|
A voir et à lire
sur
19e.org,
et ailleurs.
|
|
| |
sur 19e.org |
|
|
|
Vous êtes ici :
>
Charles
Alexandre CHEDAILLE
|
|
Charles
Alexandre CHEDAILLE
(Mesbrecourt,
22
février 1843 - Chauny,
30
novembre 1914)
Français.
Religieux.
par Jacques Chedaille
Quelques dates :
1856,
fait son entrée
scolaire au petit séminaire de Saint-Léger, à Soissons.
1866,
ordonné prêtre.
1869,
vicaire à la basilique
de Saint-Quentin.
1872,
curé de Beaurevoir.
1877,
nommé Supérieur de
l’Institution Saint-Charles de Chauny.
1887,
curé de
Saint-Gobain.
1895, curé de Chauny.
|
|
Charles Alexandre Chedaille
naît le 22 février 1843 dans le village de Mesbrecourt, situé au
voisinage de la Serre, petite rivière du département de l’Aisne et
affluent de l’Oise, à quinze km au nord-ouest de Laon. Il est le deuxième
enfant d’une famille qui en comptera huit. Son père, Amable Désiré,
est bourrelier, originaire du même village. Sa mère, Adélaïde, née Lefevre, file la laine à la maison. Elle a épousé son cousin germain
qu’elle connaissait depuis son enfance, tous deux étant nés dans le même
village.
Amable fait partie de la
cinquième génération des
Chedaille
à Mesbrecourt, depuis que son ancêtre Antoine, originaire
d’Eppes, à six km à l’Est de Laon, s’y est installé, en octobre
1726, comme petit mercier.
La France est dirigée par
Louis-Philippe 1er qui s’est octroyé le titre de roi des
Français et doit faire face, dans la capitale, à des soulèvements
populaires, tantôt républicains, tantôt légitimistes, tantôt
bonapartistes.
Les journaux parisiens,
apportés à Laon par la diligence, font état des exploits du duc
d’Aumale, fils de Louis-Philippe, militaire en Algérie sous l’autorité
du général Bugeaud, gouverneur depuis 1840, qui a capturé, le 16 mai
1843, la smala d’Abd El Kader, campement itinérant où sont réunis ses
femmes, ses serviteurs et ses trésors. Victoria, jeune reine
d’Angleterre, en voyage officiel en France, participe, le 3 septembre
1843, à l’ouverture de la ligne de chemin de fer Paris-Orléans.
Charles Alexandre a treize ans lorsque le curé du village
propose à ses parents de le faire entrer au petit séminaire de Soissons.
Les parents demandent un temps de réflexion, mais
la naissance du septième enfant est attendue pour fin août de
cette année 1856. Après la disparition brutale de Marie-Emilie,
l’avant-dernière née, à l’âge de deux ans, en 1853, il y a encore
cinq enfants à élever à la maison.
La décision est prise
lorsque le curé, rendant à nouveau visite aux parents, assure qu’il a
obtenu de Mgr de Garcignies, évêque de Soissons, son accord pour une
prise en charge des frais de scolarité de Charles au petit séminaire. Le
curé met en avant les capacités intellectuelles dont l’enfant a fait
preuve jusque maintenant. Il explique aux parents que se présente une
occasion exceptionnelle de donner à Charles une formation scolaire et
peut-être universitaire qu’ils ne pourraient lui offrir avec leurs
propres moyens et qu’ils ne peuvent laisser passer cette chance.
Le premier mercredi d’octobre 1856, Charles
Alexandre fait son entrée scolaire au petit séminaire de Saint-Léger,
à Soissons.
Comme le précise la
brochure diffusée par sa direction :
-
le Petit Séminaire a pour but
de former à la Piété et aux sciences, loin du contact et de la
dissipation du monde, les jeunes aspirants au Sacerdoce,
-
les matières de l’enseignement sont conformes au
programmes de l’enseignement secondaire ; elles comprennent donc,
outre la série des classes : les Sciences Mathématiques et
Physiques, l’Histoire avec la Géographie, l’Histoire naturelle, de
telle sorte qu’à la fin de leurs études, les élèves peuvent, s’il
le désirent, subir l’épreuve du Baccalauréat,
-
les élèves pourront sortir
avec leurs parents, les premiers lundi de décembre, de février
et de juin, mais ils devront être pris et ramenés au Séminaire,
-
aucun livre étranger à la
classe ne pourra être introduit dans la maison sans l’autorisation
de M. le Supérieur.
