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                                                                     1871, l'administration de Paris sous la Commune

 

1871, l'administration de Paris sous la Commune.


par
Carl Pépin

 



 

Introduction

1. De la révolution aux élections : l'administration de Paris par le Comité central et les conflits juridictionnels avec les élus parisiens de la Délégation.
2.
Entre surveillance et gestion : la place du Comité central dans la répartition des services publics parisiens et les relations avec les arrondissements.
3.
Ni surveillance, ni gestion : les raisons et tentatives d'écarter le Comité central.
4. Une étude de cas : la défense de Paris et la place du Comité central en matière de surveillance et de gestion de l'organisation militaire.


Conclusion.

Bibliographie.


 






    Introduction


C'est un Paris humilié par la défaite et affamé par le blocus des Prussiens qui se trouve au bord de la révolution en février 1871 alors qu'une Assemblée nationale à majorité monarchiste vient d'être élue pour négocier la paix. La vie dans la capitale est malsaine car la misère y règne avec intensité telle que la révolution paraît inévitable. De la mi-février à la mi-mars, les Parisiens endurent les misères et déceptions nées du siège de la capitale, de même que les maladresses d'une Assemblée sourde à leurs revendications, la suspension du moratoire des loyers et la suppression de la solde des gardes nationaux, pour ne nommer que quelques facteurs ayant poussé à la révolution du 18 mars. Les tentatives de Versailles de reprendre les canons de Montmartre, appartenant à la Garde nationale, viendront mettre le feu aux poudres d'une révolution d'où émergera une Commune désireuse d'assurer à la population la garantie de l'autonomie municipale et de la République universelle.

C'est dans ce contexte de révolution et d'anarchie que le Comité central de la Garde nationale, seule force encore capable de restaurer l'ordre, se trouve en possession du pouvoir le 18 mars, trois jours après sa formation définitive. Ce conseil civil, seul "gouvernement de fait" placé à la tête d'une force armée de 200,000 hommes, veut cependant rendre légitime le pouvoir et propose de faire des élections en ce sens. Tenues le 26 mars, les élections aboutiront à la formation de la Commune de Paris qui, comme je l'entends, ne fut pas uniquement un gouvernement insurrectionnel mais davantage une tentative de gouvernement à connotation révolutionnaire vivant dans un cadre municipal en dehors des griffes de l'État sous l'auspice d'une confrontation des pouvoirs où le théorique (décisions, décrets, réflexions) entra en conflit ouvert avec le pratique (pouvoir de la rue, actions, manœuvres). Pour ma part, j'avance que la Commune représente le pouvoir du théorique et le Comité central le pouvoir d'ordre pratique.

Cette manière de voir les choses constitue un cadre méthodologique me permettant de chercher et comprendre si, face aux responsabilités relatives au fonctionnement quotidien des services publics dans le cadre urbain parisien, le Comité central de la Garde nationale a adopté une attitude de gestion ou de surveillance selon qu'il ait dû se confronter aux représentants de la Délégation (maires, adjoints et députés) ou à ceux de la Commune.

D'abord, le Comité central, tel que j'entends le soutenir tout au long de la recherche, a dû gérer Paris entre le 18 et le 26 mars. De cette date, la Commune prit la relève. Le problème, et c'est ce qui justifie cette problématique, est que l'attitude du Comité central n'est pas claire. Avant les élections du 26 mars, je pense qu'il a géré Paris sauf que l'autonomie des arrondissements était encore assez forte. Sous la Commune, le Comité central a remis ses pouvoirs à cette dernière mais en gardant toujours un œil sur les affaires, voire à en assurer l'administration. Le cas de la Guerre (défense de Paris) est percutant sur ce point.

Voilà donc pourquoi nous pouvons parler d'une "dualité des pouvoirs". Au niveau du pouvoir politique, je pense que la Commune de Paris est génératrice d'un espace urbain se divisant en deux optiques. Premièrement, l'introduction et le travail en entier le démontreront, directement ou non, il existait sous la Commune un type d'espace que nous pouvons qualifier "de la rue". Cet espace met surtout en scène le Comité central dans l'application concrète du pouvoir. En d'autres termes, je veux donner un sens à la recherche empirique en soutenant que la gérance des décisions prises en haut relève de l'immédiat, du concret, de la prise de contact directe avec la rue. C'est tout le contraire du second type d'espace urbain que j'ai identifié. Cet espace, représenté dans un premier temps par la Délégation et ensuite par la Commune, est théorique, argumentaire. Il met l'accent sur la société civile car il constitue un ensemble étudiant les décisions au sens théorique sans se soucier nécessairement des applications dans la rue. Cet espace politique parisien est indirect, médiatisé et, on s'en doute, en conflit ouvert avec le premier type d'espace décrit et ayant pour acteur principal le Comité central.

Cette catégorisation en deux volets de l'espace urbain parisien donne un cadre théorique à la recherche de même qu'un sens aux données empiriques. Elle n'est pas étanche car le théorique et le pratique s'entrecoupent selon les circonstances mais le portrait global demeure, soit que le Comité central travaille sur le terrain et la Commune dans les "décrets" à l'Hôtel de Ville. Cette approche pour une histoire politique de la ville est soutenue par une série de sources tels les Procès-verbaux et le Journal Officiel de la Commune qui, bien que se contredisant entre elles quelques fois et ne rapportant pas fidèlement les décisions et gestes commis, n'en demeurent pas moins une mine d'or d'informations relatives à l'attitude du Comité central au cours des 73 jours que dura la Commune.



          1.  De la révolution aux élections l'administration de Paris par le Comité central et les conflits juridictionnels avec les élus parisiens de la Délégation.


 Thiers et le gouvernement, après l'échec de Montmartre, évacuèrent Paris pour Versailles, laissant derrière eux une ville sans administration. Les maires, adjoints et députés parisiens, mieux connus sous le nom de Délégation, élus à l'automne de 1870 prétendent alors être légitimés à gouverner Paris. Fort d'un appui populaire massif, le Comité central de la Garde nationale pense quant à lui être le plus apte à gérer la capitale. C'est dans ce contexte que le Comité central est placé à la tête de Paris entre le 18 et le 26 mars, jour des élections de la Commune. Cette partie se veut une étude de l'attitude de gestion ou de surveillance des affaires publiques par le Comité central lors de cette semaine agitée.


