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                                                   L’exil de Napoléon à Sainte Hélène. Longwood, morne plateau

 

L’exil de Napoléon à Sainte Hélène. Longwood, morne plateau.


par
Gérard Miège

 

1. Après la défaite de Waterloo.
2. A Sainte Hélène.
3. La mort de l’Empereur, le 5 mai 1821.


 








Le port de Jamestown.


          1. Après la défaite de Waterloo.



 
le 18 juin 1815, informé par son frère Lucien des agissements de Fouché, ministre de la police, dans le but d’obtenir sa destitution par le Sénat, Napoléon se rend immédiatement à Paris. A l’Elysée, il réunit le conseil des ministres en vue de décréter la Patrie en danger.  Mais, malgré l’intervention de Lucien devant les sénateurs, l’Empereur comprend que la partie est perdue et qu’il ne peut qu’abdiquer pour la seconde fois en faveur de son fils. Il se retire à la Malmaison avec une partie de ses fidèles qui le pressent de se rendre en exil aux Etats-Unis.

Il me faut un compagnon qui me mette d’abord et rapidement au courant de l’état actuel des sciences. Ensuite, nous irons du Canada jusqu’au cap Horn et, dans cet immense voyage, nous étudierons tous les phénomènes physiques du globe.

(à Monge)


Acculé par les puissances ennemies qui déjà tirent le canon aux alentours de sa résidence, l’Empereur quitte Rueil pour Rochefort où il séjourne quelques jours  en attendant ses passeports promis par le gouvernement provisoire, présidé par Fouché et de là, à l’île d’Aix.

Très vite, la petite cour des exilés s’aperçoit que Fouché les a trompé et qu’ils se trouvent comme pris au piège sur cette petite île  d’où il leurs semble impossible de franchir le blocus maritime mis en place par la flotte anglaise.

 Après avoir étudié toutes les possibilités de fuite, Napoléon décide de se rendre et de confier sa destinée au prince régent d’Angleterre :

« Altesse royale, en butte aux factions qui divisent mon pays et à l’inimitié des plus grandes puissances de l’Europe,  j’ai terminé ma carrière politique et viens, comme Thémistocle, m’asseoir sur le foyer du peuple britannique. 
Je me mets sous la protection de ses lois, que je réclame de Votre Altesse Royale, comme du plus puissant,
du plus constant et du plus généreux de mes ennemis. »


Le 15 juillet 1815, l’Empereur se rend à bord du Bellerophon commandé par le capitaine Maitland, qui  l’accueille avec tous les honneurs dûs à son rang et cela lui sera sévèrement reproché par l’amirauté anglaise, car depuis  son retour de l’île d’Elbe, le Congrès de Vienne, qui cherche à régler le sort de l’Empire vaincu, lui a retiré tous ses titres  comme étant « perturbateur de la paix du monde et ennemi du genre humain ».

Le gouvernement anglais s’entêtera donc pendant tout le temps de sa captivité à le faire appeler Général Bonaparte.

Vous m’obligez à vous expliquer officiellement que je n’ai pas connaissance d’un Empereur se trouvant actuellement sur cette île ni d’aucune personne de cette dignité venue avec vous sur le Northumberland. (amiral Cockburn à Bertrand)

Qu’ils m’appellent comme ils voudront, dit-il à Las Cases, ils ne m’empêcheront pas d’être moi !


Le 31 juillet 1815, Napoléon apprend sa déportation sur l’île de Ste Hélène et le 7 Août 1815, il est transféré à bord du Northumberland qui le conduira à son lieu d’exil.
 

