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                                                                     La Savoie dans tous ses états !

 

La Savoie dans tous ses états !


par
Gérard Miège

 



1. Le vieux pays - des origines à la Révolution française…
2.
Un royaume ou un empire ? il faut choisir…. De la révolution à l’annexion !



 






          1. Le vieux pays - des origines à la Révolution française…


Lors de notre dernière rencontre à l’occasion de « mots et propos » sur l’exil de l’empereur Napoléon à Sainte Hélène, nous avons esquissé l’idée de parler de Napoléon III et de la Savoie. Après avoir réfléchi quelque peu à ce sujet, je me suis permis de penser que pour aborder un tel thème, il était nécessaire de revenir aux racines de l’histoire. Et je dois vous avouer que plus j’avançai, plus ma réflexion première s’avérait être le juste choix. Car l’histoire que je vais tenter de vous présenter n’est pas une histoire drôle. S’étendant sur plus de deux mille ans, elle est le reflet d’un pays constamment occupé, dévasté, ruiné par ses voisins, qui ignorants ses souffrances, le traversent en tout sens. En effet, ce qui fait sa richesse, c’est sa position géographique, incontournable pour les différents états qui l’entourent. Mais cette situation devient une plaie lorsque ceux-ci sont en guerre. Il m’a fallu, bien évidemment, pour rendre le sujet plus souple, non pas tailler dans le vif, mais choisir certains thèmes tout en maintenant un sens chronologique qui nous mènera de l’Antiquité à la Révolution française, pour ce qui est de la première partie et de la Révolution à  l’annexion  pour la seconde partie. Je  souhaite que l’histoire ainsi déroulée nous permette de mieux comprendre lors de notre prochaine rencontre, qu’elles ont été les causes qui ont poussé ou forcé la Savoie à choisir son destin du côté de la France. Pour cette présentation, je me suis appuyé sur quelques  historiens français, savoyards et suisses :

-Histoire de la Savoie de Henri Ménabréa (1933)
-Nouvelle histoire de la Savoie sous la direction de Paul Guichonnet (1996)
-Histoire des diocèses de France (Genève-Annecy) sous la direction de Henri Baud (1985)
-Histoire de la Savoie de Thérèse et Jean-Pierre Leguay (2000)
-La Savoie millénaire de Bernard Iselin (1999)
-Histoire de la Savoie de Robert Colonna d’Istria (2002)
-Histoire de l’annexion de la Savoie à la France de Paul Guichonnet
-Un Léman suisse, La Suisse, Le Chablais et la neutralisation de la Savoie (éd.Cabédita-2002).

Il y a 80.000 ans débute la dernière grande glaciation, dite de Wurm : c’est le temps de l’homme de Néanderthal, quelques traces de sa présence ont été découvertes dans une grotte en Faucigny pour ce qui est de notre région. Vers  40.000 ans, cette glaciation atteint son apogée, dès lors seul le sommet des montagnes apparaît. Il faut attendre 25.000 ans, c’est à dire environ 13.000 ans avant J.C. pour que des clans de chasseurs s’installent dans le fond des vallées, les glaciers ayant reculés au-delà du Léman. C’est le début du temps appelé « holocène » dans lequel nous sommes encore. Le climat se réchauffe, la flore, de scandinave qu’elle était, devient forêt dense et dominante, tel que nous la connaissons. C’est le début d’une lente mutation pour ces chasseurs, cueilleurs et pêcheurs qui par le travail de la terre et l’élevage vont se sédentariser. Aux alentours de 3800 av. J.C., la civilisation dite de Cortaillod s’établit sur l’ensemble de l’arc alpin, à cheval sur l’Italie, la Suisse et la France. Le retour du froid, vers 2800, pousse ces populations à mieux s’adapter aux nouvelles conditions climatiques : les habitats se déplacent vers le bord des lacs où l’on peut cultiver l’orge, le blé, le lin pour la confection des vêtements, où l’on pratique un peu de poterie, où l’on échange des outils en silex ou en pierre polie. Des marchands venus d’Espagne apportent du cuivre, d’autres , venus de la mer Baltique , l’ambre pour la fabrication de bijoux. Vers 1500 av. J.C., la civilisation dite des « Champs d’Urnes » née dans le centre de l’Europe, fait connaître  la métallurgie du bronze ; l’agriculture se développe rapidement par la découverte de l’araire et de la pratique de l’assolement. Toutes ces améliorations permettent à ces hommes de s’établir définitivement à certains endroits et l’on peut dire que « où ils étaient, nous sommes aujourd’hui ». Au début du IVeme siècle av. J.C., un peuple venu de l’Europe danubienne, les Allobroges, s’installe dans nos régions : ces allobroges montagnards ont laissé peu de vestiges, car ils vivent en symbiose avec leur milieu : habitats en bois, outils et combustibles tirés de la forêt, l’animal d’élevage lui procurant la nourriture, lui facilitant les transports et lui donnant sa chaleur pendant les longs hivers alpins, car tout ce petit monde partage la même habitation. 

L’histoire, dans notre Savoie d’aujourd’hui, débute vraiment à partir de la guerre entre les romains et les troupes carthaginoises d’Hannibal, quand celui-ci décide, entre 218 et 201 av. J.C. d’aller combattre Rome sur son propre territoire. Pour cela, il doit traverser les Alpes avec ses 38.000 fantassins, ses 8.000 chevaux et ses fameux 37 éléphants ; il obtient, moyennant finance, l’appui des Allobroges qui le guident à travers les Alpes, qu’il aurait pu franchir, d’après l’historien grec contemporain des événements Polybe, par le col du Petit Mont Cenis ou par le col du Clapier, et ainsi tomber sur Suse, afin de surprendre les romains. Après bien des péripéties et la défaite définitive d’Hannibal, nous n’entendons plus parler des Allobroges jusqu’au jour où Rome intervient en Gaule pour protéger la province Narbonnaise des incursions de l’empire arverne. Battu lors de 2 grandes batailles, l’Allobrogie est incorporée au monde romain en 118 av. J.C.. Ces événements se poursuivent pendant 2 siècles environ, pour parvenir à une vraie « pax romana » vers le premier siècle av. J.C. Les Allobroges sont incorporés à la province Narbonnaise et dépendent directement du proconsul de Vienne. Le développement des routes et des cols, bien entretenus par le pouvoir romain pour permettre le passage de ses armées vers le Nord, entraîne de même l’augmentation du trafic commercial et de simples villages prennent une importance croissante, tels Aoste, Bourg St. Maurice, Aime, Moûtiers, Annecy, Albens, Rumilly, Chambéry, Faverges, Seyssel, Genève, etc. Pour la première fois dans l’histoire apparaît dans les écrits d’un romain, Ammien Marcellin, en 390 ap. J.C., le nom primitif de la Savoie, la « Sapaudia ».