     A) Le programme politique du Comité central.


Organe puissant d'une révolution qui prend de l'ampleur, le Comité central est placé à la tête de Paris avec un programme politique qu'il entend réaliser afin de montrer à la population qu'il sait respecter ses promesses. D'abord, le Comité central se composait de nouveaux venus en politique, "peu préoccupés par les systèmes mais soucieux de sauver la République". De plus, la plupart de ses membres ne voulait pas prendre part à une direction effective des affaires mais plutôt contrôler l'administration de la Garde nationale et des services publics. Plus précisément, les hommes du Comité central prônaient un programme à partir de deux thèmes centraux: sauver la République et assurer à Paris sa municipalité. Dans l'immédiat, le Comité central se proposait de combattre la misère du peuple parisien et son président, Édouard Moreau, résuma cette idée: " (…) faire les élections dans le plus bref délais, pourvoir aux services publics, préserver la ville d'une surprise."

La question de préserver la République constituait pour le Comité central l'artère vitale de sa raison d'exister dans la mesure où persistait la double menace des sièges prussien et versaillais autour de Paris. La partie théorique de son programme avance que le Comité central n'était pas responsable de la présente guerre civile, qu'il n'avait fait que répondre à une agression des Versaillais, qu'il a suivi le peuple en occupant l'Hôtel de Ville abandonné par Ferry et que Paris devenait le "symbole d'une thèse de complot contre la République" alors que Versailles voulait réduire au silence la capitale (décapitalisation, ruine du commerce, etc.).

N'ayant pas ou peu d'opposition sérieuse dans la capitale, et encore moins celle de la Délégation, le Comité central doit s'appuyer sur ces bases afin de rendre concrète la gestion des affaires car il se trouve seul aux commandes. En réponse à une question de Clemenceau sur les intentions du Comité central, Varlin, Délégué aux Finances, réplique que son organisme veut un conseil municipal élu (confirmé par la rédaction d'une charte), les franchises communales pour Paris, la suppression de la Préfecture de Police, une plus grande autonomie pour la Garde nationale, un moratoire sur les paiements de loyers en dessous de 500 ff et le retrait de l'armée à vingt lieus de la capitale. Outre le dernier point, le Comité central s'efforça, malgré l'anarchie régnant dans Paris, d'appliquer ce programme politique. Un de ses membres, Arnould, dit que ce programme gestionnaire n'a rien d'utopiste car, dans pareille situation, la Délégation n'aurait pas mieux administré la capitale. Par ailleurs, le Comité central pouvait appliquer un certain nombre de mesures simples mais efficaces voulues depuis longtemps par Paris comme: le droit d'association, le droit de réunion, la liberté de la presse et du citoyen.

Le programme du Comité central fut-il appliqué dans son intégralité? La réponse semble être non car le temps manqua pour une tâche qui était trop lourde. Le Comité central pouvait difficilement répondre aux attentes de Paris alors que la population désirait davantage. Selon W. Serman, Paris souhaitait l'abolition pure et simple de toute forme de gouvernement, même républicain, tout en se protégeant d'un éventuel rétablissement d'une autorité urbaine quelconque. Le nouvel espace politico-urbain de Paris devait se définir par une décentralisation massive de l'administration en passant par la régénération sociale fondée sur la paix et le travail, comme le proposait Charles Beslay du Comité central. En attendant, les intentions du Comité central étaient honnêtes quand celui-ci affirma, le 26 mars, que son mandat était terminé et qu'il confia à des mains prétendument plus qualifiées le pouvoir dans la capitale.


     B) Le programme politique de la Délégation


L'"autorité légale", telle qu'elle se nommait, s'occupa pendant la semaine du 18 au 26 mars à bâtir un contre-argumentaire au programme politique du Comité central. Je pense que la "priorité administrative" de la Délégation relève du théorique dans la mesure où elle voulait voir le Comité central disparaître et elle jouait souvent la carte du mensonge en affirmant que Versailles reconnaissait certaines réclamations de Paris telles celles mentionnées précédemment. Dans les faits, c'est Clemenceau, maire du 18ème arrondissement, qui représente ou dissimule le mieux les intentions de la Délégation en recevant le 19 mars au soir les membres du Comité central. Clemenceau construit son argumentation en trois points dont le premier vise directement la conduite du Comité central, il lui dit qu'il fait fausse route, qu'il ne gère nullement Paris, qu'il est illégitime et responsable de la panique dans la population. Le médecin-maire reconnaît par contre que Paris, et non le Comité central, a des revendications légitimes et que l'Assemblée nationale doit reconnaître le statut particulier de la métropole dans la France. Enfin, Clemenceau demande au Comité central de laisser sa place à la Délégation en promettant que celle-ci ira négocier avec Thiers toutes les concessions nécessaires. Cette promesse prit une forme plus concrète le 22 mars par la déclaration suivante des maires et députés dans le Journal officiel :
" (…) nous avons résolu de demander aujourd'hui même à l'Assemblée nationale l'adoption de deux mesures qui, nous avons espoir, contribueront, si elles sont adoptées, à ramener le calme dans les esprits. Ces deux mesures sont: l'élection de tous les chefs de la Garde nationale et l'établissement d'un conseil municipal élu par tous les citoyens."