Ste Hélène…, dit-il à Maitland. L’idée seule m’en fait horreur. Etre reléguer pour la vie dans une île entre les tropiques, à une distance immense de tout continent, privé de toute communication avec le monde et de tout ce qu’il renferme de cher à mon cœur !… C’est pis que la cage de fer de Tamerlan ! Je préférerais qu’on me livrât aux Bourbons ! M’exiler là, autant aurait valu signer tout de suite mon arrêt de mort, car il est impossible qu’un homme de mon tempérament et de mes habitudes puisse vivre longtemps dans un tel climat. Je proteste solennellement ici, à la face du ciel et des hommes, contre la violence qui m’est faite, contre la violation de mes droits les plus sacrés, en disposant par la force de ma personne et de ma liberté. Je ne suis pas le prisonnier, mais l’hôte de l’Angleterre… Si le gouvernement, en donnant des ordres au capitaine du Béllérophon de me recevoir, ainsi que ma suite, n’a voulu que tendre une embûche, il a forfait à l’honneur et flétri son pavillon…J’en appelle à l’histoire. Elle dira qu’un ennemi qui fit vingt ans la guerre au peuple anglais vint librement, dans son infortune, chercher un asile sous ses lois ; quelle plus éclatante preuve pouvait-il donner de son estime et de sa confiance ? Mais comment répondit-on en Angleterre à une telle magnanimité ? On feignit de tendre une main hospitalière à cet ennemi, et quand il se fut livré de bonne foi, on l’immola.



         
2. A Sainte Hélène.




Ce long voyage, dans une promiscuité insupportable s’achève le 15 octobre 1815 au soir et Napoléon qui se trouve à la proue du navire ne peut s’empêcher de dire à ses voisins :

 

Ste Hélène, ce n’est  pas un joli séjour.

 



Vue de l’Ile de St Hélène.
 



L’Empereur a 46 ans. L’histoire de Ste Hélène c’est le temps d’un huis clos invraisemblable qui va durer 6 années entre plusieurs personnages. Dans le clan français, autour du Général Bonaparte, une vingtaine de personnes autorisées à le suivre dans l’exil ; il y a là,  dans l’ordre hiérarchique :

                    · Le Grand Maréchal du palais Bertrand (42 ans) et sa famille.
                    · Le comte général Montholon (32 ans), et sa famille.
                    · Le général  Gourgaud (32 ans), aide de camp.
                    · Le comte Las Cases (49 ans), mémorialiste et son fils.
                    · Le premier valet de chambre Marchand.
                    · Le mamelouk St. Denis dit Ali.
                    · Le maître d’hôtel Cipriani.
                    · Le suisse Noverraz.
                    · Les cuisiniers Lepage, Pierron et Chandelier.
                    · Les deux frères Archambault (cochers ).

Le restant de la domesticité sera fourni par les anglais, en tout Longwood abritera une centaine de personnes.

A partir de 1818 et sur la demande expresse de l’Empereur, les anglais autoriseront la venue des abbés Buonavita et Vignali, ainsi que celle d’un médecin, le docteur Antommarchi.

Du coté anglais, le docteur O’Meara, un irlandais, a la confiance de l’Empereur, mais il doit jouer un double jeu et faire des rapports très précis sur tout ce qui se passe à Longwood. La surveillance du prisonnier est confiée à l’amiral Cockburn et au gouverneur Wilks, qui sera remplacé à partir de 1816 par le terrible Hudson Lowe. Trois milles soldats forment la troupe. Un cercle de quatre miles, soit environ huit kilomètres, a été tracé autour du domaine de Longwood. Au delà de cette limite, tout sortie, pour n’importe lequel des français, domesticité comprise, doit être autorisée. La nuit, entre deux coups de canons, de six heures du soir à six heures du matin, les exilés se retrouvent parqués derrière un mur qui ceinture la propriété au plus près.
 

Seul un oiseau pourrait sortir d’ici. A quoi bon ces sentinelles sur la crête des collines ? Si la côte est gardée, cela suffit…Lowe n’est pas un général, il n’a jamais commandé que des déserteurs corses… J’aurais préféré être enfermé à la Tour de Londres que dans cette vilaine île. J’y mourrai avant trois ans.


Sur les hauteurs environnantes, des sentinelles. Autour de l’île, quatre navires de guerre se relaient afin d’empêcher tout débarquement ou toute tentative d’évasion. Voilà le huis clos de Sainte Hélène.

Située à deux milles kilomètres des côtes africaines et à deux milles neuf cents kilomètres du Brésil, l’île de Ste Hélène se trouve perdue au milieu de l’Atlantique sud. Sa superficie est de cent vingt kilomètres carrés ( 17 de long sur 10 de large ).