Dès la fin du 3ème siècle, la décadence de Rome et la pénétration de peuples barbares venus du Nord de l’Europe ( les Vandales, les Alains, les Suèves, les Cimbres ) mettent un terme à la prospérité et à la Pax romana. Cette lente évolution qui nous mène de l’Antiquité au Moyen-Age sera encore marquée par un événement d’une importance capitale, l’arrivée et la propagation du christianisme dès le 2ème siècle. Les martyrs de Vienne ( Sainte Blandine ) et de Saint Maurice d’Agaune vont être l’étincelle qui met le feu à toutes les anciennes idoles païennes. A partir de l’Edit de Milan en 313, le christianisme devient religion officielle et permet l’établissement des premiers évêchés dans notre région : St. Domnin à Grenoble en 386, Isaac à Genève en 400, Moûtiers en 426, etc.

Au V ème siècle, chassés de Scandinavie, bousculés par les Huns, les Burgondes arrivent dans le Nord-Est de la France. Battus par le général romain Aetius en 436, celui-ci, selon la coutume romaine, s’en fait des allies protecteurs de la frontière de l’empire en leur concédant un territoire nommé « Sapaudia », qui est érigé en royaume ; Gondebaud  en sera le roi en 480. Ce premier royaume de Burgondie ne survivra pas et de 534 à 751, l’histoire de cette région ne sera que désastres, guerres et calamités : c’est l’époque mérovingienne. Seuls quelques grands évêchés et monastères maintiennent encore un semblant d’organisation et de culture. En 751, les événements se précipitent : Pépin le Bref dépose le dernier roi mérovingien, Childéric III et crée une nouvelle entité qui donnera naissance avec Charlemagne et Louis le Pieux à l’empire franc. Cette renaissance permet à la Savoie, incorporée à cet empire et divisée en 3 comtés (Saboia, Morienna et Tarentasia), de redevenir une région stratégique. Mais cette Pax Carolina ne dure pas, car à la mort de Louis le Pieux, l’unité de l’empire carolingien éclate à cause du droit coutumier germanique qui veut que l’héritage soit partagé à part égale pour les héritiers. L’empire est donc divisé en 3 royaumes, un pour chaque fils de l’empereur :

- La Germanie à Louis le Germanique
- La Francie à Charles le Chauve
- La Lotharingie à Lothaire

Cette Lotharingie (qui nous concerne), coincée entre la Germanie et la Francie, qui s’étend de la mer Baltique à la Provence et à l’Italie du Nord, offre le plus grand chaos ethnique et sera si convoitée qu’elle en deviendra un immense champ de bataille.

En 888, un certain Rodolphe, descendant d’une famille bavaroise, les Welfs, profite d’une vacance du pouvoir central pour se faire élire, à St. Maurice d’Agaune, roi d’un territoire qui englobe tout le Sud-Est de la Lotharingie, y compris la Savoie : c’est le 2eme royaume de Burgondie. En 962, le pape Jean XII proclame Othon premier empereur du Saint Empire Romain Germanique, pour services rendus à la papauté. En 1032, Rodolphe III, roi de Burgondie, meurt sans descendance et transmet ses terres, par l’intermédiaire de l’empereur Conrad II, à un dénommé Humbert. C’est le premier comte de Savoie.

De 1032 à 1416, 17 comtes vont se succéder à la tête du comté de Savoie avec des fortunes diverses. Tantôt par une politique agressive, tantôt par des mariages habiles, ils aboutiront à la construction d’un véritable état à cheval sur les Alpes et par conséquent, ils deviendront les maîtres des cols. Cette politique est à double sens : dans l’un, elle enrichit leur état par les péages et les droits fiscaux de passage, dans l’autre, elle les place entre les différents souverains qui s’affrontent pour la possession des états italiens. Chaque comte cherche à agrandir ses domaines, ainsi, au fil de l’histoire, des liens diplomatiques se tissent par une « politique de bascule », aujourd’hui allié avec le roi de France contre l’empereur du St. Empire Romain Germanique, demain l’inverse. De même avec les rois Plantagenêt d’Angleterre contre la France. Mais dès la guerre de Cent Ans (1336-1450), cette politique jouera en faveur de la France. Dans ce contexte diplomatique, Boniface, un des fils d’Amédée IV, deviendra archevêque de Canterbury et primat d’Angleterre. Cette diplomatie se fait aussi par des mariages : Odon épouse Adélaïde de Suse qui lui apporte en dot Turin. Amédée V s’unit à Sybille de Bagé et gagne ainsi la Bresse. Elle se pratique aussi par des achats : Thomas Ier et Amédée V achètent Chambéry et ses terres. De même par des conquêtes : Amédée VI reçoit le pays de Gex et le Faucigny en 1355 après sa victoire aux Abrêts sur le Dauphiné.

Malgré sa petite taille démographique (env. 150.000 hab.), le comté est une puissance de par sa position géographique, stratégiquement placé sur l’ensemble du massif alpin. En effet, vers 1400, le comte Amédée VIII contrôle la plupart des passages  Nord - Sud et Est – Ouest : par l’acquisition de l’Ossola (vers le lac Majeur) le col du Simplon ; vers St. Maurice, le col du Gd. St. Bernard et le Pt. St. Bernard entre Aoste et Moûtiers, entre Turin et Chambéry le col du Mt. Cenis ; ainsi jusqu’à Nice et la Méditerranée. Cette position favorise l’émancipation du commerce entre le Nord et le Sud , l’Est et l’Ouest de l’Europe. La traversée du Mt. Cenis, par temps relativement clément, prend pour une caravane de marchands et de voyageurs environ une semaine dans des conditions, bien entendu, plus que aléatoires. En dépit des difficultés dues à la configuration du terrain ou des conditions météorologiques, le trafic est intense. En 1300, par exemple, le péage de Rivoli enregistre le passage de plus de 5.000 bêtes de somme chargées entre autre de toiles et de draps. Mais cette situation fait aussi le malheur de la Savoie : rares sont les périodes où la guerre ne fait pas rage de tout côté des Alpes. Le va et vient incessant des armées qui vivent sur le pays, le ravagent. Il faut nourrir non seulement les soldats, mais aussi les bêtes du train et les chevaux de la cavalerie. C’est la ruine totale, sans compter les épidémies de peste qui déciment les peuples: la grande peste de 1349 tue un tiers de la population.