 Tous des républicains, les maires et députés analysaient d'une manière réaliste la situation dans Paris. Benoît Malon, membre de la Délégation, dit à Varlin que seuls les élus de 1870 peuvent récupérer une partie des revendications dont celle d'un conseil municipal élu et le report des échéances sur les loyers mais sans pousser plus loin. Le Journal officiel, le 21 mars, traduit cette attitude de la Délégation: " Nous estimons, en outre, que notre présence au poste que vos suffrages nous ont assigné ne saurait être inutile, soit qu'il s'agisse de consolider la République, soit qu'il y ait à la défendre." Malon se base de plus sur une circulaire émise par le ministre de l'Intérieur Picard le 19 mars qui confiait de façon provisoire l'administration de Paris à la réunion des maires et députés. Ce désir d'un retour à la normale était le point central du programme de la Délégation qui n'a pu être appliqué car le Comité central décida de faire les élections qui ont amené la Commune au pouvoir. La Délégation et le Comité central aspiraient tous deux à la légalité. Le premier disait déjà la détenir tandis que le second entendait y parvenir par les prochaines élections. Cette pression des maires et députés sur le Comité central constituait une autre revendication, soit celle de prendre la place de ce dernier.


     C) L'Hôtel de Ville, les ministères et les mairies : lieux et symboles des enjeux politiques.


Si les deux points précédents nous ont permis de saisir brièvement l'accaparement d'un espace politique théorique, via la promotion des programmes politiques respectifs, il faut également tenir compte de la prise de possession physique des lieux et symboles de l'espace politique parisien. Pour le Comité central, la possession de l'Hôtel de Ville, des ministères et des mairies influencèrent la fixation des priorités administratives pendant la courte gestion des affaires du 18 au 26 mars.

Le départ du gouvernement Thiers pour Versailles laisse un vide dans Paris au 18 mars. Immédiatement, le Comité central envoie des hommes se saisir des édifices publics d'importance. Par exemple, des figures jusque-là inconnues de la politique parisienne (Jourde et Varlin aux Finances, Eudes à la Guerre, Duval et Rigault à l'ex-Préfecture de Police, Assis à l'Hôtel de Ville, etc.) iront s'emparer des lieux du pouvoir. L'occupation de l'Hôtel de Ville fixe d'entrée de jeu une priorité administrative qui consiste à rassurer la population: " Le nouveau Gouvernement de la République vient de prendre possession de tous les ministères (…) Cette occupation, opérée par la Garde nationale, impose de grands devoirs aux citoyens qui ont accepté cette tâche difficile." Ensuite, il fallait organiser des élections: "Maître (le Comité central) du Palais municipal (…), sa première pensée fut d'abdiquer (…) et de convoquer les électeurs pour l'établissement d'une Assemblée communale qui prendrait sa place."

La possession mais surtout l'occupation obstinée des lieux du pouvoir, en attendant les élections, devient le prétexte d'un bras de fer livré avec la Délégation sur la question bien connue de la légitimité de ce "pouvoir". Camille Pelletan résume ce début d'empoignade: " Qu'était-ce en effet que le pouvoir de l'Hôtel de Ville? Une assemblée municipale qui prétendait être une Assemblée politique souveraine." C'est à ce moment que la Délégation voudra intensifier son désir de voir le Comité central quitter le pouvoir. Le 20 mars, au matin, le maire Bonvalet du IIIe vint avec deux adjoints réclamer les franchises à l'Hôtel de Ville en pensant que le Comité central, qui avait envoyé la veille quelques délégués pour discuter, allait céder.

L'occupation des édifices publics auraient dû, en théorie, faciliter la réorganisation de l'administration mais le Comité central devait surveiller l'agitation constante des opposants à sa politique. Par exemple, la mairie du IIe fut un important bastion de résistance regroupant certains maires (Tirard, Dubreuil, Héligon) qui avaient récupéré les éléments fidèles de l'ordre afin de lancer une offensive contre l'Hôtel de Ville. Des endroits comme les rues Vivienne, Richelieu, du Quatre-Septembre, la Place Vendôme ainsi que la gare de Saint-Lazare constituaient des postes avancés des forces de la Délégation. Autrement dit, la possession de l'Hôtel de Ville et des ministères, censés être les bâtiments les plus importants, n'empêcha pas la résistance de quartiers où des mairies (IXe et XVIe) se présentaient comme des bâtons dans les roues du Comité central.


     D) Les clés du pouvoir et les autonomies municipales.


L'occupation de l'Hôtel de Ville et des ministères par la Garde nationale donna l'opportunité à son comité central de freiner l'élan de la Délégation dans ses tentatives de récupérer le pouvoir. Or, cette centralisation du pouvoir n'empêcha pas cependant les municipalités ou arrondissements de Paris de garder une certaine forme d'autonomie dans la gestion des affaires courantes. Autrement dit, la Délégation semble détenir quelque pouvoir via les mairies mais celui-ci peut être contré par l'action des institutions politiques occupées par la Garde nationale.

La désorganisation de l'administration parisienne, suite au départ des fonctionnaires et au sabotage des cachets, registres et caisses des mairies, obligea le Comité central à tout réorganiser (octroi, voirie, éclairage, assistance publique, etc.). Par contre, bien que le Comité central pouvait assurer une sécurité physique contre une agression de l'extérieur, les mairies étaient encore les symboles de la sécurité sociale (nourriture, habillement et logement) tant recherchée. Ces autonomies municipales, que tente de garder la Délégation et que veut récupérer le Comité central, existent amplement depuis septembre 1870 car " (…) le peuple a progressivement crée les cadres communautaires et libertaires de sa vie quotidienne, en marge des institutions régulières sur les bases de la fraternité et du principe fédératif." Les institutions parisiennes ne disparaissent pas pour autant mais doivent se fondre à l'acceptation de l'idée communaliste, donc aux principes de gestion en commun de l'administration de Paris.

Malgré ses efforts, la Délégation perdait progressivement de sa puissance et n'était plus en mesure d'orienter la population vers ses vues. Le Comité central a par conséquent géré Paris en comblant les vides dans les ministères mais il a dû contrôler l'action de la résistance qui voulait l'empêcher de faire des élections. Le résultat de la victoire du Comité central sur la Délégation se traduit dans ce manifeste du 25 mars :
   " Le Comité central de la Garde nationale, auquel se sont ralliés les députés de Paris, les maires et adjoints, convaincus que le seul moyen d'éviter la guerre civile, l'effusion de sang à Paris et, en même temps, d'affermir la République, est de procéder à des élections immédiates, convoque pour dimanche (26 mars) tous les citoyens dans les collèges électoraux."