Le lever a lieu chaque matin
à 5 heures, sauf le lundi et le vendredi, lendemains de la promenade du
dimanche et du jeudi, avec un lever décalé d’une demi-heure.
En l’année scolaire
1860-61, soit quatre ans après son entrée au séminaire, le jeune Charles
Alexandre a l’insigne honneur, le 12 février, devant les membres de
l’Académie littéraire présidée par l’abbé Hurillon, vicaire
capitulaire, d’analyser l’oraison funèbre de la reine d’Angleterre.
Un exercice que l’on ne peut oublier surtout lorsqu’on le pratique à
l’âge de dix-sept ans.
Apparemment, le jeune séminariste
a brillamment terminé son séjour au séminaire Saint-Léger, puisqu’on
le retrouve en classe de philosophie au séminaire Saint-Sulpice, à
Paris, dans les registres duquel il est déclaré comme entrant le 19 février
1862.
Il y est ordonné
sous-diacre le samedi des Quatre Temps, le 27 mai 1865, puis diacre, le samedi
de l’Avent 23 décembre 1865.
Sur demande expresse de Mgr
Jean Jules Dours, évêque de Soissons, il est rappelé d’urgence à
Soissons et doit quitter le séminaire Saint-Sulpice le 21 mai 1866. On
peut supposer que son évêque ait jugé nécessaire qu’il soit ordonné
prêtre en même temps que onze de ses confrères le samedi 26 mai 1866 en
la cathédrale de Soissons.
La conséquence, pour
Charles Alexandre, est qu’il ne sera pas considéré comme un sulpicien,
puisque non ordonné à Saint-Sulpice, bien qu’y ayant préparé sa
formation de prêtre. Difficile de dire si cette non-inscription dans
l’annuaire des sulpiciens a été néfaste à son avancement dans la hiérarchie
ecclésiastique, mais il n’est pas interdit de le penser tant les hommes
d’église attachent d’importance aux formations, relations, coteries
et recommandations comme on le verra dans la suite de cette
reconstitution.
Charles Alexandre a dû tout
de même se distinguer lors de son séjour à Saint-Sulpice puisqu’il
figure dans une liste de vingt-cinq boursiers acceptés par le Ministre de la
Justice et des Cultes pour les années 1867 et 1868 et couvrant les frais
à l’École des Hautes Études Ecclésiastiques de Paris. C’est là
qu’il va préparer la licence de lettres et compléter, au plus haut
niveau, sa formation théologique. Cette Ecole a été instituée par Mgr
Affre, en 1845, pour recevoir les prêtres appelés à entreprendre des études
supérieures. On la désigne couramment par École des Carmes parce
qu’elle occupe les bâtiments du Prieuré des Carmes Déchaux établi en
ce lieu en 1615.
Nous sommes sous le Second Empire.
Napoléon III est l’empereur des français depuis le plébiscite de
1852. Le baron Haussmann, préfet de Paris depuis 1853, transforme cette
ville en un immense chantier. Le réseau ferroviaire français est en
pleine extension. La loi d’Emile Ollivier, votée le 25 mai 1864,
autorise le droit de grève. L’Association internationale des
travailleurs met en place, à Londres, le 28 septembre 1864, la première
Internationale, sous l’autorité de Karl Marx. Les journaux français
relatent au bon peuple de France les exploits de ses troupes en
Cochinchine, au Cambodge et en Algérie.
Après sa licence de
lettres, Charles Alexandre se fait engager comme précepteur dans une
riche famille aristocrate belge à Bruxelles : celle du Comte de Meeus qu’il accompagne dans un voyage en Orient. Pour une jeune prêtre
frais émoulu de l’École, âgé de 25 ans, il n’est rien de plus
enthousiasmant que de visiter les lieux où le Christ a vécu.
La famille de Meeus a été
anoblie par diplôme décerné par Léopold 1er, roi de
Belgique, le 10 décembre 1836, à Ferdinand-Philippe Meeus, en
reconnaissance des services rendus au pays (la Belgique),
alors qu’il était gouverneur de la Société
Générale de Belgique.