Ancien volcan surgit des profondeurs, flanqué de falaises monstrueuses, son point culminant est le Diana’s Peak ( près de neuf cents mètres ). Seule une entaille profonde déchire la roche et permet d'y accéder : c’est là que se niche le petit port et la capitale de l’île, Jamestown. 
 

« Une île chiée par le diable en volant d’un monde à l’autre »


Le climat change à tout instant : sur le haut plateau de Longwood, quand le vent souffle, le soleil peut frapper fort, mais dans les cinq minutes, le brouillard envahit tout et une bruine se met à tomber, voir une forte pluie ; cela peut durer quelques minutes ou au contraire durer huit jours.
 

« Que puis-je faire dans cette île exécrable où l’on ne peut faire un mile à cheval sans y être trempé ! »


La nature est, au fond des vallées, exotique, luxuriante, mais sur le haut plateau de Longwood, chétive, arasée par le vent continuel. Seuls quelques gommiers décharnés subsistent de l’antique forêt. Et miracle, un chêne à résister, là l’Empereur aimera s’installer pour lire, dicter ou se reposer.

Ce climat, cette flore, cette situation tapent sur le système, rendent les gens neurasthéniques. Cette monotonie du temps et du climat crée l’ennui, une médiocrité d’existence. 

Tous les jours pareils, toutes les nuits pareilles. Il faut se créer des habitudes de distraction, mais celles-ci deviennent de plus en plus pesantes. L’imagination se met en marche et elle rend fou : combien de fois Napoléon ne dira-t-il pas à Gourgaud, qui est jeune et célibataire :
 

Arrêtez votre imagination, vous allez devenir fou…


Effectivement, avant de le devenir, il devra quitter Ste Hélène en 1818 sur l’ordre de l’Empereur.


Un climat de morosité s’installe malgré les efforts de Napoléon pour diversifier les journées ; il change les heures des repas, aujourd’hui ce sera 19 heures, demain 20 heures. Il modifie les heures de promenade, une fois le matin, l'autre l’après-midi, aujourd’hui à cheval, demain en calèche, et cela quand le temps le permet.

Malgré les visites que l’Empereur reçoit, surtout les deux premières années, l’enrichissement que ces hôtes apportent par leurs récits de voyage, les livres  ainsi que les journaux venus d’Europe avec trois ou quatre mois de retard, vite, après quelque espoir dû aux rumeurs qui courts deci ,delà, on retombe dans un profond ennui.

Pour les dames, c’est encore pire, car Napoléon est très exigeant, surtout en ce qui concerne l’étiquette. L’évocation de ce qu’il fut est une préoccupation constante de son esprit, tant il craint que cette funeste existence n’affaiblisse l’idée qu’il reste pour sa petite cour l’Empereur. Le soir, il y a toujours grand dîner, comme aux Tuileries ;on allume tous les lustres de la salle d’audience, de la salle de billard, de la salle à manger. 

 



Longwood House, Résidence de Napoléon.



On met ses plus beaux habits, ces messieurs en grande tenue militaire, ces dames en décolletés. Mais tous les jours, il faut passer les habits au fer, car ils sont bleus d’humidité et de moisi. En dépit de tous ces efforts, les soirées sont tristes. La table est pourtant toujours fort bien garnie : volailles, poissons, moutons, légumes et fruits venant soit de l’île ou étant importés d’Afrique du Sud ou d’Angleterre. Les bœufs, arrivés à fond de cale du Cap, sont tellement décharnés qu’il faudrait une année pour les rengraisser. 

A table on récrimine sévèrement sur la qualité des mets et des vins. Tout est sujet de plainte et cela malgré les efforts  que fait le cuisinier Pierron sur son humble potager à bois.

Cet enfermement dans cette île minuscule, cette espèce de semi-liberté accordée au compte-goutte, c'est encore pire qu’un emprisonnement dans une forteresse du nord de l’Ecosse, car on fait sentir à tous ces français l’étroitesse du lieu.