          2. Entre surveillance et gestion : la place du Comité central dans la répartition des services publics parisiens et les relations avec les arrondissements


La journée du 26 mars est donc celle de l'élection de la Commune de Paris qui sera proclamée officiellement deux jours plus tard. Le "danger" de la Délégation est maintenant écarté et il se passe une période de transition entre ces deux journées afin de laisser du temps aux élus de la Commune dans chaque arrondissement de prendre leur place à l'Hôtel de Ville. Normalement, le Comité central laisse ses pouvoirs à la Commune sauf qu'il continue de garder un œil sur les affaires, notamment en ce qui a trait aux commissions communales ("ministères") et aux relations avec les municipalités.


     A) L'étendue des pouvoirs des commissions communales : quelques exemples.


L'étude des pouvoirs réels détenus par chacune des commissions communales est révélatrice de l'influence du Comité central qui tente de contrôler tant bien que mal les affaires.


L'ampleur du travail est écrasante. Les besoins de Paris sous la Commune sont nombreux: vote du budget, fixation et répartition des impôts, organisation de la magistrature, de la police, garantie des libertés individuelles, organisation de la défense urbaine, etc. Ce sont neuf commissions qui doivent se partager l'exercice du pouvoir et chaque délégué passe la majorité de son temps à faire la navette entre l'Hôtel de Ville, son bureau de commission et les mairies. Cette articulation de l'administration devait, selon Max Pol-Flouchet, se découper en trois plans hiérarchiques en passant de la rue aux décrets: 1- Les membres de la Commune et leurs relations avec les arrondissements (plan horizontal), 2- création de neuf commissions se partageant les affaires au niveau de la cité (plan vertical), 3- une commission exécutive de 19 membres coordonnant le tout (plan central). Le problème le plus urgent à régler implique directement le Comité central au niveau de la solde des gardes nationaux. Varlin et Jourde, Délégués aux Finances, doivent d'abord, pour ne pas forcer inutilement les coffres du Trésor public de Paris, emprunter au banquier Rothschild la somme de 500,000 francs pour régler les comptes immédiats. Cet événement se passait avant les élections du 26 mars et c'est que qui m'amène à croire que le Comité central voulait d'autant plus garder un œil sur l'action des gens dont la tâche était de s'assurer de la solde des gardes nationaux sous la nouvelle Commune.

Au niveau des services publics, Jules Andrieu, commissaire à cette tâche, se plaint de l'anarchie qui règne dans Paris sous la forme d'une mauvaise division du travail et accuse le Comité central d'en être responsable :
   " (…) on reconnaîtra sans peine dans cette mauvaise classification des besoins d'une grande cité, voulant vivre en gardant son autonomie, l'insuffisance politique et administrative qui avait présidé à la création de ces neufs rouages (commissions), dont quelques-uns étaient superflus et dont beaucoup se contrariaient les uns les autres. La division du travail communal qu'avait faite le Comité central et qu'avait conservée la Commune était malheureusement calquée sur le double groupement municipal et gouvernemental des administrations des anciens régimes."

La vision idéale qu'avait Andrieu d'une organisation communale efficace devait faire fi de tout antagonisme entre le Comité central et la Commune. Il va même jusqu'à dire que les membres les plus doués du Comité central auraient dû siéger pleinement aux postes dont on croyait déceler certaines compétences. Cela éviterait de sentir constamment le poids du contrôle pour passer à celui d'une gestion en continuité avec ce qui s'était passé avant le 26 mars. Le problème était justement que ce qui s'était produit avant le 26 mars était le fruit des actions du Comité central pour la capitale. Voulait-il perdre ses acquis, ses réalisations administratives au profit d'une Commune composée de 80 membres et dont seulement une vingtaine venait directement de ses rangs? Il est peut-être plus facile, dans ce contexte, de comprendre pourquoi le Comité central a alors eu "peur" de se voir reléguer au second rang, à la simple administration de la Garde nationale dont il émane.

Ce que dénonçait par ailleurs certains membres du Comité central était la façon dont on nommait les fonctionnaires communaux. Il n'y avait aucun des principes démocratiques connus dans la nomination de ceux-ci. L'élection ou le concours ne faisaient pas partie des procédures d'embauche sous la Commune et le tout se faisait de façon arbitraire, souvent par décret. Par exemple, le service télégraphique, selon Andrieu, était en si mauvais état qu'il devenait abandonné: " (…) à des vanités incompétentes et au système des élections si déplorables quand il ne s'arme pas de la garantie d'examens préalables (…)" Cette manière de procéder, combinée avec le "vide administratif qui caractérise la capitale au lendemain de l'insurrection", amène le Journal Officiel à publier, le 25 avril par la voix de son Directeur: " (…) le devoir pénible, mais aujourd'hui nécessaire, de sonder la conscience du fonctionnaire, afin d'assurer les intérêts généraux de l'administration et de justifier la confiance mise en nous par la Commune de Paris et par le peuple." Que pouvait faire le Comité central devant les accusations d'ingérence qu'on lui portait alors qu'il ne faisait que constater une situation de débordements causés par l'incompétence et le manque d'effectifs de l'administration ?

Malgré toutes les défaillances des commissions communales dans les circonstances, Jean Bruhat trace un portrait somme toute positif des 73 jours que dura la Commune. Il cite les cas du délégué Viard qui assura le service des subsistances en luttant contre la spéculation et les taxes exagérées tout en faisant appel au concert des municipalités. Le ciseleur Theisz s'occupa des Postes avec un brio tel qu'il remit, selon Bruhat, les services en marche en 48 heures. La Santé, sous la direction de Treillard, était vidée de son parc d'ambulances (situé au Palais de l'Industrie) mais put néanmoins réorganiser les services notamment aux soins apportés aux soldats blessés.


     B) Les municipalités, la Commune et le pouvoir autonome : la place du Comité central dans ce processus.