Pendant ses séjours
parisiens, à Saint-Sulpice puis aux Carmes, notre jeune prêtre s’est
fait des relations amicales, comme il se doit. Il en est une qu’il
conservera toute de sa vie et dont il essaiera de tirer quelque avantage.
C’est celle développée avec l’abbé Mignot, connu dès le séminaire
Saint-Léger à Soissons, retrouvé à Saint-Sulpice, puis à la basilique
de Saint-Quentin, où ils seront vicaires à la même période. L’amitié
qui s’installe entre les deux ecclésiastiques va se maintenir toute
leur vie, malgré les voies nettement différentes suivies par chacun
d’eux.
Charles Alexandre est au
Caire quand lui arrive, de Saint-Quentin, une lettre qui va définir son
avenir. Son ami Mignot, alors vicaire à la basilique, lui fait part de la
volonté de M. Gobaille, archiprêtre à la basilique, de le nommer
vicaire à Saint-Quentin, en remplacement de M. Vaillant décédé. Il
n’est pas question de refuser une telle proposition qui va l’installer
dans une basilique célèbre de sa région de naissance, entouré des prêtres
comme Mignot, son ami, Genty, Mathieu, Prevost, Poindron et Geispitz.
Il
y est nommé le 1er
mai 1869, et abandonne en conséquence sa riche famille d’accueil.
Les
jeunes vicaires de la basilique ont entre vingt-six et trente ans, la tête remplie
d’idées nouvelles, du temps disponible. Ils confrontent leurs opinions
et, comme tous ceux de leur âge, refont le monde lors de leurs
discussions nocturnes interminables. Le vicaire Mignot écrit à propos de
cette époque : " notre communauté était fort unie malgré de
notables divergences dans les idées. M. Mathieu et M. Prevost recevaient
la blanche Union, M. Genty
Le Monde, M. Poindron
L’Univers, moi Le Français et
Chedaille, en sa qualité de littérateur, Le
Journal des Débats
".
L’Union
est un journal légitimiste, organe de la fidélité immaculée
et refuge d’écrivains du temps de la Restauration. Le Français
est un quotidien du soir publié à Paris depuis le 2 août 1868, dont le
rédacteur en chef est François Beslay. Le Français,
qui reprendra l’administration de La
Défense sociale et religieuse à partir de 1879, entend "
participer
avec ceux qui aiment ce siècle, malgré ses erreurs et ses fautes, au
travail de réconciliation du catholicisme et des temps modernes " .
Mignot écrit encore
" Le
Journal des Débats était moins modéré qu’aujourd’hui et
accentuait un peu trop la note rationaliste. Je vois encore la figure de
M. Gobaille scandalisé que ce journal put entrer au vicariat. Il obligea
M.
Chedaille
à cesser son abonnement. Je ne sais pas pourquoi il ne lui défendit
pas de recevoir La Revue des Deux
Mondes bien plus avancée que les Débats.
Il l’ignorait probablement ".
Le 17 juillet 1870, Napoléon III déclare
la guerre à la Prusse. Le 2 septembre, l’empereur se laisse enfermé
dans Sedan et est fait prisonnier. Le 4 septembre, à Paris, une foule,
entraînée par une poignée de républicains, envahit le corps législatif
et fait proclamer la déchéance de la dynastie impériale.
A Saint-Quentin, la résistance contre les Prussiens
s’organise sous l’autorité du nouveau préfet qui, ne pouvant
rejoindre son poste à Laon, s’installe en cette ville. Les vicaires de
la basilique assistent les blessés et le jeune
Chedaille
se verra
remettre une décoration pour son dévouement dans les ambulances.
C’est vraisemblablement sa
conduite pendant la guerre qui lui a valu sa nomination d’aumônier
auxiliaire attaché à la garnison de Saint-Quentin, par décision du
Ministre de la Guerre du 7 décembre 1874, sur proposition de l’évêque
de Soissons et après avis favorable du Directeur de l’Administration
des Cultes, M. Tardif. Cette nomination résulte de la mise en application
d’une loi récente, du 20 mai 1874, qui instaure la fonction d’aumônier
dans les villes de garnisons militaires.
