Pierre-Jean de Béranger naît à Paris, le 17 août 1780, au 50 rue Montorgueil à Paris. Il s'agit là du domicile de son
grand-père, tailleur de son état, à qui l'enfant est confié par ses
parents. Son père serait issue d'une famille de la noblesse provençale.
Jusqu'à l'âge de neuf ans, Béranger demeure auprès de son aïeul. Ce
dernier lui apprend à lire et à écrire, lui explique également les
bienfaits que doivent apporter au peuple les événements de 1789.
L'enfant fréquente alors la rue et assiste, le 14 juillet, à la prise de
la Bastille par les émeutiers parisiens. L'insurrection dans la capitale
inquiète cependant les parents de Béranger qui choisissent de
l'éloigner, le confiant à présent à une tante. Celle-ci réside à
Péronne, dans la Somme, où elle est la tenancière d'une auberge. Dans
la commune, inscrit à l'Institut patriotique, il y poursuit quelques
études sous la direction de Ballue de Bellanglise. Ce député de
l'Assemblée législative a fondé récemment cet établissement dans le
but d'éduquer la jeunesse, sans toutefois faire référence aux
Antiquités classiques. Son enseignement s’inscrit en effet tout entier
dans l'esprit du catéchisme révolutionnaire.
Laisne, un imprimeur local, le prend ensuite en
apprentissage dans son atelier. Pour sa parente, fort dévote, il s'agit
surtout de l'éloigner de ce lieu de perdition, qu'elle n'ose critiquer.
L'édition des œuvres d'André Chénier est l'occasion pour le jeune homme
de s'initier à la poésie. Béranger rédige lui-même quelques vers,
aussitôt corrigés par l'artisan, qui lui enseigne au passage les
rudiments de la prosodie. Il rédige alors quelques textes, réunis en
volume et publiés en 1797 sous le titre de Guirlande de Roses. De
retour à Paris, l'artiste en herbe fréquente les théâtres, ainsi
qu'une grisette, du nom de Lorette. Il rédige une première œuvre de scène,
Les Hermaphrodites, une comédie satirique qu'il brûle aussitôt,
honteux de constater son peu de talent. Son père, impliqué dans les
intrigues du parti royaliste, et suspecté par les autorités, est
bientôt démasqué en 1802. Il perd le peu de fortune qu'il possède et
son fils, qu'il employait depuis 1796 dans ses affaires financières,
tombe par là même dans la pauvreté. Pierre-Jean de Béranger songe alors
à gagner l'Égypte - on parle d'une expédition au delà de la
Méditerranée confiée au général Bonaparte - et à se faire colon sur
cette terre orientale. Un de ses amis, Parseval-Grandmaison, ancien membre
de l'Institut de Caire, l'en dissuade.
Pierre-Jean de Béranger s'emploie alors comme
compilateur pour une revue d'art, les Annales du Musée, avant de
songer à recourir à un protecteur. En 1804, il envoie à Lucien
Bonaparte, le frère du premier Consul, qui a la réputation être un
protecteur des Arts, quelques-uns de ses textes. Ce dernier, à présent à Rome, fait parvenir au
jeune poète un courrier amical, ainsi qu’une procuration à faire
valoir sur sa propre pension de membre de l'Institut. Jusqu'en 1812, Béranger
sera ainsi à l'abri du besoin grâce à la protection d'un
parent de l'Empereur et à cette somme de 1.000 Francs qui lui échoit. Il
entre au service de Louis de Fontanes, ce dernier, grand-maître de
l'Université depuis 1808, attachant Béranger à son secrétariat avec le
titre de commis-expéditionnaire. A la fin de l'année 1813, Pierre-Jean
de Béranger, le chansonnier dont le succès commence à lui faire une
réputation, est invité à participer aux réunions du Caveau, un cercle
littéraire. Deux des chansons du fonctionnaire, Le Roi d'Yvetot et
Le Sénateur, critiquent le pouvoir, son système de gouvernement
comme les conquêtes de l'Empire. Pendant les Cent-Jours, avec Les
Demoiselles, c’est l'attitude des royalistes, espérant le retour
des Alliés, que dénonce Béranger. " Viv" nos amis ! Nos amis
les enn'mis " chante t-on alors dans Paris.