Le Comité central n'est pas uniquement aux prises avec les commissions communales car il désire surveiller par ailleurs la réorganisation forcée des administrations municipales dans un contexte de révolution. En fait, le Comité central voulait, selon W. Serman, "institutionnaliser l'anarchie" en renonçant à gouverner les hommes pour n'administrer que les choses, la matérialité.

C'est avec la dualité des pouvoirs du Comité central et de la Commune que les municipalités de Paris doivent vivre au jour le jour. Dans ses relations avec les arrondissements, la Commune fixe le 30 mars les règles qui visent à s'assurer de la direction administrative de chaque municipalité, de l'adjonction à chacune d'elle des commission pour l'expédition des affaires et, enfin, de la bonne gérance des actes de l'état civil. Cette déclaration n'empêche pas cependant le pouvoir de fait constitué par le Comité central et ce malgré sa promesse de se retirer après l'avènement de la Commune. La Commune a souvent accusé les municipalités de ne pas appliquer les décisions prises en haut. Or dans les faits, le Comité central est en partie responsable de la discorde ainsi causée. Par exemple, la Commune voulait que les municipalités se chargent de l'organisation civile de la défense des quartiers. Outre le cas du Ve arrondissement, le pouvoir civil n'a jamais pu prendre concrètement la direction des légions car le Comité central exerçait sur elles un contrôle déjà effectif. Plus tard, le 16 avril, la Commune demande à nouveau aux municipalités de gérer les Conseils de légion contre ceux refusant de se battre. Ce décret communal vient mettre le feu aux poudres dans les relations entre le Comité central et les municipalités car, selon le Comité, les Conseils de légion relèvent de l'organisation interne de la Garde nationale et en somme les arrondissements (pouvoir civil) n'ont rien à voir dans le domaine militaire. Un autre problème résidait dans le fait que la Commune avait confié aux municipalités le soin de réquisitionner les armes et de poursuivre les réfractaires. Encore une fois, le Comité central, pour les mêmes raisons, s'insurge devant ce problème de juridiction. Pire encore, les municipalités prenaient parfois les devants quand il s'agissait de nommer les chefs des légions. La réorganisation des bataillons passait d'abord par la nomination d'un chef. Celui-ci devait, en théorie, être élu par le Comité central de la Garde nationale mais les arrondissements nommaient parfois les dirigeants sans consulter le Comité central. Il n'y a, selon André Decouflé, que deux arrondissements (les IXe et XIe), qui obéirent au doigt et à l'œil aux décrets de la Commune. Le IXe avait perquisitionné à domicile les armes et équipements militaires, tandis que le XIe ordonna à la Garde nationale d'évacuer les églises, temples et synagogues de sa municipalité.

Le terrain de l'enseignement offrit d'autres possibilités de conflits à trois. Plus précisément, les questions de la laïcité et de l'enseignement professionnel posèrent des tracas. La Commune voulait dans un premier temps centraliser le dossier du recrutement des maîtres. La plupart des municipalités adhéraient au principe de la promotion de la laïcité de l'enseignement sauf que le délégué communal à la question, Vaillant, s'empressa de devancer ces dernières. Bien que les historiens n'en fassent guère mention, je pense que le Comité central était préoccupé par la question de l'enseignement dans la mesure où celui-ci tenait fièrement à défendre les principes classiques de la Révolution et que c'est l'école, organe performant de diffusion, qui devait s'en charger. Voilà donc pourquoi les municipalités qui ne voulaient pas adhérer à la laïcité de l'enseignement par exemple faisaient l'objet d'une surveillance plus étroite selon mon hypothèse.

La Commune ne cherche pas à froisser les libertés religieuses. Cependant, des arrondissements comme le IVe par exemple s'écartaient des décrets communaux en affirmant simplement la "neutralité de l'école publique". Plus libérale encore, la municipalité du VIIIe, dirigée par l'excentrique Allix, admettait la coexistence des écoles laïques et confessionnelles. Quant aux XIIIe et XVe arrondissements, ils prônaient l'enseignement confessionnel et rejetaient les tentatives du pouvoir central de laïciser l'éducation. Nous avons donc un portrait se divisant en trois catégories bien distinctes où le Comité central avait des intérêts à défendre selon la politique éducationnelle adoptée car de là dépendait le bon cheminement de la révolution.

Les membres de la Commune sont déchirés entre eux quant à l'attitude à adopter face aux municipalités. Pour le citoyen Lefrançais, il importe que les arrondissements soient autonomes afin de pourvoir aux besoins de la population. Beslay, le doyen des communards, pense plutôt qu'il ne faut pas laisser d'autorité aux municipalités. La question des douanes stigmatise encore une fois cette opposition lors des réunions tenues à l'Hôtel de Ville. Par exemple :

" Le citoyen Meillet donne lecture d'une lettre, au sujet d'un nouvel empiétement du Comité central, qui prétend se réserver le droit de viser les passeports. Un citoyen, ayant un passeport en règle de la Commune, n'a pu passer aux portes de Paris, parce que son passeport ne portait pas les cachets de la douzième légion."


Ce fait survenu dans le XIIe arrondissement à la porte de Vincennes n'est qu'un exemple d'une accumulation d'incidents si l'on se rapporte aux Procès-verbaux. Cluseret, Délégué à la Guerre, statuait sur l'interdiction faite à la Garde nationale d'entraver le commerce dans les gardes et postes frontaliers. Dorénavant, cette forme de "guerre non-officielle", mais bien présente, entre la Commune et le Comité central ira en s' accentuant jusqu'au 21 mai, date à laquelle les troupes versaillaises entrèrent dans Paris. Edward S. Mason résume la situation :
   "In addition to the municipal commission, every arrondissement has its Legion Council and Legion General Staff, under the general supervision of the Central Committee. These organizations had a finger in the administration and the inexact division of function was a cause of considerable friction."