A propos de la guerre de
1870, l’abbé Mignot écrit " Le gros événement qui se produisit
pendant mon vicariat ce fut la guerre de 1870. Je crois avoir consigné
ailleurs mes souvenirs. Je ne pris aucune note à cette époque parce que
l’abbé
Chedaille
ne manquait pas de le faire. Il en prit même de si
exactes que Le Journal de
Saint-Quentin n’osa les publier dans la crainte de blesser au vif
certaines personnalités. C’est que tout le monde alors ne fit pas son
devoir. Pour les coupables, il est toujours désagréable de se
l’entendre dire ! ".
Après
la guerre, l’abbé
Chedaille
participe, le 6 octobre 1872, en tant que
vicaire de Saint-Quentin, à un pèlerinage national à Lourdes, avec une
vingtaine de délégués du diocèse de Soissons et Laon, parmi une foule
de 30.000 pèlerins. C’est ce que rapporte le Bulletin
religieux de l’Aisne, mensuel que vient de créer l’abbé Caron,
curé de Chauny, lequel Bulletin
n’aura que deux ans d’existence et sera remplacé par La Foi picarde, puis par La
Semaine religieuse de Soissons.
Peut-être du
fait de ses qualités littéraires, déjà reconnues par ses collègues de
Saint-Quentin,
Chedaille
sera nommé directeur de cette Semaine religieuse de 1882 à 1902. Ce sera pour lui l’occasion
d’exercer une notable influence sur les catholiques du diocèse et de
servir de porte-parole aux idées de son ami et collègue Mignot nommé,
le 6 juillet 1872, curé de Beaurevoir, village situé à dix-huit km au nord de
Saint-Quentin.
En août et septembre 1874,
nos deux amis se donnent comme défi d’effectuer ensemble un voyage en
Terre sainte, lieux déjà connus de Charles-Alexandre, mais encore
inconnus de son ami. Ils décident de suivre un itinéraire qui leur est
propre et inverse de celui habituellement adopté par les pèlerins de
l’époque : Italie, avec visite de Milan et Rome, puis embarquement
à Trieste ou Brindisi pour Corfou et la Grèce, puis l’Asie mineure, la
Syrie, Tyr et Sidon, la Galilée et la Samarie avec Jérusalem comme
ultime étape. Ils partent le dimanche soir 26 juillet 1874 et reviennent
en septembre.
Au début de l’année 1875, les 10 et 11 mars, a
lieu, à Notre-Dame de Liesse, la première assemblée des Oeuvres
catholique du diocèse de Soissons. La plupart des curés et vicaires du
diocèse y participent parce qu’il entre dans leurs fonctions d’en
faire partie. Cependant, d’après la liste publiée par le bureau diocésain,
il semble qu’il y ait une volonté d’y participer pour les décisionnaires
non religieux du diocèse. On y trouve le procureur de la République de
Saint-Quentin, le directeur de la manufacture de Saint-Gobain, un médecin,
un juge de paix, un architecte, quatre maires, un inspecteur des Chemins de
fer, le receveur de l’enregistrement de Soissons, deux avocats, trois
instituteurs, deux notaires, un juge d’instruction, le conservateur des
hypothèques de Saint-Quentin, un libraire, un baron, un chef de bureau de
la Préfecture de Laon, un cultivateur, le directeur de la manufacture de
Chauny, un comte et un marquis.
Il
est permis de penser que La France profonde de l’époque,
essentiellement catholique, cherche à se regrouper en réaction aux
pressions républicaines en faveur de la laïcité, lesquelles vont
engendrer la loi de 1905 instituant la séparation de l’Église de l’État.
A trente-quatre ans, l’abbé
Chedaille
est nommé Supérieur de l’Institution Saint-Charles de
Chauny. Il y restera pendant huit ans, jusqu’en juillet 1885, année au
cours de laquelle l’Institution sera détruite par un terrible incendie
qui mobilise toutes les compagnies de sapeurs-pompiers de la région.
Auréolé par ses deux
voyages en Terre sainte et devenu un notable local, l’abbé cultive ses
relations, rencontre les parents de ses élèves, lesquels sont
originaires de familles bien pensantes et aisées du diocèse, ainsi que
les notables qu’il invite lors de l’évènement annuel phare de
l’Institution : la distribution des prix. Sa facilité rédactionnelle,
déjà reconnue au temps de son vicariat à la basilique de Saint-Quentin,
le conduit naturellement à rédiger de pompeux discours de remise de
prix, repris dans la presse religieuse locale, à savoir la Semaine
religieuse du diocèse de Soissons, à laquelle sont abonnés les
parents de ses élèves et les notables du diocèse également membres des
Œuvres catholiques.