Dans ce contexte de guerres, entrecoupées par de courtes périodes de paix, un homme va particulièrement marqué son temps : Amédée VIII naît en 1383 à Chambéry. A la mort de son père en 1391, la régence est dévolue à sa grand mère, Bonne de Bourbon. Dès 1398, ayant atteint sa majorité, il prend les rennes du pouvoir et n’aura de cesse d’agrandir, d’enrichir et de développer son comté. Avec lui, la Savoie touche à son apogée. En 1401, il achète tout le Genevois et espère ainsi se rendre maître de la cité. Mais l’évêque et le conseil des bourgeois de la ville s’y opposent et le rêve d’Amédée ne se réalisera jamais. Les évêques en resteront les maîtres jusqu’à la Réforme.

Amédée VIII s’allie à l’empereur Sigismond IV pour essayer de résoudre le problème du Grand Schisme d’Occident qui divise le monde chrétien. A son retour d’Espagne où il est allé conférer avec le vieux pape Benoît XIII, l’empereur traverse la Savoie, y est si bien reçu et constatant l’importance du comté, l’érige en Duché de Savoie en 1416.  Dès lors le nouveau duc pratique une politique de prestige : aide à l’empereur contre une révolte en Bohême, envoi de troupes à Chypre pour soutenir le roi Janus de Lusignan. Il légifère et impose les fameux « Statuts de Savoie » qui vont lui permettre de mieux gérer la vie de l’Etat dans les domaines de l’administration, des transactions financières, des droits de douanes, du prix des denrées, des salaires, ainsi que de la moralité privée et publique. Après le décès de sa femme, Marie de Bourgogne, Amédée se retire dans son château de Ripaille avec l’ensemble de ses conseillers. C’est de là qu’il dirigera son vaste duché. Entre temps la querelle religieuse s’envenime. En 1437, le concile de Bâle, sous la pression de l’empereur, dépose le pape italien Eugène IV et en 1439 offre la tiare à Amédée VIII. Celui-ci l’accepte et est couronné sous le nom de Félix V. Malheureusement il n’est pas reconnu par l’ensemble des cardinaux et de certains états européens, qui le considèrent comme un pape schismatique. Après 9 années de pontificat, en 1449, il se soumet et reconnaît le nouveau souverain pontife élu à Rome sous le nom de Nicolas V, qui pour le remercier de son désintéressement, le nomme Cardinal-Primat de Savoie, de Suisse et du St. Empire. Il meurt 2 ans plus tard à Genève en 1451. Sa mort ouvre un vide politique qui va durer plus de 100 ans pour le duché de Savoie. En effet, les 7 ducs qui lui succéderont (Louis Ier, Amédée IX, Philibert Ier, Charles Ier, Charles II, Philippe II et Charles III), seront dans l’incapacité de trouver des solutions aux immenses problèmes qui se présentent tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du duché. Cet état de faiblesse est dû essentiellement à de grandes transformations dans la politique européenne. La guerre de Cent Ans ayant pris fin, les rois de France (Louis XII, François Ier et Henri II)  ont recouvré toute leur puissance et ambitionnent de conquérir certains états italiens. Charles Quint, empereur d’Allemagne, reçoit la couronne d’Espagne. L’esprit de révolte que suscite la Réforme protestante, bouleverse l’équilibre européen.

En 1553, à la mort à Vercelli de Charles III, le duché a pratiquement disparu. Son fils, Emmanuel  Philibert, réfugié en Espagne, lui succède à l’age de 25 ans. Eduqué sous la férule de Charles Quint, il a développé de grandes qualités politiques et militaires. Sa devise est : « A ceux qui n’ont rien, reste les armes ». Après la défaite française de St. Quentin, en 1559 Emmanuel Philibert récupère l’ensemble de son duché par la signature du traité de Cateau-Cambrésis qui met fin aux guerres d’Italie entre Henri II de France et Philippe II d’Espagne. Le traité est scellé par le mariage du duc avec Marguerite de Valois, sœur d’Henri II. D’autre part, par le traité de Lausanne en 1564, le duc absorbe aussi le Pays de Gex et le Chablais, mais il perd définitivement le Pays de Vaud cédé à  « ces Messieurs de Berne ». C’est que, entre-temps, un événement d’une portée incalculable c’est produit : la Réforme protestante. Tel une traînée de poudre, elle a mis le feu à l’ensemble de l’Europe du Nord. De la publication à Wittemberg des 95 thèses de Luther contre le catholicisme et la papauté en 1517, en passant par Zurich avec Zwingli, pour finir à Genève avec Calvin en1530, la réforme a bouleversé l’équilibre politique européen. Tout le nord de l’état savoyard s’est vu imposé le protestantisme  par Genève et Berne. Il faudra près de 60 ans et la persévérance de St. François de Sales pour reconvertir le Chablais et le Pays de Gex au catholicisme.

En 1563, jugeant Chambéry trop près des convoitises françaises, Emmanuel Philibert transfère sa capitale à Turin.

Lorsqu’il meurt en 1580, Emmanuel Philibert, surnommé « tête de fer », laisse un duché reconstruit, plus fort que jamais et respecté par les autres puissances.

Son fils, Charles Emmanuel, lui succède. Imbu d’autorité et ivre de conquêtes, il ne cesse d’aller de désastres en désastres : 1601- perte du Bugey, de la Bresse et du Valromey ; 1602- Escalade de Genève. En 1618, débute la guerre de Trente Ans qui met le feu à toute l’Europe. Ayant mal choisi son parti, Charles Emmanuel voit ses Etats entièrement envahit par les armées de Louis XIII et de Richelieu. Il meurt en 1630. Victor Amédée Ier hérite d’un duché ruiné par le passage incessant des différentes armées engagées dans le conflit et par les épidémies qu’elles véhiculent.