Quelques fois, Madame de Montholon se met au piano et chante des airs de Paesiello ou de Cimarosa, mais elle chante faux. Tout cela, cette vaisselle d’or, ce service à café de Sèvres, ces petits concerts, cette nourriture, tout cela sent la médiocrité, le déjà vu, malgré le faste déployé. Certains visiteurs anglais le feront remarquer :

Ce fut un dîner magnifique ; il ne dura que quarante minutes et après nous passâmes au salon pour jouer aux cartes… Le dîner fut plutôt morne. Les gens qui vivent avec Bonaparte parlaient à voix très basse et lui-même était si occupé à manger qu’à peine a-t-il dit un mot. La pièce était si remplie de bougies qu’il y faisait chaud comme dans un four.

(Général Bingham, commandant la garnison de Ste Hélène)


Il faut du génie à l’Empereur pour mettre de l’ordre dans cette société, pour faire vivre cette petite communauté dans un semblant d’harmonie. Il y réussi en dépit des chamailleries de ces dames qui sont jalouses entre elles: Madame de Montholon, toujours bien mise et qui fait la coquette, est la préférée de Napoléon qui la reçoit, non dans son boudoir, mais dans sa salle de bain et bien entendu Madame la comtesse Bertrand en souffre. Le général Gourgaud ne cesse de provoquer le général de Montholon qui lui-même est jalousé par le Grand Maréchal du Palais Bertrand. 

La situation se dégrade, il n’y a plus de vie sociale ou si peu, drames et abandons rendent la vie impossible. Le premier janvier 1816, alors que tout ce petit monde est réuni pour présenter ses vœux à l’Empereur, celui-ci de leur dire :

Vous ne composez plus qu’une poignée au bout du monde ; votre consolation doit être au moins de vous y aimer.

A midi on ne partage plus les repas, chacun mange dans sa chambre. Les Bertrand, eux-mêmes, se sont installer dans une maison indépendante. Le gouverneur Hudson Lowe a réussi à jeter le trouble et la confusion dans cette cour. Au delà de la vénération que ces personnes ont pour l’Empereur, il y a des jours où l’on tombe dans l’irrespect ; un soir ne doit-il pas dire au général Bertrand :

Ce n’est pas aux Tuileries que vous m’auriez parlé ainsi, alors tout ce que je faisais était bien.


Chacun se rend compte de cette descente aux enfers, enfers humides, étouffants, désespérément clos, sans avenir, sans espérance de retour en Europe ; chacun de se dire : « nous allons tous mourir ici ».


 



Plantation House Résidence du Gouverneur.


C’est là, dans cet étouffement que réside la seule, mais terrible victoire des anglais, c’est une défaite de l’individu, une désincarnation du corps et de l’esprit.

Mon corps est en votre pouvoir, mais mon âme est libre. Il y a différentes manières d’assassiner un homme : par le pistolet, par l’épée, par le poison ou par l’ assassinat moral. C’est la même chose, en définitive, excepté que ce dernier moyen est le plus cruel.  J’étais venu m’asseoir au foyer du peuple britannique, je demandais une loyale hospitalité, et, contre tout ce qu’il y a de droits sur la terre,  on me répondit par des fers…Vous n’avez laissé arriver jusqu’à moi aucune nouvelle, aucun papier d’Europe. Ma femme, mon fils même n’ont plus vécu pour moi. Vous m’avez tenu six ans dans la torture du secret… Il m’a fallu m’enfermer entre quatre cloisons, dans un air malsain, moi qui parcourais à cheval toute l’Europe ! Vous m’avez assassiné longuement, en détail, avec préméditation ! Vous finirez comme la superbe république de Venise, et moi, mourant sur cet affreux rocher, privé des miens et manquant de tout, je lègue l’opprobre et l’horreur de ma mort  à la famille régnante d’Angleterre. Il n’y a pas une indignité, pas une horreur dont vous ne vous soyez fait une joie de m’abreuver.  Les malheurs aussi ont leur héroïsme et leur gloire. Dans cinq cents ans le nom de Napoléon brillera, et ceux de Bathurst, de Castlereagh et le votre (Hudson Lowe ) ne seront connus que par la honte et l’injustice de leur conduite envers moi.