          3. Ni surveillance, ni gestion : les raisons et tentatives d'écarter le Comité central.


Les problèmes juridictionnels entre le Comité central et la Commune ne vont qu'en s'aggravant à tel point que plusieurs membres siégeant à l'Hôtel de Ville souhaitent la disparition de cet organe directif de la Garde nationale. La Commune va réfléchir et débattre sur les moyens à prendre afin d'écarter le Comité central de la gestion des services publics, bref à délibérer dans un premier temps sur les raisons de voir le Comité central disparaître. Ensuite, c'est le Comité central qui prend position et qui justifie son importance dans la conduite des affaires. Finalement, les sous-comités d'arrondissements, qui gèrent parfois de manière trop autonome au goût de la Commune les quartiers à l'instar du Comité central, feront l'objet de réflexions comparables à celles visant à écarter le Comité central. Le pouvoir de la rue devient nuisible, voilà le constat a priori.


    A) Le Comité central à la porte : les raisons de le voir disparaître.


Dès le 30 mars, alors que la Commune émettait ses premiers décrets, le Comité central voulait y adhérer en apposant sa signature au bas de chaque communiqué. Plusieurs membres de la Commune voulaient déjà que l'on refuse tout pouvoir politique au Comité central, y compris l'administration de la Garde nationale. Le premier incident connu survient le 1er avril au département de la Guerre alors que le Comité central avait nommé le général Cluseret comme chef de ce département afin qu'il réorganise l'administration de la Garde nationale. Offusqués, plusieurs membres de la Commune demandèrent la suppression du Comité central qui n'avait nul droit de nommer un homme à un poste sans consulter la Commune. Cluseret désavoua sa nomination et l'affaire en resta là temporairement.

Cet incident est un exemple intéressant de l'irresponsabilité du Comité central qui peut s'expliquer par l'extrême confusion de ses idées politiques. Il ne parvient pas à trouver une solution afin de régler ses problèmes avec la Commune. Autrement dit, il ne sait pas faire la différence entre le contrôle (lui) et l'administration (Commune). Ce constat, qui semble être une conclusion, n'est en fait qu'une amorce à l'étude du problème, voire une première raison émise par la Commune pour se débarrasser de cet organe devenu gênant. La Commune indique qu'il y a une confusion parmi les troupes chargées de défendre la capitale. Elle est d'avis que la contestation de ses décrets engendre cette confusion car il se développe alors des "initiatives contradictoires" qui se transforment en plusieurs petits pouvoirs autonomes agissant chacun de leur côté. Au cours d'une séance le 2 mai à l'Hôtel de Ville, Chalain, un membre de la Commune, dit :
   " Le Comité central fait tous ses efforts, tout ce qu'il est possible de faire pour supplanter la Commune. Je proclame que tous les membres de la Commune qui siègent ici et qui siègent au Comité central, qui soutiennent beaucoup plus les intérêts du Comité central que les intérêts de la Commune, font œuvre de trahison."


Si la défense occupe une place importante dans ce conflit juridictionnel, il faut considérer que l'argent est le nerf de la guerre. Jourde, Délégué aux Finances, se plaint de l'insertion du Comité central dans son département, notamment en ce qui concerne la question des ordonnancements. Le 8 mai, Jourde affirme: " (…) je sens le besoin de protester et de vous demander si le Gouvernement s'appelle le Comité central ou la Commune."

Il est difficile d'énumérer toutes les raisons invoquées par la Commune pour voir le Comité central disparaître. Par contre, la Guerre et les Finances sont encore une fois les pivots de la question résumant l'ingérence du Comité central dans les affaires. La Commune veut le destituer car il bloque le bon fonctionnement de la "bureaucratie communale". Veut-il contrôler ou gérer? Pour Camille Pelletan, la réponse est ambivalente :
   " Aussi le Comité central cherche-t-il tous les moyens de reconquérir le pouvoir: tantôt il fait fonder un journal qui plaide sa cause; tantôt il accueille les mécontents de la Commune, Rossel, par exemple, qui a fini par lui faire donner officiellement une part du pouvoir; tantôt enfin le comité, à qui l'on s'adressait encore, suscite des embarras, désigne des officiers, présente des réclamations."


     B) Le Comité central se défend.


Le Comité central ne tarda pas à donner réplique aux attaques dont il fait l'objet. Son premier argument consiste à valoriser le rôle capital qu'il a tenu lors de la semaine du 18 au 26 mars alors que Paris était sans gouvernement. Le Comité central se perçoit ensuite comme cet organe révolutionnaire qui seul peut propager les valeurs communales dans Paris. Son contact direct avec le peuple parisien justifie par ailleurs son utilité vitale dans la défense des quartiers. Le Comité central ne veut pas administrer la Garde nationale dans un contexte où celle-ci serait fondue dans un quelconque ministère. Pour P.-O. Lissagaray, le Comité central ne peut tenir sa promesse de se dissoudre étant donné qu'il demeure ce trait d'union entre la Commune et les gardes nationaux (le peuple en armes). Le Comité central voulait convaincre les Parisiens qu'il défendait le prolétariat et la question des libertés municipales. Ceci constituant deux arguments concrets qui m'amènent à croire que le Comité central se définissait comme le "bras de la Révolution". Ce n'est pas tant le bras qui est contesté mais plutôt l'étiquette qui est apposée dessus. Même écarté, le Comité central demeure car les hommes qui le composent continuent d'apporter leur soutien à l'administration communale. Par exemple, la délicate question des ordonnancements, dans laquelle Jourde reprochait l'ingérence du Comité central, est défendue par Gérardin le 8 mai :
   " En employant le Comité central, nous avons obéi aux nécessités de la situation, (…). En s'adjoignant le Comité central, le Comité de Salut public s'est assuré des auxiliaires utiles, sérieux et dévoués. (…) Les services de la Guerre se trouvaient entre les mains d'une commission militaire, composée de quatre ou cinq membres de la Commune en nombre insuffisant pour faire un travail de quatre-vingts."


