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Mikhaïl BAKOUNINE 

(Priamoukhino, 8 mai 1814 - Berne, 1er juillet 1876)


Russe.

Philosophe et homme politique.



par Marc Nadaux


 

     Quelques dates :

1840, à Berlin afin de poursuivre ses études.
1842, La Réaction en Allemagne.
1844, un oukase le prive de ses droits civiques et nobiliaires.
1848, Appel aux Slaves.
1868, fonde l'Alliance internationale de la démocratie sociale.
1869, à Bâle, au quatrième congrès de l’Internationale.
1870, Lettre à un Français.
1873, L’État et l’Anarchie.



 






Mikhaïl Bakounine naît, le 8 mai 1814 à Priamoukhino, dans le gouvernement de Tver. Sa famille, d’origine aristocratique, est originaire de Transylvanie (?). Son père, Alexandre Bakounine, est un esprit cultivé. Ancien diplomate à Florence et à Milan, de nombreux séjours en Occident l’ont initié au libéralisme. Membre d’une des nombreuses sociétés secrètes qui fleurissent sous le règne autoritaire d’Alexandre Ier, il voit cependant ses espérances déçues par l’échec du soulèvement décabriste, au mois de décembre 1825. Dès lors, Alexandre Bakounine se retire dans son domaine, à proximité de Torjok. C’est en disciple de Jean-Jacques Rousseau et en adepte des préceptes pédagogiques énoncés par le philosophe français qu’il se consacre à l’éducation de ses enfants, de son fils aîné Mikhaïl notamment.

En 1829, ce dernier entre à l’École des Cadets de Saint-Pétersbourg et en sort brillant lauréat, après trois années d’études. Mikhaïl Bakounine ne parvient cependant pas à être incorporé dans la Garde impériale et est envoyé comme enseigne dans un régiment d’artillerie du district lithuanien de Minsk. L’ennui le gagne alors dans ces régions lointaines, pourtant secouées à l’époque par le dramatique soulèvement patriotique dans la Pologne voisine. Dès 1834, Bakounine abandonne cette carrière militaire. Après avoir donné sa démission, il s’installe à Moscou et s’inscrit à l’Université afin d’étudier la philosophie. D’abord attiré par les matérialistes français du siècle des Lumières, par Condillac notamment, Bakounine se tourne ensuite vers la philosophie allemande. En 1836, il traduit ainsi pour le journal Le Télescope quelques conférences de Fichte, qui lui confèrent une certaine ascendance sur le milieu estudiantin.

A cette époque, cette jeunesse russe découvre et se prend de passion pour la pensée de Hegel. Mikhaïl Bakounine livre de nombreux articles pour L’Observateur de Moscou à propos de l’auteur de La Phénoménologie de l’Esprit. Après six années passées à Moscou, il effectue un court séjour à Saint-Pétersbourg, avant de se rendre à Berlin au mois de juin 1840 afin de poursuivre ses études. En effet, Bakounine ambitionne de se voir confier une chaire à la faculté moscovite. Au printemps de 1842, il est à Dresde où, au mois d’octobre, La Réaction en Allemagne paraît dans les Annales allemandes que dirige Arnold Ruge. Cette étude, publiée sous le pseudonyme de Jules Élysard, décrit les divers courants de l’esprit révolutionnaire qui soufflent sur l’Allemagne. Surveillé à présent par la police russe, celui qui est maintenant définitivement habité par la " révolte " doit quitter l’Allemagne pour Zurich au mois de janvier 1843, puis Berne. Sommé par les autorités russes de revenir au pays au mois de février 1844, Mikhaïl Bakounine gagne ensuite Bruxelles et enfin Paris où il arrive au mois de juillet de la même année.



Dans la capitale parisienne, il noue rapidement des contacts avec les représentants les plus illustres de la gauche socialiste et républicaine. Bakounine fait la connaissance de Karl Marx, de Pierre Leroux, de George Sand ou de Félicité de Lamennais. Avec Pierre-Joseph Proudhon, il se lie d’ailleurs d’amitié, alors qu’en Russie un oukase publié par le Tzar Nicolas Ier au mois de décembre 1844 le prive désormais de ses droits civiques et nobiliaires, ainsi que des biens issus de sa famille. Ces quelques années passées en France sont fructueuses sur le plan intellectuel pour Mikhaïl Bakounine. Le 29 novembre 1847, alors qu’il assiste au banquet commémorant l’insurrection polonaise de 1830, l’exilé russe prononce un discours retentissant, appelant les Polonais et les Russes à s’unir de concert pour détruire le tsarisme. Dès le mois suivant, Bakounine est expulsé du territoire français à la requête de l’ambassadeur russe Kisselef.