Une réflexion puérile
d’un élève de Saint-Charles, lors de la visite de la société de
gymnastique de Saint-Quentin à Chauny, est à l’origine d’échanges
épistolaires assez vifs entre les journaux locaux républicains et
l’encadrement de Saint-Charles, mené par son Supérieur. Ces échanges
illustrent la tension existant, en 1873, entre les mondes laic et
religieux dans une petite ville de province.
L’année 1883 est vraiment celle au cours de
laquelle notre abbé acquiert une notoriété diocésaine. On le retrouve
au pélérinage à Notre-Dame de Liesse, le 8 septembre, où il prononce un
discours. Il s’émeut, dans la Semaine
du 27 octobre, de la naissance d’un nouveau journal local intitulé le Journal
de Chauny. Son évêque le remarque surtout lors d’un Avent prêché
avec beaucoup de prestance dans la cathédrale de Soissons, en décembre,
suivi d’un sermon le jour de Noël. La conséquence en est la diffusion
d’une lettre épiscopale du 26 décembre 1883, nommant chanoines
honoraires en la cathédrale de Soissons les abbés Mignot et
Chedaille
qui sont installés officiellement le samedi 5 janvier 1884, veille de
l’Epiphanie.
Notre jeune chanoine participe activement à la vie de
la Société académique de Chauny en y présentant un cylce de
conférenes tirées de ses deux séjours au Moyen-Orient. Les sujets en
sont :
-
le 13 novembre 1884 : monuments, religion et
littérature de l’ancienne Egypte,
-
le 12 février 1885 : la Palestine, sa Terre,
ses Hommes, ses Monuments,
-
le 10 decembre 1885 : voyage à Athènes.
Des comptes-rendus en sont
faits dans la Semaine religieuse de Soissons, dont il est le
Directeur, le Journal de l’Aisne et le Bulletin de la Société
académique de Chauny.
La télévision et les
agences de voyages ne sont pas encore nées. Les grands voyageurs sont
rares et leurs conférences très prisées : elles répondent au
besoin naturel de connaissance du monde exprimé par les sociétés dites
savantes.
Après l’incendie de
Saint-Charles, notre chanoine ne peut rester sans affectation. L’évêché
le nomme, en octobre 1887, curé de Saint-Gobain, paroisse de 2.346
habitants, siège de la Compagnie de Saint-Gobain qui finance les écoles
libres de Chauny et a fait construire, en 1865, une chapelle sur le
terrain de son usine de Chauny.
Comme l’abbé Mignot est, en 1887, ancien doyen de
La Fère, dont dépend Saint-Gobain, et vicaire capitulaire pendant la
vacance du siège épiscopal, c’est naturellement lui qui installe son
ami de longue date, l’abbé
Chedaille, dans sa nouvelle paroisse, en
octobre 1887. C’est aussi vraisemblablement lui qui a insisté auprès
de l’évêque de Soissons pour que le poste soit attribué à notre
chanoine. Comme dans les administrations ou chez les anciens élèves des
grandes écoles, les relations sont très importantes dans le clergé.
Toutes les cures ne se valent pas et autant réserver les confortables aux
amis sûrs.
Charles Alexandre
Chedaille se montrera à la hauteur
de la situation : une visite pastorale effectuée en 1893 révèle que
l’église, la chaire et les confessionnaux sont en parfait état, le
linge blanchi et racommodé en temps utile, le presbytère est neuf et ses
jardins sont très bien entretenus, tout comme la chapelle située dans la
Manufacture des Glaces. Pas de difficultés, l’entretien est assuré par
le personnel de la Compagnie. La bonne du chanoine, madame veuve Legrand,
âgée de cinquante-neuf ans, est une personne de bonne moralité et très active.
La vie à Saint-Gobain a été une période très
sereine pour le chanoine. Le 24 mai 1890, il participe à la bénédiction
de deux cloches à Tergnier et le Journal
de l’Aisne en rend compte en ces termes : " aux derniers accords qui
résonnent harmonieusement sous les voûtes sonores, M. le chanoine
Chedaille monte en chaire. Nous ne ferons pas ici l’éloge de
l’orateur. Disons qu’il s’est tout simplement surpassé " .