 



Vue des casernes sur St Hélène. 


Heureusement, quelques fois une lumière vient égayer la morne vie de l’Empereur : la jeune Betsy vient le visiter. 

Alors Napoléon se souvient des jours heureux qu’il a vécu aux Briars auprès de la famille Balcombe : ce furent des moments de joie, dans une ambiance champêtre, illuminés par le sourire de Betsy qui nous a laissé ce portrait :

L’Empereur se révéla plutôt petit, ses traits, d’une pâleur mortelle, demeuraient d’une extrême beauté malgré leur froideur,  leur impassibilité et quelque chose de dur. Sitôt qu’il parla, son sourire enchanteur et la douceur de ses manières dissipèrent mes craintes. Pendant la conversation, j’examinai son visage. Je n’en ai jamais rencontré de si remarquable. Son sourire et ses yeux, étonnement expressifs, c’est ce qui le rendait si sympathique et si charmeur.

(Betsy Balcombe - Souvenirs).


Dans ce Longwood humide et retiré de tout, il impose une étiquette stricte, car de l’ennui où tout le monde se trouve, pourrait naître une « camaraderie de caserne », et cela, il ne le veut pas. Intimement persuadé qu’il va terminer sa vie sur cette île, il veut, par le faste déployé, convaincre les anglais qu’il n’est pas seulement le général Bonaparte, mais qu’il est et restera pour la postérité l’Empereur Napoléon premier. Déjà il crée sa légende.

En avril 1816 l’espoir renaît : en effet l’amiral Cockburn doit rejoindre son poste en Afrique du Sud comme gouverneur du Cap ; il est remplacé par le général Hudson Lowe. 

Napoléon pense qu’il s’entendra mieux avec un général d’artillerie qu’avec un marin comme Cockburn. Cet espoir ne sera qu’un feu de paille car Hudson Lowe est un personnage fait pour devenir un geôlier : méticuleux et brouillon à l’excès, vaniteux, pointilleux, rigide, il eût été difficile de trouver mieux pour ce genre d’affectation.

Quelle sinistre figure que celle de ce gouverneur ! C’est à ne pas boire sa tasse de café si on avait laissé un tel homme un instant seul auprès ! Mon cher, on pourrait m’avoir envoyé pis qu’un geôlier…

(à Las Cases)


L’ambiance entre les deux hommes se détériore très rapidement. Le ministre anglais, Lord Bathurst, a transmis à Hudson Lowe de nouvelles instructions quant aux prisonniers : restriction des promenades dans l’île, surveillance de visu du captif, coût de l’intendance des français, contrôle de la correspondance et des livres, autorisation préalable du gouverneur pour être reçu par l’Empereur.

Quelle certitude ai-je que le gouverneur ne viendra pas, sous quelque prétexte, lorsque j’aurai à peu près fini mon histoire, s’en emparer aussi ? Il faut que je brûle tout ce que j’ai écrit !…

Cela me servait d’amusement dans cette triste
demeure et cela aurait pu être intéressant pour le monde, mais avec ce boja (bourreau), il n’y a ni sécurité ni garantie. Il viole toutes les lois. La joie rayonnait dans ses yeux quand il est venu, parce qu’il avait trouvé un nouveau moyen  de nous tourmenter. Comme il entourait la maison avec son état-major, j’ai cru voir des sauvages de la mer du Sud
 dansant autour de prisonniers qu’ils vont dévorer.


Hudson Lowe ne saura jamais doser entre souplesse et sévérité. Manquant totalement de psychologie, il va rendre la vie impossible à tous les résidents de Longwood.

Vous êtes pour nous un plus grand fléau que toutes les misères de cet affreux rocher.  J’ai vu des tartares, des cosaques, des kalmouks, mais je n’ai jamais vu une figure aussi sinistre et aussi repoussante.


Ces nouvelles restrictions vont entraîner, à partir de 1818, la fermeture définitive des portes de Longwood à tous visiteurs étrangers. Napoléon ne peut, en effet, supporter l’idée que chacun de ses hôtes se doivent de faire un rapport sur tout ce qui s’est dit ou fait en présence de celui-ci. 