Il se rend alors de nouveau à Bruxelles puis est bientôt de retour en France, au mois de février 1848, peu après la déchéance de la Monarchie de Juillet et l’avènement d’une Seconde République. Bakounine est dans les rues aux côtés des ouvriers parisiens. Alors que le Printemps des Peuples embrase à présent l’Europe entière, il part au mois d’avril pour l’Allemagne, s’arrêtant successivement à Francfort, à Cologne, à Berlin et enfin à Leipzig. Mikhaïl Bakounine participe ainsi au congrès Panslave qui s’ouvre à Prague le 2 juin. Celui-ci s’achève dix jours plus tard alors que les forces autrichiennes du général Windischgrätz reprennent possession de la ville. Bakounine participe aux combats, avant de gagner Breslau. Il doit dès lors faire face à la calomnie colportée par Karl Marx dans sa Gazette Rhénane qui fait de lui un agent du gouvernement russe. Expulsé de Prusse et de Saxe, l’agitateur se réfugie dans la principauté d’Anhalt, d’où il lance un vibrant Appel aux Slaves au mois de décembre 1848.

A Leipzig, au mois de janvier 1849, Bakounine s’efforce de prépare un soulèvement dans la Bohème voisine. Installé clandestinement depuis la mi-avril à Dresde, il participe alors à l’insurrection qui éclate le 3 mai. Pendant cinq journées, celle-ci est maîtresse de la ville, Bakounine apparaissant comme un de ses meneurs les plus charismatiques. La réaction triomphe finalement et les insurgés sont pourchassés. Réfugié à Chemnitz, il est moins chanceux que son ami Richard Wagner, qui lui parvient à s’échapper grâce à la complicité de sa sœur, et est arrêté par les autorités. Condamné à mort le 16 janvier 1850 par le tribunal de Saxe, Mikhaïl Bakounine est placé en détention à la prison de Konigstein. Le 13 juin suivant cependant, il est livré à l’Autriche, qui le réclame pour sa participation à l’insurrection de Prague. Enfermé à Prague puis à Olmutz, le révolutionnaire est enfin extradé vers la Russie au mois de mai 1851.

Mikhaïl Bakounine passera dix années de sa vie en prison à Saint-Pétersbourg, dans le donjon de la forteresse Pierre-et-Paul jusqu’en 1854, puis au Schlüsselbourg. Au mois de mars 1857, le nouveau souverain Alexandre II, peut être fléchit par la lecture de la Confession du détenu, commue sa peine en bannissement à vie. A Tomsk, en Sibérie, le révolutionnaire se marie à une jeune fille d’origine polonaise, Antonie Kwiatkovska, le 5 octobre 1858. Après avoir décliné l’offre d’un poste dans l’administration, il est envoyé à Irkoutsk au mois de mars 1859. Son exil s’adoucit quelques peu grâce à la présence d’un de ses cousins, Mouravief-Amourski, qui se trouve dans la ville en qualité de gouverneur de la Sibérie orientale. A la suite du renvoi de son parent, Bakounine se résout à prendre de nouveau la fuite. Sous le couvert d’un voyage d’affaires, il quitte Irkoutsk le 17 juin 1861 et gagne Nikolavsk au mois de juillet. A bord du Strelok, le fugitif atteint le Japon voisin et Yokohama, d’où il s’embarque pour San Francisco et la liberté. Le 27 décembre 1861, Mikhaïl Bakounine est à Londres.



Dans les années qui suivent, Mikhaïl Bakounine déploie une grande activité. Toujours préoccupé par les questions politiques et nationales, il fait paraître de nombreuses brochures, dont Aux amis russes, polonais, et à tous les amis slaves en 1862. L’année suivante, alors qu’éclate un nouveau soulèvement en Pologne, Bakounine s’embarque pour Stockholm, le 21 février 1863, d’où il espère pouvoir passer en Lituanie et, de là, mobiliser les énergies en vue de généraliser la rébellion à l’ensemble du monde slave. En vain. Successivement à Londres et à Paris, où il rencontre une dernière fois Marx et Proudhon, Bakounine est également en Italie. Après un second voyage en Suède, il se fixe à Florence puis à Naples à partir du mois d’octobre 1865. Dans la péninsule en marche vers son unité, Bakounine fonde en 1866 avec quelques amis italiens une organisation clandestine appelée Alliance des révolutionnaires socialistes, qui se transforme le 25 septembre 1868 en Alliance internationale de la démocratie sociale. Une brochure publiée l’année précédente, Fédéralisme, Socialisme et Anti-Théologisme, résume le programme politique de ceux qui se nomment entre eux " Frères ". Dans ce texte, Mikhaïl Bakounine insiste sur la nécessité de rompre avec l’ " esclavage du divin ". Afin d’exposer ses idées et de leur donner un plus grand retentissement, le théoricien se rend à Genève, au mois de septembre 1867, afin d’assister au premier congrès de la Ligue de la Paix et de la Liberté. Il adhère d’ailleurs au mouvement et s’installe à Clarens, sur les bords du lac Leman, afin d’assister plus commodément aux séances du Comité. L’année suivante, Bakounine rompt néanmoins avec celui-ci, estimant que la liberté et la paix ne peuvent s’accomplir que dans la justice sociale, autrement dit par la voie du socialisme.

