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Béranger,
chansonnier et opposant politique.



La légende napoléonienne.



par Marc Nadaux

 






En 1821, après avoir achevé son premier séjour en détention, à Sainte-Pélagie, le chansonnier, comme l'ensemble des Français, apprend le décès de Napoléon Bonaparte à Sainte-Hélène. En l'honneur de l'Empereur, il rédige Le Cinq Mai : " Peut-être il dort ce boulet invincible, qui fracassa vingt trônes à la fois. Ne peut-il pas, se relevant terrible, aller mourir sur la tête des rois ? "

Cet texte est la plus célèbre des œuvres que Béranger a consacrée à Bonaparte. Dans ses sept recueils, à de nombreuses reprises, il vante la gloire des armées françaises, croque une scène et un personnage de cette époque passée. A tel point que le chansonnier peut être considéré comme un des principaux artisans de la légende napoléonienne qui se construit en ces années de la Restauration et de la Monarchie de Juillet.







La Vivandière.
L'Exilé.
Le Champ d'Asile.
Le Vieux Drapeau.
Les Adieux à la gloire.
Le Cinq Mai.
Le Vieux Sergent.
Couplets sur Waterloo.
Les Souvenirs du peuple.


 





La Vivandière.



Vivandière du régiment,
C'est Catin qu'on me nomme.
Je vends, je donne et bois gaîment
Mon vin et mon rogomme.
J'ai le pied leste et l'œil mutin,
Tintin, tintin, tintin, r'lin tintin,
J'ai le pied leste et l'œil mutin:
Soldats, voilà Catin!

Je fus chère à tous nos héros ;
Hélas! Combien j'en pleure!
Aussi soldats et généraux
Me comblaient, à toute heure,
D'amour, de gloire, et de butin,
Tintin, tintin, tintin, r'lin tintin,
D'amour, de gloire, et de butin:
Soldats, voilà Catin!

J'ai pris part à tous vos exploits
En vous versant à boire.
Songez combien j'ai fait de fois
Rafraîchir la victoire.
Ça grossissait son bulletin,
Tintin, tintin, tintin, r'lin tintin,
Ça grossissait son bulletin:
Soldats, voilà Catin !

Depuis les Alpes je vous sers;
Je me mis jeune en route.
À quatorze ans, dans les déserts,
Je vous portais la goutte.
Puis j'entrai dans Vienne un matin,
Tintin, tintin, tintin, r'lin tintin,
Puis j'entrai dans Vienne un matin:
Soldats, voilà Catin !

De mon commerce et des amours
C'était le temps prospère.
À Rome je passai huit jours,
Et de notre saint père
Je débauchai le sacristain,
Tintin, tintin, tintin, r'lin tintin,
Je débauchai le sacristain :
Soldats, voilà Catin!

J'ai fait plus que maint duc et pair
Pour mon pays que j'aime.
À Madrid, si j'ai vendu cher,
Et cher à Moscou même,
J'ai donné gratis à Pantin,
Tintin, tintin, tintin, r'lin tintin,
J'ai donné gratis à Pantin:
Soldats, voilà Catin !

Quand au nombre il fallut céder
La victoire infidèle,
Que n'avais-je pour vous guider
Ce qu'avait la pucelle !
L'anglais aurait fui sans butin,
Tintin, tintin, tintin, r'lin tintin,
L'anglais aurait fui sans butin :
Soldats, voilà Catin !

Si je vois de nos vieux guerriers
Pâlis par la souffrance,
Qui n'ont plus, malgré leurs lauriers,
De quoi boire à la France,
Je refleuris encor leur teint,
Tintin, tintin, tintin, r'lin tintin,
Je refleuris encor leur teint:
Soldats, voilà Catin !

Mais nos ennemis, gorgés d'or,
Paîront encore à boire.
Oui, pour vous doit briller encor
Le jour de la victoire.
J'en serai le réveil-matin,
Tintin, tintin, tintin, r'lin tintin,
J'en serai le réveil-matin:
Soldats, voilà Catin !







L'Exilé

 (janvier 1817)



À d'aimables compagnes
Une jeune beauté
Disait: dans nos campagnes
Règne l'humanité.
Un étranger s'avance,
Qui, parmi nous errant,
Redemande la France
Qu'il chante en soupirant.

D'une terre chérie
C'est un fils désolé.
Rendons une patrie,
Une patrie
Au pauvre exilé.