En s'impliquant dans l'administration communale, le Comité central voulait poursuivre l'œuvre de révolution qu'il croyait menacée. Par son soutien apporté à la gestion de certains services (Guerre et Finances par exemple), le Comité central ne prétendait pas prendre la place des délégués communaux mais tout simplement veiller à ce que tout se fasse dans l'ordre. Cet ordre, c'est la guerre contre Versailles qui va le justifier et qui oriente cette ambivalence entre gestion et contrôle. Georges Bourgin semble conclure dans ce sens :
   " Il (le Comité central) était sincère; mais la guerre avec Versailles était déjà commencée, et c'est la guerre qui va orienter de plus en plus le Comité central vers l'action de contrôle, car, à mesure que les événements se précipiteront, il s'inquiètera de voir son œuvre compromise."


     C) La question des sous-comités d'arrondissement et le problème de leur dissolution.


La Commune ne veut plus de contre-pouvoirs. Il existe cependant dans la capitale des sous-comités d'arrondissement qui gèrent de manière relativement autonome les quartiers et ce depuis septembre 1870. La Commune veut éliminer ces sous-comités tandis que le Comité central de la Garde nationale tente de les récupérer par la bande. Les sous-comités s'attribuaient vers la fin d'avril des pouvoirs de surveillance des mairies et d'organisation dans la défense.

Les sous-comités n'étaient pas bien implantés dans tous les arrondissements. Par exemple, les IIe, XVIe, XVIIe et XIXe arrondissements accueillirent mal l'existence de ces contre-pouvoirs locaux alors que des arrondissements tels le XV s'en accommodèrent assez bien depuis la chute du Second Empire. Encore une fois, c'est la question urgente de la défense de Paris qui force la Commune à statuer le 6 avril sur le sort des sous-comités: " (…) l'unité de commandement militaire est une nécessité de salut public; que cette unité est tous les jours compromise par des ordres émanant des sous-comités d'arrondissement; les sous-comités d'arrondissement sont dissous." Ce décret communal a, selon ce que nous disent les Procès-verbaux, peu d'impact. Theisz, responsable des Postes, dit que les sous-comités n'ont été nullement dissous et, pire encore, le XVIIIe arrondissement a vu un sous-comité réinstallé sous l'égide du Comité central.

Les sous-comités, tous sous l'égide du Comité central selon plusieurs membres de la Commune, font également l'objet d'accusation d'entrave au commerce. Par exemple, on signale que des gardes nationaux, sous les ordres d'un soi-disant sous-comité stationné sur la Rue d'Aligre, entraveraient la circulation ferroviaire. Si certains nient l'existence de ce sous-comité, d'autres vont au contraire affirmer qu'il faudrait arrêter tous les hommes "qui se réunissent, soit sous le nom de comité de légion, comité d'arrondissement ou autre chose, tant qu'ils resteront à l'état d'associations gouvernementales." Voilà que cet exemple du comité de la Rue d'Aligre soulève à nouveau les tensions entre le pouvoir théorique et le pouvoir pratique. La rue refuse de se laisser conduire par des décrets qui ne tiennent souvent pas compte de la réalité. Jules Andrieu, Délégué aux Service publics, fait remarquer le 26 avril que la Commune devrait frapper les membres dissidents des sous-comités tout en ayant soin de confier au Comité central l'application de cette décision.

Andrieu et Allix (maire du VIIIe) soutenaient l'action des sous-comités d'arrondissement dans la mesure où ceux-ci pouvaient s'occuper de subsistance et de défense. En d'autres termes, il s'agissait de décentraliser une partie du pouvoir afin d'alléger la tâche des membres de l'Hôtel de Ville. Paris est trop vaste pour qu'un pouvoir central puisse la gérer de façon efficace et ce en temps de crise. Il faut alors déléguer du pouvoir et faire confiance à la rue comme le laisse entendre l'historien Georges Bourgin :
   " Les jacobins qui constituaient sa majorité (de la Commune) ont bien pu, le cas échéant, dire les mots, faire les gestes qui correspondaient à un idéal, en grande partie périmé, de révolution principalement verbale; le contenu de leurs système hétérogène est toujours demeuré abstrait, inapte à passer dans la réalité."



          4. Une étude de cas : la défense de Paris et la place du Comité central en matière de surveillance et de gestion de l'organisation militaire.


La menace d'une invasion de Paris par les troupes versaillaises force les responsables de la Commune à prendre des décisions en matière de défense, de stratégie. La Commune, aux yeux du Comité central, semble à tel point déconnectée de la réalité que bon nombre de ses décisions ne sont pas appliquées sur le terrain. Ceci accroît à son paroxysme le vieux conflit juridictionnel entre le Comité central et la Commune. Alors que la logique voudrait l'unité dans la prise et l'application des décisions militaires en temps de crise, c'est plutôt l'anarchie et l'inaction qui règnent.


     A) La défense de Paris vue par le Comité central.


Le front à Paris détermine la stratégie des Gardes nationaux. Ses ponts, ses rues et ses immeubles sont plus ou moins exposés aux attaques versaillaises selon l'endroit où l'on se trouve. C'est dans cet espace urbain de barricades, de tranchées et de fortifications que le Comité central organise, en misant sur le contrôle total de la Garde nationale, la défense de la capitale sans toujours se soucier des décisions de l'Hôtel de Ville. Le 27 mars, il indiquait déjà ses intentions en matière de défense :
   " Le Comité central (…) représente la force militaire. (…) il lui appartient de faire l'organisation de la Garde nationale, d'en assurer le fonctionnement, et de proposer à l'acceptation de la Commune toutes les mesures politiques et financières nécessaires à la mise à exécution des décisions prises par le Comité."


Sa vision stratégique repose finalement sur l'exploitation des divisions internes à la Guerre. Par exemple, le Comité central s'imposait partout où une décision n'était pas rendue, publiait des arrêtés et ordonnançait des dépenses sans l'accord du Délégué communal à la Guerre.