Au mois de juin 1868, le révolutionnaire adhère ainsi à l’Internationale et entre dans sa section genevoise, ce qui entraîne la dissolution de l’Alliance au mois de janvier 1869. Il s’installe alors à Genève au mois de septembre 1868. Au sein de l’association ouvrière, où l’on réfléchie à l’époque sur la forme que doit prendre la propriété collective, Bakounine occupe une place de plus en plus importante, devenant ainsi le principal rédacteur de L’Égalité, organe de la Fédération romande. Au cours de l’été 1869, il donne plusieurs articles où sont exposés sa conception fédéraliste et libertaire du socialisme. Au mois de septembre 1869, se tient ensuite à Bâle le quatrième congrès de l’Internationale. Alors que les délégués présents se prononcent pour l’abolition de la propriété individuelle du sol, Bakounine combat avec succès la thèse marxiste du Conseil général à propos du droit d’héritage, en prônant son abolition pure et simple. Le 30 octobre suivant, il quitte Genève pour s’établir à Locarno, faisant la rencontre de Netchaïev, l’exalté, et commençant la traduction en russe de l’ouvrage de Karl Marx, Le Capital. Par ses agissements – de nouvelles calomnies à propos des liens secrets qu’entretiendraient Mikhaïl Bakounine avec le gouvernement russe -, ce dernier parvient à rompre l’unité de la Fédération romande et à exclure son rival de la section genevoise au mois d’août 1870.



Éclate alors la guerre franco-prussienne. Hostile au pouvoir militariste de Guillaume Ier et de son chancelier Otto von Bismarck, Bakounine songe alors que le conflit pourrait un " soulèvement spontané, formidable, passionnément énergique, anarchique, destructif et sauvage des masses populaires sur tout le territoire de la France ". C’est le message qu’il délivre dans sa Lettre à un Français, avant de gagner Lyon, le 15 septembre 1870, peu après la défaire de Sedan et la proclamation de la République à Paris. Le surlendemain, le Comité du salut de la France est constitué, qui est à l’origine de l’ " Affiche rouge ", apposée le 26 septembre suivant sur les murs de la ville de Lyon. Celle-ci appelle à l’établissement du socialisme et à la déchéance de l’État. Deux jours plus tard, à midi, la foule s’empare de l’hôtel de ville, pour quelques heures seulement… Mikhaïl Bakounine fuie à Marseille, où il demeure caché un mois durant, avant de s’embarquer pour Gênes et Locarno. Il rédige un nouveau ouvrage intitulé L’Empire knouto-germanique et la Révolution sociale, alors qu’à Paris, assiégé depuis des mois par les troupes ennemies, la Commune est proclamée le 18 mars 1871.

Alors que tous les socialistes européens ont les yeux tournés vers Paris, le mouvement communard est rapidement écrasé par les Versaillais et le gouvernement d’Adolphe Thiers. Peu après, Mikhaïl Bakounine publie la Théologie politique de Mazzini et l’Internationale où il répond de manière véhémente aux critiques faites par l’Italien et salue ceux qui sont morts " en défendant la cause la plus humaine, la plus juste, la plus grandiose qui se fut jamais produite dans l’Histoire ". Au Congrès de La Haye qui s’ouvre le 2 septembre 1872, le révolutionnaire russe est enfin exclu de l’Internationale, même si l’année suivante, en réaction contre l’autoritarisme du courant marxiste, un nouveau congrès général réunie à Genève réorganise l’Association sur la base de l’entière autonomie des sections, supprimant par là même le Conseil général. Le 12 octobre 1873, Bakounine se retire également de la Fédération jurassienne. La même année, paraît son dernier ouvrage L’État et l’Anarchie, qui précise ses théories libertaires, rendues applicables selon lui grâce aux progrès de la raison.



A Locarno, Mikhaïl Bakounine, qui est entré dans sa soixantième année, vit à présent retiré dans la Baronata, la villa que possède un de ses disciples, Carlo Cafiero. Il est à Bologne au mois d’août 1874, mais la tentative de soulèvement échoue. A Lugano, seul et souffrant, le révolutionnaire connaît la pauvreté. Au mois de juin 1876, il se rend encore en Suisse auprès de son ami, le docteur Adolf Vogt, afin de se faire soigner. Mikhaïl Bakounine décède quelques temps plus tard, le 1er juillet 1876. Il est inhumé le surlendemain dans le cimetière de Berne.