Charles Emmanuel II devient le 14eme duc de Savoie en 1648, année du traité de Wesphalie qui met fin à la guerre de Trente Ans. Cependant l’intégrité territoriale ne sera recouvrée qu’en 1659 au traité des Pyrénées qui termine la guerre entre la France et l’Espagne. A la mort de son père (1675), Victor Amédée II n’a que 9 ans : sa mère, Jeanne de Savoie-Nemours, exerce la régence jusqu’en 1684. Dès lors , le nouveau duc ne souhaite que ramener l’ordre, la tolérance religieuse et le développement dans ses Etats. Malheureusement, la révocation de l’Edit de Nantes en 1685, ainsi que les coups de forces de Louis XIV ( annexion de la Flandre, de la Franche-Comté et de Strasbourg ) déclenchent la guerre de la Ligue protestante d’Augsburg en 1688. Le roi de France, n’appréciant pas du tout la mansuétude du duc envers les réformés, envahit en 1690 la Maurienne, une partie du Piémont, Nice et prend la forteresse de Montmélian après un siège de quinze mois. En 1696, la paix de Turin stoppe le conflit, le duc recouvre ses territoires, mais celle-ci sera de courte durée, car voici que débute la guerre de succession d’Espagne. A la mort de Charles II d’Espagne, décédé sans héritier, la couronne revient par droit successoral à un prince français ; choisit par Louis XIV, ce sera Philippe V. Mais l'Angleterre, la Hollande, la Prusse et l’Autriche ne peuvent l’accepter comme héritier du trône d’Espagne. En 1703, Louis XIV envahit à nouveau une grande partie du duché afin d’attaquer les forces impériales autrichiennes en Lombardie. Victor Amédée II rejoint alors la grande coalition formée contre la France. En 1706, défendu par le prince Eugène de Savoie-Carignan, le siège de Turin ne réussit pas au roi de France et marque le début de son déclin. A l’épuisement des belligérants après 13 années de guerres et la crainte de voir l’empire de Charles VI de Habsbourg devenir trop puissant, l’Angleterre force à la paix. Par le traité d’Utrecht (1713) et le traité de Rastatt (1714), Philippe V reste sur le trône d’Espagne, mais perd ses possessions italiennes ( Naples, Sardaigne et Sicile ). L’Angleterre s’empare de Gibraltar. La Savoie retrouve ses territoires agrandis d’une partie du Milanais. En 1713, sous l’égide de l’Angleterre et la persévérance d’Eugène de Savoie-Carignan, la Sicile est érigée en royaume et donnée au duc Victor Amédée II ; puis sous la pression autrichienne, la Sicile est incorporée au royaume de Naples qui devient un protectorat de l’empire d’Autriche et la Savoie reçoit la Sardaigne comme lot de consolation. Officiellement, le duc de Savoie devient roi de Sardaigne en 1718. Dès lors, la Savoie n’est plus qu’une province de l’Etat sarde et le duc, devenu roi, ancre l’avenir de sa dynastie en terre italienne. Victor Amédée II va gérer son nouvel Etat en autocrate éclairé : centralisation du pouvoir autour d’un chancelier et de 8 ministres, création des 3 grandes provinces de Piémont, Sardaigne et Savoie. Le nouveau roi s’attèle à développer puissamment l’économie de son pays : verrerie, faïencerie, tissage, travail du fer, et modernisation de l’agriculture avec l’introduction de la culture du maïs, de la pomme de terre, du tabac et de l’élevage du ver à soie. Il fait construire la basilique de la Superga sur les hauteurs de Turin pour remercier la Vierge Marie de sa victoire sur les français. Conscient de sa nouvelle puissance, il garde cependant la tête froide et à la proposition du financier Law d’établir le papier monnaie dans son royaume, il réplique : «  je ne suis pas assez puissant pour m’enrichir en ruinant les autres. » Le 3 septembre 1730, après 50 ans de règne, il abdique en faveur de son fils Charles Emmanuel III, qui à peine installé, doit faire face à nouveau à la guerre : succession de Pologne (1733-1735) et succession d’Autriche (1742-1748).

Le traité d’Aix la Chapelle en 1748 ouvre une période relativement tranquille pour le royaume et ce jusqu’à la Révolution française. Ces quelques 40 années de paix permirent à Charles Emmanuel III et à son fils Victor Amédée III d’entreprendre de grandes réformes et d’améliorer la qualité de vie de leurs sujets. Ces dernières années de l’ancien régime sont marquées par un autoritarisme paternel de la part du pouvoir royal ; mais les idées nouvelles véhiculées par la littérature, tels les œuvres de Voltaire, de Rousseau, de Montesquieu, etc. font leurs chemins  et vont profondément modifier les mentalités. Lorsque, à Paris, la révolution éclatera, les savoyards se tourneront avec enthousiasme vers leurs frères de France.


          2 . un royaume ou un empire ? il faut choisir…. De la révolution à l’annexion !


                           Ah ! cette sœur qui nous est chère
                           De tous nos vœux nous l’appelons. 
                           Nos cœurs vont où va notre Isère
                           Et le penchant de nos vallons.

                                                                 Jacquemoud


Ces quarante années de paix qui précèdent la tempête de 1789, expliquent la prospérité du duché, ainsi que le qualificatif de « beau XVIIIème siècle ».Mais, malgré cette embellie qui profite surtout aux nobles, aux bourgeois, aux magistrats et aux propriétaires terriens, une grande partie de la population, principalement des paysans, peine à s’élever dans l’échelle sociale. Cela ne suffit pourtant pas à expliquer pourquoi les savoyards vont adhérer d’une façon si enthousiaste aux idées nouvelles de la révolution française. Entre Piémont et Savoie le fossé ne fait que se creuser : le système politique et administratif établit à Turin pèse de plus en plus lourd sur les savoyards, qui trouvent par ailleurs que leur roi est trop accaparé par le Piémont. Victor-Amédée, déjà âgé, ne comprend plus la situation et l’évolution de ses Etats. La nomination de piémontais à la plupart des postes administratifs et militaires, voir aussi de polices, finit par exaspérer le peuple de Savoie qui se tourne de plus en plus vers la France, où une nombreuse population d’émigrés du duché a trouvé un refuge ou un travail, tant à Paris qu’à Lyon ou Grenoble : affinités de culture et de langue débouchent sur un désir latent d’appartenance à cette grande sœur qu’est la France. D’ailleurs Victor-Amédée II, dès 1721, l’avait compris et avait envisagé un troc avantageux de la Savoie contre une partie du Milanais. Cette rivalité entre piémontais et savoyards va se nourrir des événements de 1789.