Peu après la chute de l'Aigle et la Restauration des
Bourbons sur le trône de France, il publie son premier recueil, Chansons
morales et autres, le 7 décembre 1815. Avec La Marquise de Pretintaille ou L'Habit
de Cour, il se moque des aristocrates du faubourg Saint-Germain. Son
deuxième recueil de Chansons, en octobre 1821, est précédé de sa démission de
l'administration de l'Université. Car, si le plus souvent, ses textes
circulent sous le manteau, imprimés sur des feuilles volantes, le pouvoir
connaît l'origine des piques qui lui sont adressées. Béranger se produit
parfois en public, au cabaret de la mère Saguet, à la barrière
Montparnasse notamment, où se réunit la Société du Moulin-Vert dont il
est le président. Là, devant l'assistance, le chansonnier entonne en
cette époque Le Dieu des Bonnes Gens. Un article, qui paraît dans
Le Drapeau blanc, un quotidien dirigé par Alphonse de Martainville,
organe du parti ultra, donne l'alerte aux autorités. Accusé d'outrages
à la morale publique, à la personne du roi, et même d'apologie du
régime honni, Pierre-Jean de Béranger est condamné par la Cour d'assises
à une amende, ainsi qu'à trois mois de prison.
Après avoir achevé son premier séjour en détention,
à Sainte-Pélagie, le chansonnier, comme l'ensemble des Français,
apprend le décès de Napoléon Bonaparte à Sainte-Hélène. En l'honneur
de l'Empereur, il rédige Le Cinq Mai :
" Peut-être il dort ce boulet invincible
qui fracassa vingt trônes à la fois.
Ne peut-il pas, se relevant terrible,
aller mourir sur la tête des rois ? "
Son troisième recueil paraît en 1825. L'éditeur,
afin d'éviter toutes poursuites, n’imprime en volumes qu'une version
expurgée des textes les plus polémiques. Comme toujours, ceux-ci
circuleront sous le manteau qu’on entendra sur les bouches des
Parisiens. Avec Le Sacre de Charles le Simple, Les Révérends
Pères, Les Chantres de la paroisse, Les Missionnaires, La
Messe du Saint-Esprit donnent le ton de sa troisième livraison.
Pierre-Jean de Béranger s'en prend alors à l'esprit du temps. Le début
du règne de Charles X est en effet marqué par la réaction, celui-ci
renouant avec l'alliance du trône et de l'autel. Cette fois-ci, il est
condamné à neuf mois de prison et à 10.000 Francs d'amende, le 10
décembre 1828. Cette somme colossale est réunie grâce à l'aide du
banquier libéral Jacques Lafitte, qui ouvre dans ses bureaux une souscription en
faveur du détenu de la Force.
Les Trois Glorieuses conduisent au pouvoir
quelques uns de ses amis. Ce premier vent de liberté porte l'attention du
peuple vers le chansonnier, fêté comme l'un des inspirateurs du
soulèvement populaire. On vient alors rendre hommage à Pierre-Jean de
Bérenger, qui réside à présent rue de La Tour d'Auvergne. Ce dernier,
afin de retrouver sa tranquillité passée, gagne alors Passy, logeant rue
Vineuse, puis Fontainebleau, s'éloignant toujours plus de la capitale,
avant de gagner Tours et la Touraine. De retour à Passy en 1841,
regagnant ensuite Paris en 1848, le chansonnier publiera encore trois
recueils jusqu'en 1842. Citons notamment les Chansons nouvelles et
dernières en 1833. Refusant les honneurs, un fauteuil à l'Académie
française notamment, il ne profite de son élévation que pour demander
une pension en faveur de Rouget de l'Isle, l'auteur de La Marseillaise,
tombé dans l'oubli et le dénuement.
C’est alors que le 22 février 1848 l'interdiction
d'une manifestation provoque une nouvelle émeute dans la capitale
parisienne. Le surlendemain, le palais des Tuileries est pris d'assaut,
Louis-Philippe Ier doit abdiquer. Un gouvernement provisoire est alors
formé qui se prononce peu après en faveur de la République. Celui-ci,
afin de mettre en place une nouvelle constitution, décide de la réunion
d'une Assemblée, dans laquelle Pierre-Jean de Béranger est élu, le 24
avril suivant, sans s'être porté candidat. Il refuse cet honneur et
démissionne quelques jours plus tard, étant toujours aussi peu porté
aux choses de la vie publique. Le propagateur de la légende
napoléonienne verra encore arriver au pouvoir le petit neveu de
l'Empereur des Français, ainsi que l'avènement d'un Second Empire. Dans
ces dernières années, il réclamera à plusieurs reprises en faveur des
proscrits du coup d'État du 2 décembre 1851.
Le 16 juillet 1857, non sans avoir auparavant béni le prêtre venu
l'assister sur son lit de mort - une ultime provocation - , Pierre-Jean de
Béranger décède à Paris. Ses funérailles sont l'occasion d'un
rassemblement républicain encadré par le pouvoir. La foule, en hommage
au chansonnier, ne se privera pas de scander : " Honneur, Honneur à
Béranger ! "