Ce temps va correspondre à sa lente dégradation physique. Pour éviter d’être vu par ses geôliers, il ne sort presque plus de sa demeure. En 1820, sur les conseils de son médecin Antommarchi, il entreprend des travaux de jardinage et aménage les alentours de sa maison en créant, entre autre, un muret en gazon qui lui permet de se promener sans être vu. Ces travaux lui procurent six mois de détente et d’enthousiasme. 

Malheureusement, cette courte période heureuse ne durera pas car le manque d’exercices, surtout les longues chevauchées, a définitivement aggravé la santé de l’Empereur : ses jambes enflent, il grossit et  souffre de plus en plus de refroidissements dûs à l’humidité qui règne dans sa maison. Il se plaint continuellement de son côté droit, il sait qu’il n’en a plus pour longtemps.

Eh, messieurs, vous croyez que je badine ? Il n’en est pas moins vrai que je sens là quelque chose qui n’est pas ordinaire.


C’est alors un mélange d’espoir et de tristesse qui envahit ceux qui l’entourent : quel dilemme horrible ! La mort de l’Empereur leur permettrait de retourner en France, mais l’idée de le perdre les plonge dans le plus grand désespoir. Sa santé s’altère rapidement et à partir de l’automne 1820 l’Empereur décline.

Le lit est devenu pour moi un lieu de délices. Je ne l’échangerais pas pour tous les trésors du monde. Quel changement ! Combien je suis déchu !…Il faut que je fasse un effort lorsque je veux soulever mes paupières… Mes forces, mes facultés  m’abandonnent…Je végète, je ne vis plus. Ce ne sera pas long, mon fils, ma fin approche, je ne puis aller loin. Il en sera ce que Dieu voudra.

(à Marchand – premier janvier 1821).


Dès le mois d’avril 1821 la maladie empire ; débute alors une agonie qui va durer quarante jours environ dans de terribles souffrances.

La machine est usée, elle ne peut plus aller. C’est fini, je mourrai ici.


Napoléon ayant refusé de se faire examiner par des médecins britanniques, toute la responsabilité revient à Antommarchi, qui après l’avoir ausculté, discute avec le docteur anglais Arnott du traitement et des soins à apporter au malade ; c’est ainsi que l’on décide de lui faire prendre du calomel (chlorure mercureux) en vue d’augmenter la sécrétion biliaire.

J’éprouve une douleur vive et aiguë, qui semble me couper comme un rasoir. Mon père est mort de cette maladie  à l’âge de trente-cinq ans. Ne serait-elle pas héréditaire ? Ne craignez pas de parler, docteur, vous avez affaire à un vieux soldat qui aime la franchise. Dites, que pensez-vous de moi ? Je vais rendre à la terre un reste de vie qu’il importe tant aux rois d’avoir.



          3. La mort de l’Empereur, le 5 mai 1821.



A partir du 15 avril, l’Empereur ne quitte plus le lit. Dès lors, avec un indéniable courage, il entreprend la rédaction de son testament.

Napoléon,
Ce jourd’hui 15 avril 1821, à Longwood, île de Sainte-Hélène. Ceci est mon testament ou acte de ma dernière volonté. 1° Je meurs dans la religion apostolique et romaine, dans le sein de laquelle je suis né il y a plus de cinquante ans. 2° Je désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que j’ai tant aimé…


Le 3 mai, l’Empereur s’adresse, pour la dernière fois à ses compagnons d’exil :

Vous avez partagé mon exil, vous serez fidèles à ma mémoire, vous ne ferez rien qui puisse la blesser.