A Paris, les efforts désespérés des ministres de Louis XVI ( Turgot, Necker, Calonne ) pour le salut des budgets de la monarchie française, passionnent les notables savoyards. Dans chaque loge maçonnique on s’intéresse vivement aux idées nouvelles de liberté, de justice et d’égalité : « les aristocrates croient que leurs mérites, brimés par la monarchie absolue du Piémont, vont enfin prendre leur essor ; les prêtres rêvent d’une ère évangélique ; les philosophes prophétisent la réalisation de leur idéal et les paysans pensent y voir une occasion de payer moins d’impôts et de devenir propriétaire de leur terres d’une façon plus radicale. » Dès la fin 1789 et jusqu’en 1791, la Savoie connaît des troubles : les jeunes libéraux du Duché se réfugient à Paris et conspirent contre « le tyran sarde ». Partout des libelles circulent, appelant non à l’indépendance du Duché, mais à l’annexion à la France. En 1792, l’agitation s’amplifie et la révolution française se radicalise en adoptant un esprit de conquête : Avignon et le Contât Venaissin – possession de la papauté – sont annexés à la demandes de ses habitants ( surtout ceux d’Avignon ). La guerre est déclarée à l’Autriche. A Paris, des émigrés de tous pays, y compris des savoyards et des suisses, forment un bataillon de «  patriotes étrangers  ». Un savoyard, nommé Doppet, crée la légion des Allobroges et demande l’invasion de sa province par les troupes révolutionnaires. Le 22 septembre 1792, commandées par le général Montesquiou, les armées de la révolution, ainsi que la légion des Allobroges, pénètrent dans le Duché sans que les troupes piémontaises du vieux général Lazary ne fassent le moindre geste. Une grande partie de la population accueillit avec enthousiasme les français. Aussitôt, à Chambéry, des sociétés populaires se réunirent afin que le peuple fasse sa propre révolution et se donne un nouveau gouvernement. Sous la pression des jacobins parisiens, l’assemblée des Allobroges décide que chaque commune élira un représentant muni des pleins pouvoirs. Le 21 octobre 1792, dans la cathédrale de Chambéry, sur 658 communes, 583 optent pour l’annexion immédiate à la France, la déchéance de la maison royale de Savoie, la suppression de la noblesse, l’abolition de la dîme et la confiscation des biens du clergé. Le 27 novembre 1792, après une intervention de l’abbé Grégoire, la Savoie était incorporée à la république française sous le nom de département du Mt. Blanc ; dix députés savoyards partaient à Paris pour siéger à la Convention. Mais dès l’établissement dans la capitale du terrible régime de salut public, instauré par Robespierre et ses amis, un fossé se creuse entre les savoyards et la radicalisation du gouvernement révolutionnaire : présence des troupes qu’il faut nourrir et héberger, imposition du papier monnaie dit « assignats » qui ne fait que se dévaluer, cherté de la vie, réquisitions de tous genres, cette situation ne peut durer et très vite des révoltes éclatent. Mais le motif premier de ce désenchantement vient de la question religieuse : la constitution civile du clergé qui  impose aux prêtres de prêter serment à la république, divisent plus de la moitié des ecclésiastiques, qui sont condamnés à l’exil, voir à la déportation. Cette opposition va durer jusqu’au Consulat (1799) et même jusqu’à la signature du Concordat entre Bonaparte et le pape Pie VII  le 16 juillet 1801, qui rétablit la paix religieuse en France. 1793 fut pour la Savoie une année contre-révolutionnaire. On espérait même le retour de  l’ancienne dynastie. Ces mouvements de défiance vis à vis du régime provoquent une reprise en main musclée de la part des autorités de Paris. Deux hommes vont successivement diriger le nouveau département : Philibert Simon, originaire de Rumilly, qui soupçonné de complot et d’accointance avec des banquiers étrangers, finit sur l’échafaud en 1794 et son successeur, Albitte l’Aîné, homme de loi d’origine normande, un être obtus et forcené, qui sera jusqu’à la mort de Robespierre le 28 juillet 1794, le maître absolu du département du Mt. Blanc. Suite à l’invasion de l’Italie du Nord par les troupes françaises commandées par le général Bonaparte, la maison royale de Savoie disparaît pratiquement de l’échiquier politique européen et ce jusqu’à la fin de l’empire napoléonien en 1815. Charles Emmanuel IV doit se réfugier sur l’île de Sardaigne. En 1802, il abdique en faveur de son frère Victor Emmanuel Ier.

En 1798, le nouveau gouvernement français, le Directoire, réalise l’éternel rêve de la dynastie de Savoie, à savoir l’annexion de Genève qui devient le chef-lieu du deuxième département savoyard, le département du Léman formé du Genevois sans Annecy, incorporé au dép. du Mt. Blanc, du Pays de Gex, du Faucigny et du Chablais.

En résumé, de 1793 à 1799, année qui marque la fin du Directoire, la Savoie a très sincèrement regretté son ancienne dynastie : mécontentement généralisé dû aux embarras financiers, au non respect des croyances, des us et coutumes du pays, aux abus militaires et policiers, à la conscription obligatoire. 

L’arrivée de Bonaparte au Consulat ( après le coup d’état du 18 brumaire an VIII – 9 nov. 1799 ) puis à l’Empire marque pour la Savoie le retour à l’ordre, à la confiance et à la sécurité et cela jusqu’en 1810 environ. Une très grande partie de la population se rallia progressivement au régime. L’ampleur des besoins du nouvel empire et la puissance de ses moyens entraînèrent la mise en œuvre d’immenses chantiers : la réfection totale de la route du Mt. Cenis de 1801 à 1810, le tunnel des Echelles, l’endiguement de l’Isère, la route du Simplon de Genève, par Thonon, Sion, Brigue et le col jusqu’en Italie, etc. D’autre part, en 1801, la signature du Concordat permet d’apaiser les tensions. Mais dès les premières difficultés militaires, principalement après le désastre de la retraite de Russie et la nouvelle coalition formée contre Napoléon en 1813, tout le système se met à craquer ; la grogne s’empare de toutes les catégories de la société ; la conscription obligatoire, la hausse des impôts, l’hostilité entre le pape et l’empereur attisent la mauvaise humeur. La déroute de la bataille de France en 1814 a deux conséquences : 
     1 ) Genève fait sécession, se proclame république indépendante et entre dans la Confédération helvétique en septembre 1814.
     2 ) L’illustre Talleyrand, profitant de la division des alliés lors de la signature du traité de Paris en mai 1814, parvient à faire partager la Savoie en 2 entités distinctes :
           - Une Savoie occidentale, qui comprend Chambéry- Annecy- Rumilly et Thônes, revenir à Louis XVIII, nouveau roi de France.
           - Une Savoie orientale, comprenant le Chablais et l’ensemble des vallées alpines, rendue au royaume de Sardaigne.