Le 3 juin 1890, le Journal Officiel diffuse la décision du Président de la République,
Sadi Carnot, nommant, sur le rapport d’Armand Fallières, garde des
Sceaux, ministre de la Justice et des Cultes, Euxode Mignot, vicaire général
du diocèse de Soissons, à l’évêché de Fréjus en remplacement de M.
Oury, transféré à l’évêché de Dijon.
Pendant toutes les manifestations liées à la
nouvelle fonction de Mignot, les deux comparses ne vont pas se quitter. Le
chanoine utilise la Semaine
religieuse comme caisse de résonance de l’évènement. Il est invité
à l’installation de Mignot à Albi et y reste quelque temps,
suffisamment pour s’imprégner de l’atmosphère locale et en tirer un
papier qui sera publié dans son hebdomadaire. Mignot va le nommer
rapidement chanoine honoraire à la cathédrale d’Albi, titre purement
honorifique qui satisfait momentanément l’intéressé, comme l’avait
satisfait la même nomination à la cathédrale de Soissons en 1884.
A partir de 1893, Charles Alexandre, âgé de cinquante ans,
apparemment en bons termes avec son nouvel évêque, en charge de la revue
officielle de l’évêché, en pleine santé semble-t-il, va consacrer
l’essentiel de son temps libre à deux activités qu’il juge
primordiales : faire triompher les idées modernes de son ami Mignot en le supportant au maximum à travers la Semaine
religieuse, et surtout se faire attribuer la crosse épiscopale.
Le chanoine affable, érudit, à l’aise dans le
monde, coqueluche des dames patronnesses, va se faire dévorer par
l’homme d’âge mûr, ambitieux inassouvi, qui espérera toujours, à
chaque décès d’un évêque en place, pouvoir se faire désigner pour
le remplacer.
Le nombre d’évêchés, en France, est stable depuis
longtemps et les nouveaux évêques sont désignés par le ministre des
Cultes. Les places sont chères et il va falloir manœuvrer pour se faire
nommer.
La première occasion qui se présente est celle de
l’évêché de Chambéry laissé vacant suite au décès de Mgr Leuilleux en 1893. Il en est fait mention dans la longue lettre du 14 mai
1893 adressée par notre chanoine à Mgr Mignot. Il y est question de
faire intervenir, par écrit, le notable local, M. Henrivaux, directeur de
la Glacière de la Compagnie de Saint-Gobain, auprès de Dumay, Directeur
des Cultes auprès du Ministre de l’Éducation nationale et des Cultes,
pour proposer sa candidature à Chambéry. Une telle intervention serait
plus percutante si elle était supportée par un évêque en place comme Mignot. Cette première tentative d’influence échouera.
Le 29 mai 1895, l’ambitieux
Charles Alexandre doit abandonner pour quelques jours ses intrigues littéraires,
la recherche d’un évêché, ses ouailles et ses ripailles : son père
Amable Désiré Chedaille vient de mourir, âgé de quatre-vingts ans, dans son
village natal, à Mesbrecourt, laissant une veuve et cinq enfants, sans
aucun bien en héritage, seulement ses habits et linges à son usage, pour
une valeur estimée de vingt francs, comme il ressort de la déclaration de
succession n° 238 du 5 novembre 1895, enregistrée au bureau de Crécy-sur-Serre.
Les cinq enfants encore en vie sont :
-
Arthur Léopold, cultivateur à Monceau-le-Neuf,
-
Adélina, femme LOUVAIN Joseph, cultivateur à Lisy, commune
d’Anizy,
-
Julie, femme PELLETIER Lucien, chef de culture à Aulnois,
-
Adélaïde, femme PRUDHOMME Désiré, cultivateur à Beautor,
-
Alexandre Charles, curé de N.D. de Chauny.
Pas le temps de s’éterniser sur
ce deuil pour la vie à toute vapeur
de l’abbé
Chedaille, selon sa propre expression dans sa lettre à Mignot du 14 mai 1893 !
Tel qu’on le connaît maintenant,
on a de bonnes raisons de penser que cette vie turbulente est sa raison de
vivre, sa motivation.
