avis du préfet de l’Aisne sur ce candidat. La réponse du préfet, datée du 4 novembre 1901, classée très confidentielle, est un modèle d’avis défavorable : factuelle, sans envolée, elle correspond bien à l’impression que laisse le chanoine à travers ses écrits précédemment cités. C’est un arriviste qui met à son service, c’est-à-dire au service de son ambition, les qualités naturelles d’orateur, de bon vivant et d’agréable compagnie acquises et développées au cours de sa carrière.

Il est bien évident qu’avec l’avis du préfet qui vient confirmer l’impression personnelle que s’était faite Dumay en recevant le chanoine le 18 octobre 1900, il n’y a aucun espoir de promotion épiscopale prochaine pour notre héros. L’évêché de Mende sera affecté à quelqu’un d’autre.

On peut penser que l’échec de cette tentative d’intervention auprès des autorités gouvernantes dans le choix d’un évêque aurait quelque peu refroidi Mignot, mais il n’en est rien.

A la première annonce du décès d’un autre évêque, voilà notre entremetteur qui repart au combat. Mgr Billard, évêque de Carcassonne décède et une nouvelle intervention de Mignot auprès de Dumay prend corps sous forme d’une lettre non ciblée sur un évêché particulier, datée du 14 novembre 1901, recommandant chaudement l’ami Chedaille.



Nous entrons dans l’époque la plus sordide de la vie du chanoine. L’évêque de Carcassonne est à peine enterré que ce successeur possible s’empresse de convaincre des évêques supposés influents pour le recommander auprès de Dumay, décisionnaire unique pour l’ensemble de la France, dont le pouvoir est reconnu par tous.

Il est connu que de telles manigances se pratiquent tous les jours dans les milieux politiques ou le monde des affaires. Dans le milieu ecclésiastique, on pourrait penser que messieurs les curés, chanoines ou autres dignitaires, ne sont animés que par le seul souci de servir le Seigneur et qu’ils se soumettent de bonne grâce aux décisions de leurs supérieurs. En fait il n’en est rien et, là comme ailleurs, l’ambition, le goût du pouvoir sont les éléments moteurs qui expliquent les comportements des hommes et leur font commettre des maladresses qui les déprécient jusqu’à les ridiculiser.

Que notre chanoine soit un arriviste, la question ne fait plus de doute, mais que son meilleur ami, Mignot ne se rende pas compte que la cause est perdue d’avance, du fait justement de l’ambition démesurée de Chedaille qui agace ses interlocuteurs, voilà qui est surprenant de la part d’un esprit éclairé comme Mignot. Celui-ci est-il trop reconnaissant envers Chedaille qui lui a sauvé la vie lors du voyage en Terre sainte ou a-t-il besoin, dans son entourage immédiat, d’un homme de main qui dirait à sa place, haut et fort, des vérités qui dérangent l’Eglise?

Charles Dumay ne peut oublier la candidature de Chedaille à l’épiscopat. Il reçoit successivement la lettre de Mignot du 14 novembre 1901, celle de Mgr Le Camus, évêque de La Rochelle, du 10 décembre 1901, la visite de l’archevêque de Toulouse puis celle de Chedaille, lui-même, le 28 janvier 1902. Ces interventions successives ne peuvent que produire l’effet inverse de leur motivation, c’est-à-dire exaspérer le décideur plutôt que le faire pencher en faveur de l’intéressé.

L’évêché de Carcassonne ne sera pas affecté au chanoine de Chauny.

La guerre de 1914-1918 est proche. Le chanoine ne la vivra pas. Il décède d’une crise de foie, en son presbytère de Chauny le 30 novembre 1914. La Semaine religieuse de Soissons, qu’il a dirigé pendant 20 ans, en publiera en avril-mai 1916, après le départ de l’occupant prussien, une biographie élogieuse. Elle le présente comme un homme bon, patient, serviable, ami des pauvres et au service des autres. Si c’est vraiment l’image qu’il a laissé de lui c’est une bonne chose pour l’Église.