Mais dans ce ciel presque serein, soudain un coup de tonnerre se fait entendre : en mars 1815, Napoléon s’échappe de l’île d’Elbe et en vingt jours reconquiert le pouvoir pour cent jours jusqu’à la triste bataille de Waterloo qui voit tous ses espoirs anéantis. Le second traité de Paris rectifie l’absurdité du premier et rend la Savoie toute entière au royaume sarde. De plus, se trouvant dans l’impossibilité de défendre militairement sa frontière occidentale, le roi Victor-Emmanuel Ier accepte que « le Chablais, le Faucigny et la Savoie au nord d’Ugine fassent partie de la neutralité suisse tout en appartenant à sa majesté le roi de Sardaigne. »

Après la bataille de Waterloo et la chute de l’empire napoléonien, la Savoie va encore partager le sort du royaume de Piémont Sardaigne jusqu’en 1860 ; 45 années qui se divisent en 2 périodes bien distinctes :µ
     1) De 1815 à 1848, la royauté sarde impose un régime absolutiste et réactionnaire en brimant tout esprit novateur et en maintenant sous des règles rigides une société avide d’évolution.

     2) Après la révolution de 1848, un Piémont libéral et démocratique s’affirme, mais cette évolution   n’empêche pas le détachement irrémédiable de la Savoie d’une dynastie et d’un royaume de plus en plus italianisés.

En effet l’ère napoléonienne avait fait lever dans toute l’Europe de grandes espérances. Malgré une tutelle souvent pesante, la France avait libéré le continent des servitudes héritées de la féodalité et des privilèges de l’aristocratie et permit, dans le cadre de l’empire, l’éveil des consciences nationales. La chute de Napoléon va ramener partout, après le congrès de Vienne, des régimes autoritaires. « Face à des souverains absolus qui s’échangent dans les beaux salons de Vienne de vastes territoires, sans tenir compte ni de la langue, ni de la culture, les anciens soldats du grand empire, les bourgeois mis à l’écart par les aristocrates et la jeunesse romantique ne rêvent que de révolutions et d’émancipation libérale. » L’Italie est la terre d’élection de ces mouvements révolutionnaires. Unifiée par Napoléon, elle est retombée sous le joug autrichien qui l’a découpée en petits ou grands duchés aux gouvernements rétrogrades. Des associations secrètes propagent les idées nouvelles, telles les « carbonari », dans lesquels s’illustrera le futur Napoléon III, ou la « Giovine Italia » de Giuseppe Mazzini. Ces aspirations laissent froids les savoyards, ou plutôt les rendent conscients que ce désir d’unité italienne les sépare du Piémont et renforce en eux la volonté d’appartenir à la nation française. Mais bien sûr dans les classes dirigeantes, la Restauration est bien accueillie et les 3 princes qui se succèdent sur le trône de Piémont-Sardaigne, à savoir Victor-Emmanuel I, Charles-Félix et Charles-Albert tiennent le pouvoir d’une main ferme. Un véritable cordon policier est mis en place autour du Duché pour empêcher la diffusion de livres et de journaux subversifs. La Savoie demeure un îlot économiquement faible, isolé derrière des barrières douanières protectionnistes, situation à peine contrebalancée par des impositions fiscales peu considérables. Le Duché va perdre aussi ses éléments les plus jeunes car l’émigration reprend de plus belle. Ainsi, à l’écart des exaltations du « Risorgimento », la Savoie, pour un tiers de siècle, renoue avec son passé dynastique, dont le culte est entretenu par le clergé et la noblesse. En 1831 décède Charles-Félix, dernier descendant en ligne directe de la dynastie des Blanches-Mains, qui a émis le souhait de reposer dans l’abbaye de Haute-Combe, dans le pays où huit cents ans plus tôt un certain Humbert aux Blanches-Mains s’était taillé une petite seigneurie savoyarde. Charles-Albert lui succède ; avec lui, la Savoie va connaître pendant 16 années un régime autoritaire, sans parlement, sans liberté de la presse, l’instruction et la surveillance des mœurs étant confiées à l’église : c’est le temps des pèlerinages et des missions dont on voit encore aujourd’hui les nombreuses croix et petits oratoires dans tout le pays. Mais au-delà de ce régime particulièrement rigide, Charles-Albert se sent un devoir presque divin, à savoir délivrer l’Italie du joug autrichien. Si la révolution de 1830 n’a eu que peu d’incidence en Savoie, celle de 1848 va profondément bouleverser le paysage politique européen. Dès l’élection en 1846 du nouveau souverain pontife Pie IX, une bouffée de liberté souffla dans les esprits ; on l’appela le prophète des temps nouveaux. Charles-Albert revint à ses idées libérales de jeunesse en promulguant le 4 mars 1848 le « Nouveau Statut Royal » qui donnait au royaume sarde un parlement élu par tous les citoyens sachant « lire, écrire et payant 20 francs d’impôts ». Dans le même temps, à Paris, le roi Louis-Philippe abdiquait et la république était proclamée. Les onze années qui suivent, jusqu’en 1860, seront marquées par une lente et irrésistible ascension du Piémont vers l’Italie, mais aussi par un profond et inéluctable mouvement de retour de la Savoie vers la France : 