Sa nomination comme curé de Notre
Dame de Chauny en remplacement de l’abbé Jardinier, décédé, confirmée par décret du nouveau Président de la
République, Jean Casimir-Périer, du 26 octobre 1895, a dû le remplir de
joie.
A cette époque où l’Église est
totalement sous la dépendance de l’État, aucune affectation ne peut se
faire sans accord du ministre des cultes. La proposition de l’évêque
est adressée au ministre, qui demande l’avis du préfet quant au
comportement républicain du candidat, et confirme ensuite l’affectation
si l’avis du préfet est positif.
Chedaille revient à la ville
qu’il connaît bien, où il a encore beaucoup de relations, en tant
qu’ecclésiastique local n° 1, avec une population de 9.208 habitants,
alors que Saint-Gobain n’en compte que 2.346.
A cinquante-deux ans, gras comme un chanoine selon l’expression
populaire, il doit continuer à déplorer, dans son for intérieur, de ne
pas être encore nommé évêque, à l’image de son plus fidèle ami.
Les intrigues vont donc continuer.
Le 3 novembre 1895, le Conseil de
fabrique de l’église Notre Dame de Chauny procède, en présence du
maire, à l’installation de son curé par une réunion formelle dont le
compte-rendu figure à son Registre.
A l’époque, le Conseil de
Fabrique est constitué des marguilliers, fidèles élus chargés de gérer
les biens de l’église, les dons et legs qui lui sont faits ainsi que
l’entretien des édifices religieux. Quand la fabrique compte, dans son
Conseil, un représentant des usines locales de la Manufacture des Glaces
de Saint-Gobain, elle est à peu près sûre de ne pas avoir de soucis
financiers pour la gestion de ses biens !
Puis, don du ciel, l’évêque de
Mende, Mgr Baptifolier, décède en 1900. Compte tenu du nombre limité
d’évêques et du grand nombre de postulants aux postes vacants, il
convient de déclencher au plus tôt les grandes manœuvres pour placer le
chanoine. Pas question d’attendre que le Seigneur souffle sa grâce
divine dans l’esprit de ceux qui sont chargés de pourvoir au
remplacement du défunt. Comme c’est le gouvernement qui doit désigner
le successeur, autant frapper directement au plus haut niveau. C’est
ainsi que Mgr Mignot se permet, par lettre du 22 octobre 1900, de
recommander son ami Chedaille au Président du Conseil en place, Pierre Waldeck-Rousseau. Si la recommandation est acceptée, son application sera
avantageuse aussi bien pour Mignot, qui disposera d’un suffragant sûr,
que pour Chedaille qui satisfera son ambition. Rappelons que, dans la hiérarchie
ecclésiastique, suffragant se dit d’un évêque dépendant d’un
archevêque, lequel a autorité sur plusieurs évêchés.
Nous sommes en octobre 1900. La
France se divise à propos de l’affaire Dreyfus, depuis la cassation du
procès initial et son renvoi, le 3 juin 1899, devant le Conseil de Guerre
de Rennes. Paris est en pleine effervescence avec son Exposition
universelle et internationale qui va durer du 15 avril au 12 novembre
1900.
Mignot a quelque peu péché par
omission en affirmant, dans sa lettre à Waldeck-Rousseau, que Chedaille
était d’une parfaite intégrité de vie sacerdotale. Il était vicaire
général à Soissons lorsque la presse locale a diffusé la lettre perdue
par Chedaille dans laquelle un ami lui déconseillait la rencontre d’une
sœur dans un couvent. Qu’importe, le Seigneur comprendra bien qu’il
faut parfois avoir la mémoire courte pour le bien servir.
Chedaille s’est par ailleurs déplacé
à Paris, le 18 du même mois, pour y rencontrer, Charles Dumay, Directeur
des Cultes auprès du ministre et lui faire part de son intérêt pour
l’évêché de Mende. S’il avait pu avoir un espion dans la place,
notre chanoine se serait rendu compte que ses chances étaient
pratiquement nulles pour cette candidature. Le bulletin de visite à
remplir par chaque visiteur auprès de la Direction des Cultes mentionne
en effet que Dumay a reçu Chedaille mais il précise, au crayon " Vu, commun, impression douteuse
".