Près d'un ruisseau rapide
Vers la France entraîné,
Il s'assied, l'œil humide,
Et le front incliné.
Dans les champs qu'il regrette
Il sait qu'en peu de jours
Ces flots que rien n'arrête
Vont promener leur cours.

D'une terre chérie
C'est un fils désolé.
Rendons une patrie,
Une patrie
Au pauvre exilé.

Quand sa mère, peut-être
Implorant son retour,
Tombe aux genoux d'un maître
Que touche son amour,
Trahi par la victoire,
Ce proscrit, dans nos bois,
Inquiet de sa gloire,
Fuit la haine des rois.

D'une terre chérie
C'est un fils désolé.
Rendons une patrie,
Une patrie
Au pauvre exilé.

De rivage en rivage
Que sert de le bannir?
Par-tout de son courage
Il trouve un souvenir.
Sur nos bords, par la guerre
Tant de fois envahis,
Son sang même a naguère
Coulé pour son pays.

D'une terre chérie
C'est un fils désolé.
Rendons une patrie,
Une patrie
Au pauvre exilé.

Dans nos destins contraires,
On dit qu'en ses foyers
Il recueillit nos frères
Vaincus et prisonniers.
De ces temps de conquêtes
Rappelons-lui le cours ;
Qu'il trouve ici des fêtes,
Et sur-tout des amours.

D'une terre chérie
C'est un fils désolé.
Rendons une patrie,
Une patrie
Au pauvre exilé.

Si notre accueil le touche,
Si, par nous abrité,
Il s'endort sur la couche
De l'hospitalité ;
Que par nos voix légères
Ce français réveillé
Sous le toit de ses pères
Croie avoir sommeillé.

D'une terre chérie
C'est un fils désolé.
Rendons une patrie,
Une patrie
Au pauvre exilé.







Le Champ d'asile

(août 1818)



 

Un chef de bannis courageux,
Implorant un lointain asile,
À des sauvages ombrageux
Disait: L'Europe nous exile.

Heureux enfants de ces forêts,
De nos maux apprenez l'histoire :
Sauvages! Nous sommes français ;
Prenez pitié de notre gloire.

Elle épouvante encor les rois,
Et nous bannit des humbles chaumes
D'où, sortis pour venger nos droits,
Nous avons dompté vingt royaumes.

Nous courions conquérir la paix
Qui fuyait devant la victoire.
Sauvages ! Nous sommes français ;
Prenez pitié de notre gloire.

Dans l'Inde, Albion a tremblé
Quand de nos soldats intrépides
Les chants d'allégresse ont troublé
Les vieux échos des pyramides.

Les siècles pour tant de hauts faits
N'auront point assez de mémoire.
Sauvages! Nous sommes français ;
Prenez pitié de notre gloire.

Un homme enfin sort de nos rangs ;
Il dit: Je suis le dieu du monde.
L'on voit soudain les rois errants
Conjurer sa foudre qui gronde.

De loin saluant son palais,
À ce dieu seul ils semblaient croire.
Sauvages! Nous sommes français ;
Prenez pitié de notre gloire.

Mais il tombe; et nous, vieux soldats
Qui suivions un compagnon d'armes,
35 Nous voguons jusqu'en vos climats,
Pleurant la patrie et ses charmes.

Qu'elle se relève à jamais
Du grand naufrage de la Loire!
Sauvages! Nous sommes français ;
Prenez pitié de notre gloire.

Il se tait. Un sauvage alors
Répond: Dieu calme les orages.
Guerriers! Partagez nos trésors,
Ces champs, ces fleuves, ces ombrages.
Gravons sur l'arbre de la paix
Ces mots d'un fils de la victoire :
Sauvages! Nous sommes français ;
Prenez pitié de notre gloire.

Le champ d'asile est consacré ;
Élevez-vous, cité nouvelle !
Soyez-nous un port assuré
Contre la fortune infidèle.

Peut-être aussi des plus hauts faits
Nos fils vous racontant l'histoire,
Vous diront: nous sommes français ;
Prenez pitié de notre gloire.



 





Le Vieux Drapeau

(1820)



Cette chanson n'exprime que le vœu d'un soldat qui désire voir la charte constitutionnellement placée sous la sauvegarde du drapeau de Fleurus, de Marengo et d'Austerlitz. Le même vœu a été exprimé à la tribune par plusieurs députés, et entre autres par M. le général Foy, dans une improvisation aussi noble qu'énergique.