Le 5 mai, Hudson Lowe est averti par le docteur Arnott que la fin est proche. Dans la chambre, le lit a été relevé et placé en face de la cheminée. Une grande clarté illumine la pièce. Tout le monde est là, pleurant, se souvenant du grand homme et de son immortelle épopée. L’abbé Vignali prie dans la salle à manger transformée en chapelle. Vers 15 heures, Arnott envoie un message au gouverneur : « Le pouls ne peut plus être perçu au poignet. La chaleur quitte la surface du corps, mais il peut durer encore quelques heures. » A 17 heures 30, second message de Arnott : « Il est plus mal. La respiration est devenue plus courte et plus difficile. » Le soleil se coucha d’un coup et dans l’instant suivant, Napoléon rendit le dernier soupir : il était 17 heures 51. Madame Bertrand, peut-être, arrêta la pendule. Arnott envoya un troisième message : « Il vient d’expirer. » 

Alors, tous ceux qui l’avaient accompagné librement, les amis et les serviteurs s’approchèrent et mettant un genou à terre lui baisèrent la main. Le lendemain, en présence des médecins anglais, l’autopsie est pratiquée par le docteur Antommarchi : l’Empereur serait mort d’un ulcère probablement cancéreux de l’estomac. Après cela, le corps fut lavé et habillé par Marchand et Ali : habit de colonel des chasseurs à cheval de la garde impériale, plaque et cordons de la Légion d’Honneur et  croix de la Légion ainsi que de la Couronne de fer. Le corps, transporté dans la chambre transformée en chapelle ardente et recouvert du grand manteau de Marengo, fut exposé sur un catafalque entouré de quatre candélabres. 

Le 6 et le 7 mai, les autorités anglaises, les soldats et la population de l’île défilèrent avec un profond respect. 

Le 9 mai, l’Empereur fut inhumé dans la vallée dite du Géranium, près d’une source qu’il appréciait tout particulièrement, à l’ombre de quelques saules.

Le 21 mai, l’exil volontaire des compagnons de l’Empereur pris fin. Lui seul reposera sous une dalle anonyme jusqu’en 1840, date à laquelle Louis-Philippe, roi des français obtiendra l’autorisation du gouvernement anglais de rapatrier son corps en France. La Belle Poule le ramènera à Cherbourg le 30 novembre 1840. 

C’est aux Invalides, sur les bords de la Seine, auprès de son peuple, qu’il repose encore aujourd’hui.

Après tout, ils auront beau retrancher, supprimer, mutiler, il leur sera bien difficile de retrancher tout à fait. Un historien français sera pourtant bien obligé d’aborder l’empire ; et, s’il a du cœur, il faudra bien qu’il me restitue quelque chose, qu’il me fasse ma part ; et sa tâche sera aisée, car les faits parlent : ils brillent comme le soleil.
J’ai refermé le gouffre anarchique et débrouillé le chaos. J’ai déssouillé la révolution, ennobli les peuples et raffermi les rois. J’ai excité toutes les émulations, récompensé tous les mérites, et reculé les limites de la gloire ! Tout cela est bien quelque chose !…
Quand je serai mort, chacun de vous aura le bonheur de revoir l’ Europe, ses parents, ses amis : moi, je reverrai mes braves dans les Champs-Elysées. Oui, Kléber, Desaix, Bessières, Duroc, Ney, Murat, Masséna, Berthier, tous viendront à ma rencontre... En me voyant, ils deviendront tous fous d’enthousiasme et de gloire. Nous causerons de nos guerres avec les Scipion, les Annibal, les César, les Frédéric;  à moins que là-bas on ait peur de voir tant de guerriers ensemble.
J’ai sanctionné tous les principes, je les ai infusés dans mes lois, dans mes actes ; il n’y en a pas un seul que je n’aie consacré. Malheureusement les circonstances étaient graves. J’ai été obligé de sévir, d’ajourner ; les revers sont venus ; je n’ai pu débander l’arc, et la France a été privée des idées libérales que je lui destinais. Elle me juge avec indulgence ; elle me tient compte de mes intentions ; elle chérit mon nom, mes victoires. Imitez-la, soyez fidèles aux opinions que nous avons défendues, à la gloire que nous avons acquise ; il n’y a hors de là que honte et confusion.






Nota : les illustrations contenues dans cet article sont issues de l'ouvrage de  T.E. Wathen, A Series of Views Illustrative of the Island of St. Helena (Clay, London, 1821).