Le Comité central basait par ailleurs sa vision de la stratégie militaire sur le principe d'abolition des armées permanentes. Pour lui, c'est la milice des Parisiens en armes qui compte et rien d'autre. Il ne sait d'ailleurs pas comment agir face aux soldats permanents, fidèles ou non à la Commune, se trouvant dans Paris. On décide de leur allouer la somme quotidienne de 1,50  ff sans toutefois les obliger à servir effectivement. Une autre mesure du Comité central voulait l'amélioration du commandement. Plutôt que de faire passer un examen technique aux cadres de l'armée, comme le souhaitait la Commune, le Comité central faisait passer des "examens politiques" visant à vérifier les convictions révolutionnaires des candidats. C'est devant ce genre d'attitude que deux des Délégués communaux à la Guerre, les saint-cyriens Cluseret et Rossel, démissionnèrent devant ce qu'ils qualifiaient d'"incompétence militaire".


     B) La défense de Paris vue par la Commune.


Pour la Commune, l'idée centrale afin d'assurer la défense de Paris est la militarisation de la Garde nationale, c'est-à-dire la création de corps permanents organisés autour de la structure classique et centralisée des compagnies, bataillons et régiments. Cluseret veut obliger les Parisiens, mariés ou non, âgés de 19 à 40 ans à servir dans la Garde nationale afin d'accroître ses effectifs dans la lutte contre Versailles. C'est de lui qu'émane l'idée de l'examen technique mentionné précédemment et que le Comité central a transformé en examen politique. Il faut donner à Paris une armée digne de la révolution qu'elle organise.

La Commune tente également de hiérarchiser l'organisation de la défense. La Commission militaire de la Commune proposait le 27 mars de délimiter les pouvoirs entre la Commune et le Comité central. Cette proposition consistait a enlever tout pouvoir politique au Comité central pour ne lui laisser que l'administration de la Garde nationale. La Commune a par conséquent le rôle principal par l'émission de décrets militaires tandis que le Comité central doit se contenter d'exécuter les ordres. Le 27 avril, un rapport de la Commission militaire indiquait: " Pouvoir communal délégué aux municipalités; intermédiaire et concours actif par les conseils de légion et le Comité central; ordres militaires exécutés par l'autorité des chefs de légion."

La Commune veut centraliser ce qu'elle croit être une armée régulière où il ne manque que le caractère de l'organisation. Le Journal Officiel publiait le 5 avril des décisions relatives à la répartition des tâches, confiant par exemple au général Bergeret le commandement de la Place de Paris alors que Cluseret se contenterait d'administrer son "ministère". Dans les faits, l'espace urbain parisien n'offrait pas à la Commune l'opportunité de centraliser l'organisation de la Garde nationale et ce en dépit des courtes distances à parcourir de l'Hôtel de Ville au front.


     C) Les problèmes juridictionnels entre le Comité central et la Commune en matière de défense.


Les troupes versaillaises causèrent des défaites mais également de lourdes pertes aux Fédérés. Les problèmes juridictionnels entre la Commune et le Comité central font perdre du temps et empêchent de combler les vides dans les rangs. Au plan technique, la Commission militaire, au lieu de se trouver au front afin d'orienter la stratégie, prenait la plupart de son temps à recevoir les cadres de la Garde nationale qui réclamaient des vivres, des munitions tout en se plaignant de ne pas être relevés. De plus, la Commission possédait une imposante batterie d'artillerie au Champ-de-Mars alors que le Comité central en avait également une à Montmartre, d'où l'impossibilité de créer un parc central d'artillerie.

Devant ces lacunes administratives, qui contribueront à la défaite de la Commune, la Commission militaire semble être la seule à pouvoir trouver une solution. Cluseret tente en effet d'inclure dans son administration des hommes du Comité central mais ces derniers perçoivent la manœuvre comme dictatoriale. Il le fait malgré que le Comité central avait renoncé à tout contrôle sur la Commission militaire le 29 mars :
   " Ils (les membres du Comité central) déclarent qu'ils ne cesseront d'être toujours en accord avec la Commune, qu'ils considèrent comme le seul pouvoir régulier. Le Comité (…) ne saurait s'immiscer dans les actes directs de la Commune (…)".


Je pense que l'irresponsabilité du Comité central, à nouveau soulignée, peut rendre celui-ci dangereux pour la Commune mais c'est surtout son influence auprès de la Garde nationale qui est à considérer. D'ailleurs, Edward S. Mason écrit: " The conflict of authorities during April, while serious enough to hamper the administration of war, as Cluseret later insisted, was not serious enough to disturb the Commune greatly."



          Conclusion


Il est difficile de statuer de manière catégorique sur l'attitude de gestion ou de surveillance du Comité central entre le 18 mars et le 21 mai 1871. Le contexte politique de la forte dualité des pouvoirs (théorique et pratique) de la Commune de Paris créa, dans une atmosphère de crise née du double siège sur la capitale, un environnement particulier et confus où le pouvoir de la rue comptait beaucoup plus que les décrets. Le Comité central voulait que le peuple de Paris participe directement au pouvoir, y compris dans sa forme suprême qu'est la défense.

J'ai voulu démontrer, par cette étude du Comité central de la Garde nationale, jusqu'à quel point l'espace politique pouvait cadrer avec la ville car l'influence de cet organe civil détermine des rapports de prises de décisions au quotidien. De plus, la présence du Comité central dans l'espace aussi vaste qu'occupe Paris force la création de ce trait d'union entre l'Hôtel de Ville et la rue. Cette communication n'aurait pas, à mon sens, été possible si le Comité central n'avait pas existé afin de répandre ces idées révolutionnaires qui ont su malgré tout à prendre des formes concrètes, voire matérielles. Le Comité central désirait être simultanément le représentant de ce socialisme révolutionnaire ainsi que du prolétariat.

Je regrette simplement que cette recherche, aussi générale soit-elle, n'ai pu s'appuyer sur la consultation de sources importantes mais inaccessibles tels les procès-verbaux du Comité central ou encore la fameuse enquête gouvernementale sur les événements du 18 mars qui fut publiée dans les années 1870. Cela m'aurait permis de mesurer avec plus d'exactitude l'attitude du Comité central dans la gérance ou le contrôle administratif de la capitale.

 


 

Bibliographie :


Sources:


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Ouvrages de références:


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