 

De mes vieux compagnons de gloire
Je viens de me voir entouré ;
Nos souvenirs m'ont enivré,
Le vin m'a rendu la mémoire.
Fier de mes exploits et des leurs,
J'ai mon drapeau dans ma chaumière.
Quand secouerai-je la poussière
Qui ternit ses nobles couleurs ?

Il est caché sous l'humble paille
Où je dors pauvre et mutilé,
Lui qui, sûr de vaincre, a volé
Vingt ans de bataille en bataille !
Chargé de lauriers et de fleurs,
Il brilla sur l'Europe entière.
Quand secouerai-je la poussière
Qui ternit ses nobles couleurs ?

Ce drapeau payait à la France
Tout le sang qu'il nous a coûté.
Sur le sein de la liberté
Nos fils jouaient avec sa lance.
Qu'il prouve encore aux oppresseurs
Combien la gloire est roturière.
Quand secouerai-je la poussière
Qui ternit ses nobles couleurs ?

Son aigle est resté dans la poudre,
Fatigué de lointains exploits.
Rendons-lui le coq des gaulois 
Il sut aussi lancer la foudre.
La France, oubliant ses douleurs,
Le rebénira, libre et fière.
Quand secouerai-je la poussière
Qui ternit ses nobles couleurs ?

Las d'errer avec la victoire,
Des lois il deviendra l'appui.
Chaque soldat fut, grâce à lui,
Citoyen aux bords de la Loire.
Seul il peut voiler nos malheurs;
Déployons-le sur la frontière.
Quand secouerai-je la poussière
Qui ternit ses nobles couleurs ?

Mais il est là près de mes armes ;
Un instant osons l'entrevoir.
Viens, mon drapeau! Viens, mon espoir !
C'est à toi d'essuyer mes larmes.
D'un guerrier qui verse des pleurs
Le ciel entendra la prière :
Oui, je secouerai la poussière
Qui ternit tes nobles couleurs.







Les Adieux à la gloire

(décembre 1820)



Chantons le vin et la beauté :
Tout le reste est folie.
Voyez comme on oublie
Les hymnes de la liberté.
Un peuple brave
Retombe esclave :
Fils d'Épicure, ouvrez-moi votre cave.
La France, qui souffre en repos,
Ne veut plus que mal-à-propos
J'ose en trompette ériger mes pipeaux.

Adieu donc, pauvre gloire!
Déshéritons l'histoire.
Venez, amours, et versez-nous à boire.

Quoi ! D'indignes enfants de Mars
Briguaient une livrée
Quand ma muse éplorée
Recrutait pour leurs étendards!
Ah ! S'il m'arrive
Beauté naïve,
Sous ses baisers ma voix sera captive ;
Ou flattons si bien que pour moi
On exhume aussi quelque emploi.
Oui, noir ou blanc, soyons le fou du roi.

Adieu donc, pauvre gloire !
Déshéritons l'histoire.
Venez, amours, et versez-nous à boire.

Des excès de nos ennemis
Chaque juge est complice,
Et la main de justice
De soufflets accable Thémis :
Plus de satire !
N'osant médire,
J'orne de fleurs et ma coupe et ma lyre.
J'ai trop bravé nos tribunaux ;
Dans leurs dédales infernaux
J'entends Cerbère, et ne vois point Minos.

Adieu donc, pauvre gloire !
Déshéritons l'histoire.
Venez, amours, et versez-nous à boire.

Des tyrans par nous soudoyés
La faiblesse est connue :
Gulliver éternue,
Et tous les nains sont foudroyés.
Mais quelle image !
Non, plus d'orage;
De nos plaisirs redoutons le naufrage.
Opprimés, gémissez plus bas.
Que nous fait, dans un gai repas,
Que l'univers souffre ou ne souffre pas ?

Adieu donc, pauvre gloire !
Déshéritons l'histoire.
Venez, amours, et versez-nous à boire.

Du sommeil de la liberté
Les rêves sont pénibles :
Devenons insensibles
Pour conserver notre gaîté.
Quand tout succombe,
Faible colombe,
Ma muse aussi sur des roses retombe.
Lasse d'imiter l'aigle altier,
Elle reprend son doux métier :
Bacchus m'appelle, et je rentre au quartier.

Adieu donc, pauvre gloire !
Déshéritons l'histoire.
Venez, amours, et versez-nous à boire.







Le Cinq Mai

(1821)



 

Des espagnols m'ont pris sur leur navire,
Aux bords lointains où tristement j'errais.
Humble débris d'un héroïque empire,
J'avais dans l'Inde exilé mes regrets.
Mais loin du cap, après cinq ans d'absence
Sous le soleil, je vogue plus joyeux.
Pauvre soldat, je reverrai la France :
La main d'un fils me fermera les yeux.