Il semble que Dumay, bien que peu
favorable à Chedaille, ait joué le jeu en demandant l’avis du préfet
de l’Aisne sur ce candidat. La réponse du préfet, datée du 4 novembre
1901, classée très confidentielle, est un modèle d’avis défavorable :
factuelle, sans envolée, elle correspond bien à l’impression que
laisse le chanoine à travers ses écrits précédemment cités. C’est
un arriviste qui met à son service, c’est-à-dire au service de son
ambition, les qualités naturelles d’orateur, de bon vivant et d’agréable
compagnie acquises et développées au cours de sa carrière.
Il est bien évident qu’avec
l’avis du préfet qui vient confirmer l’impression personnelle que
s’était faite Dumay en recevant le chanoine le 18 octobre 1900, il
n’y a aucun espoir de promotion épiscopale prochaine pour notre héros.
L’évêché de Mende sera affecté à quelqu’un d’autre.
On peut penser que l’échec de
cette tentative d’intervention auprès des autorités gouvernantes dans
le choix d’un évêque aurait quelque peu refroidi Mignot, mais il
n’en est rien.
A la première annonce du décès
d’un autre évêque, voilà notre entremetteur qui repart au combat. Mgr
Billard, évêque de Carcassonne décède et une nouvelle intervention de
Mignot auprès de Dumay prend corps sous forme d’une lettre non ciblée
sur un évêché particulier, datée du 14 novembre 1901, recommandant
chaudement l’ami Chedaille.
Nous entrons dans l’époque la
plus sordide de la vie du chanoine. L’évêque de Carcassonne est à
peine enterré que ce successeur possible s’empresse de convaincre des
évêques supposés influents pour le recommander auprès de Dumay, décisionnaire
unique pour l’ensemble de la France, dont le pouvoir est reconnu par
tous.
Il est connu que de telles
manigances se pratiquent tous les jours dans les milieux politiques ou le
monde des affaires. Dans le milieu ecclésiastique, on pourrait penser que
messieurs les curés, chanoines ou autres dignitaires, ne sont animés que
par le seul souci de servir le Seigneur et qu’ils se soumettent de bonne
grâce aux décisions de leurs supérieurs. En fait il n’en est rien et,
là comme ailleurs, l’ambition, le goût du pouvoir sont les éléments
moteurs qui expliquent les comportements des hommes et leur font commettre
des maladresses qui les déprécient jusqu’à les ridiculiser.
Que notre chanoine soit un
arriviste, la question ne fait plus de doute, mais que son meilleur ami, Mignot
ne se rende pas compte que la cause est perdue d’avance, du fait
justement de l’ambition démesurée de Chedaille qui agace ses
interlocuteurs, voilà qui est surprenant de la part d’un esprit éclairé
comme Mignot. Celui-ci est-il trop reconnaissant envers Chedaille qui lui
a sauvé la vie lors du voyage en Terre sainte ou a-t-il besoin, dans son
entourage immédiat, d’un homme de main qui dirait à sa place, haut et
fort, des vérités qui dérangent l’Eglise?
Charles Dumay ne peut oublier la
candidature de Chedaille à l’épiscopat. Il reçoit successivement la
lettre de Mignot du 14 novembre 1901, celle de Mgr Le Camus, évêque de
La Rochelle, du 10 décembre 1901, la visite de l’archevêque de
Toulouse puis celle de Chedaille, lui-même, le 28 janvier 1902. Ces
interventions successives ne peuvent que produire l’effet inverse de
leur motivation, c’est-à-dire exaspérer le décideur plutôt que le
faire pencher en faveur de l’intéressé.
L’évêché de Carcassonne ne sera
pas affecté au chanoine de Chauny.
La guerre de 1914-1918 est proche. Le
chanoine ne la vivra pas. Il décède d’une crise de foie, en son
presbytère de Chauny le 30 novembre 1914. La
Semaine religieuse de Soissons, qu’il
a dirigé pendant 20 ans, en publiera en avril-mai 1916, après le départ
de l’occupant prussien, une biographie élogieuse. Elle le présente
comme un homme bon, patient, serviable, ami des pauvres et au service des
autres. Si c’est vraiment l’image qu’il a laissé de lui c’est une
bonne chose pour l’Église.
|