«   pendant que la dynastie s’italianise, le pays savoyard se francise à tout jamais ». En effet cette révolution de 1848 entraîne le Piémont dans une guerre de libération contre les autrichiens. De mars 1848 à mars 1849, de l’entrée triomphale des régiments italiens à Milan au désastre de Novare, les troupes savoyardes se sont illustrées avec bravoures, mais elles ont été oubliées dans la liste des récompenses et des éloges. Cet oubli va jeter la province de Savoie dans la plus extrême émotion et réactualiser le sentiment séparatiste des savoyards. Au lendemain de la défaite de Novare, Charles-Albert abdique en faveur de son fils Victor-Emmanuel II auquel il confie la tâche de libérer l’Italie de la présence autrichienne. Le royaume fait l’apprentissage difficile du régime constitutionnel : sur 200 membres, le parlement de Turin ne compte que 22 députés savoyards. Bon nombre de libéraux, issus de toutes les régions d’Italie, chassés de leurs lieux d’origine par l’échec des mouvements révolutionnaires de 1848 et 1849, se réfugient à Turin où ils obtiennent la nationalité piémontaise, ainsi que de nombreux postes officiels. La capitale s’italianise et la langue de Dante, le toscan, devient la langue officielle de l’état unitaire. Les savoyards, qui ont versé leur sang et leur argent pour la cause italienne, se sentent frustrés et sacrifiés. Cependant l’enthousiasme pro-français des libéraux savoyards commençait à se refroidir au vu de ce qui se passait à Paris, où la république, proclamée en 1848, était toute dirigée par des bourgeois conservateurs issus du parti de l’ordre qui élirent le prince Louis Napoléon Bonaparte président de la République. Le coup d’état  du 2 décembre 1851 permet à celui-ci de devenir le seul maître du pays et d’être proclamé empereur des français par le Sénat le 7 novembre 1852,  décision avalisée par le plébiscite du 21 novembre 1852. Pour de nombreux libéraux savoyards le prince président Louis Napoléon Bonaparte, devenu l’empereur Napoléon III, apparaît dès lors comme le fossoyeur de la république. Au contraire pour tous les conservateurs, l’avènement de l’empire et le triomphe du parti de l’ordre sont un motif de satisfaction ; ainsi la droite savoyarde se rapproche de la France du Second Empire. De 1849 à 1859, alors que le royaume de Piémont-Sardaigne se prépare à la reprise de la guerre contre l’Autriche, les relations se dégradent irréversiblement entre la Savoie et les autorités de Turin. Le nouveau roi, Victor-Emmanuel II, épaulé par son talentueux premier ministre Camille Benso de Cavour, devient le champion de cette politique belliciste. Homme du centre-droit, libéral d’esprit, de grand talent et d’une réelle envergure intellectuelle, Camille de Cavour est l’homme providentiel. Issu d’une famille aristocratique où se mêlent les influences du Piémont par son père, de la Savoie par sa grand mère et de Genève par sa mère, il se passionne pour la civilisation industrielle dont il pense qu’elle créera les conditions matérielles indispensables au progrès moral et civique. La Savoie lui doit la ligne ferroviaire de Culoz à Modane, ainsi que le percement du tunnel du Fréjus commencé en 1857 et achevé bien après sa mort en 1871. La signature, en 1852, d’un traité de commerce libre-échangiste entre le Piémont et la France, ouvre la Savoie à la concurrence des produits français et aggrave la situation économique du duché ; de plus, la politique anticléricale du gouvernement de Cavour heurte les sentiments de l’opinion savoyarde qui y voit une atteinte à la religion et au pape. La fameuse exclamation de Charles de Viry, député savoyard, explique mieux que tout discours la position morale du pays de Savoie : « A chaque événement, les Alpes s’élèvent et le Jura s’abaisse. » En 1855, la guerre dite de  Crimée est déclarée à la Russie par une coalition formée de l’Angleterre, de la France et du Piémont ; elle va permettre à la diplomatie de Cavour de s’exprimer dans les hautes sphères de la politique européenne et d’exposer son « mémorandum » sur l’unité italienne. De plus, l’attentat organisé par le comte Orsini contre Napoléon III, ainsi que la présence à Paris de la fameuse Castiglione, envoyée par Cavour auprès de l’empereur, remirent la question savoyarde sur le devant de la scène. Aux Tuileries, le clan italien composé entre autre de Jérôme Napoléon et de Mathilde Bonaparte, ainsi que de nombreux amis de jeunesse de l’empereur, s’agite. Napoléon, qui n’a pas oublié qu’il participa lui-même à certaines révoltes dans la péninsule en 1831, a gardé de cette époque un certain goût du secret et toute sa sympathie va vers l’affranchissement de l’Italie de la tutelle autrichienne. En juillet 1858, Cavour voyageant incognito, rencontre dans les Vosges, à Plombières, l’Empereur et conclut avec celui-ci un accord secret : Napoléon s’engageait à aider Victor-Emmanuel à chasser les autrichiens de l’Italie du Nord et à constituer un puissant état dans la vallée du Pô. Dans une lettre confidentielle, Cavour confia à son roi : « l’Empereur admis sans difficulté qu’il fallait chasser tout à fait les autrichiens de l’Italie et Il me demanda ce qu’aurait la France et si Votre Majesté céderait la Savoie et le comté de Nice. Je répondis que Votre Majesté, professant le principe des nationalités, comprenait que la Savoie dût être par conséquent réunie à la France. » Le 23 avril 1859, la guerre éclatait ; le 30, les soldats français étaient dans les rues de Turin. Quand le drapeau français traversa la Savoie, ce fut la joie dans tout le pays. La brigade de Savoie  montra sa bravoure et son abnégation dans tous les combats. Malgré ces moments exaltants, alors que le Piémont allait à la conquête de l’Italie, la Savoie, elle, se tournait résolument vers la France. Dès le mois de juillet 1859, dirigé par le docteur Dénarié et l'’avocat Charles Bertier, un parti annexionniste s’organise et publie dans le « Courrier de Lyon » une lettre adressée à l’empereur Napoléon III : « La Savoie n’est pas italienne, ne peut pas l’être. Quel est donc l’avenir qui lui est réservé ? Nous espérons, Sire, que Votre Majesté, qui s’est montrée si chevaleresque envers l’Italie, voudra bien aviser aux intérêts de la Savoie d’une manière conforme à ses vœux. » Alors que les armées sardes et françaises vont de victoire en victoire ( Magenta 4 juin 1859, Solferino 24 juin 1859, prise de San Martino par la brigade de Savoie, etc.), un coup de théâtre retentit : l’Empereur, sans en aviser ni le roi de Sardaigne, ni Cavour, signe le 11 juillet 1859 avec l’Autriche la paix de Villafranca. La consternation envahit le camp italien, Cavour démissionne. Deux raisons semblent expliquer l’attitude de Napoléon III dans cette décision : premièrement  il fut profondément touché par les milliers de morts et de blessés dans la batailles de Solferino, deuxièmement, les visées annexionnistes du Piémont sur les Etats pontificaux risquent de jeter les catholiques français dans le parti des mécontents. Pendant 6 mois tous les esprits sont confus, chaque partie cherchant sa place dans ce grand bouleversement. Les libéraux savoyards restent fidèles au gouvernement sarde et sont opposés à l’annexion de la Savoie à la France. Les conservateurs restent dans une prudente réserve ; mais la masse des classes moyennes, animée par l’Eglise et soutenue par les savoyards émigrés en France, pousse au rattachement à l’Empire, dont le prestige est immense. Le retour de Camille de Cavour aux affaires en janvier 1860 permet de débloquer la situation politique, car pour conserver les conquêtes sardes en Italie du Nord, le Piémont ne peut se passer de l’appui de la France vis-à-vis des autres puissances européennes tels la Prusse, l’Angleterre et la Russie. Quant à la Suisse, se souvenant douloureusement de la période 1798 à 1814 d’une part, et du fait de la présence d’un Bonaparte sur le trône de France d’autre part, elle craint plus que jamais de voir la Savoie devenir française. De plus, un certain mécontentement d’une partie de la Savoie du nord ( Faucigny, Chablais et Genevois ) dû aux difficultés douanières qui empêchent les échanges commerciaux avec Genève, permet à la Confédération helvétique d’entrevoir la possibilité de s’annexer ces régions. Sous l’égide de Joseph Bard, docteur en droit à Turin, chef du mouvement pro-helvétique, des pétitions sont organisées dans tout le territoire de la Savoie du nord : elles récolteront 13651 signatures en faveur de la réunification avec la Suisse. Des manifestations se tiennent un peu partout. Deux exemples suffiront à illustrer cette situation.