Dieux! Le pilote a crié: Sainte-Hélène !
Et voilà donc où languit le héros !
Bons espagnols, là s'éteint votre haine ;
Nous maudissons ses fers et ses bourreaux.
Je ne puis rien, rien pour sa délivrance :
Le temps n'est plus des trépas glorieux !
Pauvre soldat, je reverrai la France :
La main d'un fils me fermera les yeux.

Peut-être il dort ce boulet invincible
Qui fracassa vingt trônes à la fois.
Ne peut-il pas, se relevant terrible,
Aller mourir sur la tête des rois ?
Ah ! Ce rocher repousse l'espérance :
L'aigle n'est plus dans le secret des dieux.
Pauvre soldat, je reverrai la France :
La main d'un fils me fermera les yeux.

Il fatiguait la victoire à le suivre :
Elle était lasse; il ne l'attendit pas.
Trahi deux fois, ce grand homme a su vivre.
Mais quels serpents enveloppent ses pas !
De tout laurier un poison est l'essence ;
La mort couronne un front victorieux.
Pauvre soldat, je reverrai la France :
La main d'un fils me fermera les yeux.

Dès qu'on signale une nef vagabonde,
« Serait-ce lui ? Disent les potentats :
Vient-il encor redemander le monde ?
Armons soudain deux millions de soldats. »
Et lui, peut-être accablé de souffrance,
À la patrie adresse ses adieux.
Pauvre soldat, je reverrai la France :
La main d'un fils me fermera les yeux.

Grand de génie et grand de caractère,
Pourquoi du sceptre arma-t-il son orgueil ?
Bien au-dessus des trônes de la terre
Il apparaît brillant sur cet écueil.
Sa gloire est là comme le phare immense
D'un nouveau monde et d'un monde trop vieux.
Pauvre soldat, je reverrai la France :
La main d'un fils me fermera les yeux.

Bons espagnols, que voit-on au rivage ?
Un drapeau noir ! Ah, grands dieux, je frémis !
Quoi ! Lui mourir ! ô gloire ! Quel veuvage !
Autour de moi pleurent ses ennemis.
Loin de ce roc nous fuyons en silence ;
L'astre du jour abandonne les cieux.
Pauvre soldat, je reverrai la France :
La main d'un fils me fermera les yeux.



 




Le Vieux Sergent.



Près du rouet de sa fille chérie
Le vieux sergent se distrait de ses maux,
Et, d'une main que la balle a meurtrie,
Berce en riant deux petits-fils jumeaux.
Assis tranquille au seuil du toit champêtre,
Son seul refuge après tant de combats,
Il dit parfois : « Ce n'est pas tout de naître ;
Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas ! »

Mais qu'entend-il ? Le tambour qui résonne :
Il voit au loin passer un bataillon.
Le sang remonte à son front qui grisonne ;
Le vieux coursier a senti l'aiguillon.
Hélas ! Soudain, tristement il s'écrie :
« C'est un drapeau que je ne connais pas.
Ah ! Si jamais vous vengez la patrie,
Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas !

Qui nous rendra, dit cet homme héroïque,
Aux bords du Rhin, à Jemmapes, à Fleurus,
Ces paysans, fils de la république,
Sur la frontière à sa voix accourus ?
Pieds nus, sans pain, sourds aux lâches alarmes,
Tous à la gloire allaient du même pas.
Le Rhin lui seul peut retremper nos armes.
Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas !

De quel éclat brillaient dans la bataille
Ces habits bleus par la victoire usés !
La liberté mêlait à la mitraille
Des fers rompus et des sceptres brisés.

Les nations, reines par nos conquêtes,
Ceignaient de fleurs le front de nos soldats.
Heureux celui qui mourut dans ces fêtes !
Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas !

Tant de vertu trop tôt fut obscurcie.
Pour s'anoblir nos chefs sortent des rangs ;
Par la cartouche encor toute noircie
Leur bouche est prête à flatter les tyrans.

La liberté déserte avec ses armes ;
D'un trône à l'autre ils vont offrir leurs bras;
À notre gloire on mesure nos larmes.
Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas ! »

Sa fille alors, interrompant sa plainte,
Tout en filant lui chante à demi-voix
Ces airs proscrits qui, les frappant de crainte,
Ont en sursaut réveillé tous les rois.