     1) Le 28 mars 1860, une délégation suisse quittait Genève pour Bonneville sous la conduite de Jules César Ducommun. Quelques réfugiés français anti-bonapartistes s’étaient joints à l’équipée et dissimulaient dans leur voiture des armes, des drapeaux et des proclamations : ces affiches signées « une réunion de citoyens » étaient censées émaner des savoyards du Nord partisans de la Suisse et qui incitaient leurs compatriotes à se joindre à leur cause : « Tendons nos bras vers cette patrie suisse dont rêvaient nos ancêtres et qui doit nous apporter le bien-être et la liberté. Vive la Suisse, notre nouvelle patrie. Vive la Constitution fédérale proclamée dès ce jour dans la Savoie du Nord comme la seule Loi  fondamentale du pays. » Pendant ce temps, à Bonneville, ont lieu les élections pour le parlement de Turin ; il y a beaucoup de monde dans la ville. Mais dès que le résultat des élections et la victoire des députés pro-français sont  connus, les savoyards arrachent les drapeaux suisses, ainsi que les affiches. Les autorités, ne voulant pas d’esclandres, invitent les genevois à rentrer chez eux au plus vite.

     2) Le lendemain, John Perrier, député radical au Grand Conseil genevois, armait une petite troupe et se rendait à Thonon à bord de l’Aigle II. Arrivés sur place, déjà fortement avinés, ils apprirent la triste fin des initiatives précédentes. Là, ils furent proprement insultés par les locaux et durent se réfugier à Evian d’où ils furent chassés par l’autorité en direction de Lausanne. Cette mémorable expédition pris fin, ironie de l’histoire, à bord du bateau nommé « Italie ».

Devant toute cette agitation, un parti de patriotes se créa pour protester contre l’idée d’un partage de la Savoie entre plusieurs états. Des comités, siégeant à Chambéry et à Annecy, contre-attaquent vigoureusement et  dénoncent « les manœuvres de toutes sortes dans la ville de Genève et au-dehors visant à détacher de la vieille famille savoisienne les provinces du Chablais, du Faucigny et même une partie de celle d’Annecy. »

Cette contre-offensive eût un résultat spectaculaire : en quelques semaines l’opinion fut retournée. Il faut dire que, pour une fois, les notables catholiques conservateurs et les libéraux avaient su s’allier pour défendre leurs intérêts communs. Encouragée par l’attitude du pays à son égard, la France se décida enfin à tenter de résoudre cette situation. Le 24 février 1860, Monsieur Thouvenel, ministre des affaires étrangères de Napoléon III posait le problème savoyard au gouvernement de Turin. Après avoir rappelé le désir de l’Italie centrale de s’annexer au Piémont, il concluait que Nice et la Savoie avaient les mêmes droits en face de la France. Cavour accepta les arguments français et le 1er mars 1860, Napoléon III, à l’ouverture de l’assemblée législative dit « qu’il était de son devoir, pour la sûreté de nos frontières, de réclamer les versants français des montagnes. » Cette phrase marquait la victoire du principe des frontières géographiques, âprement défendu depuis des siècles, tant par Henri IV, que Richelieu, Louis XIV et les révolutionnaires.

Tandis que, le 20 mars 1860, une proclamation officielle du gouverneur de Savoie laissait entendre que le Piémont admettait l’idée de l’annexion, une délégation des plus illustres notables savoyards, présidée par le comte Greyfier de Bellecombe, se rendait à Paris et portait à l’Empereur le message suivant : « Sire, des bords du Léman aux vallées du Mont Cenis, ceux qu’a honorés le suffrage de leurs concitoyens, sont accourus auprès de Votre Majesté pour lui exprimer la joie que la Savoie éprouvera lorsqu’elle sera toute entière réunie à la France et qu’elle pourra toujours, avec cette grande et noble nation, n’avoir qu’un cri, celui de Vive l’Empereur ! Vive la France ! » Napoléon III remercia les savoyards et rappela que leur retour à la France se ferait «  par le libre consentement du souverain légitime ( c. à d. Victor-Emmanuel II ), appuyé de l’adhésion populaire. »

Devant une telle unanimité, les puissances alliées, tant anglaise qu’autrichienne, voir prussienne et russe, ainsi que la Suisse se résignèrent, d’autant plus qu’à Berne et à Genève, l’on redoutait d’être «  noyé sous une masse de catholiques savoyards ».

Le 24 mars 1860 fut signé le traité de Turin qui stipulait la renonciation de Victor-Emmanuel II à tous ses droits sur la Savoie et le comté de Nice. Pour répondre aux inquiétudes des populations de la partie septentrionale de la Savoie, à savoir le Chablais, le Faucigny et une partie du Genevois, on créa une grande zone douanière qui permettait à ces régions de maintenir leurs relations économiques privilégiées avec Genève.

Le plébiscite eu lieu les 22 et 23 avril 1860 et sur 135.449 électeurs inscrits, 130.533 acceptèrent le traité, seuls 235 le refusèrent.

L’ancien duché de Savoie fut remis le 14 juin 1860 au sénateur Laity, représentant personnel de l’empereur Napoléon .

Du 27 août au 5 septembre 1860, la famille impériale fit un voyage triomphal à travers toute la Savoie.

Jamais depuis cette date elle n’a oublié ce cri de « Vive la France » que son envoyé extraordinaire Greyfier de Bellecombe avait prononcé devant l’empereur des français. Elle est toujours restée fidèle à son serment.


 

Texte tiré de deux  conférences données à 
l‘Association Culturelle de la Ville du Four
à Habere-Lullin (74), printemps et automne 2002.