« Peuple, à ton tour que ces chants te réveillent :
Il en est temps ! » dit-il aussi tout bas.
Puis il répète à ses fils qui sommeillent :
« Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas ! »







Couplet sur Waterloo.



De vieux soldats m'ont dit : « Grâce à ta muse,
Le peuple enfin a des chants pour sa voix.
Ris du laurier qu'un parti te refuse ;
Consacre encor des vers à nos exploits.
Chante ce jour qu'invoquaient des perfides,
Ce dernier jour de gloire et de revers. »
J'ai répondu, baissant des yeux humides :
Son nom jamais n'attristera mes vers.

Qui, dans Athènes, au nom de Chéronée
Mêla jamais des sons harmonieux ?
Par la fortune Athènes détrônée
Maudit Philippe, et douta de ses dieux.
Un jour pareil voit tomber notre empire,
Voit l'étranger nous rapporter des fers,
Voit des français lâchement leur sourire.
Son nom jamais n'attristera mes vers.

Périsse enfin le géant des batailles !
Disaient les rois: peuples, accourez tous.
La liberté sonne ses funérailles ;
Par vous sauvés, nous règnerons par vous.
Le géant tombe, et ces nains sans mémoire
À l'esclavage ont voué l'univers.
Des deux côtés ce jour trompa la gloire.
Son nom jamais n'attristera mes vers.

Mais quoi ! Déjà les hommes d'un autre âge
De ma douleur se demandent l'objet.
Que leur importe en effet ce naufrage ?
Sur le torrent leur berceau surnageait.
Qu'ils soient heureux! Leur astre qui se lève
Du jour funeste efface les revers.
Mais, dût ce jour n'être plus qu'un vain rêve,
Son nom jamais n'attristera mes vers.







Les Souvenirs du peuple.



 

On parlera de sa gloire
Sous le chaume bien longtemps.
L'humble toit, dans cinquante ans,
Ne connaîtra plus d'autre histoire.
Là viendront les villageois
Dire alors à quelque vieille :
Par des récits d'autrefois,
Mère, abrégez notre veille.
Bien, dit-on, qu'il nous ait nui,
Le peuple encor le révère,
Oui, le révère.
Parlez-nous de lui, grand'mère ;
Parlez-nous de lui.

Mes enfants, dans ce village,
Suivi de rois, il passa.
Voilà bien longtemps de ça:
Je venais d'entrer en ménage.
À pied grimpant le coteau
Où pour voir je m'étais mise,
Il avait petit chapeau
Avec redingote grise.
Près de lui je me troublai,
Il me dit: bonjour, ma chère,
Bonjour, ma chère.
Il vous a parlé, grand'mère !
Il vous a parlé!

L'an d'après, moi, pauvre femme,
À Paris étant un jour,
Je le vis avec sa cour:
Il se rendait à notre-dame.
Tous les cœurs étaient contents ;
On admirait son cortège.
Chacun disait: quel beau temps !
Le ciel toujours le protège.
Son sourire était bien doux ;
D'un fils Dieu le rendait père,
Le rendait père.
Quel beau jour pour vous, grand'mère !
Quel beau jour pour vous!

Mais, quand la pauvre Champagne
Fut en proie aux étrangers,
Lui, bravant tous les dangers,
Semblait seul tenir la campagne.
Un soir, tout comme aujourd'hui,
J'entends frapper à la porte ;
J'ouvre, bon dieu ! C'était lui,
Suivi d'une faible escorte.
Il s'asseoit où me voilà,
S'écriant: oh! Quelle guerre !
Oh ! Quelle guerre!
 Il s'est assis là, grand'mère !
Il s'est assis là!

J'ai faim, dit-il, et bien vite
Je sers piquette et pain bis ;
Puis il sèche ses habits,
Même à dormir le feu l'invite.
Au réveil, voyant mes pleurs,
Il me dit: bonne espérance !
Je cours de tous ses malheurs
Sous Paris venger la France.
Il part; et comme un trésor
J'ai depuis gardé son verre,
Gardé son verre.
Vous l'avez encor, grand'mère !
Vous l'avez encor!

Le voici. Mais à sa perte
Le héros fut entraîné.
Lui, qu'un pape a couronné,
Est mort dans une île déserte.
Long-temps aucun ne l'a cru ;
On disait: il va paraître.
Par mer il est accouru ;
L'étranger va voir son maître.
Quand d'erreur on nous tira,
Ma douleur fut bien amère,
Fut bien amère.
Dieu vous bénira, grand'mère ;
Dieu vous bénira.